Nedim Gürsel [Turquie]

MEET novembre 2007

MEET : que signifiait pour vous avoir 20 ans ?

« J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie». disait Paul Nizan.

Pour Nedim Gürsel, c’est le souvenir d’une vie de pensionnaire à Istambul dans le lycée de galatasaraï, avec 900 internes dans un dortoir situé en plein quartier de plaisirs.

Puis la découverte de Paris et des poètes Baudelaire Rimbaud..

Nedim Gürsel a connu deux coups d’Etat, celui de 1970, et celui de 1980.
Deux de ses livres furent interdits à la suite de procès : l’un, la première femme,(actuellement publié au Seuil) l’autre, Un long été à Istanbul , celui-ci pour agitation politique et celui-là pour offense aux bonnes mœurs.

A ce moment là, nul député européen pour le défendre devant les juges. L’heure n’était pas aux risques de procès qui font la promotion d’un livre.

Actuellement, ceux qui ont 20 ans en Turquie ont adopté les valeurs individualistes, les ideaux utopiques sont morts.

Nedim Gursel est partisan de l’adhésion de la Turquie à L’Europe.

Un long été à Istanbul chez l'imaginaire de gallimard, décrit

Citation :

la période de répression que traversa la Turquie entre 1971 et 1974. A son retour de France, le narrateur, Oghouz, tente en vain, dans une Istanbul écrasé par la canicule, de retrouver ses vieux amis étudiants, comme lui opposants au régime. Dans ce récit kaléidoscopique, Nedim Gürsel brosse une fresque sombre de la Turquie des années 70.

six récits de voyage, où Nedim Gürsel parle de paysages et d' écrivains, de la Turquie à la Tunisie, de l'Italie à la yougoslavie.

La difficulté de lecture vient à mon avis, non des poèmes cités qui jalonnent le périple, mais de références historiques peu familières à l'occidental moyen (moi, en l'occurence !)

Nedim Gursel , un long été à Istanbul, L’imaginaire, Gallimard

Après deux années passées à Paris, l’auteur revient à Istanbul, marquée par la période de répression qui a suivi le coup d’État militaire de 1971.

Citation :

A mon retour, je me suis promené longuement dans ces parages. Les femmes n’étendent plus leur linge aux fenêtres comme autrefois. On a détruit les maisons en bois du quartier juif, et depuis, la vieille synagogue apparaît plus nettement.

J’ai pensé aux lieux mal famés où les marins génois, jadis, buvaient du vin, aux femmes de Byzance insomniaques errant dans les rues obscures. Il faisait chaud. Je suis monté sur la tour, avec l’espoir que peut-être au sommet, il y aurait du vent. Là haut non plus, pas un souffle d’air. Une chaleur gluante avait étreint la ville. Le jour n’en finissait pas.

Le soleil donnait en plein sur les autobus et les toits des maisons. Il pénétrait même dans les pièces les plus reculées, en décolorant les rideaux. C’était un été interminable ; un été long, fastidieux, une épidémie lovée au-dessus de la ville sous le soleil implacable.

un long été à Istanbul

Il retrouve les stigmates de la répression, un ami qui a connu un séjour de trois semaines au « caveau » (1), actuellement dans un hôpital psychiatrique, avec des êtres détruits par des séances d’électrochocs. Il caresse les seins de Filiz qui lui raconte la mort d’ Ali, criblé de balles à un carrefour.

Citation :

Que reste-t-il maintenant du corps nu d’Ali ? Quelle terre l’a englouti ? Tout sombre lentement. Le passé laisse derrière lui un d^pot visqueux, lancinant. Personne ne se souvient plus de personne. Je sais très bien désormais que nous resterons là.
Là, comme des fossiles au bord de l’eau trouble.

(1)

Citation :

quartier des prisons turques où les cachots sont d’un genre bien particulier : les prisonniers ne peuvent s’y tenir ni debout, ni assis, ni couchés. (NDT)

Un long été à Istanbul

Ce livre est constitué de petits chapitres, brefs comme des coups de projecteurs pour éclairer l’Istanbul que retrouve Nedim Gursel après deux ans d’absence.

Des personnages reviennent, mais on a le loisir de s’aérer un peu entre les épisodes, ce qui fait du bien.

Comme chez Semprun, on voit que des désaccords idéologiques ou tactiques donnent lieu à des règlements de compte cruels entre amis et compagnons de lutte :

Citation :

« Des phrases dures, bien choisies, utilisées à bon escient. Une syntaxe claire, ferme, un esprit sachant ce qu’il veut. Enguine en prononçant certains mots, les scandait exagérément sa pensée se faisait incisive. Les mots me transperçaient comme des balles. »

En même temps on rappelle concrètement le parcours d’une militante - aujourd’hui l’ombre d’elle-même après son séjour en prison, qui a rompu les relations familiales avec les siens et son, milieu dans une exigence de justice.

