Pascal Quignard

Le prix fait hésiter mais...je me demande comment je vais pouvoir résister...

Et bien je dois dire que tout ne me plaît pas dans Les Ombres errantes.

J'ai cependant attrappé une bonne quignardite, puisque n'ai pu m'empêcher d'acquérir Eloge de l'ombre de Tanizaki, dont Quignard fait l'éloge, ainsi que Vie secrète et Le Sexe et l'effroi.
Quant aux Ombres errantes j'en avais lu les premières pages il y a plusieurs mois dans un supermarché et m'étais promis de le lire en entier et de ne pas l'acheter dans ce supermarché, car j'ai de la répulsion à poser un livre sur un tapis roulant.


Il y a quelque chose d'envoûtant là-dedans. Ce livre est un tissu de différents fils, avec des zones lâches et d'autres serrées, ou bien un vaste ensemble de facettes sur lesquelles le lecteur est amené à rebondir. Au terme d'une lecture je ressens le besoin de le relire car je suis persuadé que du sens qui y était caché va surgir.
Il aborde des thèmes difficiles avec beaucoup de profondeur, comme par exemple la différence entre l'image et l'écrit. Il y a un bon quart que je n'ai pas saisi, mais j'ai le sentiment qu'en lisant ses autres ouvrages j'y verrai plus clair. Ce qui me gêne parfois, hormis le sujet de la religion, c'est le ton péremptoire des maximes, ou plutôt l'impossibilité dans laquelle je me trouve de savoir s'il martèle sa maxime car il en est convaincu ou simplement pour choquer le lecteur afin de l'éveiller. Et ce qui m'amuse bien c'est qu'on y trouve pas mal de petites saletés cachées dans les coins obscurs, c'est-à-dire des choses qui ne sont pas à leur place, comme il le dit si bien. J'y ai trouvé un humour quand même ; initialement je trouvai le ton très austère et pessimiste, mais avec le temps on découvre qu'il y a matière à sourire, mais ici l'humour est aussi dans l'ombre, il faut déambuler longtemps dans ce texte avant que l'esprit s'adapte à son obscurité.
Quand je pense que cela fait des dizaines d'années qu'il écrit et que je ne le lis que maintenant, je me dis que j'ai beaucoup raté, mais je me réconforte en pensant que c'est bien peu par rapport aux siècles écoulés depuis l'Odyssée de Homère, que je lis pour la première fois également.

Pascal Quignard, dans les Ombres errantes, a écrit:

Au mois d'août 1999 je débarquai six caisses d'Epineuil sur la rive de l'Yonne et deux sacs postaux en jute gris qui étaient remplis de livres. Je les tirai sur la pelouse.

Je suppose que l'Epineuil est un vin, et je remarque qu'il tire les sacs.

Citation :

[...] Il fallait espérer qu'on ne vît personne. [...] Même pas les scarabées énormes et hagards quand on lit dans la chaise longue en toile tirée sur la pelouse ou traînée plus loin sur les fleurs dodues et blanches des trèfles.

La position de lecture n'est pas martiale, elle n'est pas celle des Nippons. Ici encore on tire voire même on traîne l'objet.

Citation :

Je lus tout l'été. Le bonheur me dévora tout l'été.

Pendant que d'autres s'épuisent à de pénibles tâches, on bouquine tout l'été dans le calme en picolant. On ne fait aucun sport, on ne fait que tirer ou traîner ce qui est plus lourd qu'un livre ou qu'un verre de vin (ou qu'une bouteille ?).
Et au terme de cette nonchalance, on en arrive à écrire :

Citation :

Nous vivons en 1571. Une atmosphère de Saint-Barthélemy hante les banlieues. Les guerres de religion recommencent. La démocratie est une féroce religion protestante. L'Islam est une terrible religion sexuelle.

Je trouve cela très exagéré, tapageur, et même Houellebecquien. Comme quoi on ne met pas toujours dans le mille. Je préfère Montaigne, qui garde une mesure, une douceur envers le lecteur et parvient à émouvoir sans forcer le trait.

