Don Delillo

Comme certains d'entre vous, j'ai eu énormément de mal à apprécier sa "petite musique". Après avoir abandonné Libra et Mao II en cours de lecture, à bout de souffle, j'ai enfin trouvé la porte d'entrée avec son premier, Americana (publié en 1970), moins panoramique et tentaculaire que les suivants, plus proche de ce que nous avons l'habitude de lire sans doute, surtout la première partie. Je comprends maintenant pourquoi il est à ce point adulé, toute la littérature américaine postérieure lui doit énormément. J'essaierai d'entrer dans les détails plus tard.

Son nouveau livre Point Omega chez Actes Sud suscite les mêmes commentaires : aridité pour les uns, approche de l'essentiel pour les autres. (1)

Richard Elster, universitaire à la retraite, accueille sans enthousiasme le jeune cinéaste Jim Finley qui souhaite le filmer pour lui faire dire ce qu'il en a été de sa collaboration scientifique avec le Pentagone pendant la guerre d'Irak. Tous deux sont bientôt rejoints par la fille d'Elster, Jessie, qui un jour disparaît pour ne plus revenir, rendant les deux hommes à une étrange solitude.

(1) des références à Samuel Beckett.

Je termine L'homme qui tombe, avec des sentiments plus mitigés. Pas d'exploration des réseaux et des complots ici, alors que le sujet s'y prêtait. C'est d'ailleurs le principal défaut, l'absence de lien profond entre la petite et la grande histoire, qui dans ce genre de tentatives me paraît important.

On suit la 'chute' d'un homme, Keith, qui se trouvait dans la tour sud du WTC, et les répercussions sur la vie de sa femme, avec laquelle il ne vivait plus depuis quelques années, et de leur enfant. Mais Keith était déjà, bien avant l'accident, depuis toujours même, un être inadapté, en décalage, rêvant d'inaccessible. De sorte que son évolution aurait très bien pu être identique sans les attentats. Son cheminement n'en est pas moins intéressant. L'impact du choc est bien plus fort sur son épouse, avec laquelle il tente brièvement de reprendre la vie commune. Elle développe une forme de haine sourde à l'égard de l'Islam et se rapproche du christianisme, sans pouvoir réellement s'y abandonner, condamnée au doute et au mal-être.

DeLillo excelle cependant toujours dans le dialogue étrange, même si la tonalité est plus sombre. Dans le minimalisme aussi, la répétition poétique, l'effleurement. Il est beaucoup question de Giorgio Morandi, modèle de l'auteur dans la création d'atmosphères singulières.

DeLillo a le mérite de ne jamais sombrer dans le pathos, l'expression de sentiments convenus, ce qui est une vraie réussite s'agissant d'un sujet aussi sensible.

Petit extrait poignant où il est question d'une femme qui se trouvait dans la même tour et avec laquelle Keith a eu une brève aventure :

Citation :

Tous les jours il avait pensé à Florence Givens. Encore maintenant, presque tous les jours, aujourd'hui, dans un taxi, les yeux sur une affiche. Jamais il ne l'avait appelée. Jamais il n'avait envisagé de traverser le parc pour la revoir, parler un peu, savoir comment elle allait. Il y avait songé de manière lointaine, comme à un paysage, comme on songe à retourner dans la maison où l'on a grandi et à parcourir les chemins creux et traverser la haute prairie, le genre de chose qu'on sait qu'on ne fera jamais.

J'ajoute que le livre pullule de symboles forts : les parties de cartes, les réunions de malades d'Alzheimer, les "natures mortes" de Morandi...
Les cartes : traditionnellement, c'est le destin, qu'on tente, qu'on chatouille, qu'on brave, etc... Certains des joueurs décrits ne reviendront pas de l'attentat.
Alzheimer : DeLillo excelle à transcrire cette douloureuse perte d'identité, d'idiosyncrasie, si nécessaires à notre survie mentale.
Ceci à mettre en parallèle avec les victimes du terrorisme, évidemment pulvérisées et dont l'existence s'éparpille en miettes. Keith entre autres.
Le peintre cité : si froid, si atone, si impersonnel...

Ce livre est un puzzle et je n'y vois pas un chaos mais une construction unitaire.

