Chut ! C'est encore bien vague dans ma caboche...

Bonjour.
Bonjour à toutes et à tous.
Vous qui tenez ce livre entre vos mains et qui lisez ces lignes, vous devez être surpris de cette introduction quelque peu déroutante. Vous devez même me trouver bien cavalier de vous aborder de la sorte. Veuillez me pardonner, et permettez-moi de vous donner des explications.
Vous devez tout d’abord savoir que j’ai écrit de nombreux scénarii, noircis des dizaines de pages et que j’en ai déchiré des dizaines d’autres… Rien ne me satisfaisait jamais. Je passais mon temps à sans cesse réécrire mes premières lignes. Toujours en vain.
C’est la raison pour laquelle je me suis décidé à vous accueillir moi-même. N’y voyez aucun narcissisme : tout au plus une certaine résignation. Je vous souhaite, donc, à toutes et à tous la bienvenue.
Bienvenue dans mon livre : le premier que j’écris. Ecrire a toujours été chez moi un rêve que je croyais inaccessible.
Je me présente : Benjamin Marquet (mais vous pouvez m’appeler Ben). J’ai trente-huit ans et l’histoire que je souhaite vous raconter, c’est tout simplement la mienne.
J’habite la petite ville de Bouillet depuis ma plus tendre enfance. Je n’y suis pas né, mais mes parents y résidaient à ma naissance. Je n’avais donc que quelques jours quand j’y suis arrivé… pour ne plus la quitter. Du moins, si l’on excepte la fin de ma période estudiantine durant laquelle j’ai connu les joies de la résidence universitaire. J’y exerce aujourd’hui le métier de professeur des écoles et ce, depuis bientôt quinze ans.

Tout a commencé il y a tout juste dix ans.
Nous étions à la veille de la rentrée scolaire. Je venais d’être nommé à l’Ecole Emile Zola : vous savez, cette grande bâtisse en meulière, au bout de la rue Dreyfus… Mon affectation ne m’avait été signifiée qu’une semaine plus tôt : désagrément que connaissent les jeunes professeurs n’ayant pas encore de poste définitif et qui se voient placés à la hâte en fonction des postes encore vacants. L’année précédente, j’avais même été prévenu trois jours après la rentrée. C’est un remplaçant qui l’avait effectuée à ma place : situation ubuesque dont seule l’éducation nationale semble avoir le secret.
Mais cette année avait une saveur toute particulière. Le hasard avait voulu que je sois nommé dans l’école que je fréquentais étant enfant. J’en éprouvais une émotion étrange. Une sorte de retour aux sources, une impression de fermer un cercle. Ce poste me ramenait près de vingt ans en arrière. Ceux de mes collègues ayant vécu une telle expérience sauront quels étaient alors mes sentiments.
Sentiments d’autant plus fort que le directeur de l’époque était encore en place aujourd’hui. C’est lui qui m’accueillit en cette journée de pré rentrée. Nous, enseignants, commencions traditionnellement une journée plus tôt que nos élèves pour préparer la journée du lendemain. La poignée de main fut émue de ma part, interrogative de la sienne : mes traits devaient visiblement me trahir. En quelques mots, je lui expliquais qu’il avait été mon instituteur lors de mon année de CM1 et que me trouver là aujourd’hui, représentait beaucoup pour moi. Il s’excusa de ne pas se souvenir de moi. Je le rassurai. L’élève que je fus était du type même de ceux qu’on oublie rapidement : réservé, ne prenant jamais la parole de lui-même, et ne brillant guère par ses résultats. J’avais été un élève terne passant aisément inaperçu.
Je venais de passer une grande partie de la matinée dans ma classe à dresser l’inventaire des armoires, afin de savoir de quels matériels je disposerais pour mes cours et identifier ce qu’il me faudrait commander. La plupart des manuels étaient intéressants : j’en connaissais certains et en découvrais d’autres. Les fournitures en quantités suffisantes.
Et c’est heureux et, dans l’ensemble, agréablement surpris que je me retrouvais marchant dans la rue principale de la ville : encore plongé dans mes pensées, cette année singulière semblait placée sous les meilleurs hospices.
J’accélérai le pas. J’avais rendez-vous avec Amélie, Martial et Lucas pour le déjeuner. Et j’étais en retard.