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 Proust, mort, temps

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paminode
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MessageSujet: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMar 26 Mai 2009, 20:03

Bonjour à toutes et tous,


Je m'adresse ici aux spécialistes de Proust.
Je viens vers vous pour une question théorique.
Peut-être ma question a-t-elle été déjà traitée quelque part, mais j'ignore alors où et par qui.
En effet, je n'ai pas vraiment étudié de près les exégèses de Proust ; mais je n'ai pas l'impression que cette thématique de son œuvre ait été très approfondie. Mais je me trompe peut-être.

Dans le premier volume de La Recherche, Du côté de chez Swann, Proust raconte l'épisode célèbre de la madeleine, et du plaisir qu'il a eu à retrouver un souvenir d'enfance en passant par le biais d'une perception commune à deux époques, en l'occurrence le goût de la fameuse madeleine trempée dans du thé.
Dans le dernier volume de La Recherche, Le temps retrouvé, à l'autre bout de son œuvre, Proust revient sur cet épisode et tâche d’en donner une explication (Folio, bas de la page 179).

Comme explication à l'origine de ce plaisir, il suggère l'idée que cette fusion psychologique de deux instants distants dans le temps affranchit l'homme "de l'ordre du temps" ; et qu'en sortant ainsi de la temporalité, il échappe à l'idée d'avenir, et par conséquent de mort.
Je suis perplexe.
Cette espèce de "sentiment océanique temporel" (que je nomme ainsi en référence au "sentiment océanique" spatial freudien), à l'émotion très intense, peut-il réellement provenir de l'idée d'échapper, ne serait-ce que quelques instants, à l'idée de la mort ? Cela à un niveau inconscient ?

C’est-à-dire, en détaillant :
- une réminiscence spontanée peut-elle conduire à un sentiment de "sortie de la temporalité" ?
- si c’est le cas, cette "sortie de la temporalité" peut-elle conduire au sentiment d’échapper à la mort ?
- si de nouveau c’est le cas, ce sentiment d’échapper à la mort peut-il conduire à un sentiment si intense de plaisir, ou même à un simple soulagement, moins profond ?
- tout cela peut-il se faire sur un mode inconscient ?

Merci à celles et ceux qui me donneront une piste sur cette question.

Bonnes réminiscences.

Paminode
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 04:43

Comment te donner une réponse à une question aussi complexe qui traverse tout le temps retrouvé ?

c'est dans la lecture de Proust, et pour citer un livre rapide, dans Proust, le dossier de Jean-Yves Tadié, collection Agora, chez Pocket, que tu pourras faire le point.

je réponds en vitesse, mais si des grains/graines ont des pistes plus précises...

bienvenue à toi, Paminode, il y a plusieurs fils Proust sur GDS*
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:08

Je te conseille d'écouter les cours d'Antoine Compagnon sur le site du collège de France.
Dans son premier séminiaire "Proust et mémoire de littérature", il répond à quelques unes de tes questions.
Il parle de "psychologie de l'espace". Notre ami Kad m'avait conseillé le livre de George Poulet, L’espace proustien. pour approfondir le sujet. J'attends encore de le recevoir pour le lire.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:18

Pour moi le mot réminiscence, évoque cette intemporalité.
C'est un souvenir lointain, dont on ne connait pas toujours l'origine exacte. Plus une impression de déjà vu.
Platon, d'ailleurs, considérait la réminiscence comme un souvenir d'une connaissance acquise dans une vie antérieure.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:19

Bonjour Rotko, bonjour Cléo,


Merci pour vos indications.

Je vais me mettre sans tarder en quête de ces sources.
S'il vous vient d'autres idées, n'hésitez pas.

Merci encore.

Paminode
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:28

Merci Harelde,


La question que je me pose est de savoir si la réminiscence, ce "souvenir lointain, dont on ne connait pas toujours l'origine exacte, plus une impression de déjà vu", évocateur d'intemporalité, suffit à mettre en route le mécanisme en vérité complexe dont j'ai tenté de détailler les étapes :
réminiscence - intemporalité - déni de la mort - émotion - plaisir.

Cette explication par Proust lui-même est-elle la bonne ?
Faut-il en envisager d'autres ?