L'homme qui tombe

Témoignage poignant du démembrement moral et éthique d’un pays Les Etats-Unis et de sa modalité de vie. L’auteur nous décrit le terrible attentat du 11 septembre 2001 perpétré par Al Quaeda sur les Tours Jumelles de New-York, cet attentat, comme nous le savons tous a détruit complètement les tours entraînant avec ses ruines des milliers de victimes.
Marquant en outre que de ce fait, l’histoire contemporaine du monde a changé, avec un avant et un après pour le monde occidental.
Pourtant Dellilo ne raconte pas en plénitude les événements du jour fatal , bien qu’en les deux premières pages, sa narration nous fasse frémir.
Il centre plutôt sur les conséquences morales et existentielles que subiront les Etats-Unis et le reste du monde.
Quelques mots sur les protagonistes, Keith et Lianne, couple séparé, avec un enfant. Nina mère de Lianne qui a un amant depuis 20 ans et qui ne sait rien de lui, les patients de Lianne atteints de Alzheimer, dont elle s’occupe ,des amis de jeu de Keith et Hammad, le terroriste illuminé et anxieux de sa prochaine union avec Allah.
A suivre

Pour Dellilo l’attentat est venu pour nous éveiller d’un songe irréel, sur notre puissance et faire face à un monde qui ne sera jamais plus le même.
Des allers-retours sont nombreux et peuvent confondre la lecture. Keith, est l’un des rescapés ,qui a pu sortir de l’enfer et qui blessé, épouvanté devant la tragédie dont il est témoin, dirige ses pas chez Lianne, son ex épouse, car c’est évident, dans les moments de malheur, la famille est notre refuge. Keith fuit la solitude qui conduit à ce néant personnifié par cette image hallucinante de l’homme qui tombe la tète en bas, les quatre fers en l’air, habillé aux quatre épingles et faisant un geste avec une jambe repliée : la parodie burlesque d’une photo d’un homme tombant de la Tour.

à la suite
Hammad

C’est Hammad, un des terroristes, qui a joué un rôle actif dans l’organisation du complot.

Citation :

Citation :

C’est en Afghanistan, dans un camp d’entraînement, que Hammad avait commencé à comprendre que la mort est plus forte que la vie. C’est là que le paysage le consumait, des cascades détenues dans l’espace, et le ciel sans fin.
Tout n’était qu’islam, les rivières et les ruisseaux. Ramasse une pierre et tiens-la dans la paume de ta main, et c’est l’islam. Le nom de Dieu dans toutes les langues du paysage. De toute sa vie il n’avait jamais ressenti une émotion pareille. Il portait un gilet pour porter les bombes et savait qu’il était déjà un homme, un homme, enfin, prêt à mettre un terme à sa distance d’avec Dieu.

conclusion
L’homme qui tombe et le sang déversé, par le terrorisme, ont changé l’ancien concept de sécurité dans le monde occidental Il n’y a pas de réponses dans le livre, seulement une description infernale qui pousse à la réflexion et à la recherche d’une issue pour l’existence humaine qui vit désormais sous menace.
Le livre est dur ,complexe, intéressant, mais de lecture difficile, néanmoins il faut le lire pour ne pas oublier.
Nb :
En raison des derniers événements : j’ajoute quelques mots :
Dix ans après l’attentat aux Tours Jumelles, nous pourrions peut-être éprouver un soulagement à l’idée de que le cerveau de derrière les attentats ait reçu, finalement son châtiment. Mais ce n’est pas encore le moment de se réjouir ; Il faut persévérer dans le deuil pour ceux que l’on a perdu et souhaiter que le mal disparaisse.

Don deLillo, l’homme qui tombe, chez Actes Sud.

Comment traduire le traumatisme des Twin Towers en 2001 ? Un récit linéaire en ferait un article de journal sans intérêt, ou un thriller éventé.

Don DeLillo opté pour un récit au temps éclaté, ou circulaire, puisqu’à la scène de panique du début répond, en boucle, la scène finale où on retrouve les fugitifs en plein désarroi, après la premier choc .

Entre-temps, la chronologie semble avoir disparu. Scènes et images se bousculent dans un grand désordre, comme dans la tête des protagonistes : celui-ci rejoint l’adresse oubliée d’un foyer qu’il avait déserté, mais il ressent le besoin de la compagnie d’une femme - jusqu’alors inconnue, qui a vécu le même séisme. D’autres personnages surgissent, sortes de silhouettes fantomatiques.

