Marcel Proust I : A la recherche du temps perdu

Colbrune m'a prêté , dans la collection de la Pléiade, le premier volume d'A la recherche du temps perdu, et j'ai hâte de m'y coller. Je vais finir mon roman de Cheng d'abord.
J'ai cette chance de résider à seulement une cinquantaine de km de chez elle. Je suis heureux d'avoir pu faire la connaissance d'une personne d'une telle culture. Je pensais avoir un bibliothèque, chez elle, c'est un paradis de livres. Je suis jeune et impulsif. J'espère seulement qu'elle ne m'en voudra pas pour cette révélation.
Cobrune est vraiment un trésor pour GDS. Et faire sa connaissance fut un réel moment de culture.

Vincimild

Je suis retourné faire un saut sur ce beau lieu de villégiature qu'est la Recherche du temps perdu, et vous envoie une carte postale de Paris, le cachet de la poste faisant foi d'une date de la Grande Guerre.

Citation :

De notre balcon la ville semblait un seul lieu mouvant, informe et noir, et qui tout d'un coup passait, des profondeurs et de la nuit, dans la lumière et dans le ciel, où un à un les aviateurs s'élançaient à l'appel déchirant des sirènes, cependant que d'un mouvement plus lent, mais plus insidieux, plus alarmant, car ce regard faisait penser à l'objet invisible encore et peut-être déjà proche qu'il cherchait, les projecteurs se remuaient sans cesse, flairant l'ennemi, le cernant de leurs lumières jusqu'au moment où les avions aiguillés bondiraient en chasse pour le saisir.

Ayant fait des études linguistiques, je me souviens des thèmes que l'on nous donnait en traduction à partir de Proust. Une école...

Pour le reste je ne suis pas archi fan de Proust mais j'ai lu presque toute La Recherche.

monilet a écrit:

Pour le reste je ne suis pas archi fan de Proust mais j'ai lu presque toute La Recherche.

Pour avaler trois pleiades, il faut quand même etre interessé, non ? quand on entre dans l'univers d'un ecrivain, je crois qu'on abandonne ses propres critères, pour embrasser les siens. Sinon on le quitte assez vite, à ce que je crois

Disons que j'étais moyennement intéresé et que d'autresraisons me stimulaient aussi.

D'accord j'aime balzac jusque dans ses côtés bonimenteurs, je voulais dire qu'à frequenter les auteurs, comme les proches, on accepte même leurs défauts

Une dame avec qui j'étais alors l'aimait beaucoup, alors j'ai fait un effort. Comme quoi....

Une image me hante, et je vais me confier à vous dans l'espoir de guérir. Le narrateur est dans le train qui le mène à Balbec, le voyage est long, il a passé la nuit à rouler, l'aurore est arrivée.

Citation :

Le paysage devint accidenté, abrupt, le train s'arrêta à une petite gare entre deux montagnes. On ne voyait au fond de la gorge, au bord du torrent, qu'une maison de garde enfoncée dans l'eau qui coulait au ras des fenêtres.

Attention elle arrive.

Citation :

Si un être peut être le produit d'un sol dont on goûte en lui le charme particulier, [...], ce devait être la grande fille que je vis sortir de cette maison et, sur le sentier qu'illuminait obliquement le soleil levant, venir vers la gare en portant une jarre de lait.

Si je faisais ma psychanalyse je dirais que le voyage est source d'angoisse (vais-je arriver à destination ?), que sa durée est source de fatigue, que je suis un peu claustrophobe, et que cette laitière tombe à pic : de son lait nourricier elle me renvoie dans le bonheur oublié de la tétée.

Citation :

Elle longea les wagons, offrant du café au lait à quelques voyageurs réveillés.

Cette phrase contient le froid de l'aurore, l'odeur du tabac froid, les joues mal rasées, le léger mal de la route, l'envie de dormir dans un bon lit, l'envie de prendre une douche, l'inconfort.

Citation :

Empourpré des reflets du matin, son visage était plus rose que le ciel.

L'apparition féminine prend une dimension astrale...

Et là, nous en revenons à la féminité.

De quelle laitière est-il question ?

http://www.insecula.com/oeuvre/O0021016.html

Pas évident que celle-là inspire à Proust ces mots-là.

Celle-ci alors plutôt : http://dp.mariottini.free.fr/weekend/madrid/photos/3-goya-laitiere-bordeaux.htm ?

je me souviens de ce passage mais n'y ai vu et n'y vois aucune allusion picturale. Dans un barbare en Asie Michaux parle aussi d'un visage aperçu du train. Sans aucune référence artistique, c'est un souvenir personnel, un élement de notre mythologie propre, à mon avis.

rotko a écrit:

je me souviens de ce passage mais n'y ai vu et n'y vois aucune allusion picturale.

