Henry James

Tant mieux le forum est un bon lieu d'échanges.

Les Européens

Les Européens ? La Baronne Munster et son jeune frère Félix Young qui arrivent chez leurs cousins américains. Des mœurs différentes…Attentisme et interrogations de part et d’autre, policés par l’éducation et le vernis des bonnes manières ; Henry James nous régale par son ironie et sa causticité. A petites touches, avec perspicacité et finesse, les personnages s’installent, les relations se développent. Le roman est court, l’intrigue classique se base, comme toujours chez James, sur les rapports humains, le jeu social des apparences et de la réalité ; mais les caractères sont pleinement esquissés, les situations exquises de subtilités.
Un exemple : Acton s’interroge gravement

Citation :

« Quand Acton se surprenait à penser de la sorte, il se mettait à marcher de long en large, les mains dans les poches, les sourcils légèrement froncés, le regard au sol. Que prouvait- car cela prouvait certainement quelque chose- cette impulsion à ‘partir’ n’importe où avec madame Munster, loin de tous les familiers ? Une telle vision ressemblait assez à un espoir très subtil de mariage. En tous cas, Acton, avec la pudeur qui le caractérisait, s’interdisait de formuler ce que ses pensées auraient pu impliquer d’autre, et le narrateur de ces événements n’est pas tenu de se montrer plus explicite »

Mais le lecteur a compris par ces quelques mots bien agencés de ce dont il s’agissait…
Un roman que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire.

Je le lirai.
Ne serait-ce que pour avoir un second exemple d'Henry James. Pour voir s'il confirme ou infirme ma première impression.

Harelde78 a écrit:

Je le lirai.
Ne serait-ce que pour avoir un second exemple d'Henry James. Pour voir s'il confirme ou infirme ma première impression.

Tu as raison, il ne faut pas rester sur une mauvaise impression.
Parfois cela est le contraire: on adore un livre d'un auteur, ce qui incite à en lire un autre, et là, zut, on est déçu.
Ou on aime encore et on en lit d'autres et d'autres et on devient "fan"; comme moi avec Joyce Carol Oates, même si parfois je suis un peu déçue...

Je ferai comme Harelde.

Permise de corriger ta phrase, je crois que c'est ceci que tu voulais dire...

edit: Merci Nestor.

Daisy Miller joue les espiègles pour "decoincer" Winterbourne qu'elle sait bien amoureux d'elle, elle a l'habitude des soupirants, et voudrait que celui-ci abatte clairement son jeu.

D'où des"hameçons", des perches tendues, des provocations volontaires pour le faire réagir et témoigner ainsi de ses sentiments.

Quand au départ Winterbourne se montre enclin à une certaine spontaneité, elle l'encourage :

Citation :

- je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie » murmura Winterbourne.
Elle le regarda un instant, puis partit d’un petit rire. « J’adore vous faire dire ce genre de choses ! Vous faîtes un drôle de mélange ! » (You are a queer mixture ! (1))

Elle le stimule par des railleries sur la beauté fatale qui attend Winterbourne à Genève, bon moyen de savoir si son coeur est libre :

Citation :

« Elle lui dit qu’elle cesserait de le taquiner s’il lui promettait solennellement de venir à Rome cet hiver ».

Citation :

« je suis un redoutable, un affreux flirt ! Avez-vous vu une jolie fille qui ne le soit pas ? Mais vous allez sans doute me dire que je ne suis pas une jolie fille ? »

elle précise qu'elle ne le prendrait pas pour flirt, ce serait donc plus sérieux.

Le but de la question est évident ! Mais Winterbourne ne saisit pas les perches. C'est un fan des rombières aux paroles aigres.

Idem , ce manège pour exciter la jalousie de Winterbourne, avec l' éloge d'un rival : James devoile le stratagème en mentionnant les jeux de scène :

Citation :

Winterbourne observait la jeune fille […] Continuant à le regarder, elle répondit sans trace d’une hésitation : « c’est M. Giovanelli - le beau Giovanelli. »

« Elle continuait de lancer des regards en direction de Winterbourne »

Et de l'inviter à se joindre au couple qu'elle forme avec ce pantin de Giovanelli, preuve qu'elle veut voir Winterbourne rompre le tête-à-tête.