Pour moi l’auteur a bien su montrer le traumatisme psychologique subi, ainsi que les sentiments et questions suscitées : qu’est-ce qui s’est passé, que ressent-on, qui sont ces intrus qui ont brisé le
temps ?

La difficulté d’exprimer ce choc est peut-être traduite par l’atelier d’écriture des malades d’Alzheimer, par le peintre des « natures mortes », par des joueurs de poker, par l’acteur de rue qui rappelle obstinément « l’homme qui tombe », ce corps en chute libre dans les films du 11 septembre.

J’aimerais bien qu’on échange nos impressions sur ce récit déroutant.

Oui, c'est exactement ce que je ressens. Il a tout défragmenté. En utilisant, en plus, des symboles universels (les cartes, Alzheimer, le casino à Las Vegas...) pour renforcer l'idée du chaos.
Un ensemble apparemment aussi désordonné que le mental des protagonistes, mais en réalité subtilement construit.

Pour moi, du beau travail !

pour le moment, j'en ai lu 1/3...et comme c'est déroutant, pour y arriver, j'alterne avec d'autres lectures.
C'est déroutant, mais cela s'arrange une fois la p64 environ.
On est toujours dans le flou en ce qui concerne les personnage
pas de chronologie
c'est chaotique....

J'ai cru voir dans les joueurs de cartes les boursicoteurs : même attitude compulsive et concentration pour des gains d'argent. Me suivez-vous sur cette piste ?

L'atttude conflictuelle envers les voisins - dont la musique à base de flûtes et de tambourins souligne l'origine arabe, montrerait la naissance d'un sentiment de défiance et d'hostilité.

Par contre j'aimerais entendre Crevette sur les tableaux...

je dois dire que je suis très déroutée par ce manque d'histoire et e scénario...je n'ai pas vraiment compris ce que j'ai lu, et là où il voulait arriver...
j'espère pouvoir car j'aurai du mal à donner à avis sinon....et surtout à expliquer ce que j'ai lu

On va discuter ensemble des personnages, par exemple, que j'appelle des "silhouettes fantomatiques".

C’est le roman du vide : le temps, l’espace disparaissent, les personnages perdent leur substance, le récit lui-même devient atone. Je souscris à tout ce qui a été dit précédemment. J’y ajouterai quelques aspects qui m’ont frappée.
D’abord la chute symbolisée par ce corps qui tombe sans cesse, celui de l’artiste acrobate qui recommence inlassablement de se lancer dans le vide, tête en bas, fait penser à la chute originelle mais avec l’idée qu’elle est sans fin puisqu’éternellement reproduite et ne saurait donc déboucher sur la moindre rédemption : est-ce le message de l’auteur ou ce qu’éprouve en particulier Keith ? Est-ce aussi une façon de rappeler que des hommes se sont jetés dans le vide depuis les tours pour échapper à la mort et s’y précipiter en même temps ?
J’ai trouvé impressionnant le personnage de l’enfant, Justin, qui semble connaître, comme son père ou sa mère, un état de sidération et qui s’obstine à « assimiler » l’événement à sa façon en déformant la réalité à travers le nom de Ben Laden devenu Bill Lawton.
Enfin, j’ai été frappée par le personnage de Hammad, le terroriste, parce qu’il tranche sur tous les autres personnages du livre : son évocation saisissante de l’Afghanistan, de sa joie aux commandes de l’avion, de sa ferveur grandissante à l’idée de rejoindre enfin son Dieu, en est d’autant plus terrifiante. Il porte la mort, il va au-devant de la sienne et, en quelque sorte, il chante la vie, il exulte, j’ai trouvé puissantes les pages consacrées par l’auteur à cette thématique.
Curieusement, on sort de ce livre presque en état d’hébétude soi-même, comme si on devenait incapable d’éprouver une émotion ; c’est troublant…

