henry Bauchau, le boulevard periphérique

Le boulevard périphérique;

Autant commencer en douceur, en précisant les rapports du narrateur avec les personnages.

L'histoire actuelle concerne Paule, à l'hopital, et son beau-père, le narrateur, lui rend souvent visite, ainsi que sa propre mère, simplement appelée "la mère". Le narrateur est marié à Argile, et son fils Mikha souffre de la maladie de Paule. Mikha et Paule ont un jeune fils Win.

J'ai dû perdre en route la profession du narrateur : par moments je l'ai cru médecin, à d'autres plus ou moins romancier lui-même, avec l'histoire qu'il raconte de ses rapports, pendant la guerre, avec Stephane, résistant intrépide, sportif patenté qui tire le meilleur parti de ses compagnons d'escalade.

Dans cette histoire passée, en contraste avec Stephane, le compagnon aérien et lumineux, un certain Shadow (le mot signifie ombre), du côté allemand, personnage trouble qui exerce une influence maligne sur ceux qu'il côtoie.

Je dis quelques mots, moi aussi, pour commencer.

J'apprecie beaucoup Bauchau.
J'ai apprecie ce roman triste malgre que la lecture etait eprouvante pour moi. Ce n'est pas gai d'accompagner une personne aimee mortellement malade lors de ses derniers jours.

Les personnages sont tres bien etoffes, tres bien situes, comme dans une piece, les scenes se succedent, les dialogues sont bien representables pour chacun d'eux.

J'ai trouve superbe le message humaniste, le message d'amour qui impreigne tout le recit.

Je reviendrai en dire encore.

Je n’ai pas beaucoup de temps, ce soir, et il en faudrait énormément pour parler, si possible avec justesse, d’un livre empli de nuances, complexe, et qu’on lit, submergé par ses propres émotions.
J’ai été très sensible à ce cheminement symbolisé par le boulevard périphérique, une sorte d’enroulement qui ne saurait s’arrêter, à l’image de la vie, tantôt lent, tantôt plus rapide, souvent monotone et gris.
J’ai aimé la démarche du narrateur qui, chaque jour, vient à l’hôpital aolrs qu’il a conscience que ses visites ne servent à rien, qu’il ne sert à rien. Il vient quand même, habité par une infinie compassion qu’il n’exprime que par sa venue.
Il y a aussi cette espérance, toujours là, même quand, à l’évidence, il n’y a plus rien à espérer. Enfin, je retiens pour l’instant cette construction magistrale qui fait que Bauchau nous entraîne finalement à plusieurs âges de la vie en allant d’une époque à une autre, d’un personnage à un autre, d’une affection à une autre. C’est d’autant plus émouvant qu’on sait bien que Bauchau a largement conscience que l’essentiel de sa vie est derrière lui.

moi j'en ai très envie mais je n'en ai pas le temps ce mois ci pfff j'adore Bauchau

J'ai séparé les messages concernant le boulevard périphérique des autres oeuvres d'Henri Bauchau. Il avait été convenu que les échanges commençaient vers le 20 avril jusqu'à une date indéterminée.

Ce boulevard devient donc une lecture accompagnée, à laquelle chacun pourra prendre part, comme plusieurs grains en expriment le désir.

Il me semble que ce livre est disponible à ma médiathèque. Je fonce demain le chercher. J'essaierai de vous rattraper en cours de route. Je suis en vacances cette semaine et vu le temps, c'est parfait pour attaquer les piles de bouquins!

