Petit texte

Les longs doigts de lumière fouillaient l'herbe du parc, à la recherche d'oeufs, de coquillages et de bijoux perdus. Une brume blonde, doucement électrique, embrassait le sol froid que le soleil chauffait.
- En été, le soleil fait apparaître des taches, ici, et là, dit Sylvie en découvrant un peu sa gorge.
Babette songeait. Le soleil lui donnait des taches également, de longues taches, de vastes taches violettes, parfumées et sonores, quand elle fermait les yeux et les rouvrait à l'intérieur d'elle-même. Elle songeait. Un chien avait aboyé. Un homme avait sifflé. Un coq avait chanté en pleine nuit; il avait poussé son cri rauque et rouge, couleur de crête, et tout à coup la ville était devenue campagne; à la lueur de l'éclair elle avait aperçu un chemin à travers les champs, qui se prolongeait - dans quelle direction? vers des campagnes et des campagnes, puis la mer; et ce fut tout, elle se rendormit.
Sylvie s'ennuyait. Pas elle. A chaque battement de cils elle s'arrachait à la contemplation des oeufs décorés, des coquillages roses et des pièces d'or (habituellement jetées dans l'eau des fontaines). Elle ne grelottait plus.
Les branches vertes se balançaient, se balançaient sans cesse au dessus de leurs têtes; le soleil traversait les feuilles et les aiguilles translucides pour tomber en flaques sur le sol au milieu des pommes de pins.
Sylvie alluma une cigarette; là où Babette examinait des enluminures et de petits astres, elle ne voyait qu'une pelouse, une pelouse partagée entre l'ombre et la lumière. Il y avait l'ombre de Babette, et il y avait la sienne, toutes deux fort longues (elles touchaient presque le banc d'à-côté), à cause du matin.
Babette avait emporté un livre qu'elle n'avait pas ouvert, le même livre dans le même sac qu'elle emportait toujours. C'était un livre épais, si léger pourtant (elle avait déjà eu l'occasion d'en apprécier le poids), si léger qu'elle avait peine à croire qu'il contenait des mots ou des phrases; elle avait cru l'avoir rêvé, mais il était là, de nouveau, la couverture foncée dépassait du sac. Quelle espèce d'histoire un tel livre pouvait-il bien raconter? se demandait-elle encore en écrasant sa cigarette contre le siège.
Les nuages étaient complétement déchiquetés. Le vent en balayait les charpies dans un souffle continu tandis qu'ils défilaient, glissaient au dessus des toits.
- Ils ont des formes, dit Babette, indéfinies et particulières, on dit qu'ils sont informes. Ils ne ressemblent pas à des animaux, ni à des objets, ils ont leurs formes propres, et comme ils ne ressemblent à rien de connu on dit qu'ils sont informes.
- Celui-là ressemble à un avion, rétorqua Sylvie.
Elle se demandait ce qu'il lui avait pris, ce qu'il lui avait pris de s'asseoir là, à côté de Babette. Et maintenant elle gesticulait, ne sachant comment se remettre debout pour partir. Elle alluma une autre cigarette.
Babette avait repéré un chemin, un petit sentier dans l'herbe. La pelouse était encore fraîche, presque humide, excepté aux endroits ensoleillés. Elle s'enfonça dans l'ombre verte du sentier. Il ne menait à rien, elle le savait, comme l'impasse située derrière le jardin, l'impasse faite d'herbe, d'ombre et de thuyas. Elle s'était mise à plat ventre pour suivre les ombres qui dansaient dans la lumière du voisinage. Des voix, des bribes d'histoire naissaient et mouraient dans les jardins des autres, derrière les branches; et dans les arbres étaient de petites fenêtres, des lanternes, des mots magiques et des souvenirs oubliés. Des signes se balançaient au sommet des grands bouleaux. Les petites feuilles des peupliers s'agitaient et papillotaient, sombres et claires. Une porte se découpait dans la haie. Un jour elle avait été ouverte. Babette écouta. C'était Sylvie qui s'éloignait.

De belles trouvailles poétiques, une atmosphère onirique... on se laisse prendre, j'aime bien...
Si je peux me permettre cependant, une petite réserve à propos des deux derniers paragraphes qui me semblent peut-être un peu moins soignés ?

Merci pour le commentaire.
La fin est bâclée, c'est vrai. Je retravaillerai le tout.

je trouve que dans l'ensemble la langue est soignée.

J'ai deux questions

- je suis surpris par certaines reprises d'expression, je les sens concertées, mais dans quelle intention ?

- ma 2e question : je ne comprends pas bien la fin.

Pour ce qui est de mes intentions, je ne sais trop quoi dire; j'ai écrit ce qui me passait par la tête.
En ce qui concerne la fin, je voulais faire émerger un souvenir d'enfance de Babette : la pelouse du parc lui rappelle un lieu situé derrière son jardin, d'où elle pouvait entendre des voix dans le voisinage. Mais la fin est mal écrite.

Mise au diapason des rideaux
S'ample la chambre où s'entend l'ombre
Née d'été des étoffes sombres
Murmurer comme à demi-mot

Dedans le soleil alcôvé
Se songent de possibles heures
D'autres jours de même couleur
Des champs des chemins des forêts

Le coeur embrasuré s'éveille
En la saison des pièces vides
Et tel une fenêtre avide
S'ouvre à de futures merveilles

tu aurais pu lui donner un titre moins général, il mérite mieux !

je trouve qu'il va bien avec ton avatar, les chemins des forêts...

ton texte est musical, on l'entend notamment avec les rimes sourdes dans le premier quatrain, et plus sonores dans le dernier.

Mais je veux pas couper l'herbe sous les pieds des lecteurs

Merci. Je ne savais pas quel titre lui donner

Au midi de la chambre close
Et pleine d'ombre colorée
Son long fantôme fatigué
Reprendra vie parmi les choses

La forme de son nom chéri
Résonnera dedans la pièce
En voyelles n'ayant de cesse
A mes oreilles sans abri

Nulle paupière voilera
Deux éclats d'un brillant soleil
Pareils un permanent réveil
A la nuit des yeux d'autrefois

Son corps songé sera la cause
D'un sombrement pourpre parfum
Qui gagnera chaque recoin
Au midi de la chambre close