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| | Balzac | |
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Auteur | Message |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Mar 02 Juin 2009, 05:26 | |
| SERAPHITA, Menu complet, très riche en protéines pour les neurones. Les balzaciens inconditionnels trouveront dans le coeur de l'ouvrage (III, IV, V) les développements prolixes et ésotériques qu'affectionne leur auteur favori : exposés sur Swedenborg et l'illuminisme, considérations philosophiques sur les sciences terrestres - humbles balbutiements des Vérités éternelles, théorie des "Correspondances" entre le monde terrestre et les mondes célestes auxquels peuvent avoir exceptionnellement accès les Prophètes, les Voyants et les Artistes. On goûtera les images emphatiques de Balzac qui s'enthousiasme dans son récit : Attitude de Wilfrid : - Citation :
- "Ses yeux s'attachaient à Séraphita comme ceux d'un voleur caché dans l'ombre s'attachent à l'endroit où gît le trésor".
Les vertiges de Minna : - Citation :
- [elle] se sentait attirée par une force inconnue en bas de cette table, où elle croyait voir quelque monstre qui lui lançait son venin, monstre dont les yeux magnétiques la charmaient, dont la gueule ouverte semblait broyer sa proie par avance".
Enfin Balzac fait des cocktails audacieux entre l'abstrait et le quotidien : tel le pasteur qui, perdu dans ses spéculations, fait - Citation :
- "une grimace philosophique pendant qu'il étalait une couche de beurre salé sur sa tartine..."
Balzac joue de l'orgue :-) | |
| | | cleo pilier
Nombre de messages : 3890 Age : 40 Localisation : chez Jeanne........ Date d'inscription : 28/03/2009
| Sujet: Re: Balzac Mer 03 Juin 2009, 10:53 | |
| J'ai emprunté à ma chère bibliothèque un livre contenant Ferragus et la Fille aux yeux d'or. Il n'y avait pas la Duchesse de Langeais. C'est important de lire dans l'ordre l'Histoire des Treize dans l'ordre? Apparemment, la Duchesse de Langeais est "le deuxième épisode" comme l'indique le livre. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Mer 03 Juin 2009, 11:00 | |
| les livres sont autonomes, avec chacun un caractère différent.
Leur point commun est la bande des Treize, mais il peuvent être lus séparement et sans suivre un ordre précis, à mon avis. j'ai lu les trois ; chacun a des pages inoubliables. | |
| | | Bulma pilier
Nombre de messages : 457 Age : 36 Localisation : somewhere over the rainbow Date d'inscription : 26/02/2009
| Sujet: Re: Balzac Lun 08 Juin 2009, 17:09 | |
| Le point commun, à part les 13, c'est une description de Paris à chaque fois, de façon différente. La description au début de La fille aux yeux d'or est magistrale : Balzac reprend le principe de Dante et son Enfer avec un système de description en cercles qui s'élargit. La réflexion sur le faubourg saint Germain vieillissant et l'aristocratie agonisante est également saisissante. | |
| | | Prince d'Aquitaine Animation
Nombre de messages : 2948 Age : 34 Localisation : Maromme, Seine-Maritime Date d'inscription : 29/05/2009
| Sujet: Re: Balzac Mar 11 Aoû 2009, 15:40 | |
| Je suis en train de lire Louis Lambert, œuvre qui appartient aux "Études philosophiques". Je retrouve dans ce texte le Balzac du Chef-d'œuvre inconnu, se hissant dans les "sphères abstractives" (terme de mon prof) pour partir à la recherche de ce qui est à l'origine de la création artistique. Ici encore, l'Histoire n'a pas vraiment de rôle à jouer, car chez Balzac la création est atemporelle; on peut d'ailleurs remarquer qu'à chaque fois que Balzac interroge la création, l'Histoire s'efface. Et encore une fois, le romantisme de Balzac s'exprime dans la nécessaire folie qui préside à la création, à la réflexion. A part cela, on peut noter la très grande modernité de ses réflexions sur la politique, qui laisse sans voix tant il semble parler de notre époque. - Citation :
- La longue et patiente étude que je viens de faire de cette société donne des conclusions tristes où le doute domine. Ici le point de départ en tout est l'argent.
- Citation :
- Si le gouvernement avait une pensée, je le soupçonnerais d'avoir peur des supériorités réelles qui, réveillées, mettraient la société sous le joug d'un pouvoir intelligent.
- Citation :
- La politique est donc une science sans principes arrêtés, sans fixité possible; elle est le génie du moment, l'application constante de la force, suivant la nécessité du jour.
- Citation :
- Ici, tout doit avoir un résultat immédiat, réel
Je savoure donc ce nouveau Balzac... | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Mar 11 Aoû 2009, 17:17 | |
| - Citation :
- La longue et patiente étude que je viens de faire de cette société donne des conclusions tristes où le doute domine. Ici le point de départ en tout est l'argent.
Baudelaire rapporte dans l'exposition universelle de 1855 la réflexion de balzac devant un tableau representant des paysans - Citation :
- Après avoir contemplé une maisonnette d'où montait une maigre fumée [balzac] s'écria
"Que c'est beau ! mais que font-ils dans cette cabane ? à quoipensnet-ils, quels sont leurs chagrins ? les récoltes ont-elles été bonnes ? ils ont sans doute des échéances à payer" | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Mar 11 Aoû 2009, 18:51 | |
| - fontelle a écrit:
- Aristarque au secours!
tu t'es trompée de fil, Fontelle ? La folie à l'origine de la creation ? sans doute, si tu le dis, avec des souvenirs plus proches que les miens. J'aurais pensé que les créateurs comme Balthazar Claes in la recherche de l'absolu et le peintre du chef d'oeuvre inconnu se livrent entièrement à leur passion et qu'ils s'y engloutissent, y sombrent corps et biens, jusqu'à la folie, oui. Sur ce dernier roman l'essai de Georges Didi-Huberman, La Peinture incarnée, Le Chef-d'oeuvre inconnu aux éditions de minuit m'avait paru examiner la question en profondeur. | |
| | | Prince d'Aquitaine Animation
Nombre de messages : 2948 Age : 34 Localisation : Maromme, Seine-Maritime Date d'inscription : 29/05/2009
| Sujet: Re: Balzac Mer 12 Aoû 2009, 08:22 | |
| - rotko a écrit:
- J'aurais pensé que les créateurs comme Balthazar Claes in la recherche de l'absolu et le peintre du chef d'oeuvre inconnu se livrent entièrement à leur passion et qu'ils s'y engloutissent, y sombrent corps et biens, jusqu'à la folie, oui.
