Grain de sel - Forum littéraire et culturel
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 Orhan Pamuk [Turquie]

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MessageSujet: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyDim 08 Jan 2006, 15:41

NEIGE : Orhan Pamuk
Orhan Pamuk [Turquie] Aneige2de8

Franchement, j'ai adoré!

« Neige » a été récompensé en France du célèbre prix Médicis (Etranger).
(Orhan Pamuk a aussi reçu le prestigieux Prix de la Paix des libraires allemands en octobre 2005. Honoré comme un écrivain qui, plus qu'aucun autre poète contemporain, suit les traces historiques de l'Occident dans l'Orient et celles de l'Orient dans l'Occident".)

« Neige » est un extraordinaire roman à suspense qui joue habilement avec des questions d'ordre politique très contemporaines et surprend par son ton poétique et nostalgique.
C’est un plaidoyer pour la laïcité, une réflexion sur l'identité de la société turque et la nature du fanatisme religieux. Un tableau de la Turquie d'aujourd'hui entre Orient et Occident.
A l'heure du débat sur l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne, on peut le lire pour comprendre, de l'intérieur, le présent si douloureux de ce pays déchiré entre lumières et ténèbres. (A noter que Pamuk milite pour l'intégration.)
"J'ai voulu sortir ce que j'avais dans les tripes à propos de l'islam politique." Orhan Pamuk veut comprendre : "Qu'est-ce que cet islam ? Pourquoi y a-t-il tant de ressentiment et de colère à l'égard de l'Occident ?"

Dans « Neige », Orhan Pamuk part d'un fait divers réel, une série de suicides de jeunes femmes, à Tatvan, ville de l'extrême Est et il déplace l'affaire à Kars, une petite ville provinciale endormie d'Anatolie. Pamuk a fait le choix d'investir cette partie reculée - oubliée - de son pays et ce n'est pas anodin. Dans les environs de Kars se trouvent les ruines d'Ani, la « cité aux mille églises », riche capitale de l'Arménie au Moyen Age, ainsi que, majestueux et surplombant la frontière arméno-turque, le mont Ararat - symbole pour les Arméniens de leur pays perdu. Il évoque une ville en pleine effervescence en raison de l'approche d'élections à hauts risques.
Orhan Pamuk a enquêté en détail sur cette région délaissée avant d'écrire. "Pendant trois ans, j'ai fait de nombreux séjours à Kars. J'allais de maison en maison, je parlais avec les gens et j'enregistrais ces rencontres au magnétophone. A la fin, j'étais déprimé par cette tristesse suffocante. Heureusement, il y avait la beauté de la neige."
Kars veut dire neige en turc. Et la neige, qui ne cessera de tomber jusqu'à interdire toute sortie, rendra plus désolant encore le théâtre de ce huis clos où se croisent les membres d'une Turquie divisée et accablée.

Pamuk invente le personnage de Ka, un poète-journaliste mélancolique et attachant, revenu à Istanbul pour enterrer sa mère après douze ans d'exil en Allemagne. Son journal l’envoie enquêter à Kars afin de comprendre pourquoi tant de jeunes filles voilées, à Kars, bravent le Coran (qui interdit le suicide) et mettent fin à leurs jours.
Ka découvre toute la détresse de la ville : pauvreté, désarroi des jeunes, contrôle des citoyens par les services secrets.
Il rencontre tous les courants politiques locaux - laïques, militaires, marxistes, islamistes, nationalistes kurdes et turcs. Il est l'objet de diverses sollicitudes et se trouve piégé par son envie de plaire à tout le monde. Tous essaient de gagner la sympathie du poète et de le rallier à leur cause. A travers Ka, double transparent de l'auteur, Orhan Pamuk donne ainsi une voix à chacune de ces composantes de la vie politique turque.
« J'ai tenu à respecter tous les personnages. Je ne voulais pas faire un roman engagé assénant des certitudes sur le bien et le mal. Mes modèles littéraires étaient du côté de Proust et de Nabokov, plutôt que de Zola et de Sartre."
Pamuk se garde bien de signer un roman manichéen. Il n'épargne personne, pas même son héros, ironise sur l'art, se moque même de Ka délirant sous de soudaines inspirations poétiques, montre l'imposture de la presse (le journal local imprime la veille les événements du lendemain), exhibe la détresse politique (les doubles jeux, les assassinats, les tortures...)
Dans ce roman à suspense, l'étau se resserre progressivement sur Ka, qui est aussi venu à Kars pour retrouver Ipek, une ancienne camarade de faculté fraîchement divorcée de Muhtar, un islamiste candidat à la mairie de Kars.


