Jérôme Ferrari

Bonne nouvelle pour les petits budgets et les grands lecteurs :
Dans le secret, le deuxième roman de Jérôme Ferrari et le premier publié par Actes Sud, va paraître très prochainement ( le 25 août ) dans la collection de poche Babel. ( Prix annoncé: 6,10 € )

Où j’ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari- éditions Actes Sud, fait partie des livres "garantis, sinon remboursés par un avoir" dans cette liste.

1957, Alger. Le capitaine André Degorce retrouve le lieutenant Horace Andreani avec lequel il a affronté l'horreur des combats puis de la détention en Indochine. Désormais, les prisonniers passent des mains de Degorce à celles d'Andreani, d'un tortionnaire à l'autre : les victimes sont devenues bourreaux.
Autour de Tahar, figure étonnamment christique de la rébellion, les deux hommes devront trouver les armes pour affronter leurs trahisons intimes.

Ta façon de raconter un livre donne envie de le lire, tu écris très bien et les quelques choses que j’ai lues de toi, sont intéressantes
et font réfléchir.
. Ce nouveau livre sur la guerre d’Algérie, je vois que c’est un sujet douloureux pour les Français, mais pas possible de cacher la vérité .
merci

Jerôme Ferrari était ces jours-ci sur France-culture et mercredi soir (hier) sur l'humeur vagabonde de france-inter. On peut réécouter l'emission en cliquant sur s'abonner au podcast qui enregistre cette émission sur itunes
Voici le lien pour enregistrer.
mercredi 22 septembre 2010

Jérôme Ferrari pour Où j’ai laissé mon âme (Actes Sud)

En 1996 Hélie Denoix de Saint Marc venait de publier ses passionnants mémoires, « les champs de braise ». Il avait accepté de revisiter avec moi les étapes importantes de sa vie d’homme juste, de chrétien, de soldat ayant, en 1961, participé au putsch des généraux à Alger. Ce qu’il paya d’une condamnation à dix ans de forteresse. Résistant à 19 ans, dénoncé, torturé, déporté à Buchenwald, revenu d’entre les morts, Denoix de Saint Marc avait combattu en Indochine avec la Légion étrangère et juré, alors, de ne plus jamais trahir sa parole en abandonnant les populations et les soldats qui avaient soutenu les Français. Une promesse qui le rattrapa en Algérie sept années plus tard.

Jérôme Ferrari était professeur de philo au lycée d’Alger, alors en proie aux attentats et aux assassinats, lorsqu’il voit, en 2002, le formidable film de Patrick Rotman, « l’ennemi intime » qui donne la parole à des anciens combattants français de cette guerre sans nom. Qu’ils aient ou non participé aux exactions, tous ont vu l’horreur en face et en demeurent imprégnés. Il choisit alors, lui qui est né bien après les accords d’Evian, d’écrire son quatrième roman sur ce thème du mal à travers la confrontation de deux voix d’officiers qui, anciens résistants et compagnons de captivité en Indochine, vont devoir livrer la bataille d’Alger au risque d’y perdre leur âme

A mettre en rapport avec des hommes de laurent Mauvignier qui, lui aussi, consacre un récit à ce qu'il n'a pas vécu personnellement, mais que les silences de la génération précédente l'ont amené à entreprendre.

Où j'ai laissé mon âme , de Jérôme Ferrari fait partie des six livres sélectionnés pour le prix France Télévision.
Résultats le 5 novembre.
http://www.tvmag.com/programme-tv/article/evenement/56044/prix-roman-francetelevisions-la-selection.html

Jérôme Ferrari remporte le prix France Télévisions pour Où j'ai laissé mon âme : amplement mérité !
http://culture.france2.fr/livres/actu/jerome-ferrari-prix-roman-2010-francetelevisions--65728575.html

Où j'ai laissé mon âme, de Jérôme Ferrari, Actes Sud.

1/2

Le début est un tel choc de lecture que j’ai hésité à continuer : la voix de celui qui accuse nous fait violence , surtout si on ne partage ni ses options et ses propos.

On quitte bientôt ce réquisitoire - alliant à la fois des formes de respect, d’amour et de haine, pour entrer dans le drame de l’action humaine, ici représenté par l’aventure algérienne. C’est une sorte d’aboutissement, inéluctable et pervers, des aventures précédentes : la résistance française contre l’occupant nazi, la guerre d’Indochine, la « lutte contre le terrorisme en Algérie ».