Sur Le Chef-d'œuvre inconnu, voici un cours de mon prof. Je sais que ce forum n'a pas pour but de répertorier des cours, mais mon prof étant un spécialiste de la question de l'artiste romantique, son point de vue est intéressant. Sur le même thème, j'ai rédigé une dissertation. Si ça vous intéresse, dites-le moi. Les R correspondent à des flèches. Les différents statuts du portrait dans le Chef-d’œuvre inconnu Dans ses différentes acceptions dans le Chef-d’œuvre inconnu, le portrait apparaît comme un objet matériel ® toile et cadre + peinture = matière vivante du portrait. S’ajoute le décor de l’atelier ® + d’authenticité et artiste au travail. Cf. p.20 : atelier = lieu magique, alchimique ® « néophyte »; découverte du lieu ® processus de création par les éléments qui les composent. Portrait de l’artiste au travail ® vision très idéale de l’artiste mais cliché du solitaire dans sa tour d’ivoire. Porbus est un des éléments de l’atelier. Balzac superpose les couches de peinture et de sens, la peinture retrouve son état premier de matière ® acception matérielle et esthétique : « il y a une femme là-dessous, s’écria Porbus… » (cf. p.49). Peinture = œuvre d’art. Couches successives ® recherche artistique, esthétique. Dans la Maison du chat-qui-pelote, « peinture » quiproquo : Balzac confronte les sphères esthétiques et les sphères instinctives ® artiste / négoce. Augustine Guillaume tente de discuter avec Joseph Lebas de peinture; alors qu’elle parle de l’art, Joseph parle de peinture en bâtiment. Le portrait est un objet sensible ® peinture = art et non artisanat. Cf. pp.21-23 : évocation de la mimesis (cf. Aristote), on ne doit pas se contenter d’imiter # de reproduire. Dans l’imitation, idée de créativité; on doit donner la vie Þ ekphrasis. Le tableau de Porbus est techniquement parfait mais n’a pas de profondeur, de relief car pas d’âme = souffle de la vie, génie de l’artiste. Après la Révolution française, génie = centre de la production artistique. Balzac = Nicolas Poussin. L’artiste doit faire un choix ® œuvre unique. Opposition traditionnelle peinture italienne / peinture du Nord, deux conceptions : Allemagne ® maîtres dans l’art du trait, Italie ® maîtres de la couleur. Il faut choisir entre les deux. La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer ® opposition copiste / poète. Termes littéraires ® peintre. « poète » = créateur # Lucien de Rubempré se considère comme un peintre (cf. Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac). Les arts entrent en correspondance à partir de 1830. Toute l’ouverture du Chef-d’œuvre inconnu ® exposition des théories de Balzac sur l’art. Quand Frenhofer dit à Porbus qu’il est un poète = sa peinture doit être inspirée ® l’œuvre-d’art doit exprimer une Idée = vision subjective du monde. Les références à des portraitistes célèbres servent de référence, de garantie à la validité du discours de Frenhofer. Il faut accéder comme eux à la singularité du génie. Quand il cite un peintre, il véhicule un connoté = éléments caractéristiques de tel artiste ® éclairage de la signification du texte. Titien = beauté vénitienne. Pb : leur vision de la réalité est déformée par leurs connaissances artistiques ® les paysages sont vus à travers des tableaux célèbres : « les madones de Raphael, les courtisanes du Titien, lui rendaient laides les beautés les plus notoires » (Gautier). Pb : dans le Chef-d’œuvre inconnu, la nature est-elle délaissée par l’art? Les regards des personnages ou du narrateur révèlent le caractère pictural du tableau ® volonté de faire naître une émotion esthétique, mais aussi conflit intellectuel entre la nature et l’art ® la nature est incarnée par le modèle, l’art par le tableau qu’il peint. Le modèle est le médiateur entre la créativité du peintre et l’exigence de beauté qui renvoie à l’exigence technique (« La beauté est une chose sévère et difficile qui ne se laisse pas atteindre ainsi » Frenhofer, cf. pp.28-29; il faut un cheminement, une initiation) ® il faut donc avoir un maître. L’initiation passe par la comparaison entre la vie rêvée et la vie réelle. Frenhofer et Tiburce sont déçus par la réalité : Frenhofer déplore l’incapacité du réel à satisfaire ses exigences artistiques, il ne trouve de beauté parfaite que dans l’art ancien, c’est-à-dire un art révolu qu’il idéalise. Il cherche un modèle ® l’artiste a besoin de s’inspirer d’une réalité pour réussir à créer une œuvre-d’art supérieure à la réalité (« introuvable Vénus des Anciens », Frenhofer). Frenhofer recherche l’unité de la beauté, qui a priori n’existe pas dans la réalité; en évoquant une Vénus des Anciens, Frenhofer fait appel au modèle de la statuaire antique = un ailleurs historique et et mental. Analogie entre le Chef-d’œuvre inconnu et la Toison d’or : pour accéder à la beauté, les artistes doivent faire un voyage dans le passé. Dans les trois récits, rétrospection comme si les artistes de 1830 ne pouvaient pas se permettre un idéal ® vers 1830 : période de désenchentement ® on cherche dans le passé. Cf. quand Frenhofer se compare à Orphée, personnage qui a quelque chose de faustien, de diabolique ® quête artistique mais aussi métaphysique. I L’amour exclusif du beau Frenhofer est animé par une soif de perfection qui est une recherche de l’Absolu artistique. Dans la préface de Mademoiselle de Maupin, Gautier dit de l’artiste que « quelque chose l’attire qui n’est pas de ce monde, il ne peut avoir ni repos, ni jour, ni nuit; et comme l’héliotrope dans une cave, il se tord pour se tourner vers le soleil qu’il ne voit pas. C’est un de ces hommes dont l’âme n’a pas été trempée assez complètement dans les eaux du Léthé avant d’être liée à son corps et qui garde du ciel dont elle vient des réminiscences d’éternelle beauté qui la travaillent et la tourmentent, qui se souvient qu’elle a eu des ailes, et qui n’a plus que des pieds. » ® l’artiste est un homme insatisfait qui ne pourra jamais se satisfaire de la réalité. Analogies avec les trois récits : -Frenhofer : volonté de recréer sur une toile la réalité -Le Tizianello : -Tiburce : il ne peut se résoudre à accepter le réel, qui s’enferme dans les arts ® cf. pp.146-147 : « il regardait avec les yeux du peintre, et connaissait plus de portraits que de visages; la réalité lui répugnait, et, à force de vivre dans les livres et les peintures, il en était arrivé à ne plus trouver la nature vraie. » Le Chef-d’œuvre inconnu pose la question de la compréhension de l’art. Frenhofer est incompris ® pour qu’une œuvre d’art existe, il faut qu’elle soit reconnue par d’autres regards. L’absence de reconnaissance fait que l’artiste ne peut trouver le repos. Le fait de brûler ses toiles révèlent le génie incompris, en avance sur son temps (cf. Schubert, Van Gogh, Rimbaus, Aloysius Bertrand…); c’est une forme de suicide. L’artiste a besoin d’être reconnu pour exister aux yeux du monde. Gautier ne suit pas strictement les doctrines de Platon; cependant, ses idées sur le beau relèvent du néoplatonisme ® il voit dans l’idée du beau-en-soi un principe transcendantale au moi et au monde (une forme pure extérieure à l’idée qui la conçoit) ® c’est pourquoi le beau ne peut exister dans la réalité immédiate, il ne peut exister seulement dans une construction élaborée par la pensée. L’artiste doit explorer un ailleurs, et souvent un ailleurs mythiques. Le Chef-d’œuvre inconnu : conflit entre les aspirations de Frenhofer et ce qu’il est. Romantisme : mise en perspective du beau-en-soi et de l’individualité. II La belle noiseuse ou l’idéal absent Frenhofer est l’image même de l’artiste en quête de beauté, il considère la création comme un moyen d’accéder à cette beauté. Son tableau Catherine Lescault a suscité un travail de longue haleine (« Voilà dix ans, jeune homme, que je travaille; mais ce sont dix petites années quand il s’agit de lutter avec la nature. »). Quand Frenhofer parle de sa création, il n’évoque qu’un seul tableau, qu’une seule femme : la belle noiseuse. Un seul tableau mais pluralité des termes pour la désigner : « ma peinture » (= un travail, un art), « ma Catherine » (= une femme), « mon idole » (= une religion, voire un fanatisme). Il compare son tableau à une femme, cf. p.42 : rapport passionnel avec sa peinture (désir d’absolu) ® exclusivité du beau. Opposition avec la peinture de cour. Fanatisme de l’art ® exclusivité du tableau détruite dès que Poussin et Porbus posent leur regard dessus ® sa magie réside dans son absence, sa non-représentation. « Un ensemble de couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres. » Il y a deux types de regard : -Frenhofer la voit, la trouve merveilleusement belle -Poussin et Porbus ne voient rien Balzac pose déjà la question de l’abstraction ® question du regard du spectateur sur une toile abstraite. Si le lecteur du Chef-d’œuvre inconnu reconstruit le tableau grâce au regard des personnages, comment peut-il le faire avec exactitude si le tableau décrit ne correspond à rien de précis? Le Chef-d’œuvre inconnu marque la rencontre entre un regard figuratif (Poussin, Porbus) et un regard abstrait. Il est considéré comme un texte visionnaire : débat sur un art non-figuratif. Si le corps de Catherine Lescault est absent du portrait, il y a tout de même sur la toile « un pied délicieux, un pied vivant » (cf. p.49) surgi du chaos ® c’est parce que sorti du chaos qu’il possède une force emblématique (cf. analyse de G. Didi-Hubermann, la Peinture incarnée : « Entre profondeur et phallicité, l’organe et son bout, mi-montré, mi-caché, entre le féminin et le factice, le fétichisme d’un pied nous aura séduits. »). En tant que fragment du corps, le pied renvoie à une totalité absente, à ce qu’a pu être la Belle noiseuse avant sa dégradation. Le pied constitue une réminiscence, un souvenir de l’idéal ® pied = synecdoque. Le chef-d’œuvre réside peut-être dans ce pied ® le pied est le fragment d’un corps disparu en lequel se recueille le souvenir de l’être dans sa totalité. Le regard de Frenhofer s’est figé à un stade ultime de la création, de la contemplation où la Belle noiseuse existait ® regard favorisé par son imagination : personnage aveuglé par son hybris au point de s’illusionner sur son tableau. Rapport amoureux entre Frenhofer et son tableau dont Poussin et Porbus sont exclus. « Vous ne descendez pas assez dans l’intimité de la forme » ® Poussin et Porbus sont incapables de voir le tableau dans sa profondeur, ils voient le visible, et non l’Absolu invincible. III Frenhofer est-il génial ou fou? Il est l’un et l’autre. Sa perception aigue du réel se manifeste notamment dans l’idéalité qu’il voit sous les couches de couleur. Le peintre distingue la réalité sensible d’une œuvre avec laquelle il communie. L’idéalité est partiellement partagée par Porbus et Poussin ® « pétrifiés d’admiration à la découverte du pied ». La Belle noiseuse s’affranchit d’une forme précise et constitue un premier pas vers l’Idéal ® cela indiquerait que Frenhofer n’a pas gâté sa toile. Ce qui peut apparaître comme une dégradation de la toile est aussi une élévation vers l’Idéal. Il tend vers l’Absolu par la destruction de sa toile qui marque le départ vers l’immatériel et le passage du beau relatif au beau absolu.Le tableau se libère par les flammes de la matière du pied, dernier lien qui le retenait au monde imparfait des hommes. Quelle est la signification symbolique, matérielle, de la destruction du tableau? La réponse n’est pas univoque car le récit répond à une réflexion qui n’est pas seulement esthétique mais aussi philosophique; elle souligne l’incapacité pour l’artiste de s’accomplir. Ils ont un tel degré d’exigence qu’elle devient un élan mortifère. Montherlant apprend en 1973 qu’il devient aveugle ® destruction d’une partie de sa correspondance puis suicide Þ soif d’absolu. La création et la destruction du tableau vont ensemble ® vision que Balzac a de l’art, fondée sur l’impossible coexistence des contraires. Le tableau est un lieu conflictuel où s’opposent les aspirations artistiques et humaines de Frenhofer, maître de l’art troublé par Gillette. « Je suis plus amant que je ne suis peintre ». Catherine Lescault n’est ni tout à fait une toile, ni tout à fait une femme, elle oscille entre une existence matérielle, humaine et idéale. Elle concentre toutes les contradictions du peintre. Sa destruction = impossible accomplissement de Frenhofer. Dans la Maison du chat-qui-pelote, le portrait d’Augustine est détruit ® accomplissement personnel impossible, caractère limité de l’artiste qui ne peut égaler Dieu (cf. Prométhée ou la vie de Balzac, Maurois). Les sphères du négoce et de l’art ne peuvent pas se rencontrer. Augustine ne parvient jamais à se faire accepter par son époux : « sa femme n’était pas sensible à la poésie, elle ne le suivait pas dans tous ses caprices. » Gillette préfère Poussin comme amant et non comme peintre. Conflit entre la femme et l’art. Augustine intègre quand même la sphère de l’art mais la fusion ne peut pas se faire , comme dans les trois récits ® l’amour charnel est opposé à l’art. Problème entre l’art et l’érotisme, le spirituel et le matériel. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Mer 12 Aoû 2009, 15:32 | |
| - Prince d'Aquitaine a écrit:
Sur Le Chef-d'œuvre inconnu, voici un cours de mon prof. Je sais que ce forum n'a pas pour but de répertorier des cours, mais mon prof étant un spécialiste de la question de l'artiste romantique, son point de vue est intéressant. Sur le même thème, j'ai rédigé une dissertation. Si ça vous intéresse, dites-le moi.
Envoie ta dissert, et mets en une partie en spoiler pour que ce ne soit pas trop long : c'est alors visible sur demande | |
| | | Prince d'Aquitaine Animation
Nombre de messages : 2948 Age : 34 Localisation : Maromme, Seine-Maritime Date d'inscription : 29/05/2009
| Sujet: Re: Balzac Mer 12 Aoû 2009, 18:29 | |
| - rotko a écrit:
- Envoie ta dissert, et mets en une partie en spoiler pour que ce ne soit pas trop long : c'est alors visible sur demande
Je mets donc l'intro visible pour tous, et le reste en spoiler. La décennie 1830 marque un tournant dans la littérature française. Dès 1827, Victor Hugo, dans sa Préface de Cromwell, remet en question l’ordre établi, que ce soit dans le domaine littéraire et, plus généralement, artistique. « Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l’art! » Faisant écho à ce texte, la décennie 1830 voit naître un nombre très conséquent de textes réflexifs sur la figure de l’artiste et son rôle dans la société. Ainsi, des écrivains comme Balzac, Musset, Gautier, Vigny, puis, plus tard, Baudelaire, les Goncourt, Zola et bien d’autres encore livrent chacun leur vision personnelle de l’artiste, et notamment du peintre, comme en témoignent le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac (1831), le Fils du Titien de Musset (1838) et la Toison d’or de Gautier (1839). Ces trois nouvelles, relativement courtes, mettent en scène le peintre dans sa quête artistique et esthétique, s’achevant toutes par la réalisation d’un tableau. Cela signifie-t-il pour autant que le regard de l’artiste est un regard créateur? Alors que dans nos trois textes, le regard de l’artiste est présenté comme créateur, il a cependant des limites, et notamment la culture picturale; de plus, son regard sur les systèmes picturaux est avant tout celui de l’auteur; enfin, la représentation de la relation entre l’artiste et son modèle est révélateur de la complexité du regard du créateur. - Spoiler:
Dans une acception commune, on considère que le peintre est un créateur car il donne à voir une image fantasmée ou subjectivée d’une réalité repensée, et donc recréée. Dans ces trois nouvelles, la créativité du peintre réside bien entendu dans la réalisation d’une toile, censée être l’achèvement d’une démarche esthétique. Ainsi, lorsque Frenhofer a terminé son tableau, celui-ci dit à Porbus et Poussin, « rayonnant de bonheur » : « Mon œuvre est parfaite, et maintenant je puis la montrer avec orgueil »; Pippo, lui, déclare dans son sonnet que la toile représente la femme « dont la forme terrestre eut ce divin contour ». On remarque donc que l’œuvre résultante de la démarche créatrice du peintre se manifeste par de la fierté et du bonheur. Cependant, cette joie finale n’est pas présentée comme le résultat d’un travail, aisé, simple et sans souffrance. Tout d’abord, l’œuvre est l’aboutissement d’une quête visuelle, esthétique. Lorsque Gautier choisit d’intituler sa nouvelle la Toison d’or, celui-ci rend compte de manière explicite l’aspect de quête que prendra le voyage de Tiburce. Dès le premier chapitre du récit, Tiburce nous est présenté comme un « Jason d’une nouvelle espèce, en quête d’une autre toison d’or »; de plus, Gautier donne un nom à cette quête : « au pourchas du blond ». Ainsi Tiburce apparaît comme un esthète en quête d’une beauté définie, d’un type bien précis : « le vrai type flamand et populaire » comme l’on trouve dans les toile du « Michel-Ange néerlandais », Rubens. Au contraire, Frenhofer rejette ce type qu’il apparente à des « montagnes de viandes flamandes ». Le peintre du récit balzacien est lui aussi à la recherche d’un type, mais qui est dans son cas imprécis; on sait qu’il s’est rendu à Anvers et qu’il est décidé à voyager et à aller « en Turquie, en Grèce, en Asie pour y chercher un modèle. » On retrouve cette classification en types dans de nombreuses œuvres romantiques; aussi, lorsque Gautier parle d’un « pied de comtesse andalouse », on peut voir une inspiration très nette des poèmes de Musset, comme par exemple « Don Paez » : « Sourcils noirs, blanches mains, et pour la petitesse De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse. » (in « Don Paez », Contes d’Espagne et d’Italie, 1830) De plus, on peut noter que ces voyages à quête esthétique font partie intégrante de la démarche des romantiques qui multiplient les voyages afin de trouver les saveurs exotiques et de fuir la société française devenue mercantile, ce qui explique la grande présence de l’exotisme dans la littérature romantique et, plus généralement, du XIXe siècle. Pour