Au début, Ka avance, comme dans un rêve, voyant tout à travers son inspiration poétique, stimulée par sa passion grandissante pour Ipek, et le voile de neige qui couvre la ville. Mais la neige, élément récurrent dans sa narration, coupe Kars du reste du monde, tombe inlassablement, et cache les tragédies. «Plus je découvre Kars, plus je sens que je ne pourrai raconter à personne de l'extérieur ce qui arrive ici. La fragilité de la vie humaine et l'absurdité des souffrances endurées me font pleurer.»

Un soir la représentation d'une pièce de théâtre dirigée contre les extrémistes islamistes se transforme en putsch militaire et tourne au carnage.


Dernière édition par le Jeu 26 Jan 2006, 00:16, édité 2 fois
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Bachy Pierre
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MessageSujet: Neige de Pamuk   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMar 24 Jan 2006, 16:55

Dans ce roman, Ka, un journaliste en reportage, nourri de culture européenne, assiste aux luttes entre les nationalistes laïques et islamistes radicaux. Un tableau de la Turquie d'aujourd'hui entre Orient et Occident. Il finira assassiné après avoir barboté dans les eaux troubles d'une ville paralysée par l'hiver et la misère. Il faut lire ce roman pour comprendre, de l'intérieur, le présent si douloureux de ce pays déchiré entre lumières et ténèbres.Ka est un héros ambigu se démenant au sein de ses luttes pour assurer son bonheur..

Exilé politique en Allemagne, il part faire un article à Kars, ville de 350.000 habitants (préfecture) à l'est de l'Anatolie, à un vol de corbeau de la Géorgie et de l'Arménie. Kars, comme son nom l'indique, accueille chaque année la plus grande quantité de neige de toute la Turquie. Il enquête sur un fait divers sordide: le suicide de jeunes femmes voilées. Il cherche à connaître les raisons qui les poussent à commettre ce geste. Ce n’est pas la pauvreté, le désarroi ou l’incompréhension. Ce n’est pas non plus l’incompréhension des parents opprimant et frappant sans cesse leur fille, ne lui donnant même pas la permission de sortir dans la rue; ce n’est pas non plus la pression des maris jaloux ni le dénuement matériel. L’envie de se suicider correspond au désir de s’approprier leur propre corps : les filles qui perdent leur virginité tout en étant trompées, les vierges destinées à être mariées avec un homme dont elles ne veulent pas. Elles voient le suicide comme un désir d’innocence et de pureté. La raison essentielle est l’amour-propre. Il arrive à la veille d'élections municipales où s'affrontent nationalistes, islamistes et laïcs. Il est aussi venu pour de plus humbles raisons: rejoindre une ancienne camarade de fac, Ipeck, dont il est secrètement amoureux. Ka est témoin de l'assassinat du directeur de l'Ecole Normale qui a interdit le port du voile et d'un putch militaire à l'occasion d'un spectacle de propagande au Théâtre de la Nation. A partir de ce moment, Ka est sollicité par les membres des deux factions adverses: les étudiants islamistes d'un côté et les ultralaïcs de l'autre.

On reconnaît Pamuk à son écriture labyrinthique, à sa force de dire l'irréel avec l'évidence de la vérité, de décrire l'âme des gens sans dessiner leur visage, au souffle romanesque qui traverse ses livres sans faiblir. Il surprend lorsqu'il avoue que la moitié de chacun de ses livres est autobiographique, qu'il s'est rendu à Kars pendant les élections municipales, que tous les chapitres racontant ces faits, la façon dont chacun veut séduire puis rejeter l'envoyé de la grande ville qui jouxte l'Occident, sont d'exacts reportages. Il demande qu'on ne se hâte pas à faire la part du réel et du surréel dans ces livres, car, en Turquie, ces deux notions s'inversent imperceptiblement. La première place est occupée par un poète parce qu'en Turquie personne ne peut prétendre à une carrière politique sans publier de la poésie, c'est pourquoi il ne fait pas de politique, ses poèmes sont trop mauvais ! Pamuk, plus habitué aux histoires stambouliotes, a fait le choix d'investir cette partie reculée - oubliée - de son pays. Et ce n'est pas anodin. Dans les environs de Kars se trouvent les ruines d'Ani, la « cité aux mille églises », riche capitale de l'Arménie au Moyen Age, ainsi que, majestueux et surplombant la frontière arméno-turque, le mont Ararat - symbole pour les Arméniens de leur pays perdu.