Ysandre, si tu trouves ce livre, lis-le sans hésiter : non seulement il est excellent mais en outre, je suis persuadée qu'il devrait te "plaire", si j'ose dire

J'ai trouvé à la bibliothèque un petit livre de Bauchau (70 pages chez Actes Sud), intitulé Temps du rêve. Je n'ai lu que la préface dans laquelle l'auteur dit qu'il s'agit d'un texte écrit à 20 ans, à un moment où il sortait "d'un grand amour brisé". Du coup, il a repensé à son premier grand amour vécu à onze ans alors que l'élue en avait sept. Il ajoute que "certains épisodes de [ses] autres livres sont indirectement en rapport avec lui". En particulier dans Boulevard périphérique, "l'étang où Stéphane, qui ne sait pas nager, échappe d'un bond superbe aux SS qui allaient le fusiller." Il précise également qu'il a dicté son dernier livre L'enfant rieur, "[sa] main ne pouvant plus écrire" et il a cette superbe phrase finale :

Citation :

C'est un fait de l'âge, c'est aussi le signe que nous n'écrivons que ce que le monde, dans son évolution, nous permet de dire.

Je note "Temps du rêve", Nicyrle, tout ce qui touceh Bauchau m'interesse. Il a beaucoup parle dans ceratains de ses livres comme "Les annees difficiles" , p.ex comment il a ecrit ses autres livres.
Je me prepare a lire "L'enfant rieur" en Belgique ou je sera depuis le 22 mai, je ne sais pas pourquoi j'ai decide comme ca .

Mais ce fil est sur le "Boulevard peripherique" que l'auteur prend chaque jour soit en metro, siot en voiture et le livre est une sorte de carnet de voyages. Il y a la maladie mortelle, la mort attendue de sa jeune belle-fille Paule qui fait evoquer le souvenir et la mort mysterieuse de son ami de jeunesse Stephane.
C'est bouleversant comment l'age avance (plus de 90 ans) de l'auteur est toujours presente lorsqu'il parle de ces eux etres jeunes Paule et Stepahe. On sent le viel homme face aux jeunes personnes dans le recit.
Une narration extremement souple qui laisse la pensee passer facilement du present aux souvenirs. Plein de scenes, d'images nous tansportent dans le recit surle present et celui sur le passe. C'est genial, unique! Tourtes mes admirations a Bauchau!

J'achève ce tout petit livre délicieux de Bauchau : Temps du rêve. Peut-être devrais-je en parler plutôt sur le fil général consacré à l'auteur, Nestor en jugera
Comme je l'ai dit précédemment, Bauchau lui-même souligne le rapport entre ce texte et Boulevard périohérique. Je trouve aussi symbolique et touchant que ce thème de l'amour impossible ait en quelque sorte hanté l'auteur des années durant, depuis le temps donc de son tout premier écrit (daté de 1936 et signé d'un pseudonyme, Jean Remoire, parce que, explique-t-il, il se sentait peu sûr de lui et ne voulait pas compromettre son avenir littéraire !) jusqu'à celui de ses dernières créations.
Ce récit d'amour enfantine est empli de poésie. A la fin de la préface, Bauchau constate qu'il "n'écrirai[t] plus ainsi maintenant." "Mon écriture, ajoute-t-il, par force, est devenue plus minimaliste. Le "par force" semble indiquer qu'il le regrette. J'avoue être très sensible au lyrisme discret de Temps du rêve :

Citation :

Il traînait aussi ce soir où la prairie devant le perron exhalait sa senteur chaude où se mêlaient l'alanguissante haleine des roses, l'éclatement capiteux des rhododendrons, les lourds relents de vase venus de l'étang tout proche, si noir soudain sous les bouleaux légers.

Et voici la belle !

Citation :

... cependant Inngué bondit, exultante, cabriole sur elle-même, étouffe de rires comprimés qui éclatent en trillements azurés.
Elle se suspend des guirlandes de cerises aux oreilles, prend des mines, esquisse les premiers pas d'une danse triomphale...
Blonde, chantante, effarouchée et hardie, on dirait un oiseau enivré de soleil, un chardonneret sur une branche.

Bauchau exprime magnifiquement l'éblouissement du premier amour, suivi du désenchantement lié à l'impossiblité de voir aboutir quoi que ce soit à cet âge tendre soumis à la "dépendance à nos familles". Il montre aussi comment cette expérience décisive a conditionné en somme sa recherche d'illuminations autres dans l'imaginaire.

le boulevard périphérique

Puisqu'il est passé en lecture accompagnée, on va donc s'interroger ensemble sur les personnages et leurs relations.