Tirer des sacs de livres ne me surprend pas, vu le poids et le risque à se relever avec un dos rond.

Quant à la toile cirée, si on ne la traîne pas, il faut la plier, risquer de se salir et ensuite la déplier. Sur une petite distance, le plus rapide est donc de la tirer .

1571, je n'y étais pas.

Chez Quignard, à ce que je crois, le goût de la concision entraîne les formules.

Rotko, il s'agit de "chaise longue en toile tirée" et non pas "cirée".

Afin de ne pas me faire une ennemie de Colbrune, pour survivre dans un monde de brutes, il me faut tout de même encenser quelques phrases de son auteur fétiche.

M. Quignard a écrit:

L'art est la moindre feuille.
La feuille la plus faible car la plus petite des feuilles qui poussent.
Toujours la plus neuve et donc toujours la plus petite.
C'est un reste de nature au sein de la culture. Il est naissance. En toute chose la naissance cherche à revivre.
L'art ne connaît que les renaissances. La nature est l'origine. L'art n'est jamais plus grand que le plus petit des printemps qui rebourgeonne sa glu blanchâtre au terme de sa branche.

Quand je lis ça, je me dis que j'ai bien fait d'acheter son bouquin, même si en d'autres endroits il me déplaît. C'est sublime, et rejoint ça :

M. Proust a écrit:

La vraie variété est dans cette plénitude d'éléments réels et inattendus, dans le rameau chargé de fleurs bleues qui s'élance contre toute attente, de la haie printanière qui semblait déjà comble, [...]

Et aussi ça :

M. Tanizaki a écrit:

Mais ce que l'on appelle le beau n'est d'ordinaire qu'une sublimation des réalités de la vie, et c'est ainsi que nos ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l'ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l'ombre en vue d'obtenir des effets esthétiques.

troglodyte a écrit:

Afin de ne pas me faire une ennemie de Colbrune, pour survivre dans un monde de brutes, il me faut tout de même encenser quelques phrases de son auteur fétiche.

Aucun souci, c'est même très intéressant.

troglodyte a écrit:

Pascal Quignard, dans les Ombres errantes, a écrit:

Au mois d'août 1999 je débarquai six caisses d'Epineuil sur la rive de l'Yonne et deux sacs postaux en jute gris qui étaient remplis de livres. Je les tirai sur la pelouse.

Je suppose que l'Epineuil est un vin, et je remarque qu'il tire les sacs.

Citation :

[...] Il fallait espérer qu'on ne vît personne. [...] Même pas les scarabées énormes et hagards quand on lit dans la chaise longue en toile tirée sur la pelouse ou traînée plus loin sur les fleurs dodues et blanches des trèfles.

La position de lecture n'est pas martiale, elle n'est pas celle des Nippons. Ici encore on tire voire même on traîne l'objet.

Citation :

Je lus tout l'été. Le bonheur me dévora tout l'été.

Pendant que d'autres s'épuisent à de pénibles tâches, on bouquine tout l'été dans le calme en picolant. On ne fait aucun sport, on ne fait que tirer ou traîner ce qui est plus lourd qu'un livre ou qu'un verre de vin (ou qu'une bouteille ?).
Et au terme de cette nonchalance, on en arrive à écrire :

Citation :

Nous vivons en 1571. Une atmosphère de Saint-Barthélemy hante les banlieues. Les guerres de religion recommencent. La démocratie est une féroce religion protestante. L'Islam est une terrible religion sexuelle.

Je trouve cela très exagéré, tapageur, et même Houellebecquien. Comme quoi on ne met pas toujours dans le mille. Je préfère Montaigne, qui garde une mesure, une douceur envers le lecteur et parvient à émouvoir sans forcer le trait.

J'adore la façon très personnelle dont tu "épluches minutieusement" les textes Troglo...

troglodyte a écrit:

J'épluche les livres comme les vieux singes les cacahuètes.

avec gourmandise!