Paminode
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:39

Je crains que cette réflexion ne dépasse mes compétences.
Mais l'intemporalité doit bien conduire, dans sa phase la plus aboutie, à l'immortalité, non ?
scratch

Le déni de la mort ne me choque donc pas.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:54

Je ne sais si on peut évoquer le déni de la mort avec Proust.
A la fin de la Recherche, le narrateur se rend compte des outrages du temps et à chaque réminiscence, on observe le décalage entre le temps présent et le temps du souvenir, un "temps perdu".
Le temps qui avance n'est donc pas nié et la mort non plus alors.
scratch

Après, il y a sans doute le plaisir de se souvenir par la mémoire involontaire mais je pense au contraire qu'elle inscrit le narrateur dans une temporalité.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 07:57

Je ne peux pas vous suivre sur cette discussion.
Je ne suis pas allé au bout de la première page du Côté de chez Swann. Mon expérience de Proust est donc ténue. siffle
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 08:15

Il faut poursuivre Harelde. Une fois que tu es rentré dans la Recherche, tu n'en sors plus drunken
D'ailleurs, je me demande si je ne vais pas le relire..... miam

Je voulais juste rajouter une réflexion qui me vient.
La sensation de plaisir née par les réminiscences est peut-être liée à la perte de repères qu'elles provoquent. Nous ressentons une sorte de perturbation du temps, les différents temps se mêlent.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 09:00

Plaisirs réels ou nostalgie ?
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 09:23

Non pas de la nostalgie car il y a une perte de repères (cf début de Combray). La nostalgie est selon moi une démarche volontaire alors que les réminiscences nous surprennent.
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Marie kiss la joue
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 09:43

cleo a écrit:
Nous ressentons une sorte de perturbation du temps, les différents temps se mêlent.
Exactement, c'est d'ailleurs ce que le narrateur déclare dans le Temps retrouvé, que je suis en train de relire : "Or cette cause, je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que j'éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné le bruit de la cuiller sur l'assiette, l'inégalité des dalles, le goût de la madeleine jusqu'à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais". (pp.177-178, édition, Folio).

Pour répondre à l'une de tes questions, Paminode, le narrateur déclare que pendant ces réminiscences, l'idée de la mort lui est égale. Selon moi, ça ne signifie pas forcément qu'il se sent immortel, mais plutôt qu'il cesse d'y penser, enfin je me trompe peut-être.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 09:59

je n'ai pas lu l'espace proustien de Poulet, mais il parle de Proust dans ses études sur le temps humain chez Pocket.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 10:13

J'ai fini Le Temps retrouvé il y a très peu de temps, les choses sont donc encore claires dans ma tête.
Cet enchaînement me semble parfaitement logique. Le fait de ne plus savoir, par ces réminiscences, s'il se trouve dans le passé ou le présent fait de lui, selon ses propres termes, un "être extra temporel". Il est hors du temps, justement parce qu'il est dans le temps (passé et présent). Mais paradoxalement, cette concomitance le sort du temps. Or, c'est la conscience du temps qui passe qui fait craindre la mort, car cela nous rappelle notre finitude (pour prendre un terme philosophique). Donc, si on a l'impression d'échapper au temps, comme c'est le cas pour le narrateur, il est tout à fait logique de ne plus craindre la mort.
De là, il est encore logique que découle un sentiment de plaisir intense, puisque la plus grande peur qui soit pour l'homme, mourir, a disparu.
Et ce n'est pas inconscient, mais conscient puisque le narrateur y réfléchit.
Le déclenchement du mécanisme, dans Combray, est inconscient, mais le narrateur est capable d'analyser ces étranges sensations, et c'est là sa grande force et le point de départ de son oeuvre littéraire. Tant qu'il restait aveugle, il ne pouvait écrire, une fois qu'il a compris, il peut écrire.

PS : je me souviens de mon sujet de dissert de philosophie au bac : "faut-il avoir peur du temps" ? j'avais développé l'idée (bien notée donc je la réutilise Wink ) que le seul moyen de ne pas craindre le temps, et donc la mort, c'est justement de vivre complètement dans le temps, passé présent et futur en même temps. Cette solution paradoxale permet d'échapper aux contingences du temps et donc de ne plus en avoir peur. C'est exactement ce que dit Proust.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 10:57

Citation :
Or, c'est la conscience du temps qui passe qui fait craindre la mort, car cela nous rappelle notre finitude (pour prendre un terme philosophique)

D'accord mais en lisant la Recherche, j'avais l'impression que le narrateur justement avait conscience du temps qui passe, d'un temps révolu qui reste présent à lui au moment des réminiscences mais qui reste ensuite insaisissable car faisant partie du passé. L'écriture lui permet d'avoir l'illusion de saisir cette extra-temporalité mais elle ne lui permet pas de nier la fuite du temps. On ressent une certaine nostalgie dans les derniers chapitres qui closent la Recherche.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 12:45

Bonjour à toutes et tous,

Je voudrais d’abord vous remercier pour vos contributions, qui m'aident à préciser les idées sur cette question.