On pourrait aussi parler de la façon de raconter, sur deux plans : les visites du narrateur à Paule, atteinte d'un cancer à l'hopital, et la résurgence des souvenirs du narrateur, avec le personnage de Stéphane pendant la deuxième guerre mondiale.

Qui est ce narrateur : un écrivain qui parfois fait état de patient(e)s, serait-il un psy à la retraite, travaillé par les epreuves présente et passées, dont la maladie d'une belle-fille très proche et l'imminence de sa propre vieillesse.

Entre Paule présente et Stéphane, des points communs ; lui était "l'homme de l'acte", elle, "faite pour l'action". Stéphane obtenait le meilleur d'autrui, en lui faisant confiance, il jouait le rôle d'un maître qui aide à franchir les caps difficiles, et le narrateur ne serait-il pas celui qui préparerait Paule et l'assisterait dans "l'épreuve de vérité" ?

Héritage d'un enseignement reçu que le narrateur transmettrait à son tour, lui qui avec Paule comme avec Stéphane s'est senti immédiatement en proche contact.

Le ton de la confidence personnelle dans le récit laisse parfois place au témoignage d'une femme sous l'occupation : comment agir de manière responsable, tout en gardant sa dignité, ne pas s'incliner honteusement devant l'adversité. Stéphane fera des choix contre la soumission à l'occupant.

On sent bien que les différents épisodes joueront un rôle ultérieurement, que la mort de Stéphane obsède le narrateur ; il en dira plus sur les liens tissés avec ce compagnon de varappe dans "les passes difficiles".

Il me semble que Bauchau incite son lecteur à le retrouver dans le narrateur : il a un certain âge, tout comme Bauchau au moment de la rédaction de ce roman, le thème de la vieillesse est d’ailleurs très présent, il est question de « patientes » et l’on connaît le passé de psychanalyste de l’auteur. On sait aussi que Bauchau a vécu la mort de plusieurs proches.
J’ai été frappée, à la toute première page, de l’importance accordée par le narrateur, et, dit-il, par sa belle-fille Paule, à ceci :

Citation :

Les racines, les liens entremêlés, les façons de vivre de ce clan auquel son mari et son petit garçon, souvent à leur insu, appartiennent si fort et avec qui elle a conclu alliance.

Dans la suite du roman, on passera sans cesse de l’enfance à la jeunesse, à la vieillesse et à la mort. En outre, plus le roman avancera, plus l’insolite boulevard périphérique deviendra la métaphore du chemin de la vie pour quiconque jusqu’à sa fin inéluctable même si, à l’inverse de ce qui se passait encore au XIXe siècle,

Citation :

maintenant on parle du sexe et on a caché la mort.

Réflexion qu’on trouve à la fin du premier chapitre, lequel, une fois la lecture achevée, me paraît fondamental pour mieux appréhender la suite. Car, dès ce chapitre encore, est évoqué Stéphane, l’ami assassiné qui restera éternellement jeune et par là, très semblable à la jeune femme couchée sur son lit d’hôpital. D’ailleurs, s’il est présenté comme « un homme de l’acte », d’elle aussi, dit le narrateur un peu pus loin, p. 30 :

Citation :

Toute sa personne rapide, efficace est faite pour l’action…

Le temps évidemment est un thème essentiel, étroitement lié à celui de la mort d’êtres jeunes, comme à celle de l’homme qui parle et sait qu’elle l’attend ; les souvenirs surgissent et se mêlent au présent.
J’ai noté cette phrase de Bauchau, prononcée lors d’une interview :

Citation :

Nous sommes multiples... Nous vivons à la fois dans tellement de périodes de notre vie en une journée. La vérité est peut-être là... Je tiens toujours à lier ce qui advient, ce qui a lieu, à une certaine situation de l'époque. C'est pourquoi mes architectures romanesques sont soumises à la pensée associative.