en revenir à nos textes, on remarque que seul le Tizianello ne crée pas son œuvre à la suite d’une quête esthétique. Cependant, dès le début du récit, le narrateur nous dit que « le seul tableau que [Pippo] eût jamais terminé » était donné « pour excellent » par « tous les connaisseurs »; ainsi Pippo apparaît d’entrée comme un vrai artiste, comme un créateur. De plus, cette vision est renforcée par la description de l’éveil de la ville de Venise vu par Pippo; en effet, celle-ci témoigne d’un grand lyrisme : « les brouillards s’élevaient peu à peu; le soleil parut… ». Pippo est donc présenté comme un esthète peintre doublé d’un poète, comme en témoignent les deux sonnets qu’il compose. De plus, le regard créateur des trois artistes se manifeste lorsque l’auteur donne à voir le peintre au travail, dans son atelier. Frenhofer est le symbole de l’artiste qui regarde, qui observe afin de déceler les ‘infirmités’ de la toile. Aussi, lorsqu’il se trouve chez Porbus et qu’il commente sa Marie égyptienne, voilà ce que Frenhofer déclare : « Au premier aspect elle semble admirable, mais au second coup d’œil on s’aperçoit qu’elle est collée au fond de la toile […] l’espace et la profondeur manquent ». Cet extrait rend compte du fait que le regard de l’artiste est ce qui lui permet de tendre à la perfection, à l’absolu. De plus, Frenhofer expose clairement la théorie selon laquelle le regard de l’artiste n’est pas inné mais qu’il est le fruit d’un enseignement, d’une initiation : « C’est un chef-d’œuvre pour tout le monde, et les initiés aux plus intimes arcanes de l’art peuvent seuls découvrir en quoi elle pèche. » Ainsi le regard n’apparaît plus comme une qualité innée, dégagée de tout savoir, mais comme une connaissance acquise par des années d’enseignement. On retrouve la même idée chez Musset lorsque le Tizianello s’adresse à l’usurpateur de son nom : « Va-t’en apprendre l’anatomie et copier des écorchés pendant dix ans, comme je l’ai fait, moi ». La même idée apparaît chez Gautier mais le regard du peintre, c’est-à-dire de Tiburce, ne résulte pas d’une transmission technique par quelque maître sinon d’un apprentissage personnel; Tiburce apparaît comme un autodidacte dans l’art de voir : « Tiburce […] avait lu beaucoup de romans et vu beaucoup de tableaux […] il aimait avec l’amour du poète, il regardait avec les yeux du peintre. » Toutes ces représentations de l’artiste montrent bien que le regard est à cultiver, au risque de ne point tendre à la beauté absolue, comme l’affirme Léonard de Vinci : « Un peintre aux mains grossières, fera les mêmes dans ses œuvres, et la même chose lui arrivera avec chaque partie du corps, si de longues études ne l’en empêchent pas. » Ainsi dans le Fils du Titien, Musset affirme que « ce qui est véritablement beau est l’ouvrage du temps et du recueillement, et qu’il n’y a pas de vrai génie sans patience. » Le regard apparaît donc comme un savoir variable et fluctuant en fonction du temps et de l’assimilation de connaissances théoriques et pratiques; il s’agit d’un savoir empirique. Enfin, le regard de l’artiste est un facteur de l’animation de l’objet matériel. Ainsi la Toison d’or de Gautier est significative du pouvoir de faire s’animer la toile : « Tiburce crut qu’elle [la Madeleine] allait se lever et descendre du tableau. » Ce passage de la découverte de la Descente de croix de Rubens est notamment marqué par un réseau lexical de la vision très présent : « éblouissement », « gouffre de lumière », « la vue », « l’image », « la vision »… Dans la nouvelle de Balzac, cette idée du don de la vie est très présente à travers les allusions aux mythes de Promothée et de Pygmalion : « Le flambeau de Prométhée s’est éteint plus d’une fois dans tes mains, et beaucoup d’endroits de ton tableau n’ont pas été touchés par la flamme céleste », « Nous ignorons le temps qu’employa le seigneur Pygmalion pour faire la seule statue qui ait marché! » Par ces références aux mythes gréco-latins, Balzac, tout comme Gautier, inscrit sa nouvelle dans une tradition littéraire de textes qui livrent une réflexion sur la création artistique et l’animation de l’œuvre. De plus, la figure de Prométhée a aussi pour signification le vol « d’une manifestation de la connaissance divine qui distingue les hommes des autres créatures, et lui permet d’atteindre les savoirs nécessaires au développement des arts et des techniques. Dans cette optique, le geste de Prométhée a donc permis à l’homme de s’élever au-dessus de son état d’ignorance primitif » (in Lucia Impelluso, Mythes. Histoires et représentations des dieux et des héros de l’Antiquité, éds. de La Martinière, 2008). Ainsi Prométhée est une figure indispensable à la représentation de la création artistique qui apparaît comme une sublimation de la nature par l’acte créateur. Cependant, on constate que les auteurs romantiques livrent une vision beaucoup plus pessimiste de la démarche créatrice. En effet, l’artiste est décrit comme luttant incessamment : « ce n’est qu’après de longs combats qu’on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect » (in le Chef-d’œuvre inconnu); l’artiste est donc en lutte permanente avec la nature, mais aussi avec son époque : « Un seul homme a bien peu de force, quand tout un siècle lutte contre lui; il est emporté par la multitude comme un nageur par un tourbillon » (in le Fils du Titien). Néanmoins, comme nous l’avons dit précédemment, et ce malgré ces luttes inhérentes à la création artistique, la préoccupation première de l’artiste est de représenter la vie : « je ne saurais croire que ce beau corps soit animé par le tiède souffle de la vie » (in le Chef-d’œuvre inconnu), « Le regard était doux et fier; les lèvres, au-dessus desquelles paraissait un léger duvet, étaient entr’ouvertes; les dents brillaient comme des perles, et la parole semblait prête à sortir » (in le Fils du Titien), « sous la lueur vacillante, sa gorge semblait s’enfler et palpiter avec une apparence de vie » (in la Toison d’or). Ainsi le regard de l’artiste apparaît comme créateur car donnant vie à son œuvre, il s’approprie le « flambeau divin » et devient à son tour le Créateur d’un monde subjectif qui tend à la perfection, à l’Absolu.
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| Sujet: Re: Balzac Mer 12 Aoû 2009, 18:30 | |
| Suite - Spoiler:
Cependant, ce pouvoir de création à des limites. Tout d’abord, on se rend compte que le regard de l’artiste est dans chaque nouvelle faussé, déformé par la culture picturale et parfois littéraire qu’il possède. Lorsque Tiburce part à la recherche de l’amour, il ne cherche pas une femme parmi d’autres, mais bien une de ces femmes dans « les types familiers à Rubens, et si constamment reproduits sur ses toiles. » Cette interaction entre le monde pictural fantasmé et le monde réel apparaît lorsque Tiburce aperçoit pour la première fois Gretchen : « Tiburce, comme illuminé par une lueur subite, s’aperçut qu’elle ressemblait d’une manière frappante - à la Madeleine. » Le paroxysme de cette interaction est atteint alors que Tiburce rebaptise Gretchen par le prénom de Madeleine, ce qui montre bien que Tiburce tente de retrouver dans le réel ce qui n’appartient qu’au monde pictural. Aussi, il est intéressant de noter la réaction de Tiburce face à la découverte de la Madeleine : « la main du génie avait dessiné fermement et à grands traits ce qui n’était qu’ébauché confusément chez lui. » Cette phrase révèle à quel point la vision de l’artiste est influencée par sa culture visuelle; de plus, ce système apparaît comme un cercle vicieux puisque l’artiste cherche dans le réel une vision irréelle qu’il a vu lui-même sur une toile, c’est-à-dire un objet matériel, et donc le réel devient un support d’irréel recherché à son tour dans le réel. L’artiste est comme pris au piège par cette recherche qui ne peut qu’être déception et souffrance face à l’impossibilité du réel de faire exister cet idéal promis : « Il revint à Gretchen, non sans pousser un long soupir de regret; il ne l’aimait pas, mais du moins elle lui rappelait son rêve comme une fille rappelle une mère adorée qui est morte. » Chez Frenhofer, la culture picturale est encore plus développée que chez Tiburce, comme on peut le voir lors de son commentaire de la Marie égyptienne de Porbus. En effet, il dit à Porbus : « Tu as voulu imiter à la fois Hans Holbein et Titien, Albrecht Dürer et Paul Véronèse. » Tous ces noms de peintres donnent du crédit au discours technique de Frenhofer mais font apparaître le fait que son jugement objectif est altéré par tout un réseau de connaissances et d’influences qui rendent son jugement subjectif. De plus, Frenhofer établit une hiérarchie des maîtres qui révèle une sensibilité envers un certain type de peinture, de technique; ainsi sur Rubens : « cette toile vaut mieux que les peintures de ce faquin de Rubens, avec ses montagnes de viandes flamandes, saupoudrées de vermillon, ses ondées de chevelures rousses, et son tapage de couleurs. » Au contraire, Raphaël est pour lui le « roi de l’art; sa