Qu'est-ce qu'un bon auteur ?

Pardon, pardon Rosie C'est toi qui as raison. Mais pour que tu puisses t'exprimer pleinement et d'autres avec toi peut-être, chère Darabesque, j'insiste, il faut donner la suite du texte, au moins quelques lignes de plus, tu veux bien ? Et voilà pour toi aussi Suis-je pardonnée ?

Mais vi, tu es pardonné Nicyrle

Mais, est-ce possible d'avoir un peu plus de texte, parce que c'est un peu court là ?

Je pense qu'on peut donner un peu plus de texte, même en l'absence de Marie :

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un
télégramme de l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.»
Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai
l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je
rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait
pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai
même dit : «Ce n'est pas de ma faute.» II n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je
n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui
de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il
me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte.
Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une
allure plus officielle.
J'ai pris l'autobus à deux heures. II faisait très chaud. J'ai mangé au restaurant, chez
Céleste, comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste
m'a dit: «On n'a qu'une mère.» Quand je suis parti, ils m'ont accompagné à la porte.
J'étais un peu étourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui
emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.
J'ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c'est à cause de
tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la
route et du ciel, que je me suis assoupi. J'ai dormi pendant presque tout le trajet. Et
quand je me suis réveillé, j'étais tassé contre un militaire qui m'a souri et qui m'a
demandé si je venais de loin. J'ai dit «oui» pour n'avoir plus à parler.

vous avez raison Nicyrle et Amarande, merci d'avoir complété !
à vous deux et à Rosie bien sûr

C'est étonnant, parce que j'ai l'impression d'avoir déjà lu ça quelque part. Cela me parle un peu... - ce passage particulièrement : L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi.

La lecture est fluide et les phrases sont très courtes. C'est très épuré. Ce doit être un auteur français de l'époque contemporaine. Mais j'aimerais surtout parler de ce morceau de texte, qui semble faire référence à ce qui est existenciel, ce qui à trait à l'humain et ce qui se passe sur le moment. Je ne pense pas à une autobiographie, mais bien à un roman au travers d'une écriture engagée.

Tu l'as certainement lu, Rosie, sinon l'oeuvre entière, au moins ce passage, souvent cité, et ton commentaire est très juste. Bravo

Oui, un grand bravo à toi Rosie

nicyrle a écrit:

Tu l'as certainement lu, Rosie, sinon l'oeuvre entière, au moins ce passage, souvent cité, et ton commentaire est très juste. Bravo

Chouette, mais je dois chercher sur le Net ou bien tu me dis qui c'est ?

Il s'agit des premières phrases de L'Etranger d'Albert Camus

Ahhhh !!! Arf... Je l'ai lu en effet ! Je l'ai même à la maison :/
Je me souviens...
Elle est terrible l'histoire ! C'est vraiment dramatique ce qui arrive à ce personnage. J'avais vraiment aimé autant par le fond que par le style...

Voici un autre extrait d'un auteur connu :