Il s'est inspiré d'un fait divers et ajoute un élément récurrent dans sa narration : la neige. Kars est coupé du reste du monde, par une neige qui, inlassablement, tombe, cache des amours interdites, étouffe les coups de revolver, anesthésie les douleurs, mais ravive les rumeurs, attise les rivalités sanglantes entre fractions de tous bords, de tous les extrêmes : islamistes, militaires, nationalistes. Pamuk, malin ou provocateur, les met tous en scène sans prendre parti. Il n'épargne personne, pas même son héros, ironise sur l'art, se moque de Ka délirant sous de soudaines inspirations poétiques, montre l'imposture de la presse (le journal local imprime la veille les événements du lendemain), exhibe la détresse politique (les doubles jeux, les assassinats, les tortures...). Dans un climat de suspicion et de délation, les vérités les plus élémentaires comme les hommes les plus ordinaires sont broyés, mâchés par une machine kafkaïenne - inculture, intolérance. « Neige » ose démontrer l'incompatibilité entre démocratie et religion extrémiste. Il raconte la haine, une forme de désarroi. En véritable romancier, il maîtrise l’art et la manière d’assembler les éléments qui construisent une histoire, avec ses zones d’ombre qu’on a envie d’éclairer. Et sème, entre des pages élégiaques et torturées, les petits cailloux de plusieurs récits qui s’enchevêtrent autour de quelques personnages gravitant dans l’orbite du narrateur.

Un récit dense de près de cinq cents pages, d’une remarquable diversité d'angles et de jeux narratifs, imbriquant sa marqueterie de parenthèses et de raccords malicieux. Le romancier est omniscient et… furieusement libre.

http://users.skynet.be/pierre.bachy/pamuk_neige.html
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMar 24 Jan 2006, 19:47

je ne lis pas ton texte pour l'instant. Je viens de finir Neige ! ah quel beau livre ! j'en parle bientôt ! a+ Wink
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coline
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMer 25 Jan 2006, 17:04

Pourquoi multiplier les topics sur le même sujet?...
:cry: Hé-hé...Ainsi donc, Pierre Bachy, tu ne m'avais pas lu...A quoi sert que coline "se décarcasse"... Happy
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rotko
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMer 25 Jan 2006, 20:39

Ils ont tout dit ! et moi qui veux mettre mon grain de sel

Coline :
Citation :
Citation:
Pamuk invente le personnage de Ka, un poète-journaliste mélancolique et attachant

,

ce serait Le poète Kerim Alakusoglu d'après la quatrième de couverture.

pierre
Citation :
Citation:
[ Pamuk ]sème, entre des pages élégiaques et torturées, les petits cailloux de plusieurs récits qui s’enchevêtrent autour de quelques personnages gravitant dans l’orbite du narrateur
.


oui c'est un roman-poésie

3 justifications pour le titre : une sorte de huis-clos pour l'histoire de la ville de Kars, une représentation de la vie de Ka le protagoniste principal

Citation:
Citation :
""Que fais-je dans ce monde ? se demanda Ka. Ma vie est aussi misérable que le paraissent de loin ces flocons de neige. L'être humain vit, s'érode et disparaît" [...] il aimait à se penser en flocon de neige, et suivait avec amour et tristesse la voie que prenait sa vie.
Neige : titre du recueil des poésies de Ka, mais aussi du roman dans lequel Orhan Pamuk évoque la vie de Ka, alias Le poète Kerim Alakusoglu. Ce qui permet trois lectures :

1 celle du roman traditionnel dans sa suite de chapitres,

2 celle du surgissement des poèmes au gré des circonstances et détours de l'histoire : exemple "Neige" dans le chapitre X cf. p 487,

et 3 celle des poèmes dans l'ordonnancement thématique de Ka ("logique", "mémoire", "rêve", "centre") cf. le schéma du flocon et des axes de lecture des poèmes, page 299."sorte de cartographie de sa vie intérieure".p 426-427.