au sujet de "l'homme qui tombe"
A mon avis tous les personnages ne se remettront pas du choc. Keith portant cette mallette qui ne lui appartient pas arrive presque mort chez la femme qu’il avait quittée. Mais l’amour ne reviendra plus , Sa liaison avec Florence, autre rescapée de l’enfer, ne durera non plus, ce n’est pas l’amour qui les unit, mais l’épouvante. Moi aussi je trouve que la musique arabe les trouble. Il y a des situations étranges, qui est vraiment l’amant de Nina ? Je pense qu’il cache un passé obscur.
Le jeu pour Keith est une échappatoire, ça lui permet de ne pas penser. Intéressant aussi le petit enfant qui avec ses amis cherche dans le ciel des avions, Tous sont traumatisés et ne seront plus les mêmes.
Sur les tableaux, Rotko moi je ne m’en connais pas et que veux-tu dire avec les silhouettes fantomatiques. Ce livre m’a plu ,c’est le premier que je lis de lui, il suffit de raconter les faits pour qu’il se grave dans la mémoire.

Amadak a écrit:

que veux-tu dire avec les "silhouettes fantomatiques" ?

Nicyrle a donné la réponse :

Citation :

les personnages perdent leur substance.

Le drame de ce livre, pour moi, c'est que d'une part, je suis sans cesse en train de revenir en arrière car je ne sais jamais où j'en suis......et que cela rend la lecture désagréable, inconfortable, et que je n'arrive pas à m'y concentrer
et, que d'autre part, j'aligne des mots...mais que je n'arrive pas à en faire une synthèse......en clair je ne comprends rien à ce qui se passe, rien, rien rien.
Je n'arrive pas à faire le lien antre une phrase et la suivante, entre un paragraphe et le suivant.......

Dur dur....

Continue, ne t'arrête pas à des détails : tu peux noter par exemple succinctement

pp 60/61 : le pourquoi du choc . def d'un attentat suicide

209/211 les pilotes embrigadés, le chameau égorgé, "les autres".

ces petits indices sont les cailloux blancs de ta lecture qui te permettent, une fois le livre terminé de t'y reporter si tu en as besoin.

je te donne mes exemples, ils tiennent pour moi sur une demi page de 10 cm sur 6 ou 7.

j'en suis p 130....et je nage dans le brouillard, je ne comprends rien; les personnages arrivent comme ça, sans nom, il, ou elle. Je ne pourrai tenir indéfiniment comme ça......je n'avance pas, et ça m'énerve
Je n'arrive pas à me situer dans le temps, l'espace
je n'ai pas de scénario,
je ne comprends rien
j'airais un texte dans une langue étrangère, ce serait la même chose: je déchiffre, mais sans pouvoir donner un sens à ce que le déchiffre

un personnage qui surgit: Nina...c'est qui? Je ne sais pas....tout est mélangé....c'est l'enfer à lire

Il y a de fortes chances que je ne le finisse pas.....je ne peux lire plus de 10 lignes sans aller vaquer ailleurs, en me demandant ce que peut bien vouloir dire l'auteur.
Un livre que j'avais dans ma pile parce qu'un livre "New York" et que je croyais pouvoir me plaire.....Désolée de vous lâcher, mais je n'ai pas de plaisir dans cette lecture que je n'arrive pas à comprendre

Arrête ta lecture, et ne t'en fais pas. Prends un autre livre et lis-le avec plaisir.

C'est vrai que Don DeLillo, à la suite notamment de Cormac McCarthy, introduit un personnage sans le nommer. Si bien que nous devons attendre un indice, quelques paragraphes plus tard, pour savoir de qui il s'agit, si nous l'avons déjà rencontré, etc.

Sur ce fil on parlait des difficultés d'entrer dans une oeuvre, quand le récit devient tarabiscoté, comme c'est le cas dans certains films. Au moins avons-nous parfois la possibilité de reconnaître la silhouette quand il y a image. Sur le papier, il nous faut attendre, et ne pas s'angoisser.

Dans les romans étrangers, on attend aussi d'avoir une vue globale, sans s'inquiéter si un mot ou un épisode nous semblent un peu obscurs ; tout se décante...

P 245 l'auteur utilise une expression symptomatique :

" ce mélange d'existences innombrables que ne reliait entre elles aucune histoire".

Nina est la mère de l'héroïne. Celle qui fréquente le marchand d'art au passé douteux.

c'est tout simplement une lecture qui est au dessus de mes moyens intellectuels. Je ne suis pas apte à comprendre ce genre de littérature...
Si la route est de la même veine, je ne prendrai pas le risque de m'y mettre.....je risque le même écueil