Tout indique qu'il ne s'agit pas d'une coquetterie gratuite, mais d'un réel penchant pour Winterbourne, et la scène finale crève tragiquement les yeux :

Spoiler:

remarques sur deux phrases importantes :

(1) You are a queer mixture : vous êtes un curieux mélange (= de sentiment et de réserve, caractéristiques du personnage ). c'est plus fort que vous faîtes un mélange de deux remarques ( caractéristiques d'un discours).

(2)I dont’care, said daisy, in a little strange tone, « wether I have Roman fever or not ».(2)

je n'en ai plus rien a faire, dit Daisy, si j'ai la fièvre romaine ou pas.

c'est plus fort que "fièvre, romaine ou non", qui traite de manière lègère un mal redoutable, et le petit ton étrange de Daisy qui montre toute son émotion !

la scène est vue par Winterbourne qui ne saisit pas ce ton. Le traducteur a donc opté pour l'euphemisme de W bien inconscient de la gravité de la scène. (il propose des pilules !)

J'avoue que je suis un peu comme Winterbourne.
Je n'avais pas saisi non plus toutes ces perches. J'en ai loupé beaucoup !

J'avais vu les perches. Pour moi, Daisy joue avec Winterbourne. La fin est donc selon moi un peu grotesque. Je ne pense pas qu'elle puisse réellement l'aimer. Elle meurt peut être d'avoir perdu la "partie"
Ceci dit, nous discutons depuis quelques jours de ce livre. J'admets donc que Daisy est un récit intéressant puisqu'il permet d'avoir des visions différentes de l'histoire. Il ne laisse pas indifférent. Je lui attribue ce mérite.

cleo a écrit:

J'admets donc que Daisy est un récit intéressant puisqu'il permet d'avoir des visions différentes de l'histoire. Il ne laisse pas indifférent. Je lui attribue ce mérite.

le tour d'écrou pose aussi beaucoup de questions, et c'est là à mes yeux son mérite, car le résultat d'une ecriture soignée qui raffine sur les personnages, jamais transparents.

Avec Daisy Miller, reste à savoir qui est le narrateur :

Spoiler:

C'est possible Rotko! Ta théorie est très intéressante.

Et pour celles et ceux qui n'accrocheraient pas à Daisy Miller, pourquoi ne pas aborder James par l'une de ses nombreuses nouvelles. Il y a dans les nouvelles de James quelques bijoux remarquables avec ce style concis et toujours ironique.

je trouve en effet un recueil de 3 nouvelles au Seuil : singulières jeunes filles, titre de circonstance, je crois, pour regrouper Pandora, les vraies raisons de Georgina, et Lady Barberina.

Pandora présente de grandes similitudes avec Daisy Miller pour le protagoniste masculin, un certain comte Otto Volgestein, qui se prépare à une carrière diplomatique : on le découvre dans sa raideur germanique sous la plume ironique et caustique d’Henry James : il raille les vieilles New-Yorkaises qui tiennent salon, suivent les ragots et donnent des conseils à leur mesure. Ces personnages renvoient à Daisy Miller dont le nom est d’ailleurs prononcé par le narrateur. Celui-ci se profile, en retrait du personnage du Comte, ce qui crée une distance dans le récit.

Bien construite, cette histoire (avec au début, un voyage en bateau, repris de manière anecdotique à la fin) pourrait déboucher sur une histoire d’amour, au moins rêvé, mais le narrateur préfère s’intéresser aux mesquineries de la société représentative de l’Amérique, et développer un type nouveau de figure féminine : « la jeune fille qui se fait toute seule » pendant féminin du « self made man » bien connu, ce qui ne rend pas Pandora spécialement attachante.

A la différence de Daisy qui avait un côté douloureux, Pandora se trouve très à l’aise dans son milieu.