A propos de la citation des Ombres errantes de Quignard, reprise par Troglo:
" L'Islam est une terrible religion sexuelle."
Je laisse le soin de répondre à Adonis, un poète syrien dont Utopie et Rotko viennent de nous indiquer poésies et liens sur lequels j´ai trouvé ce commentaire très à propos:
"Mais il n'y a pas que l'islam qui déteste le corps, tout court, pas seulement celui de la femme. Toutes les religions révélées rejettent ce qui est physique pour mieux valoriser la transcendance. C'est l'être humain qui est le centre de l'univers et non Dieu. Dieu est une idée abstraite, lointaine. Cette séparation entre Dieu et l'homme a fondé un discours sur le corps qui est anti-humain."

Vous savez, c´est ma manie de faire dialoguer les auteurs entre eux

Ne pas montrer son corps sur la place publique n'implique pas qu'il soit détesté.

troglodyte a écrit:

Ne pas montrer son corps sur la place publique n'implique pas qu'il soit détesté.

Ne pas montrer son corps implique qu'il est occulté. CQFD

La représentation du corps dans l'imagerie chretienne n'est pas anodine.

rotko a écrit:

Ne pas montrer son corps implique qu'il est occulté. CQFD

Ne pas montrer = occulter ?

Rien n'occulte l'être qui vous regarde dans les yeux.

colbrune a écrit:

rotko a écrit:

Ne pas montrer son corps implique qu'il est occulté. CQFD

Ne pas montrer = occulter ?

oui, et je donne la definition du tresor de la langue française

Citation :

OCCULTER, verbe trans.
A. ASTRON., COSMOGRAPHIE. [Le suj. et l'obj. désignent un astre] Intercepter la lumière de, cacher à la vue (d'un observateur terrestre) en s'interposant. Synon. éclipser, offusquer, voiler. Étoile occultée par le soleil, par la lune:

Ca y est... j'ai cédé moi aussi, j'ai acheté tout à l'heure d'occasion Les Ombres errantes. Je vais pouvoir enfin déguster tout ce fil sur Quignard c'est une épidémie sur GDS ?

Tout cela a commencé avec l'insistance de Colbrune (elle a bien fait!)...Et comme j'ai, par ailleurs, une amie qui ne jure que par Quignard, je me suis dit qu'il était grand temps de me mettre à le lire...Je ne le regrette pas!
Je ne suis pas enthousiaste sur tous ses livres mais je crois qu'il serait dommage pour un amateur de lecture de passer totalement à côté.

Par contre, à mon avis, commencer par "Les ombres errantes" peut décourager plus d'un...Courageux Nam et Troglo!

Oui, je me rend compte que je me suis peut-être trompée de livre. Je l'ai pris complètement par hasard, parce que j'ai vu le nom, que j'ai pensé à vous et que son prix était dérisoire. Je l'ai commencé tout à l'heure dans mon bain et je suis restée formidablement ... perplexe. Je vais vous lire un peu, peut être en attraper un autre en bibli, avant de continuer.

"Tous les matins du monde", ou "Terrasse à Rome", ou " Le nom sur le bout de la langue", ou "Villa Amalia" sont, il me semble, plus facilement abordables pour commencer.
"Le sexe et l'effroi" est passionnant...mais il donne une irrésistible envie d'aller tout de suite à Pompéi ...

Ne pas oublier ses grands romans qui l'ont fait connaître du public, Le Salon du Wurtemberg et Les Escaliers de Chambord, qui sont vraiment des romans comme on les lit facilement, contrairement à Vie secrète ou au Dernier Royaume par exemple.

Surtout ne pas se décourager ! Il y en a pour tous les goûts.

