Pascal Quignard

swallow a écrit:

C´est comme quand on feuillette des catalogues avant de partir en voyage dans un pays inconnu. Une fois sur place et dans le bain, tu sais bien Colebrune que l´on oublie presque tout ce qu´on a bien pu lire au prealable

Je n'en sais rien, absolument rien, je ne feuillette jamais ce genre de catalogues et je ne pars jamais pour ce genre de destinations, qui n'ont aucun intérêt à mes yeux.

Mais tu sembles pourtant être une lectrice de Pascal Quignard, non ? Qu'est-ce qui te retient dans ce cas ? Prends-le à la bibliothèque si tu as peur de faire un mauvais achat. Et lorsque je dis qu'on y retrouve Charles Chenogne, cela ne te suffit-il pas ? Tu ne veux pas savoir quels peuvent bien être les rapports qu'entretiennent Charles Chenogne et Ann Hidden ?

Colbrune: les bibliothèques ont relativement peu d´ouvrages en langue etrangère ( sauf les classiques). Villa Amalia ne peut être traduit ( ds la langue que ce soit) AVANT d´avoir realisé un certain chiffre de ventes dans la langue originelle ds laquelle le roman a eté conçu. Je ne me souviens plus de ce chiffre, mais les editeurs ne sont pas libres de décider quand un auteur doit et peut commander a ses traducteurs habituels la traduction de son ouvrage. Celà obéit a des barèmes de ventes semblables dans tous les pays.
Tu dois savoir que j´habite en Espagne. Non, je ne peux pas le prendre à la bibliothèque, c´est impossible.
De toute façon, pour moi ce serait très frustrant de lire Quignard traduit. Je profite de ce petit decalage pour me renseigner, j imagine que c´est ce que tout le monde fait, pour combler le moment entre ma lecture et celui de la parution du titre sur le marché. Je pourrais aussi l´acheter online mais non, chacun son système. C´est un peu comme me mettre dans cet angle mort dont parle si souvent Quignard avant de tout bonnement lire le livre convoité. C´est un moment instructif, et de toute manière je n´ai pas le choix. Raconte-moi ce que tu sais de la relation Charles/Ann. Je suis toute ouïe.

Ce n'est pas moi qui jetterai le discredit sur les bibliothèques, mais pour , elles sont bien souvent incapables de mettre à la disposition des lecteurs un livre recemment paru : les achats se font quand les budgets sont prêts, que le livre est relié... parfois aussi, le personnel se le réserve

Un lien intéressant:
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-748940,0.html

Article interessant sur le Monde, Merci Coline. Par contre la photo est minable. Ils ne lui ont pas fait de cadeau sur le journal !!! Bon je sais combien Pascal Quignard s´en fiche... Mais je vous joins quand même cette splendide photo de lui.

Villa Amalia

J’ai eu peu de temps pour lire ces derniers jours…Je viens juste de terminer le dernier roman de Pascal Quignard.
J’éprouve un sentiment un peu partagé.
C’est un roman aisé à lire avec un beau sujet. Une femme (pianiste) trahie par son mari décide de tout quitter et organise sa disparition. Elle part pour l’île d’Ischia, près de Capri…Là-bas elle s’installe dans une modeste maison surplombant la mer et s’installe aussi dans sa nouvelle vie…
Ce qui m’a frappée, et un peu dérangée dans ce roman, c’est qu’ Ann semble éprouver de plus grandes émotions face à la maison ou à la mer que face aux êtres dont elle croise un temps l’existence…
Moi qui suis une grande sentimentale, j’ai eu du mal à croire à ce personnage un peu froid…Dès le début, il semble que l’infidélité de son mari soit plus un prétexte pour elle à partir que la cause d’une vraie souffrance qui l’amène à prendre cette décision.

C’est un bon roman tout de même…mais je ne suis pas vraiment touchée par les personnages.

Je sens que Colbrune ne va pas être d'accord avec moi...

Coline a écrit:

Dès le début, il semble que l’infidélité de son mari soit plus un prétexte pour elle à partir que la cause d’une vraie souffrance qui l’amène à prendre cette décision.

Entièrement d'accord avec toi coline. A mon avis, ce n'est même pas un prétexte.

C'est la photo d'elle petite qui lui fait tout quitter.

Oui, voilà...

Et pourrais-tu me dire si tu partages mon avis sur la froideur de Ann ?