Coline
Citation :
Citation:
cite Proust


"Neige" est un merveilleux roman d'amour, fait d'espoir et d'attente : (Ka ici attend l'aimée)

"Citation:
Citation :
Le temps semblait à Ka comme suspendu, il crut qu'il devenait fou. [...] Ipek n'arrivait toujours pas.
Qu'est-ce qui différencie l'amour de la douleur de l'attente ? Tout comme l'amour, cette douleur commençait quelque part entre le bas-ventre et l'estomac, et se diffusait à partir de ce point nodal, prenait possession de sa poitrine, du haut de ses jambes et de son front, puis insensibilisait tout son corps. En écoutant les petits craquements intérieurs de l'hôtel, il s'efforça de deviner ce qu'Ipek faisait à cet instant..."
chapitre 28 p 281

Comment ne pas penser à Marcel Proust, au narrateur, à Swann etc...

bref, je suis enthousiaste.
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MessageSujet: Re: Neige de Pamuk   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 00:05

Bachy Pierre a écrit:


On reconnaît Pamuk à son écriture labyrinthique, à sa force de dire l'irréel avec l'évidence de la vérité, de décrire l'âme des gens sans dessiner leur visage, au souffle romanesque qui traverse ses livres sans faiblir.
... En véritable romancier, il maîtrise l’art et la manière d’assembler les éléments qui construisent une histoire, avec ses zones d’ombre qu’on a envie d’éclairer.
...Un récit dense de près de cinq cents pages, d’une remarquable diversité d'angles et de jeux narratifs, imbriquant sa marqueterie de parenthèses et de raccords malicieux. Le romancier est omniscient et… furieusement libre.

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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 00:07

rotko a écrit:


bref, je suis enthousiaste.
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 00:12

NEIGE :

Franchement, j'ai adoré!


« Neige » est un extraordinaire roman à suspense qui joue habilement avec des questions d'ordre politique très contemporaines et surprend par son ton poétique et nostalgique.

Pamuk invente le personnage de Ka, un poète-journaliste mélancolique et attachant
[/quote]

C'est vraiment un excellent bouquin:
On vous aura prévenus! Wink
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Bachy Pierre
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 16:22

Pour ajouter un dernier commentaire et peut-être me répéter :

ce roman est " labyrinthique " et malgré toutes ses qualités - cf. ma critique plutôt élogieuse -, il faut beaucoup de courage pour le terminer !
Trop de digressions sur la religion, la politique...

Je viens d'apprendre qu'il n'est plus poursuivi par la justice turque.
Ouf !
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 18:28

Bachy Pierre a écrit:
Pour ajouter un dernier commentaire et peut-être me répéter :

ce roman est " labyrinthique " et malgré toutes ses qualités - cf. ma critique plutôt élogieuse -, il faut beaucoup de courage pour le terminer !
Trop de digressions sur la religion, la politique...

Je m'y suis bien retrouvé, dans ce labyrinthe : Le roman est un parcours de la ville, mais j'avais déja fait un stage chez Pamuk avec le livre noir Folio 2897.

il s'agit d' errances inquiètes du personnage principal dans Istambul, et pour le récit, d'histoires avec effets d'échos et de miroirs.

voici en gros l'histoire :

Galip, le jeune avocat ne retrouve pas sa femme Ruya à la maison. Le frère de Ruya, Djelal, chroniqueur très populaire, a lui-aussi disparu, mais c'est un habitué des déguisements, des identités d'emprunt, des appartements tenus secrets.

Galip se met donc en quête du frère et de la soeur, et le voilà pris dans des mensonges, dans la comédie des rôles, dans l'engrenage de codes secrets à déchiffrer. Il parcourt de jour et de nuit une ville onirique, à la fois familière et déconcertante.

Le romancier distribue les rôles entre le narrateur et les personnages, mais ils se ressemblent à se confondre. Le roman devient une quête de l'identité, thème décliné tant pour les personnages que pour la ville d'Istambul, voire de l'Orient face à l'Occident.

Dans Neige, on a aussi le parcours d'Oran Pamuk à la recherche de Ka, et les deux écrivains ont bien des points communs.
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 20:37

Bachy Pierre a écrit:
Pour ajouter un dernier commentaire et peut-être me répéter :

ce roman est " labyrinthique " et malgré toutes ses qualités - cf. ma critique plutôt élogieuse -, il faut beaucoup de courage pour le terminer !
Trop de digressions sur la religion, la politique...

Je viens d'apprendre qu'il n'est plus poursuivi par la justice turque.
Ouf !