Pour les fainéants j'ai préparé un résumé un peu fantaisiste du début de Vie secrète et j'orangise les citations. Je l'ai pris chez Folio, la couverture est très sage, c'est une liseuse sérieuse vêtue austèrement, mais le contenu du livre est très hum hum !
Pascal Q, jeune homme dévergondé, sous le prétexte d'apprendre la musique, courtise assidument Némie S, une pianiste mariée mais néanmoins gourmande qui prend soudain avec les doigts l'os dépouillé au couteau du morceau de lièvre pour arracher le peu de chair noire qui y est demeurée attachée. Après avoir recouru à la flatterie - Vous êtes une prodigieuse pianiste, à la docilité feinte A cette voix, j'obéissais, après l'avoir épiée au lieu de se concentrer sur les leçons de musique Ses jambes étaient sans bas, il l'assaille Je la serrais très fort contre moi et en profite tant qu'il peut Je sentais la chaleur et le poids de ses seins sur mon torse, je sentais le parfum inimaginable qui montait d'elle à son corps défendant Elle me disait à ce moment qu'il fallait cesser que je vienne chez elle, qu'il ne fallait plus que nous nous retrouvions à l'auberge pour déjeûner. Rien ne l'arrête, il la poursuit de ses assiduités même la nuit Je grattai le carreau de la fenêtre un instant, jusqu'à ce que, épuisée de lutter, elle cède et enfin Le bourgeon pousse sa tête gluante dans le visible. Il perd la tête Ne rien comprendre à rien est un organe fabuleux, se livre sur la personne de Némie S à des pratiques de plus en plus marginales la carnivorie, l'anthropophagie, la théophagie cessent pendant trois jours, il la terrorise J'avance encore dans le corridor dans la nuit jusqu'à ce qu'elle déménage sans le prévenir pour le fuir Je vis son dos dans la voiture de son mari. Alors je vis la Simca blanche s'éloigner lentement. Puis l'auteur nous délivre d'intéressantes méditations étymologiques sur les mots "fasciner" et "désirer", mais c'est une autre histoire, ça suffit pour aujourd'hui.

Voila une contribution originale
on devrait t'embaucher pour faire des résumés des oeuvres au programme de lettres en licence et au-delà.
Les étudiant(e)s se feraient moins de souci ainsi que les correcteurs !

Toujours dans Vie secrète, que je recommande à Nam puisqu'étant à peu près l'expression claire des idées des Ombres errantes, une fantastique citation :

Citation :

Saad Varâvini, en 1225, à Tabriz, a écrit : "La parole est comme le lait de la traite. Nul ne peut la remettre dans le pis.
Il n'y a pas de retour pour la parole échappée de la bouche. La flèche ne revient pas sur la corde de l'arc. L'enfant ne rejoint pas la couille velue de son père.
Le secret et la semence sont les mêmes. Les conserver tourmente. Leur émission les perd."

Mais aussi celle-ci :

Citation :

Les Aïnos disaient : "Le silence absolu qu'on observe pour pêcher est un chant. C'est le chant des poissons. C'est ainsi que les chasseurs les font venir jusqu'à leur embarcation et qu'ils les prennent dans leur filet, parce qu'ils leur chantent leur chant de silence."

Bien aimé ton résumé de" Vie secrète", Troglo. Et pas si fantaisiste que celà, dans le fond.
Car chez Quignard, les mots, même les "grands"veulent tout sauf en jeter plein la vue au lecteur.
Que Quignard parle de fascination, d´un bernard-l´hermite ou de Plutarque, les mots ne sont là que pour FOUILLER un monde qui se trouve en deçà de l´histoire. Les mots pointent d´abord leur museau, puis parviennent à crever l´écran, cette membrane "officielle" publique et sociale qui ne demande qu´à être déchirée dans l´étreinte, l´amour ou la passion , dans les moments forts de la vie ( sensorielle).
Il faut accepter de s´egarer, avec Quignard... La langue déverrouille soudain et la substance qui circule entre les mots prend le dessus, giclant partout. Avec un peu de chance il y aura quelques a-pics, et la possibilité de sentir enfin le véritable pouls de la vie, la possibilité de cette île egalement evoquée ailleurs par Houellebecq et qui je crois est habitée par cette bête dont parle Quignard, cette bête si avidement attendue par tout être vivant et qui guette tout homme dans la jungle qu´il a été.