grande supériorité vient du sens intime qui, chez lui, semble vouloir briser la forme. » Par ces jugements de valeurs, Frenhofer instaure des critères en fonctions desquels le beau devient absolu; cependant, ces critères ne font que subjectiver son jugement et donc le beau absolu devient alors relatif. De plus, nous avons vu que l’artiste a pour but de créer, de donner vie à son œuvre. Cependant, les trois auteurs montrent bien que la culture picturale sclérose la liberté créatrice de l’artiste. Dans le Fils du Titien, Musset donne à voir un Pippo quasiment victime d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de l’œuvre paternelle : « Pippo avait toujours eu pour son père une affection et une admiration sans bornes, et il n’en parlait jamais qu’avec respect. » Il est intéressant de voir que Pippo ne réalise son tableau qu’en réponse à une offense faite au Titien puisqu’il fait le portrait de Béatrix Donato après les reproches faits au pseudo-Tizianello qui endosse le nom de Titien, et donc s’approprie une figure de maître alors que son œuvre est significative de la décadence des arts : « Ce jeune homme n’avait pour prendre ce nom aucun motif raisonnable, si ce n’est qu’il était parent éloigné du Titien, et qu’il s’appelait, de son nom de baptême, Tito, dont il avait fait Titien, et de Titien Tizianello, moyennant quoi les badauds de Venise le croyaient héritier du génie du grand peintre, et s’extasiaient devant ses fresques. » Ainsi la création apparaît ici comme un hommage mais aussi un rétablissement de l’œuvre d’un génie et non comme une véritable œuvre qui répond à un besoin uniquement artistique. Cette idée de culture mortifère pour la création est aussi très présente dans la Toison d’or : « Un homme factice ne peut être ému que par une chose factice; il y a harmonie : le vrai serait discordant. » Alors comment faire pour donner à l’œuvre cette impression de réel, de vrai que cherche Frenhofer : « Tu n’es vrai que dans les milieux, tes contours sont faux, ne s’enveloppent pas et ne promettent rien par derrière. Il y a de la vérité ici […] Mais là […] tout est faux. » Pour répondre à cette question, on doit prendre en compte la fin du chapitre 4 et le début du chapitre 5 de la Toison d’or; en effet, Gautier y résume l’attitude à adopter et procède à une intelligente synthèse des textes de Balzac et Musset : « leurs ouvrages ne sont pas les portraits des maîtresses qu’ils avaient, mais de celles qu’ils auraient voulu avoir, et c’est en vain que vous chercheriez leurs modèles sur la terre. Allez acheter un autre bouquet pour Gretchen qui est belle et douce fille; laissez là les morts et les fantômes, et tâchez de vivre avec les gens de ce monde. » Gautier propose donc d’abandonner les systèmes picturaux déjà établis et les quêtes d’une réalité qui ne peut être et de se concentrer sur le monde réel, qui seul peut être source d’inspiration. Un peu plus loin, le narrateur invective Tiburce : « vous avez, tant la poésie vous occupait, supprimé la nature, le monde et la vie. » Cette phrase de Gautier résume toute l’ampleur liberticide de la culture face à la création artistique. Aussi, la recherche de l’idéal donne à voir une réalité incomplète, inachevée. Ainsi E.H. Gombrich déclare, dans l’introduction de son Histoire de l’art, à propos du travail de l’artiste : « lorsque la solution est enfin trouvée, nous voyons bien que c’est en ordre, qu’il n’y a rien à ajouter, que nous sommes devant une image de perfection qui tranche sur l’imperfection de ce monde. » Gautier, dans sa Toison d’or, dit que « le réel payait pour l’idéal »; on se rend compte que la quête de l’idéal fait que le regard de l’artiste ne peut se satisfaire de ce qu’il voit, de ce qui l’entoure, et seule la création paut répondre à cette volonté de dépassement de la réalité. La recherche de l’idéal souligne donc une souffrance, une douleur face à ce qui est, face à son manque de perfection mais aussi face à ce qui fait l’environnement de l’artiste, c’est-à-dire la société.Ainsi, dans le Fils du Titien, Musset donne à voir, à travers la société vénitienne de la fin du XVIè siècle, la décadence qui touche le monde moderne : « La peinture, au siècle de Jules II et de Léon X, n’était pas un métier comme aujourd’hui; c’était une religion pour les artistes, un goût éclairé chez les grands seigneurs, une gloire pour l’Italie et une passion pour les femmes. » et, un peu plus loin : « Tels étaient les préjugés de cette époque, qui valait pourtant mieux que la nôtre. » Ainsi Balzac, dans le Chef-d’œuvre inconnu, parle de « ce temps de trouble et de révolutions » à propos de la Régence; cependant, on peut y voir une représentation des débuts de la Monarchie de Juillet, elle-même période « de trouble et de révolutions ». On retrouve ici un des thèmes principaux des romantiques qui partent à la recherche d’une époque non-mercantiliste au travers de leurs œuvres exotiques, ainsi la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée exprime la recherche des ces « passions énergiques » qui ont disparu au XIXè siècle. Cette vision passéiste se retrouve ainsi dans le Fils du Titien de Musset qui s’inscrit dans la lignée des œuvres romantiques qui rendent compte de ce « mal du siècle ». Nous avons vu que seul l’art peut permettre à l’artiste de dépasser la réalité décadente; cependant, l’exemple de Frenhofer est remarquable dans l’expression de la complexité de la création. En effet, même ses toiles terminées lui apparaissent comme de simples ébauches du chef-d’œuvre que doit être la Belle noiseuse : à l’exclamation « Quel beau Giorgion! » de Poussin, Frenhofer répond : « Non […] vous voyez un de mes premiers barbouillages. » L’art apparaît comme une quête chaque fois renouvelée qui fait apparaître l’Absolu comme inatteignable car toute production en appelle une autre; le regard de l’artiste est chaque fois modifié en fonction de sa création, et donc sa création se donne elle-même comme inachevée. Le regard de l’artiste apparaît donc comme créateur mais il ne peut jamais atteindre la perfection car il évolue à chaque création et renouvelle le besoin qu’a l’artiste de créer. Enfin, le regard du personnage est forcément conditionné par les théories artistiques de l’auteur. En effet, la Toison d’or de Gautier témoigne déjà d’une esthétique parnassienne. Pour Tiburce, « il eût été impossible d’aimer la plus belle âme du monde, à moins qu’elle n’eût les épaules de la Vénus de Milo. »; le narrateur nous dit qu’ « il cherchait l’élégance du vase ». Tout comme dans le Roman de la momie, Gautier confère à son texte cette « esthétique du marbre », cette absence de mouvement de la ligne. Ainsi Baudelaire déclare, en 1857, dans son poème « La Beauté » : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. » (in « XVII - La Beauté », « Spleen et Idéal », Les Fleurs du Mal, 1857) Cette esthétique du « rêve de pierre » est donc très marquée dans la nouvelle de la Toison d’or qui se pose comme l’un des premiers textes parnassiens, qui se développeront plus amplement dans la seconde moitié du XIXe, avec notamment Leconte de Lisle, Prudhomme, Heredia, sans oublier Gautier lui-même, dont le dernier quatrain de son poème « L’Art » se rapproche d’un manifeste : « Sculpte, lime, cisèle; Que ton rêve flottant Se scelle Dans le bloc résistant! » (in « XXXVII - L’Art », Emaux et Camées, 1852) A l’opposé de cette volonté d’absolu de la forme, Balzac exprime en précurseur la volonté d’éclatement de la ligne : « le corps humain ne finit pas par des lignes […] Rigoureusement parlant, le dessin n’existe pas […] il n’y a pas de lignes dans la nature où tout est plein. » A travers le regard que Frenhofer pose sur le dessin et la nature, Balzac expose la théorie d’un art abstrait, non figuratif, qui apparaît comme une bombe dans le milieu artistique. En effet, il propose une approche de l’art qui est totalement opposée à l’art académique. Frenhofer ajoute que « c’est en modelant qu’on dessine, c’est-à-dire qu’on détache les choses du milieu où elles sont, la distribution du jour donne seule l’apparence au corps! » On peut rapprocher cela de la démarche de William Turner (1775-1851), qui déclare à propos de son tableau Pluie, vapeur et vitesse - Le Grand Chemin de fer de l’Ouest (1844, Londres, The National Gallery) : « Je ne l’ai pas peint pour qu’il soit compris, j’ai souhaité montrer à quoi ressemblait une telle scène. » De plus, on peut replacer l’importance de lumière accordée par Frenhofer, et donc Balzac, dans le contexte de la naissance du pré-impressionnisme avec les précurseurs que sont William Turner (dit « le peintre de la lumière ») et John Constable. D’ailleurs, cette vision anticipatrice de Balzac fera dire à Baudelaire : « J’ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur; il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être visionnaire et visionnaire passionné. » Ainsi le regard de l’artiste est limité en ce sens qu’il est l’expression de la vision de l’écrivain, qui voit en son personnage un vecteur de théorisation.