D’accord pour penser que le boulevard périphérique est une métaphore de la vie de l’auteur, « de la belle aube au triste soir », mais je me demande si les protagonistes mis en scène sont conformes au modèle vivants ou retravaillés par l’écrivain : il se nourrit d’eux, les transforme en symboles sur lesquels se penche sa méditation.

Stéphane, sorte d’Ariel, irradie la joie, la facilité, la légèreté et la lumière : c’est un personnage idéalisé auquel nul autre n’est comparable. Il semblerait avoir trouvé avec le narrateur le compagnon idéal qu’il hisse à sa hauteur.

A plusieurs reprises des indices font penser à une attirance homosexuelle, l’absence de filles que tous les deux remarquent, la proximité des corps, les regards qui en disent la beauté. Le thème est d’abord esquissé, esquivé, puis devient patent

«  je me suis souvent reproché de n’avoir pas répondu à l’amour de stéphane. Cette nuit, je vois dans les intervalles des moments où mon attention se fixe sur chaque muscle, que nous avons eu de l’amour la plus belle partie, ses approches, ses surprises, ses découvertes. […]Il se contentait de cette vive amitié, de cette forme d’amour qui ne souhaitait pas dire son nom. »

«  Il avait eu de toi le meilleur, tous les préliminaires, il laissait à d’autres l’ amour qui se réalise » dit Shadow.

Ce dernier, « génie du mal et géant des services secrets », on voit mal comment il pourrait être le personnage originaire sans être repassé dans le moule de l’écrivain, ce qui explique tous les détails connus de leur amitié, de leurs fréquentations communes d’un « guide spirituel », y compris le désir de Shadow agonisant de voir l’auteur.

Shadow, génie satanique (le mot revient à plusieurs reprises), archétype de la pesanteur et du Mal.

« le visage de Shadow est un visage dans lequel on pourrait tomber », pris par un vertige dont témoignent de fait ceux qui se sont pris dans ses filets : l’ami d’enfance devenu SS, ou Marguerite, aux petits soins pour l’ennemi combattu par son mari.

Ces figures-symboles du souvenir, réactualisées pendant les nuits et travaillées par l’écriture, confèrent au récit une tonalité sinon religieuse, du moins spirituelle :

 «  l’amour de Dieu a éclairé ma vie par signes et intermittents. Les intermittences de Dieu, c’est la réalité que j’ai vécue. Cela m’a éclairé parfois illuminé, mais c’est l’amour humains qui m’a réchauffé. »

Restera à voir la fascination de Shadow pour Stéphane …

Je suis tout à fait convaincue que Bauchau recrée ses personnages à partir d'êtres réels, y compris quand il semble parler de lui-même à travers le narrateur.

J'ai noté une habileté à ne révéler de chacun ni son intimité profonde ni son mystère, nous ne connaissons que ce qu'en a vu ou perçu le narrateur avec une objectivité presque tatillonne. C'est particulièrement frappant, je trouve, pour Paule : jamais, si je ne me trompe, nous n'avons accès à sa pensée, à ses états-d'âme, à moins qu'elle n'en parle justement.

Le thème de l'homosexualité est présent certes mais, me semble-t-il sans la dimension sexuelle, comme si la relation était présentée comme ce qu'on peut imaginer de plus parfait dans l'amour etqu'on ne trouverait pas dans l'amitié en tant que telle. C'est un aspect intéressant et troublant à la fois "Il laissait à d'autres l'amour qui se réalise" dit Shadow dans une phrase que tu as d'ailleurs relevée. J'ai relevé celui-ci, p. 58 :

Citation :

Ce qui se passe ici et maintenant, ce qui nous a poussés à venir ici l'un et l'autre à travers tant de difficultés, il est clair que si nous étions un homme et une femme on penserait que c'est l'amour. Et c'est cela sans doute, je suis prêt, lui aussi peut-être, à le reconnaître mais je suis arrêté parce qu'il n'y a entre nous ni désir ni possession. Il n'entrera pas dans mon avoir, ni moi dans le sien. Il est hors mots d'amour, hors mots sexuels.