Je n'appellerais pas cela froideur. Elle n'est pas froide envers son père, ni envers la petite fille, ni envers Giulia, ni envers la vieille dame, ni envers Georges.

Ses sentiments ont pris une autre forme d'expres​sion(peut-être même une absence d'expression?) que les formes sous lesquelles les êtres humains tentent de se faire croire et de faire accroire autour d'eux qu'ils ne sont pas fondamentalement seuls.

Tout au plus je parlerais de détachement absolu, elle quitte tout et se détache de tout ou à peu près tout, oui.


Mais je la trouve très attachante comme héroïne.

colbrune a écrit:

Tout au plus je parlerais de détachement absolu, elle quitte tout et se détache de tout ou à peu près tout, oui.


Mais je la trouve très attachante comme héroïne.

Le détachement est un terme très juste pour qualifier le comportement d'Ann en effet...Oui, elle ne "s'attache" à personne vraiment...Un peu plus à la petite fille et à Giulia, mais tout en gardant une distance...tout en ne se laissant jamais emporter par ses sentiments...

Le nom sur le bout de la langue.

Vous resumez si bien les histoires, que pour ma part, j´essaierai de les mettre à dégorger, histoire de recueillir les idées et les concepts qui se cachent derrière et emergent.

Quignard dépasse les confins de la psychanalyse ( Lacan, Freud) quand il se met a poursuivre le langage.
Le mot momentanément oublié, le mot stocké en mémoire et qui se résiste à refluer, c´est par ce que "Nous ne sommes pas des bêtes qui parlent comme elles voient"( p. 57).
Le langage est acquis, puisque "Le bien que nous recevons á la naissance n´est que la vie") p. 106.
En plus au prix de combien d´efforts d´apprentissage !! : 2-3 ans sont nécessaires pour que l´enfant "sache" parler, faire des phrases.
Même adulte, je ne peux faire qu´une approche fragile et partielle du LANGAGE. Car c´est à l´humanité toute entière que celui-ci appartient. Pour moi... juste quelques bribes.
Mon avidité à prétendre confisquer le langage, à vouloir le dominer : chimères.
Le nom sur le bout de la langue, c´est une mise en garde, ce n´est même pas partager ce qui nous serait prêté, c´est tout juste être assis sur la berge et laisser tremper nos pieds dans le flot du langage qui descend impassible, indifferent et sûr de son chemin, en attendant que l´inspiration ou le mot reviennent... de loin.

Pascal Quignard...le chouchou de Grain-de-Sel!

A très bientôt Swallow!...Et fais un bon choix de livres...

coline a écrit:

Pascal Quignard...le chouchou de Grain-de-Sel!

Ben ça alors, lorsque je débarquai au milieu de vous tous fin octobre, personne ne l'avait lu !

Vraiment, je vous félicite de l'avoir adopté si complaisamment ! C'est sans doute qu'il le vaut bien.

Sûr qu'il le vaut bien...Il agace...Il enchante...Il nous laisse tout sauf indifférents...
Pour moi, il raconte très bien ('Le nom sur le bout de la langue", "Tous les matins du monde", "Villa Amalia...) et il m'époustoufle par sa culture, me donne envie de (re)découvrir ses références..."Le sexe et l'effroi" m'a donné une envie irrésistible de relire les textes antiques et de faire un voyage à Pompéi...

Un nouvel article ( du 6 Avril 06) sur le dernier Quignard:
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-04-06/2006-04-06-827711

Je retiens en particulier : "En même temps qu’elle paraît s’épurer, se délester de tout le superflu, l’existence de la musicienne s’étoffe et prend une consistance plus grande. "

Çà rejoint un peu comme ce que nous disions autre part au sujet du Haïku avec Rotko.

Denuder, ôter l´accessoire n´est pas appauvrir, sinon tout le contraire, mais c´est bien une question de goût.

J´espère que vous allez vite me rejoindre à Ischia, pour parler de VILLA AMALIA...
J´ai tant de choses à vous dire, et je ne voudrais pas tomber dans le monologue.

D´abord, je vous présente l´heroïne : Ann Hidden.
"Elle n´obéissait à personne mais commandait encore moins à qui que ce fût. Elle parlait peu. Elle menait une vie presque invisible, entourée de ses trois pianos, abritée par ses trois pianos, inamicale, presque recluse, laborieuse, parallèlle." P.Quignard.

coline a écrit:

Ce qui m’a frappée, et un peu dérangée dans ce roman, c’est qu’ Ann semble éprouver de plus grandes émotions face à la maison ou à la mer que face aux êtres dont elle croise un temps l’existence…
Moi qui suis une grande sentimentale, j’ai eu du mal à croire à ce personnage un peu froid…Dès le début, il semble que l’infidélité de son mari soit plus un prétexte pour elle à partir que la cause d’une vraie souffrance qui l’amène à prendre cette décision.