Je note dans Pandora deux remarques malicieuses d'Henry James : il écarte ses personnages pour montrer ce qu'ils ne voient pas, trop occupés qu'ils sont de leurs petits problèmes personnels.

ainsi au début :

Citation :

Il y avait là des hommes en bonnet de fourrure qui fumaient des pipes à haut fourneau. ; les femmes avaient des bébé cachés dans leur châle. Il y en avait des jaunes, Il y en avait des noirs, et tous avaient quelque chose de graisseux, de poisseux, à cause de l’humidité marine. Ils étaient voués à grossir le flot de la démocratie occidentale, et il n’est pas douteux que le Comte Vogelstein se disaient qu’ils n’en amélioreraient pas la qualité.

et à la fin :

Citation :

Il y avait là des noirs, des gens qui traînaient, des conducteurs de fiacre, ainsi que des individus à barbiche, un cure-dents à la bouche, les mains dans les poches, ruminant de la mâchoire et le plastron piqué d'une épingle en diamant qui avaient l’air d’être descendus en flânant de Pennsylvania Avenue, pour tuer une demi-heure,, abandonnant pendant le même temps les diverses postures affalées qu’ils occupaient sous le portique des hôtels et à l’entrée des saloons

habile façon de montrer l'étroitesse de leurs points de vue alors qu'ils doivent jouer un rôle politique public !

Ton commentaire sera toujours bienvenu, Soussou

Nymphéa a écrit:

Les Européens

Les Européens ? La Baronne Munster et son jeune frère Félix Young qui arrivent chez leurs cousins américains. Des mœurs différentes…Attentisme et interrogations de part et d’autre, policés par l’éducation et le vernis des bonnes manières ; Henry James nous régale par son ironie et sa causticité.

Nymphea a raison de souligner l'ironie et la causticité d'henry James dans les Européens

Je crois préférer Daisy Miller aux Européens, dont l’action est plus lente et les enjeux plus diffus. Henry James se trouve sur son terrain favori, la confrontation de deux communautés, en faisant atterrir ses deux personnages principaux, Félix et Eugénie dans le milieu puritain de Boston.

A lire les Européens on comprend pourquoi on a rapproché James de Proust ! Étude de ce milieu social qu’est la bonne société, où se pratique l’art de la conversation. Henry James aime aussi à raffiner sur les délicatesses et complexités des sentiments, tout en n’abandonnant jamais son lecteur.

Comme Balzac, il émaille les dialogues de précisions sur le ton et le sens des répliques, comme autant d’indications scéniques. Car on pense souvent au théâtre, notamment pour la fin du récit, plus légère certes qu’une comédie de boulevard, mais qui, sans l'acuité des analyses, frôlerait le roman feuilleton.

Je crois que la superficialité des intérêts et buts de ce monde policé de bonnes manières et de convenances, ce qui leur permet de ne pas voir la stérilité et le vide de leur existence, et qu'il peuple "d'activité" pour meubler leur ennui et leur oisiveté, de conversations plus ou moins codifiées, et de "potins", tout cela peut sembler boulevardesque, s'il n'y avait, en effet, chez James comme chez Proust, ces descriptions minutieuses et pertinentes de ces faux-semblants.

On trouverait des ressemblances entre la Gertrude des Européens et Daisy : plutôt opter pour l'extravagance que supporter l'etouffement des puritains et la tyrannie des ragots.

James a un côté cruel sans le dire à épingler les Bostoniens qui n'ont rien à voir avec des papillons, sauf si ceux-ci, transmutés par les pesticides faisaient désormais du rase-mottes

Les Européens ne valent guère mieux mais au moins sont-ils moins ennuyeux, semble penser James à la dent dure :

Si les Bostoniens s’interrogent sur les desseins de leurs cousins européens, le lecteur n’a guère de doute, ils sont venus chercher fortune et amour.
Finalement l’écrivain américano-anglais n’a guère plus de sympathie pour les Européens que pour les Américains. S'il ménage Outre atlantique, la rigidité de Mr Wentworth pour le rendre presque sympathique, le pasteur Brand n’éveille guère de sentiments favorables, surtout s’il veut atteindre la sainteté par l’art du sacrifice qui pense-t-il, le fait atteindre au sublime.