Dans le passage que tu reprends un peu plus loin dans le livre, il y a cette phrase essentielle à mes yeux que tu ne cites pas :

Citation :

Stéphane sans doute ne désirait rien d'autre. Il avait bien saisi dans quels conflits m'aurait plongé un amour qui aurait tenté de se réaliser. Il n'avait rien d'un frustré, tout iundiquait en lui qu'il connaissait le plaisir, des plaisirs. Il en partageait certains avec moi.

Reste à s'interroger sur la nature du regret néanmoins exprimé par le narrateur. Il me semble qu'il regrette de n'avoir pas eu l'opportunité ou le temps d'approfondir sa relation spirituelle avec Stéphane, tant il a perçu une proximité intense entre eux deux à plusieurs reprises, sans que cela passe par les mots mais essentiellement par le regard que chacun a posé sur l'autre.

je crois que je vais le commander... vous me donnez vraiment envie de le lire... comme vous en parlez !

je viens de le terminer. et j'adhère complètement à tout ce qu'en dit Nicyrle
je ne refais pas de "topos" mais c'est un grand roman, très éprouvant et émouvant. j'ai eu dernièrement u nde mes amis qui a vécu justement sa "Paule" et franchement je retrouvais tout ce qu'il avait pu nous raconter sur son désespoir et surtout sur la fatalité de ces derniers instants.
bref très fort Henry Bauchau, tous les sujets sont abordés avec pudeur et sans voyeurisme.
En ce qui concerne Stéphane j'ai eu le ressenti effectivement d'un amour mais je n'ai pas pensé à l'homosexualité mais à un amour inoubliable et très fort.

je n'ai pas su non plus quelle était la profession de ce narrateur

darabesque a écrit:

je viens de le terminer. et j'adhère complètement à tout ce qu'en dit Nicyrle
je ne refais pas de "topos" mais c'est un grand roman, très éprouvant et émouvant. j'ai eu dernièrement u nde mes amis qui a vécu justement sa "Paule" et franchement je retrouvais tout ce qu'il avait pu nous raconter sur son désespoir et surtout sur la fatalité de ces derniers instants.
bref très fort Henry Bauchau, tous les sujets sont abordés avec pudeur et sans voyeurisme.
En ce qui concerne Stéphane j'ai eu le ressenti effectivement d'un amour mais je n'ai pas pensé à l'homosexualité mais à un amour inoubliable et très fort.

je n'ai pas su non plus quelle était la profession de ce narrateur

On la devine : au chapitre 1, le narrateur feuillette un livre prêté par "une patiente". Il est donc probablement médecin. Plus loin, le chapitre 12 commence ainsi :

Citation :

Je suis dans le petit bureau où je reçois mes patients. J'écoute, j'écoute des souffrances, des actes manqués, de faux espoirs. J'écoute des rêves, des piétinements, des élans. Aujourd'hui c'est un anneau d'une chaîne, d'une longue chaîne de paroles, de silences, de recherches.

C'est donc un médecin de l'âme et comme Bauchau est psychanlyste, on a encore plus tendance à identifier l'un à l'autre.

Oui Nicyrle c'est un peu ce que j'ai pensé
n'empèche quel talent pour faire passer tant de sentiments dans un roman !!

oui, c'est pourquoi je ne pense pas utile de commenter ce qui se passe dans la chambre de Paule : la présence réconfortante des proches - qui n'ont entre eux rien de commun, sinon une certaine "bonne volonté" pour le soutien moral, et de l'affliction. On en éprouve des choses dans un chambre de malade, et chacun y jour un rôle plus ou moins de composition.

La mort reste le thème essentiel, y compris dans le récit du "narrateur-auteur", d'où le ton de "confidence" que je remarquais. Il s'interroge en effet, vu son âge et la situation de Paule, sur la mort de Stephane : comment est-elle survenue, comment l'a-t-il affrontée, et il recueille des renseignements ou un témoignage auprès de Shadow, lui-même sur le départ.