Mais par quels moyens ! Violence des pratiques, des mots et des stratagèmes indignes.

Où j'ai laissé mon âme, de Jérôme Ferrari, Actes Sud.

2/2

On descend en enfer, dans une abjection toujours plus grande. Ou la cruauté est assumée, ou on s’y refuse, mais quoi qu’on fasse, on en devient complice, sinon acteur !

Les paroles sont denses, même nos adversaires personnels ont des cris qu’on est obligé d’entendre :

- « ma vie était devenue subitement injustifiable »;

Car si on est viscéralement hostiles à des engagements absolus que nous désapprouvons, cf. l’épisode indochinois,

- « Nous savions que cette exaltation qui rendait la mort désirable est la plus haute bénédiction à laquelle puissent prétendre des hommes. »

- « Nous n’avions plus foi en rien d’autre qu’en la beauté inutile du sacrifice ».

On tombe dans un présent, l’épisode algérien, qui se referme comme un piège.

Comme chacun des protagonistes, on vit un Calvaire et une Passion. Une nuit de Gethsémani, qui amène le capitaine Gorce à dresser un amer bilan :

Citation :

« Il a fait entrer dans le monde tout ce qu’il voulait en chasser. Aucun des buts qu’il a un jour poursuivis ne pourra l’en absoudre. Il est impossible de comprendre ce qu’il s’est passé. Il a tout perdu »,

Auteur, lecteur et personnages se rejoignent dans une déploration métaphysique sur le règne du Mal :

Citation :

« Quelque chose surgit de l’homme, quelque chose de hideux, qui n’est pas humain, et c’est pourtant l’essence de l’homme, sa vérité profonde. Tout le reste n’est que mensonge. »

« Comme chacun des protagonistes, on vit un Calvaire et une Passion"

Tout à fait d'accord , les deux fils narratifs qui se côtoient , se recoupent et se répondent tissent entre le diable Andreani et le capitaine André Degorce un maillage étroit enserrant également le lecteur.Un lecteur qui est amené à comprendre qu'il peut lui aussi perdre son âme...

Et l'on suit cette descente aux enfers qui se déroule sur ces 3 jours printaniers symboliques séparant le vendredi de la Passion du dimanche de la Résurrection ( renouveau symbolique de la fête de Pâques).
Quid de la Grâce offerte par l'intermédiaire de Marie-Jeanne ( Yohanna = Dieu fait grâce en hébreu ) et refusée par le héros ?


Si tu lis mon interprétation à ce sujet (2ème partie de ma chronique sur mon blog), j'aimerais bien connaître la tienne ?

je respire un peu.
J'ai pensé, outre ce que j'ai dit, à une Algérie terre de douleurs, sans analyser encore les textes en exergue auxquels renvoie Ferrari pour les 27, 28 et 29 mars 1957.

Je n'ai pas mentionné non plus la violence postérieure des islamistes. Je viens de terminer la lecture, et je devrai refeuilleter certaines pages. C'est un livre éprouvant, et j'attends de récupérer.

Juste un lien vers un récent portrait de l'auteur à Ajaccio :
( La video n'étant ni de You Tube ni de Daily motion , je n'ai pas réussi à l'insérer ) : http://www.replay-tv.fr/revoir-programme/57067-france-3-rencontre-avec-jerome-ferrari-laureat-du-prix-roman-france-televisions

Merci pour cet entretien qui sonne dans certaines circonstances le glas de la morale.

J'y pensais ce midi, en écoutant les critiques de "la grande table" sur France Culture parler d'Armadillo de janus Metz.

j'ai lu presque tout le fil, il faudra le relire avec plus d'attention, les exposés de E Caminade, nous entrainent à la lecture plus approfondie, mais je m'arrête sur le dernier "Où j'ai laissé mon âme" pas lu ,encore, mais j'éprouve que c'est un livre ,dense, de cruels souvenirs,troublant pour un Français,et qui permet aux étrangers d'essayer de comprendre la tragédie Algérienne.
Un livre retentissant qui à mon avis ,va déclencher des polémiques.

Amadak a écrit:

Un livre retentissant qui à mon avis, va déclencher des polémiques.