les Européens

j'ai remarqué des singularités :

dans le chapitre V, Mr Wentworth hostile à l'idée de se faire tirer le portrait "regarda les autres, après quoi il se leva et s'eloigna lentement"

il n'a pas dû aller loin car page suivante il prend la parole :

Citation :

"je regrette que tu n'aies pas eu de sujets de pensées plus interessants, ma fille" dit Mr Wenworth

on voit au début du livre une grande complicité entre Félix et sa soeur, une grande affection (je me demandais même si Félix n'embrassait pas trop sa soeur...) alors qu'à la fin, Félix ne sait plus du tout ce qu'elle pense : leurs rapports m'ont paru ensuite d'une grande froideur car rien ne semble subsister de leur proximité initiale.

La relation entre Felix et sa soeur ne se rompt pas vraiment, d'aprés mes impressions. S'ils sont proches au début du livre, c'est parce qu'ils sont isolés et liés par un même but, "faire leur trou" en Amérique. Mais on sent cependant une certaine distance: Félix vit avant tout en dilettante et prime pour lui son "art"; il est plus démonstratif que sa soeur et sensible, et je trouve que par ses élans de tendresse il masque une certaine incompréhension de ses angoisses à elle et son refus de se laisser abattre, c'est un optimiste.
Sa soeur est plus rigide, parce que plus réaliste et, plus âgée plus marquée par la vie; c'est aussi une personne qui se protège derrière une grande fierté et son orgueil. Felix plus ouvert et prêt à la tolérance, trouvera son "bonheur" dans sa famille américaine; sa soeur refusera ses chances par fierté; elle ne peut accepter les moeurs et le mode de vie de ces gens qu'elle mésestime, elle se pense au dessus d'eux par son raffinement aussi bien social qu'intellectuel.

Cette différence d'appréhension du milieu où ils vivent ne fait que confirmer la distance entre le frère et la soeur, creuser une certaine incompréhension latente dès le départ; cependant je les trouve toujours aimables l'un envers l'autre, si ce n'est qu'ils déplorent leur vision opposée quant à leur "réussite".

Tu as raison,
je préfère nettement le frère, je saisis mal le personnage de la soeur, bien fouillé par Henry James qui ne montre pas son jeu (ni Eugénie, ni James ne donnent dans le sommaire !).

Les Européens est le second livre de James que je lis.
Daisy Miller m'avait laissé froid, mais les Européens m'ont emballé.
Dès le début, je remarque une curieuse différence entre les deux !
Dans Daisy Miller, l'américaine frivole et provocatrice se heurte au conservatisme coincé de la vieille Europe bourgeoise.
Dans les Européens, ces derniers sont nettement plus délurés (surtout Félix dont le comportement choque) et bousculent des Américains puritains et austères.
Ce sont, chaque fois, les étrangers qui se trouvent ainsi marginalisés. Henry James nous les montre avec les yeux d’autochtones plein d’a priori, prompts à stigmatiser la différence.

En avançant dans ma lecture, le personnage de Gertrude sort néanmoins du carcan dans lequel son éducation rigide l'avait jusqu’ici confiné. Elle se réveille, comme se plait à le répéter son cousin. Comme l'a souligné Rotko, Gertrude se rapproche finalement de Daisy Miller en prenant son destin en main. En fin de recueil, il est évident (et elle le dit clairement) qu'elle compte faire de sa vie ce qu'elle veut. Si Félix souhaite parvenir à ses fins dans la paix et le respect des sensibilités de chacun, on sent bien que Gertrude ne s'embarrasse pas de tant de scrupules.

Je m'étonne tout de même que Henry James n'ait pas achevé son livre sur quatre unions. Je pensais réellement qu'Eugénie tirerait plus d'avantages de son voyage outre-Atlantique.


A un certain moment, je me suis sérieusement demandé si les Européens étaient bien ce qu'ils prétendaient être. Après la lecture de deux polars, mon esprit était formaté et enclin à voir le mal partout !
Je les ai un moment cru être de vils imposteurs opportunistes débarqués dans une famille américaine inconnue, dans laquelle ils s'étaient introduits par la ruse dans le but d'en tirer un maximum de profits.
Je me demandais même s'ils étaient effectivement frère et sœur.