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| Sujet: Re: Balzac Mer 12 Aoû 2009, 18:30 | |
| Suite et fin - Spoiler:
On remarque aussi que le regard de l’artiste se forme à travers la figure du modèle et les sentiments qu’il éprouve pour celui-ci. Dans nos trois nouvelles, le regard de l’artiste est le regard d’un amoureux. En ce sens, le récit de Musset est tout à fait significatif de la relation amoureuse qu’entretiennent le peintre et son modèle; Pippo ne se consacre pas à faire le portrait de la femme qu’il aime par décision personnelle, mais bien parce que Béatrice le pousse à la création : « Par ce moyen, elle parvenait souvent à exciter la mauvaise humeur de Pippo, et elle avait remarqué que, dans ces moments, il se mettait à l’ouvrage avec une vivacité extraordinaire. » Ainsi le regard de l’artiste se fait créateur par la présence du modèle désiré. D’ailleurs, la chute de la nouvelle de Musset est extraordinaire de signification et d’analyse de cette relation, puisque Pippo fait le choix de rénoncer à l’art car il a réussi à représenter la femme qu’il aime, seul modèle pouvant atteindre la beauté qu’il voulait exprimer : « Le fils du Titien, pour la rendre immortelle, Fit ce portrait, témoin d’un mutuel amour; Puis il cessa de peindre à compter de ce jour, Ne voulant de sa main illustrer d’autre qu’elle. » Ce message est d’autant plus intéressant que Pippo l’inscrit « avec du cinabre […] en caractères gothiques très fins » sur sa toile. On y voit le symbole que le modèle réel est supérieur à sa représentation picturale; cependant, l’ambiguité réside dans le fait que cette strophe soit inscrite dans un espace irréel. Ainsi l’irréel, censé être le monde de l’absolu, se fait inférieur à la réalité, ce qui explique le renoncement à l’art du Tizianello; au-delà de la simple diégèse, cette renonciation est pour Musset l’expression de la nostalgie des romantiques, du « mal du siècle », il expose la suprématie de l’amour sur l’art, mais aussi la suprématie du passé sur le présent. Cette relation du peintre avec le modèle se fait réflexion sur le regard de l’artiste, sur la création, mais aussi sur l’environnement socio-culturel et idéologique de l’artiste romantique. Au contraire, le regard de Frenhofer sur son modèle est bien différent de celui de Pippo. Face à Gillette, celui-ci remarque la beauté du modèle et permet à celle-ci de poser pour sa Catherine Lescault : « Oh! Laissez-la-moi pendant un moment […] et vous la comparerez à ma Catherine. Oui, j’y consens. » Cependant, il sait que le modèle ne pourra jamais atteindre la perfection de la femme du tableau : « Il semblait avoir de la coquetterie pour son semblant de femme, et jouir par avance du triomphe que la beauté de sa vierge allait remporter sur celle d’une vraie jeune fille. » Frenhofer n’est pas amoureux du modèle mais de sa femme, de celle qu’il tente de représenter depuis dix ans, de celle qu’il côtoie tous les jours : « Voilà dix ans que je vis avec cette femme. Elle est à moi, à moi seul. Elle m’aime. » Alors que pour Pippo, l’amour partagé est réel, celui de Frenhofer est cru partagé mais n’est qu’irréel, surnaturel. Cette thématique du surnaturel entre en résonance avec la description de Frenhofer, qui tient du fantastique : « étrange vieillard », « démon », « fantastiquement », « éclats surnaturels », « convulsions »… Cette relation entre Frenhofer et « [sa] Catherine » permet à Balzac, au contraire de Musset, d’exprimer la suprématie de l’art sur l’amour; ainsi, Porbus déclare : « Les fruits de l’amour passent vite, ceux de l’art sont immortels. » Le fanatisme de Frenhofer, son amour pour sa toile faussent sa vision de la réalité, forcément inférieure à l’art. Son amour pour l’irréel est le symbole de sa quête d’absolu; lorsqu’il meurt à la fin du récit, Frenhofer rejoint sa Catherine dans le monde de l’irréel, et alors sa soif d’absolu est rassasiée. Son amour pour Catherine ne peut que se réaliser dans un espace irréel, celui de l’art, qui, puisque opposé à la réalité, ne peut se faire factuel. En ce sens, on peut considérer la mort de Frenhofer comme sa plus grande création, comme la découverte de l’Absolu. Francisco de Goya déclare que « l’imagination abandonnée par la raison produit d’impossibles monstres; unie à elle, elle est la mère des arts et la source de leurs merveilles »; si l’on considère cette phrase, Frenhofer apparaît comme un fou animé par un délir fanatique qui le pousse à la mort et sa Catherine un monstre. On se rend bien compte que Balzac pose une question à laquelle la réponse se fait ambiguë : l’artiste est-il un fou ou un génie? Son regard est forcément différent de celui des autres, il s’approprie son œuvre à tel point qu’il la voit vivante et considère les autres comme « des jaloux qui [veulent lui] faire croire qu’elle est gâtée pour [la lui] voler »; au contraire, les autres voient en lui un homme qui a cessé d’être lucide, qui a perdu la raison. Pour lui, c’est un génie, pour les autres, un fou; pour le lecteur, il apparaît comme un génie, ainsi que le définit Delacroix : « La vérité ne se révèle qu’au génie, et le génie est toujours solitaire. » Le regard de l’artiste est la marque de sa singularité, de son non-conformisme aux normes sociales. Chez Balzac, le modèle est révélateur de cette vision de l’artiste; au contraire de Musset, pour qui l’amour est un moteur de la création, Balzac exprime l’impossibilité de concilier amour et art. A la fin du premier chapitre, Gillette dit à Poussin : « Si je me montrais ainsi à un autre, tu ne m’aimerais plus »; et lorsque qu’elle se rend chez Frenhofer, elle regarde Poussin et se dit : « Il ne m’a jamais regardée ainsi. » Gillette s’aperçoit que le modèle est important dans la réalisation de l’art, mais qu’une fois l’œuvre faite, le modèle est oublié par l’artiste, qui ne voit plus que son infériorité par rapport à la toile. L’artiste n’aime plus le modèle, et le modèle hait l’artiste. Quant à Gautier, il livre une vision plus nuancée de la relation entre l’artiste et son modèle. Nous avons déjà vu que Tiburce voit en Gretchen sa Madeleine mais avec moins de grâce, de beauté. Lorsque Tiburce réalise sa toile, il prend soin de faire ressembler Gretchen à la Madeleine; Tiburce essaye donc de calquer une toile préexistante pour retrouver la femme qu’il aime. Et ce n’est que lorsqu’il s’apreçoit que Gretchen peut remplacer la Madeleine qu’il oublie cette dernière. Cependant, Tiburce n’aime pas Gretchen tout comme il n’aimait pas la Madeleine; en effet, Gretchen lui fait prendre conscience du fait qu’il aimait la Madeleine comme le produit du génie de Rubens et non comme une personne à part entièe; il aimait Rubens par procuration. Se rendant compte de cela, Tiburce est prêt à épouser « la petite Gretchen de la rue Kipdorp ». Ainsi Gautier nous donne à voir la naissance d’un amour qui est à la base factice, mais qui se révèle réel par la suite; Tiburce effectue un transfert de sentiments de la toile vers le modèle après la prise de conscience du fait que l’irréel s’est fait réel, que l’absolu innateignable s’est matérialisé. Cependant, Tiburce se met à aimer Gretchen uniquement parce qu’elle ressemble à la Madeleine, ce qui confirme que le sentiment amoureux du peintre pour le modèle est toujours conditionné par la vision qu’a l’artiste du modèle, ce dont Gretchen est consciente : « Si je ne puis être votre maîtresse, je serai du moins votre modèle. » On retrouve cette idée dans L’Oeuvre de Zola, lorsque Christine pose pour la première fois devant Claude : « Il s’était courbé sur son dessin, il ne lui jetait plus que ces clairs regards du peintre, pour qui la femme a disparu et qui ne voit que le modèle. » Le peintre transcende le caractère sexuel de la femme et n’y voit plus que l’objet qui va lui permettre de réaliser sa toile. Ainsi, Gautier déclare à propos de Tiburce : « La femme n’était pour lui qu’un modèle. » En ce sens, le regard de l’artiste procède quasiment à une réification de la femme.