(Et merci encore Rotko pour cette nouvelle référence de livre.)

Je vous cite :

cleo a écrit:
Je ne sais si on peut évoquer le déni de la mort avec Proust.
A la fin de la Recherche, le narrateur se rend compte des outrages du temps et à chaque réminiscence, on observe le décalage entre le temps présent et le temps du souvenir, un "temps perdu".
Le temps qui avance n'est donc pas nié et la mort non plus alors.

cleo a écrit:
Citation :
Or, c'est la conscience du temps qui passe qui fait craindre la mort, car cela nous rappelle notre finitude (pour prendre un terme philosophique)

D'accord mais en lisant la Recherche, j'avais l'impression que le narrateur justement avait conscience du temps qui passe, d'un temps révolu qui reste présent à lui au moment des réminiscences mais qui reste ensuite insaisissable car faisant parti du passé. L'écriture lui permet d'avoir l'illusion de saisir cette extra-temporalité mais elle ne lui permet pas de nier la fuite du temps. On ressent une certaine nostalgie dans les derniers chapitres qui clôt la Recherche.

Cléo, je suis d'accord avec ces analyses qui caractérisent la démarche globale proustienne elle-même, en pleine conscience et dans une (longue) durée de réflexion.
Ma question portait plutôt sur la réminiscence elle-même, qui se produit sous l'effet de la saveur de la madeleine, et le plaisir qui suit aussitôt : on est là, à l'inverse, au niveau de l'inconscient et dans l'immédiateté.

Bulma a écrit:

Et ce n'est pas inconscient, mais conscient puisque le narrateur y réfléchit.
Le déclenchement du mécanisme, dans Combray, est inconscient, mais le narrateur est capable d'analyser ces étranges sensations, et c'est là sa grande force et le point de départ de son oeuvre littéraire. Tant qu'il restait aveugle, il ne pouvait écrire, une fois qu'il a compris, il peut écrire.

Même chose, Bulma, je suis d’accord ; il s’agit là de la démarche globale de La Recherche.
Mais qu’en est-il du plaisir immédiat lors de l’élément déclencheur, la dégustation elle-même de la madeleine ?

Bulma a écrit:
J'ai fini Le Temps retrouvé il y a très peu de temps, les choses sont donc encore claires dans ma tête.
Cet enchaînement me semble parfaitement logique. Le fait de ne plus savoir, par ces réminiscences, s'il se trouve dans le passé ou le présent fait de lui, selon ses propres termes, un "être extra temporel". Il est hors du temps, justement parce qu'il est dans le temps (passé et présent). Mais paradoxalement, cette concomitance le sort du temps. Or, c'est la conscience du temps qui passe qui fait craindre la mort, car cela nous rappelle notre finitude (pour prendre un terme philosophique). Donc, si on a l'impression d'échapper au temps, comme c'est le cas pour le narrateur, il est tout à fait logique de ne plus craindre la mort.
De là, il est encore logique que découle un sentiment de plaisir intense, puisque la plus grande peur qui soit pour l'homme, mourir, a disparu.

L’enchaînement :
{réminiscence – intemporalité – déni de l’avenir – déni de la mort – émotion – plaisir}
est certes logique si on l’analyse d’un point de vue rationnel, comme le fait d’ailleurs Proust lui-même en nous livrant son explication.
Mais cela est-il vrai pour l’inconscient ?
Cette explication paraît juste dans une reconstruction après coup rationnelle et consciente ; mais est-ce que cela suffit pour être sûr que l’inconscient a suivi le même cheminement en une fraction de seconde ?

Marie kiss la joue a écrit:
cleo a écrit:
Nous ressentons une sorte de perturbation du temps, les différents temps se mêlent.
Exactement, c'est d'ailleurs ce que le narrateur déclare dans le Temps retrouvé, que je suis en train de relire : "Or cette cause, je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que j'éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné le bruit de la cuiller sur l'assiette, l'inégalité des dalles, le goût de la madeleine jusqu'à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais". (pp.177-178, édition, Folio).