Je ne le crois pas, parce qu'à la différence d'un pamphlet ou d'un tract qui défendent à sens unique une thèse, il s'agit ici d'une oeuvre littéraire, riche et complexe, écrite comme des hommes de Laurent Mauvignier par des auteurs de la deuxième génération, celle qui n'a pas vécu les évènements, mais en explore le traumatisme, une génération plus tard.

D'autre part chacun lit l'oeuvre comme il l'entend : moi j'ai écouté les voix des personnages, sans creuser l'aspect symbolique voulu par l'auteur dans ses épigraphes à tonalité religieuse.

C'est un livre qui, comme toutes les oeuvres riches, suscite de multiples lectures également légitimes , des lectures qui ne s'excluent pas forcément d'ailleurs et peuvent très bien se superposer...

Moi je pense que bien que ce soient des générations postérieures qui liront ces livres, la voix du passé est toujours présente d’une ou d’autre façon. La tragédie a été trop épouvantable pour pouvoir la cacher. J’ai vu l’entretien avec l’auteur « des hommes » ce livre que tu juges très bon, et qui n’est pas gai non plus. Je dois faire un douloureux commentaire : à l’heure de notre dernière dictature ( 1976) nos commandants en chef, on fait venir de la France des militaires bourreaux de la guerre d’Algérie, pour
instruire les nôtres, de comment torturer les prisonniers, d’après leur efficacité en Algérie. Ici il y a une nouvelle génération qui n’a pas vécu cette horreur, mais pour nous il n’y a « ni oubli ni pardon »

ECaminade (Jeu 16 Déc - 13:43) a écrit:

C'est un livre qui, comme toutes les oeuvres riches, suscite de multiples lectures également légitimes , des lectures qui ne s'excluent pas forcément d'ailleurs et peuvent très bien se superposer...

Certes, mais j'ai bien conscience d'avoir fait une lecture moins complète que j'aurais dû. J'y reviendrai.

J'ai decouvert récemment Jacques ferrandez qui parle avec une documentation - dont il cite les sources, de la guerre d'Algérie et de l'action de l'armée dans ce pays. Il me semble que plusieurs itinéraires de ses personnages se rapprochent des protagonistes de "où j'ai laissé mon âme".

Par ailleurs, je trouve aussi une video qui parle d'un soutien français à Ben Ali en Tunisie. Je la mets sur le forum, sans prendre position, ce n'est pas moi qui en sais plus que le ministre des affaires étrangères !

Cette video se poursuit et fait des rapprochements dont elle est responsable. Chacun en jugera, je ne fais pas un quelconque prosélytisme.

Dans cette video ce sont les interessés eux-mêmes qui parlent des methodes utilisées en Algérie. Ils doivent savoir ce dont ils parlent

D'autre part, il est aussi question de l'Argentine et des moments douloureux de la dictature, ce qui interessera Amadak.

Chacun jugera comme il l'entendra, mais je suis en plein dans le sujet.

Je vous signale une longue interview de Jérôme Ferrari , des plus intéressantes car dépassant Où j'ai laissé mon âme pour s'élargir à l'oeuvre de l'auteur, et avec des questions et des remarques très pertinentes:

http://www.bscnews.fr/201101251358/d%C3%A9couvertes/jerome-ferrari-un-regard-poignant-sur-lhumanite.html

merci pour cette référence, Ecaminade

Moi, ce qui m'a frappé, c'est que ces actions de torture sont menées par des gens qui ne sont pas programmés pour ça....les officiers français qui ont participé à cela, il y en a beaucoup qui avaient un passé irréprochable, voire héroïques.

Ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment des gens, qui dans leur vie peuvent être des modèles de droiture, peuvent arriver, et de manière assez massive ( il n'y a pas eu beaucoup de protestations) comment à la faveur de certaines circonstances ( et j'essaie de comprendre pourquoi, je ne cherche pas d'excuse ou quelque chose de ce genre-là) , comment donc un phénomène massif ne répondrait pas à un mécanisme qui serait à l'oeuvre là-dedans.

Voilà pourquoi je suis resté sceptique sur kressman Taylor et inconnu à cette adresse, au thèâtre, en plus, et sans doute matin brun de Franck Pavloff.