A Shadow, personnage réel revu et corrigé par son expérience d'ami de Stéphane et d'écrivain, il attribue une fascination pour Stéphane : c'est la sienne, et je crois difficilement qu'un ennemi aussi opérationnel, ait donné tant d'attention à un adversaire, à moins de vouloir le détruire par la connaissance de ses points faibles.

On ne sait pas tout, bien des éléments restent dans l'ombre, et dans les interrogations du narrateur.

Ainsi on ne saura pas non plus comment Paule s'est préparée ou a été préparée à la mort, qui reste une épreuve individuelle.

Bonjour les grains,

Je suis de retour ...

Je n'ai pas encore lu vos commentaires ... C'est pô bien, mais je ne veux pas être influencée.
Que dire de ce livre? Il m'a ému aux larmes qui ont coulé naturellement et longtemps à certains passages. J'ai dû arrêter la lecture, faire autre chose puis reprendre. Bref, comme vous, je suppose.

Nous ne pouvons sortir indemnes d'une lecture de Bauchau.
Le Boulevard Périphérique est celui qu’emprunte le narrateur pour aller rendre visite à Paule, sa belle-fille, atteinte d’un cancer. Mais n’est-il pas également la métaphore de son long cheminement intérieur pour rassembler ses souvenirs autour de Stéphane, son compagnon de varappe ?
L’écriture de Bauchau est une écriture de la justesse, de l’écoute : il sait employer la phrase, les mots pour exprimer les maux, l’émotion. Même quand il ne peut plus les dire, lorsqu’il parle à Mykha, son fils, les larmes viennent prendre le relais et nous pleurons avec lui, naturellement. Nous l’accompagnons dans notre condition d’humains.

Au-delà du thème de la mort étroitement liée à celui de la maladie, j'ai été intriguée par l'importance accordée au regard. Puis je me suis souvenue d'un texte de Jorge Semprun, de L'écriture ou la vie, où il évoque sa brutale découverte de "rescapé" dans les yeux de ses libérateurs. Alors, finalement, je vais vous livrer ma lecture du Boulevard intérieur de Bauchau à travers des extraits dans lesquels le regard sera omniprésent. Après tout,en y réfléchissant le regard, c'est la vie, c'est le centre du visage, c'est lui qui véhiculent les émotions!
L’extrait que je vous propose se situe au début du livre. Les deux hommes ont fait sécher leurs vêtements et se contemple. La scène est presque cinématographique, un amour est-il en train de naître entre eux ? Une amitié basée sur l’admiration et la confiance ? Tout passe à travers le regard du narrateur posé sur Stéphane puis de celui de Stéphane posé sur lui. Une réflexion sur la fonction de l’homme se dessine. Bauchau dit que la socialisation de l’homme se fait grâce à la femme, sans elle, il n’est qu’instinct ?

Citation :

Je le regarde seulement à travers la fumée et le trouve beau. Mon corps plus fragile, plus nerveux que le sien se reconnaît dans l’image, dans la juste proportion de sa forme. Il lève les yeux et voyant que je le regarde il me regarde aussi. Nos yeux ne se rencontrent pas, il regarde mon corps, je regarde le sien. Je vois qu’il admire comme j’admire. Ce n’est pas moi qu’il admire, mais cette forme déliée, un peu grêle, un peu aiguë de l’homme qui est en moi. L’homme qui jette ses actes et sa semence, qui ne porte pas d’enfant, qui ne porte pas la durée. L’homme éphémère, joueur, qui s’amuse avec le rocher. Jamais je n’ai compris comme en cet instant combien l’homme, le mâle, est gratuit en somme, fait pour le jeu, la guerre. La femme, l’enfant l’entraînent vers le travail, la civilisation. Mais lui, Stéphane, l’homme jeune sans femme, sans enfant, il peut chanter avec les garçons de son chantier Travail tient debout de sa belle voix profonde. On voit, je vois à ce moment qu’il n’a nul besoin du travail pour tenir debout. Sobre, industrieux comme il l’est, il pourrait très bien vivre dans un monde sauvage. Il y serait plus heureux peut-être, il n’y courrait sans doute pas les risques dans lesquels moi et mes pareils avec nos idéaux, nos idées, nos plans, notre volonté de donner un sens à la vie, nous nous engageons. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi à nous voir sans nous regarder, quelques instants peut-être ou peut-être quelques minutes. Dans la casserole qu’il a posée sur deux bûches pour le thé, l’eau s’est mise à bouillir. Nos yeux se rencontrent, il a eu une sorte de sourire silencieux, la bouche fermée mais les yeux rayonnants de gaieté et de sympathie. Je souris aussi, je suis même sur le point de parler, de casser ce moment parfait. Nous nous asseyons tous les deux.
(pp.24-25, Acte Sud, Babel, 2008)