Là encore, Marie, c’est l’explication que Proust donne de ses émotions, mais ce sont des reconstructions secondaires, après coup. Cela ne démontre pas rigoureusement que l’émotion initiale naît d’un même processus psychologique.
Je pense qu'il est important de considérer la question de savoir si la conscience, en prenant son temps, et l'inconscient, en faisant beaucoup plus vite, suivent les même parcours.
Je suis bien conscient que cette interrogation n'est certes pas aisée.

Marie kiss la joue a écrit:

Pour répondre à l'une de tes questions, Paminode, le narrateur déclare que pendant ces réminiscences, l'idée de la mort lui est égale. Selon moi, ça ne signifie pas forcément qu'il se sent immortel, mais plutôt qu'il cesse d'y penser, enfin je me trompe peut-être.

Je ne parlais pas spécialement d’immortalité, ni Proust lui-même qui dit simplement : "on comprend que le mot de "mort" n’ait pas de sens pour lui ; situé hors du temps, que pourrait-il craindre de l’avenir ?" (Folio, dernières lignes de la page 179)
Mais ce n’est là qu’un problème de terminologie ; pour ma part, je parle plutôt de "déni de la mort".

cleo a écrit:


Je voulais juste rajouter une réflexion qui me vient.
La sensation de plaisir née par les réminiscences est peut-être liée à la perte de repères qu'elles provoquent. Nous ressentons une sorte de perturbation du temps, les différents temps se mêlent.

Sorte de sentiment océanique, alors. Suffirait-il pour expliquer le plaisir ressenti, en faisant l’économie de l’hypothèse du déni de la mort ? Ou ne serait-il qu'une étape ?

Merci encore pour vos interventions. Je crois que l’on peut parler longtemps sur ce thème, qui est, me semble-t-il, l’un des plus fondamentaux de La Recherche, qui n’en manque pas.

Au plaisir de vous relire, donc.

Bonne journée à tous.

Paminode
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 12:58

Bulma a écrit:

je me souviens de mon sujet de dissert de philosophie au bac : "faut-il avoir peur du temps" ? j'avais développé l'idée (bien notée donc je la réutilise Wink ) que le seul moyen de ne pas craindre le temps, et donc la mort, c'est justement de vivre complètement dans le temps, passé présent et futur en même temps. Cette solution paradoxale permet d'échapper aux contingences du temps et donc de ne plus en avoir peur. C'est exactement ce que dit Proust.

C'est un très beau programme, Bulma, et j'y souscris. La difficulté est de connaître les méthodes permettant d'y parvenir (surtout pour ce qui concerne le futur...).
Les techniques de méditation y conduisent-elles ?
L'audition de musique ?

Et est-ce que ces réminiscences "madelinesques" vous arrivent souvent ?
Pour ma part, j'y ai pratiquement droit tous les jours, mais elles sont plutôt visuelles : traversées de parcs, aperçus de certaines silhouettes de demeures, de perspectives de rues...

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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyMer 27 Mai 2009, 21:57

Bulma a écrit:
J'ai fini Le Temps retrouvé il y a très peu de temps, les choses sont donc encore claires dans ma tête.
Cet enchaînement me semble parfaitement logique. Le fait de ne plus savoir, par ces réminiscences, s'il se trouve dans le passé ou le présent fait de lui, selon ses propres termes, un "être extra temporel". Il est hors du temps, justement parce qu'il est dans le temps (passé et présent). Mais paradoxalement, cette concomitance le sort du temps. Or, c'est la conscience du temps qui passe qui fait craindre la mort, car cela nous rappelle notre finitude (pour prendre un terme philosophique). Donc, si on a l'impression d'échapper au temps, comme c'est le cas pour le narrateur, il est tout à fait logique de ne plus craindre la mort.
De là, il est encore logique que découle un sentiment de plaisir intense, puisque la plus grande peur qui soit pour l'homme, mourir, a disparu.

En vérité, quelque chose me chiffonne.

Le principe : "intemporalité => déni de la mort => plaisir" ne serait-il valable essentiellement pour une personne plongée en permanence dans une souffrance psychologique liée à une hantise de la mort ?
Un peu comme une personne chargée sur les épaules d'un sac de cailloux et que l'on soulage soudain de ce poids éprouve le plaisir de cette délivrance. A l'inverse, une personne qui ne porte pas de sac de cailloux n'a pas à être soulagée de cette charge.
De la même manière, une personne qui n'est pas hantée par la mort a-t-elle une raison d'être soulagée et de ressentir un plaisir si elle est délivrée d'une peur de la mort qui ne la concerne pas ?
A-t-elle donc une raison de ressentir le plaisir d'une réminiscence ?