Bonne nouvelle!...Je crois que beaucoup de pétitions ont été signées en sa faveur...
A ce propos, dans Libération:
"La justice turque a finalement renoncé à poursuivre le célèbre romancier Orhan Pamuk, accusé «d'offense à la nation turque» pour avoir évoqué les massacres d'Arméniens en 1915 dans une interview à un journal suisse. Annoncée dès dimanche soir par l'avocat de l'écrivain, Haluk Inanici, cette décision des juges a été aussitôt saluée à Bruxelles où le commissaire à l'Elargissement, le Finlandais Olli Rehn, a déclaré que «c'est une bonne nouvelle pour la liberté d'expression en Turquie».

Et dans le nouvel Observateur:
"L'affaire Pamuk a embarrassé le gouvernement turc en faisant peser des doutes sur son engagement en faveur de la liberté d'expression, alors même que la Turquie entamait des négociations sur son éventuelle adhésion à l'Union européenne."

Et dans Le Monde:

"Les poursuites pour "insulte à l'identité turque" contre l'écrivain turc Orhan Pamuk ont causé autant de tort à l'image de la Turquie que le film d'Oliver Stone Midnight Express, avait estimé, fin décembre 2005, le ministre turc des affaires étrangères, Abdullah Gül. L'abandon de ces poursuites, lundi 23 janvier, par la cour d'assises, a donc réjoui le gouvernement turc et les partisans de l'entrée de ce pays dans l'Union européenne. Une joie prématurée pourtant.

DES CENTAINES DE PRISONNIERS

Il s'agit certes d'une "bonne nouvelle pour la liberté d'expression en Turquie, a déclaré le commissaire européen à l'élargissement, Olli Rehn, mais Ohran Pamuk n'est pas le seul homme poursuivi pour avoir émis une opinion non violente en Turquie, il n'est que le cas le plus en vue. D'autres journalistes, écrivains et universitaires font l'objet de poursuites similaires. J'espère que la décision le concernant en annonce d'autres, positives". Selon le commissaire, la Turquie "doit combler les trous actuels de son code pénal, qui laisse trop de place à des interprétations abusives et restrictives".





Pour le roman "Neige", , il est bien que tu précises en effet que c'est un pavé quelque peu "labyrinthique"...C'est un roman à choisir quand on sait qu'on aura tout le temps nécessaire à lui consacrer...Personnellement j'ai apprécié de me perdre et me retrouver dans ce labyrinthe...et ceci jusqu'au bout...
Il m'a aussi entraînée dans des recherches (pas indispensables pour la compréhension du roman mais parce que sa lecture a fait naître en moi la motivation pour le faire): j'ai révisé et appris beaucoup.
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 26 Jan 2006, 21:03

Preciser aussi qu' à mon avis, dans Neige, il n' ya pas de digressions à proprement parler, mais que tout suit son cours normal dans l'histoire.
je reviendrai sur le livre noir, plus compliqué dans sa construction que je rapproche, par les récits enchassés aux Mille et une nuits.
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyVen 27 Jan 2006, 05:57

Pamuk le livre noir

Sans doute bien des intentions de l'auteur m'ont-elles échappé, mais le livre avec ses récits enchassés et ses variantes, tient du conte des Mille-et-une Nuits. On s'interroge sur le présent, sur le passé, avec effets d'échos et de miroirs.

Istambul, on s'enfonce dans ses puits et ses souterrains, on gravit les escaliers de ses minarets, mais la ville, comme le pays, se dérobe aux regards. Demeure l'image d'un pays qui mène une existence misérable et où la répression s'applique avec un continuel couvre-feu.

"
Citation :
Il est des pages, dans certains livres, qui semblent s'être si bien construites, s'écouler d'elles-mêmes, sans rien devoir au talent de l'auteur, qu'elles nous émeuvent profondément, au point que nous ne les oublions jamais. Ces pages-là demeurent gravées dans notre esprit, ou dans notre coeur, comme il vous plaira, non pas comme le chef-d-oeuvre d'un écrivain orfèvre en la matière, mais comme certaines heures paradisiaues ou infernales, ou les deux à la fois ou même encore en-deçà du paradis ou de l'enfer de notre vie, comme des souvenirs émouvants, cruels ou poignants que nous nous rappellerons des années durant."