Tels sont les souvenirs du narrateur qui assiste d’un balcon au lever du jour.

Citation :

« Après le départ d’Enguine le jour s’est levé lentement […] on était encore loin de la fin de l’été. Les hommes étaient insouciants, et nues les places qui se dilataient au soleil. Tandis que dans la pièce d’à côté Nilgune, engourdie par la morphine, fermait lentement ses paupières à l’aube, debout devant la porte-fenêtre s’ouvrant sur le balcon, j’ai regardé le matin peu à peu s’illuminer. »

Dans un long été à Istanbul, des textes pour une fresque contemporaine.

Citation :

Minuit

A minuit sur des tanks, ils pénètrent dans la ville, qui sont-ils ?

Ils ont abaissé leurs casques sur leurs fronts, on ne voit pas leurs visages. Les visières ont pris la couleur de l’ombre, l’ombre a pris la couleur de leurs visages.

Ils n’ont pas de regards ; rien n’a pris la couleur de leurs regards. Ils attendent assis tout raides sur les tanks. Comme des rocs ; froids, sans vie. Avec seulement au coin de lèvres un tressaillement imperceptible, une crainte silencieuse. C’est sûr, il ont peur : de l’envol d’un oiseau, d’une fleur, qui s’épanouit. Ils ont peur de l’éclat des étoiles et des livres.

S’ils voyaient une fenêtre éclairée, ils feraient feu immédiatement. Leurs mains, leurs doigts sur la gâchette, sont si crispés.

Par deux fois, j'ai essayé de lire Le Roman du Conquérant de ce même Nedim Gürsel. Mais ces deux fois, j'ai abandonné lachement...

Et depuis toutes ces années, je traîne derrière moi, cette grave faiblesse. Elle me tracasse, m'ennuie, parce qu'à ma connaissance, c'est le seul roman que je n'ai pas pu finir. Il y en a bien certains que je n'ai apprécié guère, mais j'avais toujours trouvé la force nécessaire de les finir... jusqu'à ce roman du conquérant...

Si un grain (ou graine) de sel l'a lu, donnez-moi la force et l'envie de m'y replonger (j'ai toujours ce roman au fond de mon placard)...

Tu n'aurais pas un résumé, 4ème de couv. ? je ne trouve pas...

moi non plus, je ne le trouve pas mais donc voici ce que j'ai pu succintement chopper :

Le Roman du Conquérant, de Nedim Gürsel (Seuil, 1996) : l'auteur décrit, à travers le personnage d'un romancier, les épisodes du siège de Constantinople de 1453 et les exploits de Mehmed le Conquérant

Je me souviens l'avoir acheté quelques semaines (mois) après avoir visité la Turquie, espérant replonger et découvrir plus profondément la corne d'or, le détroit du Bosphore... mais j'ai jamais réussi à rentrer dedans...

Ce que je voulais te dire ne va pas t'inciter à le lire, je ferais mieux de me taire ; mais quand un livre nous tombe des mains, soit ce n'est pas le bon moment, soit la rencontre n'aura pas lieu, mais mon idée c'est que ce n'est pas grave, le sujet tu peux peut-être l'aborder avec un autre livre/auteur.
C'est vrai qu'un lecteur emballé par ce livre pourrait t'aider à y replonger...

J'ai lu l'an dernier" De ville en ville" que j'ai trouvé très bien écrit et instructif, il s'imagine dans l'esprit du peintre et de l'écrivain et sa ville , tel que le Caravage et Rome, Baudelaire et Bruxelles, Kafka et Prague ou mille clocher sonnent au lever du jour, Dostoievsky et Pouchkine à St Petersbourg, L'Afrique, le Brésil , L'Argentine pour terminer avec lui- même à Istanbul.

Un livre sensible qui retrace tout un voyage intérieur.

je le note dans une petite case de ma petite tête... Peut-être un jour si l'occasion se présente à moi... J'ai envie d'explorer plus profondément cette Turquie et de la connaître un peu mieux.

Utopie a écrit:

Ce que je voulais te dire ne va pas t'inciter à le lire, je ferais mieux de me taire ...

Pas question de se taire, chacun dit son mot comme il le ressent, sauf à faire obstruction, bien sûr.

Utopie a écrit:

quand un livre nous tombe des mains, soit ce n'est pas le bon moment, soit la rencontre n'aura pas lieu, mais mon idée c'est que ce n'est pas grave, le sujet tu peux peut-être l'aborder avec un autre livre/auteur.
...

je partage cet avis.

Il arrive que certains livres de Gursel découragent parce que le contexte historique et les auteurs auxquels il renvoie ne nous sont pas familiers, ce qui m'est arrivé avec Mirages du Sud ci-dessus.

Mirages du sud

rotko a écrit:

La difficulté de lecture vient à mon avis, non des poèmes cités qui jalonnent le périple, mais de références historiques peu familières à l'occidental moyen (moi, en l'occurence !)

