Sandor Maraï [Hongrie]

Amadak a écrit:

un secret remords la ronge

Sans doute, sans doute, c'est ce que dit le romancier, peut-être ce qu'éprouve elle-même Esther, dans le récit, et dans la vie aussi.

Mais là se situe à mon avis le problème moral.

La culpabilisation des victimes est à mes yeux un forfait révoltant.

Laci et Tibor, dont on citait le passage page précédente, tout l'entourage, y compris le notaire, sait à quoi s'en tenir sur Lajos, chacun avec ses propres griefs, parfois méconnus des autres.

Ce qui me stupéfie : personne n'en parle aux autres, ni même ne fait grise mine à Lajos

dont les questions intéressées sont directes, d'un cynisme absolu, depuis le début, jusqu'à la phrase soulignée par Amadak

Citation :

- Dis moi Esther il me demanda à voix basse, sur un ton d’intimité-
La maison continue-t-elle d'être libre d’hypothèques ?

A mon avis chacun a un devoir de responsabilité envers les autres, chacun envers Esther, et Esther elle-même envers Nounou, et tous se complaisent dans un aveuglement volontaire, à leur détriment et à celui de leurs proches.

On parle de non-assistance à personne en danger, dans le cas d'agression physique, mais comment parlera-t-on de cette complicité aveugle, de ce lâche abandon devant le cynisme de Lajos ?

Même sans haine, rancune ou rancoeur contre ce gredin patenté, le devoir moral consistait à le démasquer et à faire échec à ses entreprises.

Voyons maintenant le résultat du côté même de Lajos : c'est pour lui un encouragement à trouver d'autres victimes, à perpétrer d'autres forfaits.

Voilà à mon sens la vrai devoir moral soulevé par ce livre !

il fallait tout dévoiler de Lajos, le passé et le présent, pour faire échec définitivement à ses escroqueries, au lieu de l'encourager par une passivité incompréhensible, et j'ose dire, coupable.

nous presque sur la fin du livre, et l'intrigue des personnages n'est encore pas dévoilée, je laisse pour plus tard mon commentaire

J’ai reçu L’Héritage d’Esther comme une réponse en miroir au Bartleby de Melville.

Comme Melville, Márai nous offre un texte court et cinglant, adopte un style classique et épuré, en parfait accord avec l’austère mélancolie de son personnage. Le « après tout je peux bien » d’Esther sonne comme l’écho symétrique du « I would prefer not to » de Bartleby. L’irritation qui fait jour à la lecture – on voudrait comprendre, on éprouve l’envie de secouer ces désespérés sans désespoir - trouve la même bouleversante résolution à la fin des deux ouvrages.

Que faire face à la brutale et touchante réalité ? La haine, l’indifférence, l’amour, les malentendus… ? Lutter ou s’absenter ? Y a-t-il des coupables et des innocents ? Des lucides et des aveugles ? Il n’est pas dit qu’il existe une bonne réponse à ces questions.

« Lorsque quelqu’un surgit du passé pour annoncer, avec des trémolos dans la voix, qu’il veut "tout réparer", on ne peut que le plaindre et rire de ses intentions. Le temps avait déjà tout "réparé" à sa façon particulière, qui est la seule possible. »

« Je m’endormis ainsi, frissonnante, hébétée… comme si, parvenue à l’air libre après un long séjour en un lieu fermé, j’eusse été brusquement saisie jusqu’au vertige par une brise forte et cruelle, par le coup de vent de la réalité. » Phrase à laquelle répondent les derniers mots du texte, qui semblent apaisés sans que l’on n'en soit bien sûr.

Amadak a écrit:

C’est vrai les silences dans les livres de Maraï peuvent durer des décennies, qui a lu « les braises » a vu un silence qui a duré quarante années et la fin n’en reste pas moins tragique ,inoubliable.

J'ai très envie de le lire. Merci à celui/celle qui a eu l'idée de cet auteur en lecture partagée !

oui, Luca, une bonne lecture accompagnée.

c'est pourquoi j'ai bien distingué la

Citation :

suite esthétique, et le débat moral

.

tu remarques à juste titre

Citation :

les derniers mots du texte, qui semblent apaisés sans que l’on n'en soit bien sûr

.


Effectivement l'auteur s'arrête à temps.

Balzac aurait poursuivi, on sait comment finissent Goriot et le colonel Chabert.

pour Luca:

Chère amie: après ton magnifique exposé, je rejoins l’analyse éclairante que tu fais sur ce livre captivant et ses personnages hors du commun, en proie à leur propres contradictions , où l’on croise l’amour ,le risque le cynisme et pour Esther le rêve chimérique d’effacer le passé. Que dirait Freud, de tout l’entourage d’Esther, chacun, sauf le notaire, subjugués par le charisme de ce délinquant.
La vieille Nounou , comme femme du peuple, au cœur simple redoute le piège, car elle connaît bien Lajos.
Le dénouement tragique ne se fait pas attendre, pour Esther il n’y a pas de lendemain
Ce livre m’a touchée au plus profond de mon âme, comme tous ceux que j’ai lus de Maraï. Un style dépuré, de la belle époque, tous ses livres ont été interdits dans son pays, et aujourd’hui il est une figure phare de la littérature Européenne. Mon conseil : lire tous ses livres et sa biographie : un roman à part.