Je ne suis pas encore remise du choc que j’ai reçu à la lecture de Où j’ai laissé mon âme. Il me semble que le plus terrible est que c’est le genre de livre qui pose des questions fondamentales ou plutôt incite à se les poser sans apporter aucune réponse. L’impact est d’autant plus violent qu’il s’agit d’un roman. Car s’il s’agissait d’un essai sur le bien et le mal, d’une interrogation philosophique sur la nature profonde de l’homme capable, même s’il a été un jour une « victime », de « se transformer en bourreau au plus petit changement de circonstances », on pourrait en somme s’abriter derrière un débat purement intellectuel. Mais dans un tel livre, les idées s’incarnent dans des personnages si saisissants qu’ils deviennent nos frères ou nos doubles. On ne peut s’empêcher de se demander : « Qu’aurais-je fait ou dit à sa place ? » La certitude qu’on aurait refusé d’accomplir ou de tolérer des actes abjects se trouve ébranlée à chaque page et, ainsi renvoyés à nous-mêmes, nous sommes en proie à un malaise grandissant. J’ai rarement pris conscience à ce point du pouvoir d’un roman quand il atteint ce degré de perfection.
J’ai lu la longue interview de J. Ferrari (merci ECaminade ), d’une finesse et d’une richesse à la mesure de son oeuvre. J’ai repensé à ce que j’avais éprouvé dès la lecture des premières pages et l’auteur dit justement :

Citation :

Toutes les premières phrases de mes romans, ce sont des vraies premières phrases, c'est à dire que ce sont des choses que j'ai eues en premier et sur lesquelles tout le reste est bâti.

J’ai arrêté ma lecture après l’incipit. Plus tard je l’ai relu avant d’enchaîner avec la suite. Et à la fin, je l’ai relu une nouvelle fois. Il contient tout ce qui en effet va suivre ; chaque mot pèse, les reprises de « mon capitaine » ou « je m’en souviens très bien » scandent le texte et donnent une sorte de caractère incantatoire à cette expression lucide et implacable d’une conscience que Degorce voudrait ne pas entendre.

Andreani et Tahar sont les personnages de Où j’ai laissé mon âme qui m’ont fait le plus réfléchir. Degorce m’a paru plus facile à cerner : c’est un lâche, enfermé dans son silence et profondément malheureux mais que je n’arrive à plaindre à aucun moment ; même son admiration pour Tahar ne le rachète ni à ses propres yeux ni à ceux du lecteur. Et pourtant, lui aussi est un homme qui nous ressemble ou qui pourrait être un de nos proches.

Andreani est, à mes yeux, le plus impressionnant : implacable, il est celui qui se maîtrise totalement, quelles que soient les circonstances, qui ne remet jamais en cause ce qu’il a fait ou pensé, assumant ce qu’il est depuis toujours d’où la nécessité (et l’habileté) que ce soit lui qui s'exprime à la première personne ; on se dit aussi que de tels hommes en chair et en os sont sans doute plus nombreux qu’on aurait pu le penser avant de le rencontrer dans un roman qui lui donne une réalité forte.

Quant à Tahar, pour moi, il garde son côté impénétrable : je ne peux m’empêcher de partager la fascination que Degorce a pour lui bien que je sache, puisque l’auteur prend soin de le rappeler, qu’il porte la responsabilité de morts tragiques et d’actes barbares. Son sourire permanent, sa noblesse naturelle, son mystère aussi participent de cette fascination. Je trouve particulièrement habile le fait de laisser ignorer par tous, y compris le lecteur, l'ultime message qu’il souhaitait faire transmettre à Degorce. Andreani révèle à Degorce qu’il a refusé d’accéder à la demande de Tahar :

Citation :

Peut-être aurais-je dû prendre son message, peut-être aurais-je dû, au moins, vous dire le lendemain matin qu’il avait souhaité vous dire quelque chose dont ni vous ni moi ne saurions jamais rien, mais je n’ai pas pu m’y résoudre, mon capitaine, vous m’avez traité comme un chien, et je ne voulais pas soulager votre souffrance à moins, peut-être, que je n’aie pas voulu vous faire souffrir davantage encore. J’aurais pu continuer à laisser tout cela enfoui au fond d’une cave à Saint-Eugène, pour toujours, mais ma loyauté est incorrigible et, à la vérité, mon capitaine, rien n’est enfoui…

La reprise de « peut-être » redouble les questionnements du lecteur et, finalement, l’auteur le renvoie à lui-même.