C'est le seul que j'ai trouvé à la bibli, je me lance donc, cela nous fera une moyenne d'occidentaux moyens

Je n'ai lu qu'un seul livre de Nedim Gürsel: Les turbans de Venise, je l'ai trouvé très prenant, je n'ai pas du tout éprouvé ces difficultés que certains évoquent à propos de ses autres livres (surtout ses livres plus "documentaires" apparemment).
Je conseille fortement ce livre, où il est beaucoup question de peinture, cela permet même de faire des parallèles avec le magnifique Mon nom est rouge, d'Orhan Pamuk.

rotko a écrit:

clic !

six récits de voyage, où Nedim Gürsel parle de paysages et d' écrivains, de la Turquie à la Tunisie, de l'Italie à la yougoslavie.

En fait c'est la première nouvelle, Hallucinations à Konya qui est la plus confuse pour moi ; l'histoire des derviches tourneurs, de Celâleddin Rumi, le "mevlana" (le maître).

Mais ensuite Gürsel nous entraîne avec bonheur dans les montagnes de Yachar Kemal, dans les Pouilles, exil forcé de Carlo Levi, et aussi dans le somptueux désert tunisien.

Citation :

Au coucher de soleil, quand le vent se lève, le festin de couleurs commence. Avant de rouler dans le vide derrière la mer de sable, le soleil grossit peu à peu et se transforme en une énorme orange, en un ballon de légende, il orchestre un sacrifice antique. Dans le ciel dans nuage, les reflets d'un bleu très pâle se mêlent aux jaunes, aux violets, aux rouges, les murs des maisons en pisé, les minarets trapus et les palmiers clairsemés s'assombrissent, les verts se changent en roux, en jaunes et enfin en noirs. Et tout d'un coup les étoiles envahissent l'immensité.

Le balcon sur la méditerranée, traduction d'Esther Heboyan et Timour Muhidine.

Un autre recueil de nouvelles où l'on retrouve les thèmes chers à Gürsel : l'amour, l'exil, les dictatures.

A travers les femmes aimées, l'on découvre les réalités politiques. Parfois tendre et érotique, toujours nostalgique, Gürsel est un charmeur qui aime les femmes et les mots.

Son dernier roman, Les Filles d’Allah, publié en Turquie en mars 2008 et qui paraîtra aux Editions du Seuil cet automne.

Citation :

En août dernier, un groupement islamiste demandait l’ouverture d’une enquête judiciaire sur le livre pour cause de blasphème.

le Temps, cliquer ensuite sur l'article "Nedim Gursel, coeur turc blessé".

Nedim Gursel continue donc d'avoir des ennuis et la presse se mobilise moins pour lui que pour Orhan Pamuk.

rotko a écrit:

Nedim Gursel continue donc d'avoir des ennuis et la presse se mobilise moins pour lui que pour Orhan Pamuk.

il faut dire que Nedim Gürsel touche plus frontalement à certains domaines que les musulmans considèrent généralement comme des "tabous", par exemple la personnalité du Prophète. Sur ces questions, les islamistes, jamais très subtils et qui ne comprennent probablement goutte aux livres de Pamuk, sont encore plus nerveux que les musulmans en général. Le titre "Les filles d'Allah" n'a pas dû trop leur plaire non plus.
Cependant, la société turque est travaillée par des courants contradictoires, on y trouve également de farouches partisans de la laïcité, capables de manifester et de se retrouver à plus de deux millions de personnes dans la rue.
Au total, il me semble que c'est ce qu'on peut appeler une société éminemment civilisée, d'où l'étonnement de Gürsel devant la réticence de l'Europe à l'accepter en son saint sein... En tout cas, ce sera très intéressant de suivre le procès...

J'ai lu Un long été à Istanbul en ...1981 et ne me souviens plus très bien. Quid de cet auteur pour une prochaine lecture commune? Des nouvelles peut-être?

tout est possible, à ceci près qu'il faudrait choisir un titre precis exploré au préalable :
Gursel est un homme d'une grande culture, et si nous connaissons mal les paysages et les écrivains dont il parle avec une grande familiarité dans quelques livres, on risque d'être désorientés.

Bon, d'après les "spots", je pencherai pour Balcon sur la Méditerranée . En lecture accompagnée? En...juin!?

Et Les turbans de Venise, trop gros?
Bon, comme je l'ai déjà lu, vous allez croire que c'est pour ça que je le propose...
En tout cas, il vaut le coup...

Nymphéa a écrit:

Bon, d'après les "spots", je pencherai pour Balcon sur la Méditerranée . En lecture accompagnée? En...juin!?

J'ai vraiment bien aimé. Mais cela ne nécessite aucun accompagnement. C'est très fluide et très sympa.

Pourquoi pas les turbans de Venise ?