Par exemple : le chapitre XII "l'histoire entre dans le miroir". p. 572 "Il était une fois une petite fille et un petit garçon qui appartenaient à la même famille." Ou l'histoire de Galip et de Ruya...

le roman se regarde dans un miroir avec un effet d'abyme
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 12 Oct 2006, 12:47

Tu vas êtes contente, Coline, je crois qu'il vient d'obtenir le Nobel 2006...
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coline
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 12 Oct 2006, 12:52

Happy Oui, Maïa, je suis vraiment contente pour lui!

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-822865@51-822866,0.html

Le comité Nobel a choisi de récompenser un écrivain "qui, à la recherche de l'âme mélancolique de sa ville natale, a trouvé de nouvelles images spirituelles pour le combat et l'entrelacement des cultures", a indiqué le communiqué de l'Académie suédoise pour expliquer son choix.


"Né en 1952 à Istanbul, Pamuk a été un des premiers écrivains du monde musulman à condamner la fatwa qui avait été lancée contre Salman Rushdie.

Il avait été poursuivi dans son pays pour insulte à l'identité turque pour avoir déclaré que nul en Turquie n'osait évoquer le massacre des Arméniens durant la Première Guerre mondiale ainsi que la mort de 30.000 Kurdes dans les violences politiques de ces dernières décennies.

La justice turque a finalement renoncé en janvier dernier à ces poursuites, qui avaient suscité des critiques de la communauté internationale quant au respect de la liberté d'expression en Turquie." (L'Express)

Orhan Pamuk [Turquie] 20051016.OBS5915
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyLun 16 Oct 2006, 20:25

Et si vous voulez voir avec quelles belles miniatures ottomanes Monsieur KA présente " Mon nom est rouge" de Pamuk, c´est là:
http://laboiteaimages.hautetfort.com/archive/2006/10/12/pinceaux-dresses-dans-un-ciel-ecarlate.html.
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyLun 16 Oct 2006, 20:35

faire d'abord

http://laboiteaimages.hautetfort.com/

puis a droite choisir PINCEAUX DRESSÉS DANS UN CIEL ÉCARLATE.

ou voir directement ICI La mort de Hussein Pasha Süleyman
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyLun 16 Oct 2006, 20:49

Merci Rotko, je ne savais pas qu´il fallait proceder de la sorte Embarassed
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMar 17 Oct 2006, 06:14

Code:
KA

Pour rigoler...

" Ka " n'est-il-elle (?) pas la marque de vêtement de Ségo ? ? ? cat
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMar 17 Oct 2006, 09:50

mauvais esprit Razz

Citation :
Vêtements pour filles : Informations sur le produit, comparaisons des prix, ainsi que critiques et évaluations ... O.KA.OU La jupe plissee en denim O.KA.OU
http://shopping.msn.fr/results/shp/?bcatId=273,av=2-9389

Pour ta peine, Pierre, tu chanteras avec "au bonheur des dames"

la chanson de SEGO

fin de la parenthèse Wink !! lol!
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Bachy Pierre
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMar 17 Oct 2006, 15:16

Code:
la chanson de SEGO

Tout...mais pas ça !

Mauvaise fille va !
Snif :afro:
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMar 17 Oct 2006, 15:18

Cela ne s'améliore pas...chez moi...

Voilà que je qualifie notre Rotko de " fille " ! ! !

Ce ne va plus dans ma tête.

Scuses Shocked
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyMer 18 Oct 2006, 06:12

En turquie la situation ne s'ameliore pas : procès contre l'editeur d'un livre de noam chomsky qui parlait de la repression antikurde notamment.

le livre
Citation :
contient des références au traitement imposé à la minorité kurde de Turquie dans les années 1990 -au plus fort de la lutte entre les séparatistes kurdes et les forces de sécurité turques- de manière jugée insultante par le ministère public
.
AFP
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyDim 10 Déc 2006, 16:34

Très beau discours de Pamuk, à Stokholm le 7 Décembre:
http://nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/2006/pamuk-lecture_fr.html