Par conséquent, le processus évoqué est a priori logique, en apparence, mais à qui s'adresse-t-il ?
Uniquement aux personnes hantées par la peur de la mort ? Une personne qui ne connaît pas cette hantise est-elle susceptible de ressentir du plaisir madelinesque ?
Sommes-nous habités en permanence, sans nous en rendre compte, par une anxiété liée à l'idée de notre disparition ? A priori, une personne hantée par la mort doit en être consciente...

Il y a là un petit quelque chose qui me laisse perplexe.
Est-ce que je me trompe quelque part ?

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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyJeu 28 Mai 2009, 16:27

Bonjour Cléo, bonjour Rotko,

Je viens d'acheter les ouvrages de Georges Poulet que vous m'avez conseillés.
Le livre de Jean-Yves Tadié est épuisé, cela va donc me prendre un peu plus de temps pour me le procurer.
Et je n'ai pas encore eu le temps de regarder du côté d'Antoine Compagnon.

cleo a écrit:

Je voulais juste rajouter une réflexion qui me vient.
La sensation de plaisir née par les réminiscences est peut-être liée à la perte de repères qu'elles provoquent. Nous ressentons une sorte de perturbation du temps, les différents temps se mêlent.

Je viens de prendre connaissance de la pensée de Clément Doucet, lequel s'éloigne de l'interprétation que Proust donne lui-même du processus, et en suggère deux autres, d'ailleurs inconciliables :
- soit le plaisir lié à la réminiscence viendrait d'une immersion du sujet dans son propre narcissisme, selon un mécanisme encore à élucider ;
- soit ce plaisir viendrait d'une régression du sujet dans une sorte de retour à un état premier indifférencié, quand le moi n'est pas encore réellement défini.

Peut-être est-ce quelque chose de cet ordre que vous vouliez suggérer avec votre "perte de repères qu'elles provoquent", la "sorte de perturbation du temps" que vous évoquiez, quand "les différents temps se mêlent".

Paminode
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyJeu 28 Mai 2009, 17:50

Oui c'est un sujet de réflexion très intéressant.
Cependant, mes remarques étaient simplement ma compréhension de l'oeuvre de Proust. Si j'ai bien compris, tu souhaites réfléchir aux réminiscences en elles-mêmes. Et ça devient beaucoup trop compliqué pour moi! Embarassed
As-tu cherché dans les études de psychologies et de philosophie?

Par contre, il m'arrive aussi d'avoir des réminiscences. Elles n'apportent pas forcément une sensation de plaisir mais plutôt d'amertume car elles remettent en lumières des événements qui devraient rester dans le passé et non pas resurgir dans ma vie présente.
Pas d'inquiétudes, je ne parle pas de grands traumatismes cheese., c'est des épisodes d'une grande banalité que chacun a pu vivre.

Je ne sais si c'est bien claire. Je suis fatiguée Sleep
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptySam 19 Jan 2013, 09:50

Bonjour à tous,
Un peu par hasard, je suis tombé sur votre forum où les questions de Paminode et les réponses qui ont suivi ont percuté de plein fouet mes préoccupations .
Je ne résiste pas à l’envie d’y mettre mon grain de sel.

- une réminiscence spontanée peut-elle conduire à un sentiment de "sortie de la temporalité" ?

Je crois que pour le narrateur il y a d’abord un sentiment inanalysé : plaisir et même bonheur, sur lequel il s’interroge ( Pourquoi ressentir le goût d'une simple madeleine le rend-il si heureux ?) Dans un deuxième temps, il comprend que ce bonheur vient du réveil en lui d’un moi à la fois présent et passé, donc ni présent ni passé, hors du temps. Comme dit Bulma :"Il est hors du temps, justement parce qu'il est dans le temps (passé et présent)"Il cesse alors de souffrir de ces intermittences du moi, de cette multiplicité des moi qui se succèdent en lui.
- si c’est le cas, cette "sortie de la temporalité" peut-elle conduire au sentiment d’échapper à la mort ?
Je crois que cela dépend du sens qu'on donne au mot "mort". Pour Proust, il ne s'agit pas de la mort biologique : on meurt à chaque instant puisqu'on change, puisqu'on est une succession de moi différents. Bref, vivre, c'est mourir. Jean Baudrillard, Philippe Ariès, ont parlé de cette "mort inversée" qui caractérise notre époque ( à partir de la guerre de 14-18 en gros) où la mort est refoulée, cachée et en conséquence imprègne toute la vie.
Concernant la vraie mort, ,la mort biologique, à mon avis Marie Kiss la Joue a raison :" le narrateur déclare que pendant ces réminiscences, l'idée de la mort lui est égale. Selon moi, ça ne signifie pas forcément qu'il se sent immortel, mais plutôt qu'il cesse d'y penser