Et cela t'empêche d'en faire toi-même en tant que lecteur ?

le lecteur a tous les droits. Mais Proust donne en général ses references artistiques, parfois voilées il est vrai comme pour la sonate, mais il laisse des indices.

Citation :

On avait bien inventé, pour me distraire les soirs où on me trouvait l'air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en attendant l'heure du dîner, on coiffait ma lampe ; et, à l'instar des premiers architectes et maîtres verriers de l'âge gothique, elle substituait à l'opacité des murs d'impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané.

. . J'ai réalisé récemment que ce thème de la lanterne magique revient au moins une fois, à Balbec, dans la chambre d'hôtel.

Citation :

A cause de la trop grande lumière, je gardais fermés le plus longtemps possible les grands rideaux violets qui m'avaient témoigné tant d'hostilité le premier soir. Mais comme malgré les épingles avec lesquelles, pour que le jour ne passât pas, Françoise les attachait chaque soir et qu'elle seule savait défaire, comme malgré les couvertures, le dessus de table en cretonne rouge, les étoffes prises ici ou là qu'elle y ajustait, elle n'arrivait pas à les faire joindre exactement, l'obscurité n'était pas complète et ils laissaient se répandre sur le tapis comme un écarlate effeuillement d'anémones parmi lesquelles je ne pouvais m'empêcher de venir un instant poser mes pieds nus. Et sur le mur qui faisait face à la fenêtre, et qui se trouvait partiellement éclairé, un cylindre d'or que rien ne soutenait était verticalement posé et se déplaçait lentement comme la colonne lumineuse qui précédait les Hébreux dans le désert.

C'est à mettre en rapport avec Claude Debussy puisque Golo est un personnage de Pelléas et Melisande (1902)

Citation :

Quand une dame noble d’Avranches, laquelle n’eût pas été capable de distinguer Mozart de Wagner, disait devant Madame de Cambremer : « Nous n’avons pas eu de nouveauté intéressante pendant notre séjour à Paris, nous avons été une fois à l’Opéra-Comique, on donnait Pelléas et Mélisande, c’est affreux », Mme de Cambremer non seulement bouillait mais éprouvait le besoin de s’écrier : « Mais au contraire, c’est un petit chef-d’oeuvre », [...] Elle prenait le parti de Debussy comme elle aurait fait celui d’une de ses amies dont on eût incriminé la conduite.

in Sodome et Gomorrhe.

Le passage où Golo, faute de place sur l'écran, se retrouve dans les rideaux du salon est succulent.

Au pas saccadé de son cheval, Golo, plein d'un affreux dessein, sortait de la petite forêt triangulaire qui veloutait d'un vert sombre la pente d'une colline, et s'avançait en tressautant vers le château de la pauvre Geneviève de Brabant [...]

Golo s'arrêtait un instant pour écouter avec tristesse le boniment lu à haute voix par ma grand'tante et qu'il avait l'air de comprendre parfaitement, conformant son attitude avec une docilité qui n'excluait pas une certaine majesté, aux indications du texte; puis il s'éloignait du même pas saccadé. Et rien ne pouvait arrêter sa lente chevauchée.

Si on bougeait la lanterne, je distinguais le cheval de Golo qui continuait à s'avancer sur les rideaux de la fenêtre, se bombant de leurs plis, descendant dans leurs fentes. Le corps de Golo lui-même, d'une essence aussi surnaturelle que celui de sa monture, s'arrangeait de tout obstacle matériel, de tout objet gênant qu'il rencontrait en le prenant comme ossature et en se le rendant intérieur, fût-ce le bouton de la porte sur lequel s'adaptait aussitôt et surnageait invinciblement sa robe rouge ou sa figure pâle toujours aussi noble et aussi mélancolique, mais qui ne laissait paraître aucun trouble de cette transvertébration.

Du côté de chez Swann, Combray.
.

Une petite curiosité médicale.

La tante Léonie.

Citation :

Elle tendait à mes lèvres son triste front fade et pâle sur lequel, à cette heure matinale, elle n'avait pas encore arrangé ses faux cheveux, et où les vertèbres transparaissaient comme les pointes d'une couronne d'épine ou les grains d'un rosaire...

Mais il est vrai que la tante Léonie a tout d'un dragon.

Du côté de chez Swann

Excellent, Tchipette!
ça m'avait échappé, merci !

Vous rappellez-vous la description des cris de Paris dans la Prisonnière ? C'est absolument délectable à lire...

Bien sûr ! c'est p 118-119 dans la pleiade et on croit entendre du plain chant gregorien

Citation :

"habits, marchands d'habits,.... habits" avec la même pause entre les deux dernières syllabes d'habits que s'il eût entonné en plain chant : per omnia saecula saeculo...rum ou : resquiescat in pace

on trouve des cris de paris dans le père Goriot, scène du banquet chez la Vauquer : "Battez vos femmes, vos habits"

un très beau passage, musical chez Proust, et cocasse chez Balzac.