La portée créatrice du regard de l’artiste apparaît donc comme impossible à réellement définir. Balzac, Gautier et Musset s’accordent à montrer son aspect créateur tout d’abord par le fait que leur recherche de l’idéal procède d’une quête esthétique, et donc visuelle. De plus, cette quête fonctionne par type, qu’il soit préétabli ou non. Nos trois auteurs exposent aussi la théorie selon laquelle le regard n’est inné, il résulte d’un apprentissage, que ce soit aux côtés d’un maître (Mabuse pour Frenhofer), d’un père (le Titien pour Pippo) ou bien tout seul (comme c’est le cas de Tiburce); le regard de l’artiste est donc un savoir empirique. L’artiste se donne comme toujours tendant à la perfection, à l’absolu, qui passe tout d’abord par l’impression qu’il a de pouvoir animer la toile; en ce sens le regard de l’artiste se fait créateur car il donne la vie à l’objet, il se fait le Dieu d’un monde subjectif qui tend à son auto-réalisation, à son intégration à la réalité. L’artiste crée un monde parallèle au monde réel et qui tend à l’intégration à ce dernier. Le regard de l’artiste est créateur en ce qu’il fait coexister deux mondes a priori contraires, opposés, antithétiques. Cependant, cette imbrication est ce qui fait du regard de l’artiste un regard défaillant, puisque celui-ci en vient à confondre réel et imaginaire, réalité et chimère. L’artiste en vient à chercher l’absolu dans une réalité inachevée, incomplète, ce qui est pour lui une source de tourments, de déceptions auxquels il ne peut échapper (comme on le verra, pour le domaine scientifique, dans la Recherche de l‘absolu de Balzac, publié en 1834). Ainsi l’artiste cherche dans le passé, dans l’ailleurs ce qu’il ne peut trouver dans le présent. De plus, la quête de l’absolu est forcément altérée par tout un réseau de connaissances et de préférences qui font que les critères du beau varient; tout comme le regard est empirique, l’absolu, la beauté en soi devient subjective. L’artiste ne peut trouver dans la réalité factuelle ce qui est intrinsèque à son existence et à l’élaboration intellectuelle et sensuelle du beau; l’artiste crée lui-même sa chimère inatteignable qui est cause de son tourment. La nouvelle de Balzac est significative de cette impossibilité de retrouver dans le réel cette beauté absolue; en ce sens la mort de Frenhofer apparaît comme la seule issue possible à l’unification des sphères réelle et imaginaire, cependant ce n’est qu’en quittant la réalité que l’absolu se matérialise; donc le regard de l’artiste apparaît comme créateur mais uniquement dans l’esprit de l’artiste, qui ne peut matérialiser l’idéal dont il est à la recherche. Cette complexité se retrouve dans la relation qui unit l’artiste au modèle. Chez Musset, l’artiste réussit à unir art et amour car il voit en son modèle l’absolu fait femme et que l’art ne peut répondre à cela; le regard de l’artiste sublime le modèle et instaure la suprématie de l’amour sur l’art, et donc du réel sur l’imaginaire. Chez Balzac, cette suprématie est renversée et Frenhofer ne voit plus les femmes réelles, le modèle n’est que vecteur de la création de la femme aimée, rêvée, et il est alors relégué au simple statut d’objet, de matière à; l’imaginaire l’emporte sur le réel et l’artiste apparaît comme délirant, fanatique. La femme peinte se donnant pour absolue, la relation amoureuse elle-même se donne pour idéale, suprême. Chez Gautier, la relation amoureuse se développe parce que la femme réelle se fait incarnation de la femme peinte, et ce n’est que lorsque la femme de chair se donne comme aussi belle que la femme de peinture que l’artiste opère un transfert de sentiments. Le regard de l’artiste sublime le réel mais ne le fait pas idéal, il ne fait qu’égaler la forme picturale. Ces différences entre les auteurs montrent bien que le regard de l’artiste reste énigmatique, indéfinissable; il est créateur mais crée dans l’irréel, l’immatériel; il ne regarde la réalité qu’en fonction de ses imperfections, de ce qui est à sublimer, à compléter. Cependant, comme le dit Balzac, « dans la nature […] tout est plein »; alors quelle est donc la marge d’action laissée au pouvoir du créateur si celui-ci ne peut faire de place pour sa création? Enfin, on peut s’interroger sur la cause de la création. Alors que nos trois auteurs livrent une réflexion sur la forme qu’elle prend, sur son but, sur ses aspirations, Antonin Artaud exposera une théorie qui pourrait s’appliquer à nombre de créateurs du XIXe : « Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer. » (in Van Gogh, le suicidé de la société, 1956).
Si quelqu'un veut faire des emprunts à ma disserte, il peut me le demander, mais en citant mon nom. Je sais que ça peut paraître prétentieux, mais on arrive à un niveau où une réflexion individuelle est une propriété intellectuelle. | |
| | | Prince d'Aquitaine Animation
Nombre de messages : 2948 Age : 34 Localisation : Maromme, Seine-Maritime Date d'inscription : 29/05/2009
| Sujet: Re: Balzac Jeu 13 Aoû 2009, 20:53 | |
| J'ai terminé Louis Lambert, et c'est une assez bonne nouvelle, exceptée la partie épistolaire, où je trouve que l'expression utilise trop les gros fils du romantisme dans l'expression de la passion, même si les idées avancées sont intéressantes. | |
| | | sidobre habitué(e)
Nombre de messages : 16 Age : 69 Localisation : NARBONNE (FRANCE) Date d'inscription : 06/12/2008
| Sujet: [b]Sarrasine[/b] Ven 21 Aoû 2009, 13:29 | |
| Cette nouvelle de Balzac, je l'ai lue dans "S/Z" de Roland Barthes, une étude fort intéressante. Il nous montre d'ailleurs que l'infime différence entre l'orthographe "Sarrasine" avec S et " Sarrazine" avec Z devrait nous mettre en garde sur le double sens de cette nouvelle ...qui nous prépare à la chute. J'ai dernièrement utilisé cet exemple littéraire afin de montrer la construction rigoureuse du cinéaste Erick Robert dans son court-métrage :"La gazelle", où le double sens est dans le mot entier.
Belle nouvelle de Balzac, on pensera au film "Farinelli"... | |
| | | sidobre habitué(e)
Nombre de messages : 16 Age : 69 Localisation : NARBONNE (FRANCE) Date d'inscription : 06/12/2008
| Sujet: Balzac moins connu... Ven 21 Aoû 2009, 13:41 | |
| J'ai un temps lu beaucoup Balzac. Je me souviens m'être "régalé" comme on dit dans le sud, à la lecture du livre :"Le cabinet des antiques" qui dépeint les milieux ultras de la Restauration. J'ai lu aussi, sans souvenir précis aujourd'hui :"Le médecin de campagne". J'ai souvent apprécié les écrits de Balzac, je pense, grâce au procédé, utilisé par d'autres écrivains de feuilletons dont Paul Féval... Procédé simple, où il s'adresse à nous, au cours de la narration, par un "Amis lecteurs", par exemple. Procédé simple mais toujours efficace qui nous fait entrer ou réintégrer l'histoire en nous y sentant conviés. La lecture et l'écriture supposent cette convivialité. | |
| | | cleo pilier
Nombre de messages : 3890 Age : 40 Localisation : chez Jeanne........ Date d'inscription : 28/03/2009
| Sujet: Re: Balzac Ven 21 Aoû 2009, 15:31 | |
| Cet été, j'ai lu Ferragus et la fille aux yeux d'or. Ce fut une lecture agréable. Je lirai prochainement La Duchesse de Langeais pour clore l'histoire des Treize. Merci Rotko pour l'idée. Je suis réconciliée avec Balzac! Je crois que les livres courts me conviennent mieux pour apprécier le style de l'auteur. Je lirai aussi Louis Lambert. | |
| | | Nestor Admin
Nombre de messages : 1576 Date d'inscription : 25/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Sam 22 Aoû 2009, 14:20 | |
| - sidobre a écrit:
- Cette nouvelle de Balzac, je l'ai lue dans "S/Z" de Roland Barthes, une étude fort intéressante.
merci, Sidobre, pour cette référence que j'avais oubliée. - Cleo a écrit:
- j'ai lu Ferragus et la fille aux yeux d'or. Ce fut une lecture agréable. Je lirai prochainement La Duchesse de Langeais pour clore l'histoire des Treize.
"Normalement", avec tout ce que cet adverbe a d'incertain, tu vas clore le cycle avec ce que Balzac voulait comme début. Dans la fille aux yeux d'or, sans s'appesantir, Balzac donne la clé de l'enigme de cet amour ambivalent. Il donne les indices, mais au lecteur de faire les rapprochements. On accuse souvent Balzac de tout dire, mais c'est souvent à tort ! qu'en penses-tu à propos de la fille ? Dans une tenébreuse affaire, malgré l'elucidation balzacienne, d'ailleurs vite torchée, le récit reste dans la brume , sinon le brouillard | |
| | | cleo pilier
Nombre de messages : 3890 Age : 40 Localisation : chez Jeanne........ Date d'inscription : 28/03/2009
| Sujet: Re: Balzac Sam 22 Aoû 2009, 15:10 | |
| - Citation :
- "Normalement", avec tout ce que cet adverbe a d'incertain, tu vas clore le cycle avec ce que Balzac voulait comme début.
Dans la fille aux yeux d'or, sans s'appesantir, Balzac donne la clé de l'enigme de cet amour ambivalent. Il donne les indices, mais au lecteur de faire les rapprochements. On accuse souvent Balzac de tout dire, mais c'est souvent à tort ! qu'en penses-tu à propos de la fille Oui, je sais pour l'ordre mais Balzac a beaucoup de succès dans ma bibliothèque. Impossible d'emprunter la Duchesse de Langeais pendant plusieurs mois. J'ai enfin réussi ce matin. J'ai beaucoup apprécié la fille aux yeux d'Or. La description, à la manière de Dante, du début est superbe. Justement, j'avais gardé en tête un Balzac qui décrit trop lourdement, de trop dire, de noyer le lecteur dans des détails superflus. En ce qui concerne cet amour assez étrange. Je trouve que Balzac écrit tout en finesse. A nous de voir le changement d'intérêt du héros pour la fille. La fin est restée pour moi assez énigmatique. Je n'ai sans doute pas saisi un indice capital. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Sam 22 Aoû 2009, 15:34 | |
| - cleo a écrit:
- La fin est restée pour moi assez énigmatique. Je n'ai sans doute pas saisi un indice capital.