<<Au volant de son véhicule, un sexagénaire vociférait en klaxonnant comme un dératé sur la voie publique. J’étais pris dans un bouchon. Plus haut, quelque chose gênait empêchant toute circulation. La file de voitures s’était agrandie. Je me trouvais avenue Charles de Gaulle. Depuis plus d’une demi-heure, nous étions coincés. Le vieux pestait comme un dégénéré. « Comme si cela allait faire avancer les choses que de hurler sur les passants. » Pensais-je à haute voix. Plus en aval, des lumières de gyrophares scintillaient.
Que pouvait-il bien se passer ?
Les gens s’impatientaient, s’énervaient, klaxonnaient. Le soleil plombait l’avenue. La chaleur était insupportable. Il y avait de quoi s’irriter. Certains descendirent de leur véhicule, se dirigeant vers ce qui nous empêchait de continuer notre route. C’était aussi l’heure de pointe. Beaucoup s’en retournaient au travail. En jetant un œil sur ma montre, je vis treize heures trente. J’avais un rendez-vous important près de la tour Eiffel, avec un ami de lycée que je n’avais pas vu depuis plus de quinze ans.
Il y a un mois, Philippe m’avait contacté et nous nous étions donnés rendez-vous après avoir échangé quelques brèves paroles. J’étais déjà en retard de vingt minutes. Nous devions déjeuner ensemble. Par comble de mal chance, je n’avais pas de portable et donc aucun moyen de le prévenir.
M’attendra-t-il ? Pensais-je, alors que je suffoquais à l’intérieur du véhicule.
Paris est immense et la circulation dense. C’était insoutenable que cette chaleur accablante. Je cherchais en vain le moindre souffle de fraîcheur. Je pris une gorgée d’eau et, ne tenant plus, je sortis de mon véhicule. Derrière moi, le vieux me suivait. Il s’était calmé. Peut-être s’était-il rendu compte qu’il ne pouvait rien faire de plus et que hurler n’avançait à rien au vu de cette circonstance fortuite. Je me dirigeai vers les gyrophares. La chaleur accablante me faisant abondamment suer. De temps à autre, je jetais un œil par-dessus mon épaule. Il suivait difficilement, le vieux. Je ralentissais, modérant la vitesse de mon pas. Par insouciance, j’avais laissé la bouteille d’eau sur le siège avant de ma voiture : « ce n’est pas malin ! » Dis-je hautement.
— Qu’est-ce qui n’est pas malin ? Le vieux s’adressant à moi.
— J’ai laissé la bouteille d’eau dans la voiture, et cette chaleur écrasante m’assoiffe énormément.
— Tenez, buvez !
Il me tendit sa bouteille.
Je l’en remerciai et tous deux allâmes voir ce qu’il se passait plus haut.
Au travers de la foule, nous nous étions faufilés. Tous se confondaient parmi cet attroupement, communs aux mortels. Sans savoir comment j’avais pu faire, je me trouvai devant une situation toutefois choquante et burlesque. Deux macchabées pas encore recouverts se trouvaient à moitié nus, étalés devant moi. Les corps inanimés gisaient sur le bitume brûlant de l’avenue. Les sapeurs pompiers les avaient sortis d’une Twingo rouge dont il ne restait plus que quelques débris tant elle avait été défoncée et désossée sans ménagement. Un mort en pleine rue c’est rare. Mais là, s’en tenaient deux. Une femme et un homme. Mes yeux se posèrent en premier lieu sur le corps de cette femme presque entièrement nue. Sa robe de grand-mère étant en lambeaux à ses côtés. Entre ses seins surdimensionnés se trouvaient les marques violacées provenant d’énormes plaques d’un défibrillateur. Cette femme était peut-être âgée d’une cinquantaine d’années, mais en paraissait dix de plus. Son aspect physique était déplorable. Elle était obèse, son visage bouffi et spongieux donnait l’impression qu’elle était morte par noyade. Le teint livide faisait ressortir des rides grossières sous des yeux enflés tels des tranchées creusées dans la terre. Ses lèvres violacées débordaient entre le nez et un double menton tant elles étaient replètes ; d’ailleurs, la tête et le visage étaient tellement impressionnants par leur volume qu’il était impossible de voir le cou de la victime. On aurait dit que sa tête était agglutinée directement sur le tronc entre des épaules gonflées et difformes. L’énorme ventre adipeux, ballonné, distendu se répandait largement sur le bitume et de chaque côté, entre des bras volumineux s’étalaient des seins qui ressemblaient plus à d’énormes ballons de baudruche s’étant, avec le temps, légèrement dégonflés, affaissés et flétris. Très proche se tenait un homme un peu plus vieux. Peut-être avait-il plus de soixante ans. Il était physiquement efflanqué et très petit. Son corps osseux laissait croire qu’il était atteint par la maladie tant je le trouvais chétif. À côté de cette phénoménale femme, le contraste semblait risible. Je ne sais pourquoi. Mais en zieutant le slip kangourou du nabot ; j’imaginai ondoyer un minuscule pénis au centre de cette poche qui lui servait de cache-sexe, inspirant plus la dérision que la virilité. De là, sans raison aucune, je l’imaginai très bien, tel un vaillant petit homme, lors d’un ébat, se ruant sur sa tendre et moelleuse femme démesurée, attrapant à pleine main la volumineuse croupe et essayant de se frayer un chemin entre les amas de graisse s’amoncelant les uns sur les autres, distendus telle la peau d’un Basset Saint-Hubert et dévalant en escalier sur le Mont de vénus, et tenter un exploit surhumain en trouvant le passage divin sous une toison épaisse et hirsute, ressemblant plus à un champ de bataille en friche ; et entre de petites lèvres rubicondes, saillantes, pendantes tel le fanon mandibulaire d’une poule afin de contenter une glorieuse délivrance.>>

bon, je prends des risques, je n'aime pas trop ce texte auquel je proche d'être prolixe

C’était insoutenable que cette chaleur accablante.

au vu de cette circonstance fortuite

La chaleur accablante me faisant abondamment suer

A mon avis l'auteur essaie d'être comique et ne soigne pas le style, il appuie, et devient pesant.

je verrais bien un auteur genre frederic dard.

Je n'identifie pas l'auteur mais je n'aime guère ce texte : l'écriture négligée, pour ne pas dire plus, et une certaine complaisance dans l'affreux, assortie d'une dose de méchanceté qui me paraît gratuite, ne me donnent pas vraiment envie d'en lire davantage.
Un auteur connu, dis-tu, Rosie ? Je suis curieuse de savoir de qui il s'agit !