Chez Proust on trouve aussi "amusez-vous, mesdames, v'la le plaisir",

Ignatius O Reilly de la conjuration des imbéciles est encore plus lubrique avec

Citation :

Tâtez de mes saucisses, 20 cm de Paradis

(1)

sous le nez de dames artistes "bien vêtues portant de vastes capelines"

(1) Paradis est le nom de la firme produisant les hot-dogs.

Citation :

Certes, la fantaisie, l’esprit de chaque marchand ou marchande, introduisaient souvent des variantes dans les paroles de toutes ces musiques que j’entendais de mon lit. Pourtant un arrêt rituel mettant un silence au milieu d’un mot, surtout quand il était répété deux fois, évoquait constamment le souvenir des vieilles églises. Dans sa petite voiture conduite par une ânesse, qu’il arrêtait devant chaque maison pour entrer dans les cours, le marchand d’habits, portant un fouet, psalmodiait : « Habits, marchand d’habits, ha... bits »

avec la même pause entre les deux dernières syllabes d’habits que s’il eût entonné en plain-chant : « Per omnia saecula saeculo... rum » ou : « Requiescat in pa... ce », bien qu’il ne dût pas croire à l’éternité de ses habits et ne les offrît pas non plus comme linceuls pour le suprême repos dans la paix. Et de même, comme les motifs commençaient à s’entre-croiser dès cette heure matinale, une marchande de quatre-saisons, poussant sa voiturette, usait pour sa litanie de la division grégorienne :

À la tendresse, à la verduresse
Artichauts tendres et beaux
Arti... chauts

bien qu’elle fût vraisemblablement ignorante de l’antiphonaire et des sept tons qui symbolisent, quatre les sciences du quadrivium et trois celles du trivium.

la prisonnière p 185 sq

Proust...
Quel souvenir !
j'aime les lectures longues et les défis... Mais celui-ci, je n'osais m'y risquer ! Et puis, il y a 5 ans, il y a eu l'IUFM, les deux journées par semaine où mon ennui se trainait, lamentable, le long des heures qui s'égrainaient plus que lentement...
Et là, je me suis dit "C'est le moment ! "
Et...
...
Que dire ?

Au début, je me contentais de lire pendant ces deux journées-là, le lundi et le vendredi, au fond de la salle, le livre ouvert sur ma pochette et mon bloc-notes...
Et puis je me suis mise à lire aussi dans le train, et puis aussi le soir... Je mettais lancée dans une aventure que je n'avais pas bien mesurée, et je me suis retrouvée prise au piège, capturée et... captivée !
C'est un de mes plus beaux souvenirs de lecture, ces longues heures à déguster ce style souple et fluide, ces longues phrases construites comme des cathédrales, ciselées, ces longs moments d'introspection délectables...
Une des mes plus belles lectures de voleuse !

Rien de tel qu'une experience concrète de lecture.

je vais parcourir Comment Proust peut changer votre vie
de Alain de Botton, chez 10/18.

Citation :

ce livre étincelant nous convie à une relecture audacieuse et delicieusement érudite de l'oeuvre de Proust

dit l éditeur. On verra.

Si j’étais Alain de Botton, je ne me vanterais pas d’avoir écrit « Comment Proust peut changer votre vie » (chez Denoel).

Au départ l’auteur a de la verve et comme on sait rarement résister à l’insolence, on sourit, car le texte est facile, nourri de citations et de faits relativement cocasses.

Puis on pose le livre - et on se gratte la tête. Le titre aurait dû mettre la puce à l’oreille : de quelle vie parle Botton ? Si c’est l’existence d’un « épicier », il est bien évident que Proust ne lui sera d’aucun secours.

On se rend compte que s’appuyer sur un texte littéraire, sur la correspondance, et disons-le, des racontars, pour en tirer de prétendues règles pratiques, c’est faire fausse route.

Alors que Proust ait été un enfant docile, un adulte trop dépendant de sa mère, qu’il ait eu une mauvaise santé et même des maladies imaginaires, que son frère ait été plus vigoureux, son père, plus utile socialement, que nous importe !

Le concours - cité par Botton, qui consiste à faire en 20 secondes le résumé d’un ouvrage de Proust est certes amusant à première vue, mais suivant le même procédé réduire à 40 secondes une sonate de Fauré serait à la musique ce que Botton fait subir à la littérature.

On pourrait dire que le persiflage bottonesque relève de l’humour ? Qu’il critique - à tort - le plat par un décortiquage des ingrédients, mais est-ce bien intellectuellement honnête et satisfaisant ? Pas à mon goût !

D’autant que Botton tombe sur deux écueils fatals :

Le premier, qui sous-tend son discours, celui du bon sens et des idées reçues, autrement dit la méthode Homais.

Le second, une paraphrase lourdingue des phrases de la Recherche, ou d’extraits de correspondance, où éclate tout de suite la différence entre l’artiste et le tâcheron.