L´auteur ne fait aucune concession à tous ceux qui attendaient le discours politisé d´un écrivain engagé. Un ecrivain d´un pays musulman et laïque qui vient tout juste d´être visité par le Pape.
Le discours d´Orhan PAmuk est pure littérature, une belle histoire: "La valise de mon papa".
Il ne cite que quelques rares auteurs : Valery que son père traduisait en turc, Sartre que ce dernier voyait sur les trottoirs de Paris, ensuite juste quelques mots sur le provincialisme de Tchekov et "les sentiments d'amour et de haine que Dostoïevski a éprouvé toute sa vie à l'égard de l'Occident." mais principalement et toujours Montaigne:
" Celui qui marque le début de la littérature moderne, le premier grand exemple d'écrivain libre et de lecteur affranchi des contraintes et des préjugés, qui a le premier discuté les mots des autres sans rien écouter que sa propre conscience, qui a fondé son monde sur son dialogue avec les autres livres, est évidemment Montaigne".
Ses secrets d´ecrivain :" Pour moi le secret du métier d'écrivain réside non pas dans une inspiration d'origine inconnue mais sur l'obstination et la patience. Une jolie expression turque « creuser un puits avec une aiguille », me semble avoir été inventée pour nous autres écrivains"
Sa conception du metier d´ecrivain, plus redevable de travail laborieux et continu que de genialité ou de talent m´évoque le mot de Boileau: "Cent fois sur le metier remettez votre ouvrage"
Enfin, les raisons pour lesquelles il écrit :
J'écris parce que j'en ai envie. J'écris parce que je ne peux pas faire comme les autres un travail normal. J'écris pour que des livres comme les miens soient écrits et que je les lise. J'écris parce que je suis très fâché contre vous tous, contre tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît de rester enfermé dans une chambre, à longueur de journée. J'écris parce que je ne peux supporter la réalité qu'en la modifiant. J 'écris pour que le monde entier sache quel genre de vie nous avons vécue, nous vivons moi, les autres, nous tous, à Istanbul, en Turquie. J'écris parce que j'aime l'odeur du papier et de l'encre. J'écris parce que je crois par-dessus tout à la littérature, à l'art du roman. J'écris parce que c'est une habitude et une passion. J'écris parce que j'ai peur d'être oublié. J'écris parce que je me plaîs à la célébrité et à l'intérêt que cela m'apporte. J'écris pour être seul. J'écris dans l'espoir de comprendre pourquoi je suis à ce point fâché avec vous tous, avec tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît d'être lu. J'écris en me disant qu'il faut que je finisse ce roman, cette page que j'ai commencée. J'écris en me disant que c'est ce à quoi tout le monde s'attend de ma part. J'écris parce que je crois comme un enfant à l'immortalité des bibliothèques et à la place qu'y tiendront mes livres. J'écris parce que la vie, le monde, tout est incroyablement beau et étonnant. J'écris parce qu'il est plaisant de traduire en mot toute cette beauté et la richesse de la vie. J 'écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires. J'écris pour échapper au sentiment de ne pouvoir atteindre un lieu où l'on aspire, comme dans les rêves. J'écris parce que je n'arrive pas à être heureux, quoi que je fasse. J'écris pour être heureux."
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MessageSujet: Re: Orhan Pamuk [Turquie]   Orhan Pamuk [Turquie] EmptyJeu 14 Déc 2006, 20:59

Autres extraits de son discours:

"Deux ans avant sa mort, mon père m'a remis une petite valise remplie de ses propres écrits, ses manuscrits et ses cahiers. En prenant son habituel air sarcastique, il m'a dit qu'il voulait que je les lise après lui, c'est-à-dire après sa mort.
"Jette un coup d'oeil, a-t-il dit, un peu gêné, peut-être y a-t-il quelque chose de publiable. Tu pourras choisir."
On était dans mon bureau, entourés de livres. Mon père s'est promené dans la pièce en regardant autour de lui, comme quelqu'un qui cherche à se débarrasser d'une valise lourde et encombrante, sans savoir où la poser. "[...]


"Je me souviens d'avoir tourné autour de cette valise pendant quelques jours après son départ, sans la toucher. Je connaissais depuis mon enfance cette petite valise de maroquin noir, sa serrure, ses renforts cabossés. Mon père s'en servait pour ses voyages de courte durée, et parfois aussi pour transporter des documents de chez lui à son travail. Je me rappelais avoir, enfant, ouvert cette valise et fouillé dans ses affaires, d'où montait une odeur délicieuse d'eau de Cologne et de pays étrangers. Cette valise représentait pour moi beaucoup de choses familières ou fascinantes, de mon passé et de mes souvenirs d'enfance ; pourtant, je ne parvenais pas à la toucher. Pourquoi ? Sans doute à cause du poids énorme et mystérieux qu'elle semblait renfermer.
Je vais parler maintenant du sens de ce poids : c'est le sens du travail de l'homme qui s'enferme dans une chambre, qui, assis à une table ou dans un coin, s'exprime par le moyen du papier et d'un stylo, c'est-à-dire le sens de la littérature
."