Dès l’instant où leurs yeux se rencontrent, une reconnaissance apparaît, un sourire s’esquisse. La communication est silencieuse et tout se joue dans les regards renvoyés, dans cette communion entre les deux hommes. On devine dans ce passage (il y en d'autres) toute l'admiration du narrateur pour Stéphane. Il envie son côté "animal, instinctif" , son intelligence du monde extérieur.
Tout au long du roman, cette communication par le regard m'a émue, bouleversée. Les yeux sont le miroir de notre âme.

A bientôt.

nicyrle a écrit:

Bien "vu" , Esperluette, bravo

Nicyrle!

J'ai lu vos commentaires et je suis touchée comme vous par la beauté de la relation entre le narrateur et Stéphane. Et j'ai vu une amorce de relation homosexuelle sans passage à l'acte. L'amour pur, fraternel.
En fait je crois que je me suis tout particulièrement concentrée sur le thème du regard comme je le disais (ma lecture est donc très orientée et j'ai laissé de côté beaucoup de pistes ).
Une scène me revient cependant lorsque le narrateur évoque l'importance de la mère comme figure symbolique lorsqu'il évoque la relation mère-fille. (Je dois retrouver le passage).

Je reviendrai avec l'extrait de Semprun auquel je pensais!
A demain.

Je lis avec une grande attention ce que vous avez écrit sur ce livre et sur l’auteur.
J’ai le cœur lourd quand je pense que j’avais dans mes mains ce livre en français et j’ai dû le rendre à cause de mon problème de vue : je lis avec un seul œil, pour le moment et je ne suis pas à plaindre, tout passe et sur l’ordinateur pas dededproblème´. . En lisant vos commentaires, Nicyrle, Esperluette, Rotko et d’autres, je suis le livre et les événements, le parcours du narrateur, ses pensées, ses souvenirs, ses angoisses. Toute sa vie, enfance, jeunesse et son propre déclin proche.
Sans négliger d’autres participants, il faut le dire Nicyrle, Esperluette et Rotko votre analyse m’a touché droit au cœur car vous avez réussi à me faire aimer ce livre que je lirai, sans aucun doute en attente de ma guérison.

Je ne te souhaite pas du courage, Amadak, car il est évident que tu enas beaucoup. Tu es patiente aussi, un jour tu liras ce livre, j'en suis sûre et tu reviendras mettre pour nous ton grain de sel !

Pour Nicyrle: chère amie, j'apprécie tes beaux mots sur mon courage et tu as raison,je ne laisse pas tomber les bras, le stress m'avait fait plus de mal et je suis optimiste, cela va passer. Le fait de pouvoir lire sur GDS est déjá une sorte de bonheur et moi je me nourris de ce que vous écrivez; ma participation est modeste pour le moment, je fait ce que je peux et je suis sûre de lire un jour le livre de Bauchau.

un grand merci

Bonjour Amadak,

Je suis contente de te retrouver et je suis vraiment désolée de lire ces nouvelles. Mais tu me sembles une personne très courageuse alors j'aime te lire également.
Au plaisir.

Je reviens avec l'extrait de Semprun auquel je pensais en espérant ne pas être hors sujet.