Il n'est pas d'un auteur connu. Si je vous avais dit que ce texte est écrit par moi, vous n'auriez peut-être pas été francs, ou vous auriez pris des gants.
J'ai pris des risques, mais je suis satisfaite, car j'ai une opinion franche de lecteurs que je ne connais pas.

Merci !

Désolée Rosie : j'ai dû te paraître brutale et sans doute l'ai-je été. Cela dit, il me semble que, repris sur un certain nombre de points, ton texte pourrait être tout à fait intéressant. S'agit-il d'un passage (ou d'un début) de roman ? D'une nouvelle peut-être ?

Ne t’en fais pas Nicyrle, ça va aller. La première impression est toujours la plus juste.

C'est un roman. Un roman pas beau du tout. Un roman sombre. Un roman dur.

Je pense qu'il faut différencier deux choses lorsqu'on apporte une critique. C'est la forme et le fond.

Je veux dire qu'on peut très bien ne pas aimer ce qui est sombre, dur, sanguinolent, cinglant. Cela je le comprends très bien.

Par contre, là où cela devient intéressant c'est ce qui est constructif. Donc, expliquer là où ça ne va pas. Parce que je ne changerai pas ce passage dans le fond. Mais arrangerai la forme, le style, afin que cela soit épuré, mais je ne retirerai pas tout !

Je ne sais pas ce qu'est un bon auteur, par contre il faut être bon critiqueur et essayer de faire la part des choses en étant le plus juste possible.

J'ai lu bien des livres ou la monstruosité humaine est présente. Comme par exemple "Les Bienveillantes" - (attention, je ne compare pas mon ouvrage à celui-ci.) - J'ai lu aussi "Le vide" de Patrick Sénécal, l'ouvrage étant complexe et ayant des passages très violents, très durs.

Il faut savoir se détacher de certaines choses pour aider...

Alors bien sûr, je ne suis pas un bon auteur. Mais ce passage comme tant d'autres a été soulevé parce qu'il approche l'humain dans toute sa splendeur. Excusez-moi, mais même si cela peut sembler méchant, il faut savoir s'en détacher. Tout n’est pas de fleurs et de dentelles. Donc, j'approche l'humain dans un autre contexte, la partie la moins belle, parce que dans le monde dans lequel j'ai vécu, je peux vous dire que l'horreur, la bestialité, la méchanceté sont partie intégrante, intrinsèque de l'homme.

Maintenant, j'attends de voir comment vous verriez les modifications que je pourrais apporter.

Merci par avance.

D'accord pour la distinction forme/fond, encore que l'un n'aille pas sans l'autre si l'on veut justement trouver l''expression juste, propre à mettre en valeur ce qu'on veut dire.
Par ailleurs, je ne mettais pas du tout en cause l'idée d'un roman noir, dur, cinglant, comme tu dis. Il m'a seulement semblé qu'il y avait une insistance qui ne servait pas forcément l'objectif de l'auteur mais je peux me tromper !
Puisque tu le sembles le souhaiter, je te propose des suggestions plus précises à propos de ton texte par message privé car, sur ce fil, ce n'est peut-être pas très opportun. En toute amitié.

Un autre extrait ?
Voici le début :


Mon avis est qu'on ne peut créer des personnages que lorsque
l'on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une
langue qu'à la condition de l'avoir sérieusement apprise.
N'ayant pas encore l'âge où l'on invente, je me contente de
raconter.
J'engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette
histoire, dont tous les personnages, à l'exception de l'héroïne,
vivent encore.
D'ailleurs, il y a à Paris des témoins de la plupart des faits que
je recueille ici, et qui pourraient les confirmer, si mon témoignage
ne suffisait pas. Par une circonstance particulière, seul je pouvais
les écrire, car seul j'ai été le confident des derniers détails sans
lesquels il eût été impossible de faire un récit intéressant et
complet.

J'ai l'impression d'avoir lu cela

Amarande a écrit:

J'ai l'impression d'avoir lu cela

C'est bien possible !

Non merci, c'est gentil Nicyrle, mais ça n'est pas la peine.

Harelde78 a écrit:

Un autre extrait ?
Voici le début :


Mon avis est qu'on ne peut créer des personnages que lorsque
l'on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une
langue qu'à la condition de l'avoir sérieusement apprise.
N'ayant pas encore l'âge où l'on invente, je me contente de
raconter.
.

Moi aussi j'ai lu, c'est d'un très bon auteur connu, La dame aux caméliais de Dumas.

Il n'y a pas grand chose à dire. C'est tout très bien écrit
Ca au moins c'est un bon auteur !

Je connais ce texte et son auteur, lequel aimait puiser ses sujets dans des faits de société. Je laisse les autres Grains réagir à sa prose !

Ce ne serait pas Rousseau ?

Bravo Rosie.
C'est effectivement La Dame aux Camélias. Un livre que j'adore.