"Cependant, en contemplant avec inquiétude cette valise fermée, je me sentais justement incapable de cela même. Mon père avait coutume, parfois, de s'allonger sur le sofa à l'entrée de sa bibliothèque, de poser le magazine ou le livre qu'il était en train de lire et de suivre longuement le cours de ses pensées. Sur son visage apparaissait alors une nouvelle expression, différente de celle qu'il avait en famille, au milieu des plaisanteries, des disputes ou des taquineries - un regard tourné vers l'intérieur. J'en avais déduit dès mon enfance et ma première jeunesse que mon père était un homme inquiet, et je m'en inquiétais. Je sais maintenant, tant d'années après, que cette inquiétude est l'une des raisons qui font d'un homme un écrivain. (...)

Ecrire et lire étaient en quelque sorte une façon de sortir d'un monde et de trouver une consolation par l'intermédiaire de la différence, de l'étrangeté et des créations géniales de l'autre. Je sentais que mon père aussi lisait parfois pour échapper à son monde et fuir vers l'Occident, tout comme je l'ai fait moi-même plus tard. Il me paraissait aussi qu'à cette époque-là les livres nous servaient à nous défaire du sentiment d'infériorité culturelle ; le fait de lire, mais aussi d'écrire, nous rapprochait de l'Occident en nous en faisant partager quelque chose. Mon père, pour remplir tous ces cahiers dans cette valise, était allé s'enfermer dans une chambre d'hôtel à Paris et avait rapporté en Turquie ce qu'il avait écrit. (...)


Avec ces pensées optimistes, j'ai ouvert la valise, qui était restée plusieurs jours là où mon père l'avait laissée, et j'ai lu, en mobilisant toute ma volonté, certains cahiers, certaines pages.
Une semaine après avoir déposé la valise dans mon bureau, mon père m'a rendu visite à nouveau, avec comme d'habitude une boîte de chocolats (il oubliait que j'avais 48 ans). Comme d'habitude nous avons parlé de la vie, de politique, des potins de famille et nous avons ri. A un moment donné, mon père a posé son regard là où il avait laissé la valise, et il a compris que je l'avais déplacée. Nos regards se sont croisés. Il y a eu un silence embarrassé. Je ne lui ai pas dit que j'avais ouvert la valise et essayé d'en lire le contenu. J'ai fui son regard. Mais il a compris. Et j'ai compris qu'il avait compris. Et il a compris que j'avais compris qu'il avait compris. Ce genre d'intercompréhension ne dure que le temps qu'elle dure. Car mon père était un homme sûr de lui, à l'aise et heureux avec lui-même. Il a ri comme d'habitude, et, en partant, il a encore répété, comme un père, les douces paroles d'encouragement qu'il me disait toujours. Comme d'habitude, je l'ai regardé sortir en enviant son bonheur, sa tranquillité, mais je me souviens que ce jour-là j'ai senti en moi un tressaillement embarrassant de bonheur. (...)


"Vingt-trois ans auparavant, quand j'avais 22 ans, j'avais décidé de tout abandonner et de devenir romancier, je m'étais enfermé dans une chambre, et quatre ans plus tard, j'avais terminé mon premier roman, Monsieur Djevdet et ses fils, et j'avais remis, les mains tremblantes, une copie dactylographiée du livre qui n'était pas encore publié, à mon père, pour qu'il le lise et me dise ce qu'il en pensait. Obtenir son approbation était pour moi important, non seulement parce que je comptais sur son goût et sur son intelligence, mais aussi parce que, contrairement à ma mère, mon père ne s'opposait pas à ce que je devienne écrivain. Quand il est rentré, deux semaines après, j'ai couru lui ouvrir la porte. Mon père n'a rien dit, mais il m'a pris dans ses bras et embrassé d'une façon telle que j'ai compris qu'il avait beaucoup aimé mon livre. Pendant un temps, nous sommes restés silencieux, mal à l'aise, comme il arrive dans des moments de sentimentalité excessive. Lorsque, un peu plus tard, nous nous sommes mis un peu plus à l'aise et avons commencé à causer, mon père a exprimé, plein d'excitation et par des mots exagérés, sa confiance en moi, et en mon premier livre. Il m'a dit que j'allais un jour recevoir ce prix, que j'accepte aujourd'hui avec beaucoup de bonheur."
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