Voilà où je voulais en venir...car ce n'est pas évident Balzac prévient en debut de récit - Citation :
- "pour rendre cette aventure comprehensible, il est nécessaire d'ajouter ici
- Spoiler:
que lord Dudley trouva naturellement beaucoup de femmes disposées à tirer quelques exemplaires d'un si délicieux portrait. son second chef d'oeuvre en ce genre fut une jeune fille nommée Euphémie, née d'une dame espagnole, élevée à la Havane, ramenée à Madrid ....[...) Lord Dudley ne donna point avis à ses enfants des parentés qu'il leur créait partout"
p 381 dans le livre de poche la duchesse de langeais
- Spoiler:
Or, au milieu de leurs ébats, Paquita se trompe de prénom et De marsay reçut au milieu de sa joie un coup de poignard qui traversa de part en part son coeur mortifié [...] Mariquita ! cria le jeune homme en rugissant et il veut la tuer. Il a compris pourquoi Paquita le déguisait en femme
p 440 ldp. | |
| | | cleo pilier
Nombre de messages : 3890 Age : 40 Localisation : chez Jeanne........ Date d'inscription : 28/03/2009
| Sujet: Re: Balzac Sam 22 Aoû 2009, 16:05 | |
| Donc pour comprendre la fin de la Fille aux yeux d'Or: - Spoiler:
Oui, j'avais cru comprendre qu'ils étaient sans doute frère et sœur. mais si je me souviens bien à la fin la fille est poignardée sauvagement par sa bonne. Je me demandais si elle connaissait son lien de parenté. Et donc, la bonne serait l'amante de Paquita? Cela expliquerait la fin tragique.
| |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Sam 22 Aoû 2009, 16:14 | |
| oui, tu as bien saisi "le genre" des amours.
Pour le détail, avec la bonne, je ne te suis pas, mais j'ai seulement conservé la trame générale de l'intrigue dans ma tite tête | |
| | | cleo pilier
Nombre de messages : 3890 Age : 40 Localisation : chez Jeanne........ Date d'inscription : 28/03/2009
| Sujet: Re: Balzac Sam 22 Aoû 2009, 16:24 | |
| Merci Rotko pour ces éclaircissements. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Ven 23 Oct 2009, 14:17 | |
| Dans le traité des excitants modernes, 1839, Balzac expose ses théories bien connues sur - leurs effets bénéfiques : ouvrir des facultés supranaturelles, dynamiser l'imagination et l'energie, - et leurs effets nefastes, user l'esprit et le corps au point que l'artiste qui ya recours est bientôt - Citation :
- "obligé de rentrer dans la vie flâneuse, voyageuse, niaise et cryptogamique des bourgeois retirés."
Il en pense ce qu'il dit de la passion et notamment de l'amour, excitant bien répandu, mais auquel la nature a fixé des limites. Les abus sont mortels. clic ! Alechinsky expose à la maison Balzac des sculptures sur linoleum (réalisées avec de minuscules gouges) et sur plaques de cuivre (eaux-fortes) qui indiquent les deux aspects : l'ouverture à des visions fantastiques, et l'usure de l'adepte. Alechinsky ne prétend pas illustrer servilement l'écrivain comme il le dit dans sa formule : - Citation :
- Imager n'est pas concurrencer.
| |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Balzac Ven 23 Oct 2009, 14:30 | |
| chez Arlea. Dans le Traité des excitants modernes publié pour la première fois en 1839 en préambule à la célèbre Physiologie du goût de Brillat-Savarin, Balzac décrit les effets de l'alcool, du café, du thé et du tabac (il mentionne aussi le sucre et même le chocolat), poisons dont les excès - Citation :
- " produisent des désordres graves, et conduisent à une mort précoce ".
Sept années auparavant, dans le Voyage de Paris à Java, le romancier dénombrait quatre " stimulants ", l'opium, le vin, le thé et le café et semblait apprécier ces drogues inspiratrices. Ayant approfondi sa réflexion et assimilé les théories des hygiénistes, il constate que l'usage abusif de ces poisons, qu'il qualifie désormais " d'excitants ", provoque des ravages sur les populations : les éligibles comme les prolétaires, en buvant ou fumant, " adultèrent la race, abâtardissent la génération, d'où la ruine des pays ". Ou, parlant de l'alcoolisme : " - Citation :
- de ces comptoirs procèdent ces êtres chétifs qui composent la population ouvrière. La plupart des filles de Paris sont décimées par l'abus des liqueurs fortes ".
- Spoiler:
Mais la condamnation de l'eau-de-vie est suivie d'une description séduisante des hallucinations de l'ivresse " Je trouvais un vague étonnant dans la nature. Les marches de l'escalier des Bouffons me parurent encore plus molles que les autres… Les phrases musicales me parvenaient à travers des nuages brillants, dépouillées de tout ce que les hommes mettent d'imparfait dans leurs œuvres ". Balzac revient ensuite aux malformations congénitales engendrées par les " alcoolâtres " !
Mélangeant remarques graves et observations légères, Balzac occupe ainsi une position ambiguë sur ces plaisirs artificiels. De même, la vigueur avec laquelle il condamne le café n'a d'égale que sa constance à abuser de ce breuvage, aiguillon devenu indispensable pour gravir les pentes les plus ardues de la création littéraire. Balzac a pourtant compris que l'excès des boissons inspiratrices conduisait à l'impuissance intellectuelle, ainsi qu'à la douleur - je suis livré à d'atroces souffrances nerveuses, écrit-il en 1842. Il sait aussi que l'amateur des plaisirs répétés est ensuite obligé, sous peine d'une destruction irrémédiable, à " détendre la harpe, et [à] rentrer dans la vie flâneuse, voyageuse, niaise et cryptogamique des bourgeois retirés. " Le maintien de l'esprit dans les hautes sphères de la création est-il compatible avec l'abus des excitants, rapidement nécessaire mais qui engourdit infailliblement l'énergie et conduit à un sevrage proche de l'atonie ?
Le Traité des excitants modernes dépasse donc largement le problème de la drogue et procède d'une longue méditation sur les rapports de l'énergie vitale, de la pensée visionnaire et de l'art. Or personne n'avait illustré cet ouvrage avant Pierre Alechinsky, l'un des rares artistes à avoir osé aborder La Comédie humaine depuis Picasso. S'intéressant à la typographie et au graphisme, il ne pouvait rester insensible à la réflexion sur la création d'un écrivain qui, avant de devenir romancier, fut imprimeur et fondeur de caractère, et qui a accordé au travail sur épreuves une importance dont on ne retrouve aucun équivalent.
Après quelques hésitations, Alechinsky a choisi de travailler en taille directe sur linoléum (amalgame d'huile de lin et de sciure), procédé certes difficile mais, comme il l'écrit lui-même ; " la qualité d'une œuvre, d'un objet, son intensité, sa rigueur découle aussi de techniques crues d'abord insupportables. " On notera que ces propos rejoignent - mais est-ce vraiment le hasard ? - ceux d'un proche ami de Balzac, Théophile Gautier
source de cette présentation : exposition à la maison de Balzac 47 rue Raynouard (16e) du 7 octobre 2003 - 25 janvier 2004 | |
| | | Saladlover pilier
Nombre de messages : 42 Age : 34 Localisation : Partout et nulle part à la fois. Date d'inscription : 26/10/2009
| Sujet: Re: Balzac Lun 26 Oct 2009, 02:00 | |
| - sidobre a écrit:
- Cette nouvelle de Balzac, je l'ai lue dans "S/Z" de Roland Barthes, une étude fort intéressante.
Il nous montre d'ailleurs que l'infime différence entre l'orthographe "Sarrasine" avec S et " Sarrazine" avec Z devrait nous mettre en garde sur le double sens de cette nouvelle ...qui nous prépare à la chute. J'ai dernièrement utilisé cet exemple littéraire afin de montrer la construction rigoureuse du cinéaste Erick Robert dans son court-métrage :"La gazelle", où le double sens est dans le mot entier.
Belle nouvelle de Balzac, on pensera au film "Farinelli"... J'ai aussi lu ce livre de Roland Barthes, une analyse bien ficellée et personnellement Sarrasine est le seul texte de Balzac que j'ai vraiment aimé. Mes références à Balzac se limite par contre au Père Goriot et aux Illusions Perdues. Après vous pensez que quels écrits de Balzac sont les meilleurs? | |
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