Qu'est-ce que tu en penses Swallow?

Comment une femme pourrait- elle vivre avec un mari denué de ces désirs?
" Elle pensa : Avait- il jamais desiré qu´elle ouvrit la bouche? Qu´elle pensât? Qu´elle vecut? Qu´elle nommât quelque chose?" P.244

Pour rester dans le vocabulaire de Quignard, on pourrait dire que Thomas ne "bourgeonnait" plus envers elle. Plus d´élan ni d´entrain vis à vis d´elle. Si Ann avait senti la moindre vibration de la part de son mari, elle serait sûrement restée.
C´est exact qu´il et difficile de faire monter en Ann l´affection et les sentiments ( ce que tu crois être de la froideur) mais lui faire des reproches comme il le fait, c´etait bien se condamner tout seul, c´etait la dernière des choses à faire avec quelqu´un comme elle.

Coline tu avais parfaitement defini ce qui cloche dans le couple Ann/Thomas
"Ne pas être dans le couple mais dans l'amour..." Coline.

Voilà ce qui manque à Ann, voilà pourquoi elle quitte Thomas. Voilà pourquoi elle va AIMER une bonne fois pour toutes: Georges, la petite fille, Leo et Guilia et Ischia et Villa Amalia etc...

Chez Quignard il y a un moment où la carence affective est si virulente, insupportable ( autant en ce qui concerne aimer qu´être choyé) qu´une maison peut en l´occurrence prendre la place de l´être aimé , devenant ainsi objet de tous les soins et source de tous les reconforts:
"Elle aimait de façon passionnée, obsedée, la maison de zia Amalia, la terrasse, la baie, la mer. Elle avait envie de disparaître dans ce qu´elle aimait (...) Mais ce n´etait plus un homme qu´elle aimait ainsi (...) C´était une paroi de montagne où elle cherchait à s´accrocher (...) C´était comme un être indéfinissable, euphorisant, dont on ne sait pas quel biais on se voit reconnue par lui, rassurée, comprise, entendue, appreciée, soutenue, aimée." Villa Amalia, p.136.

swallow a écrit:

"Elle aimait de façon passionnée, obsedée, la maison de zia Amalia, la terrasse, la baie, la mer. Elle avait envie de disparaître dans ce qu´elle aimait (...) Mais ce n´etait plus un homme qu´elle aimait ainsi (...) C´était une paroi de montagne où elle cherchait à s´accrocher (...) C´était comme un être indéfinissable, euphorisant, dont on ne sait pas quel biais on se voit reconnue par lui, rassurée, comprise, entendue, appreciée, soutenue, aimée." Villa Amalia, p.136.

Confidence: ce passage m'a beaucoup émue quand je lisais ce roman car c'est un sentiment que j'ai ressenti moi aussi pour le lieu où je vivais jusqu'à l'automne dernier ...

Je te reponds ICI, Colbrune puisque je continue sur VILLA AMALIA, et que tu indiques très justement sur le lien concernant Marguerite Duras combien DURAS et ANN se ressemblent dans leur manière de travailler. qu´il s´agisse de l´écriture pour l´une, ou de la musique pour l´autre, elles font toutes deux " TABLE RASE"... comme tu le remarques:

La méthode d´Ann : " Elle simplifiait jusqu´au dénuement les partitions qu´elle exhumait ou leurs souvenirs. Elle resumait, desornait, taillait, amenuisait, condensait jusqu´à ce qu´elle fût bouleversée par ce qu´elle avait obtenu. (Villa Amalia, p.75).

Oui on peut très bien en parler ici aussi, je pense notamment à cette phrase d'ouverture du dernier chapitre de Vie secrète :


Les peintres ? Les cartons vert épinard. Les musiciens ? Les boîtes noires et luisantes. Les écrivains ? Les mains vides.

Les mains invisibles.

MD aussi parle - plusieurs fois ? - de ces mains vides

sans doute les mains vide pour un grand nombre
et sans doute la tête pleine et le coeur empli pour d'autres...

l'écriture vient des tripes, pas des mains ...