- si de nouveau c’est le cas, ce sentiment d’échapper à la mort peut-il conduire à un sentiment si intense de plaisir, ou même à un simple soulagement, moins profond ?
- tout cela peut-il se faire sur un mode inconscient ?
On ne peut pas parler de simple soulagement. Il s'agit d'un sentiment explosif : plaisir, bonheur mais qui est d'abord inexpliqué. Le narrateur ressent d'abord et analyse ensuite
"ce n'est pas inconscient, mais conscient puisque le narrateur y réfléchit." dit Bulma. Je crois que c'est d'abord peut-être pas inconscient mais non pensé, hors de la raison. Puis vient la réflexion.
( Comme j'arrive après la bataille, je m'arrête là pour l'instant...Si la discussion repart, je reviendrai)
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyLun 21 Jan 2013, 06:44

oui, c'est un sujet un peu refroidi, et pointu. Pour te donner un avis ou une réponse, il faudrait se replonger dans le sujet, voire l'etudier, et j'aime mieux lire l'oeuvre que m'immerger chez Tadié , compagnon, ou un autre. Butor a écrit de tres belles choses, en fragments courts, -ce qui est préférable pour moi au Deleuze que j'ai sur mes rayonnages, et dont je diffère sans cesse la lecture.

En revanche on aimerait avoir ton avis sur d'autres auteurs ou sujets comme le chef d'oeuvre , par exemple.
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyLun 21 Jan 2013, 16:48

Bonjour Rotko,
Faut-il se plonger dans les analyses de la Recherche ? Après en avoir lu un certain nombre, j’ai un peu arrêté depuis quelque temps même si beaucoup m’ont passionné : la biographie de Tadié par exemple ou Proust ou le roman de la différence de Serge Gaubert ( un pavé mais qui vaut le coup). Dans Proust et les signes, il y a des choses intéressantes sur le rapport entre l’expérience de la réminiscence et l’expérience de l’écriture, sur la cathédrale et les petites chapelles. Dernièrement j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le hors série de Philosophie Magazine sur Proust.
Mais un abus de lectures critiques peut sans doute aussi empêcher de bien lire l’œuvre, dans toutes ses dimensions, l’esprit libre.
Comme toi je pense que l’essentiel est de plonger dans la Recherche. Il y a longtemps, j'avais entamé du côté de chez Swann et m’êtais arrêté au bout de quelques pages en me disant « Mais où veut-il en venir ? » Et puis un jour, j’ai attaqué A l’ombre des jeunes filles en fleurs et…c’était parti ! J’ai fait plusieurs fois le tour (je ne dirai pas combien pour ne pas être traité de menteur ou pire de maniaque.) Lors des dernières relectures, je me sentais un peu coupable : il y a tant d’auteurs, certainement passionnants, dont je n’ai même pas ouvert un livre ! Une excuse quand même : à chaque relecture, j’ai fait des découvertes (des liens, des échos, qui m’avaient échappé lors des lectures précédentes).
C’est peut-être ça un chef-d’œuvre : un œuvre qui appelle des lectures multiples, sans fin , dont aucune n'est définitive, n’épuise le sens ?
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MessageSujet: Re: Proust, mort, temps   Proust, mort, temps EmptyLun 21 Jan 2013, 17:10

sterell a écrit:
à chaque relecture, j’ai fait des découvertes (des liens, des échos, qui m’avaient échappé lors des lectures précédentes).
C’est peut-être ça un chef-d’œuvre : un œuvre qui appelle des lectures multiples, sans fin , dont aucune n'est définitive, n’épuise le sens ?

Exactement ! je viens de l'ecrire sur ce fil !

Pour Proust, j'ai commencé par un amour de Swann, livre que j'ai conservé malgré son mauvais état (je l'avais acheté d'occase), et à lire ensuite Combray, j'ai découvert, à reculons pourrait-on dire, les points communs du narrateur avec Swann.

il faut que chacun trouve sa porte d'entrée Smile
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