Lui, et Torwald ( nouvelle)

Pendant longtemps, il est resté le même, franc, souriant, agréable à vivre. On disait de lui qu'il avait un heureux caractère. On ajoutait qu'il avait le don de l'amitié, et c'était vrai. Jean-François avait de nombreux amis, anciens et nouveaux : il attirait les autres par sa gentillesse, par sa disponibilité. Elevé dans une large famille, il avait pris l'habitude de se couler souplement dans toutes les situations en gardant le sourire, en faisant attention à ne heurter personne, en utilisant son empathie.

Jusqu'au jour où il a rencontré Torwald.

Torwald ne croit en rien, n'aime rien, ne s'arrête à rien. Torwald dit qu'il n'a peur de rien, et que rien ne lui résiste. Torwald crache sur tout, ne fait jamais de compliment, n'a aucune compassion pour personne, ment comme il respire, se dresse comme une vipère contre tous ceux qui auraient l'audace de s'en prendre à lui, à ses dessins, à ses tableaux, à ses textes, à ses musiques. Torwald n'accepte aucune critique, Torwald est intouchable.

Jean-François soudain découvre le pouvoir de Torwald. Il l'admire. Il veut lui ressembler. Il s'aperçoit que c'est facile, très facile : il suffit de ne plus aimer personne. Quel repos ! soudain, le monde semble lisse et sans aspérités : " Ne plus aimer, c'est aussi ne plus souffrir ", a dit Torwald. Il lance ainsi des phrases corrosives qui creusent leurs tunnels dans le coeur et l'esprit de Jean-François. Des phrases qui ne s'effacent pas.

Jean-François commence par ne plus sourire. Ses proches en sont gravement blessés. En classe, il répond aux manifestations d'humour de ses élèves par des traits sarcastiques de plus en plus méchants. Les enfants ne comprennent pas, pensent qu'il s'agit d'un nouveau jeu, tentent de lui répondre sur le même ton ; ils se retrouvent en fort mauvaise posture dans le bureau du directeur. Lequel, au bout de trois mois, commence de froncer les sourcils chaque fois qu'on mentionne devant lui le nom de Jean-François.

Celui-ci ne fait plus l'amour, il n'en parle plus : il fait sexe, et c'est marre. Il a remplacé les mots doux par des termes qui font rougir Laetitia. Il la prend brutalement et la laisse de même, sans un mot. Torwald lui a dit que les femmes n'ont rien à dire sur ce sujet là. Ils ont bien ri.

Ils rient ensemble. Torwald, et Jean-François. Ils ne rient qu'ensemble. Plus personne n'ose rire maintenant en présence de Jean-François.

Il a fini par s'en apercevoir, il se demande comment il n'a pas vu plus tôt la sottise du monde qui l'entoure.

Tous des cons. Sauf lui. Et Torwald.

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Lise CC

texte bien corrosif, avec des phrases pointues et bien aiguisées
Lise, tu es redoutable !

Incisif, corrosif... Pourvu que je ne rencontre ni Jean-François ni Torwald ! En tout cas, je suis prévenue, j' m'écarterai de leur chemin sans attendre.

Bravo LiseCC : j'aime beaucoup ce texte.

merci .. hi hi .. ils existent, j'en ai rencontré hélas .. des qui se déteignent ainsi l'un sur l'autre..


Redoutable, suis-je ? ou simplement lucide ? ou la lucidité est-elle redoutable ? et dans ce dernier cas, pourquoi ? je penche que ce serait pour les ceusses dans le style de "torwald", non ?

Je me suis bien amusée en l'écrivant. !

LiseCC a écrit:

merci .. hi hi .. ils existent, j'en ai rencontré hélas .. des qui se déteignent ainsi l'un sur l'autre..


Redoutable, suis-je ? ou simplement lucide ? ou la lucidité est-elle redoutable ? et dans ce dernier cas, pourquoi ? je penche que ce serait pour les ceusses dans le style de "torwald", non ?

Je me suis bien amusée en l'écrivant. !

J'en suis persuadée

le redoutable consiste dans ton style : des phrases courtes qui épinglent tes deux insectes - qui le méritent bien sans aucun doute.
"pas un pour racheter l'autre !"

c'est très facile : tu prends deux extrêmes et tu les caricaturise .. encore, si j'ose dire.. C'est hors humain, je sais ; car on ne rencontre pas ce genre d'individus - l'un aussi faible, et l'autre aussi .. powerful dans sa méchanceté, de nos jours .. Si ? ( enfin, là on touche la monstruosité..)

Mais l'écriture, c'est aussi et surtout cela : aller plus loin que le réel.

Remarque : ils me font un peu peur .. vous voyez pas si je les mettais en vie "pour de vrai " ?

Bonjour Lise,

j'aime beaucoup ton portrait au vitriol de ce Jean-François. Ah l'amitié virile, où peut-elle mener parfois ?

Perspicace a souhait. On en connait tous de cet acabit. les potes qui complotent et finissent par se rendre haissables... ils n'ont que le "nous, on" a la bouche! Quand on est prof, on voit ca aussi... Des gosses tout mignons qui deviennent diaboliques pour ne "pas avoir l'air bete"...

On voit leurs sourires demoniaques, a tes deux personnages...

Bonjour, Jean-Michel ! heureuse de te voir ici !!

Oui, Françoise, ce Torwald, hein ? hélas trois fois, nous en avons tous rencontrés, de cet acabit ..

Bon sang de bonsoir, je vais te me faire une réputation de plume sanglante, moi !!

Attendons le prochain jeu lancé par Kotko et je vous promets une douceur guimauvante à souhait ..

( bon, mais hein, ce Torwald .. je crois que je vais lui donner vie dans tout un recueil de nouvelles, et dans le même style .. qui me suit ?)

LiseCC a écrit:

Je me suis bien amusée en l'écrivant. !

Cruella est de retour ...

Pas si irréels que cela, ces personnages. Ils puisent l'un chez l'autre ce dont ils ont besoin : un miroir, un maître à penser.


(Tiens, ça me rappelle quelqu'un d'omniprésent dans notre quotidien, ça ...)

bien sûr c'est de la fiction !! c'est pas possible tout cela hein? si?
bien sûr que c'est possible, tu as accentué en quelques phrases, mais tout y est et ma foi , je pense que ces deux êtres ne vont pas être heureux longtemps.

J'en connais peut- être pas à ce point mais la domination naturelle d'un être sur un autre, au point de lui faire perdre sa propre personnalité, cela existe hélas. Comment les sectes recrutent-elles à votre avis?

bravo LiseCC

Alors, Torwald est-il une part de Lui, ou un autre ?
Cette intrigue m'évoque la relation:
-Tyler Durden/ "Jack" (chut, on ne souffle pas) dans Fight Club
-Arthur Rimbaud / Paul Verlaine.

Voilà ! après tout, qui nous dit que Torwald existe vraiment ? Il en parle beaucoup, mais personne ne l'a encore vu...
J'ai bien envie de prolonger la nouvelle .
merci, Alfi !

(ALFI ??? -_-")
Allez, révèle-nous la vérité!!!