Balzac V, le bal de Sceaux + Gobseck

C'est une nouvelle dont le début est un peu indigeste, dans la mesure où il parle des déceptions matérielles d'un royaliste fidèle endetté par ses dépenses dans la guerre de Vendée. Revenu au pouvoir, louis XVIII le recompense par des bons mots, son estime, des postes interessants ou de confiance, et Monsieur de Fontenay parvient du moins à bien marier ses fils et ses filles, à des gens fortunés.

La dernière fille pose problème : enfant gâtée, exigeante et capricieuse, elle a hérité de sa mère des préjugés de caste, et pour son futur mari, veut un homme élancé, de noble extraction, de belles manières, et... fils d'un pair de France.

Les railleries qu'elle reçoit ne font que l'ancrer dans ses déraisonnables exigences. Il semblerait pourtant qu'un jeune homme rencontré au bal de Sceaux corresponde, pour l'instant, à certains critères du modèle requis.

Emilie est excessive, ses réparties sont vives, son ironie, redoutable, et elle correspondrait bien à un personnage de Marivaux qui sera surpris par l'amour. On verra pour la suite.

Du moins s'amuse-t-on de la sagesse des vieillards (Balzac assumerait-il son rôle ? le vieillard était à l'époque un quarantenaire ou un cinquantenaire), de la faconde et des manèges d'un oncle d'Emilie : ancien navigateur, celui-ci a conservé les mots et les métaphores de son métier, et il "navigue de conserve" avec sa nièce.

je retrouve dans le bal de sceaux des expressions dont Mazel avait parlé : Le lovelace, vu comme un séducteur( cf. Clarissa harlowe de Richardson), mais ici sous la forme comique de lovelace de comptoir, ce qui ne grandit pas. En opposition un Saint Preux dans cette même nouvelle pour désigner un amoureux sincère( Cf. Rousseau).

Si la danse intervient à plusieurs reprises dans cette nouvelle, l'auteur pratique, quant à lui, le "contre-pied". Ce qui était attendu n'arrive pas, et la pauvre Emilie, dont les railleries étaient si piquantes, devient la cible des ragots, y compris de l'auteur ; il ne lui épargne rien, pas même la fumée de tabac, signe manifeste des mauvaises manières.

Faut-il y voir le ressentiment d'un auteur dont la prétention à la noblesse aurait essuyé des affronts ?

Balzac s'amuse cruellement avec son vice-amiral qui, après avoir exercé au profit de sa nièce sa stratégie de position, lui en rabat les oreilles par le récit des batailles navales ?

l'interrogation cocasse de l'auteur cache mal les ragots malveillants :"traitait-il sa femme en époux ou en père ?"

Emilie est ridicule dans ses préjugés de classe, et elle s'y ancre tellement qu'elle en devient encore plus risible : épouser un vieil oncle et rater "l'amour de sa vie" parce qu'il s'était assis derrière un comptoir !! Mais je l'ai quand même trouvé touchante vers le milieu, quand elle est tiraillée entre son amour et la question qui la taraude ("Est-ce qu'il est noble ?").

Quand à Longueville, il est trop parfait pour être vrai : en dehors du cahier des charges d'Emilie, qu'il remplit à merveille, il a des qualités humaines indéniables qui manquent bien à notre héroïne : constance, droiture, ouverture d'esprit.

Toujours bon à savoir : le titre de la nouvelle dans l'édition original était Le bal de Sceaux ou le Pair de France.

Le traitement de la nouvelle est très intéressant : elle commence sur un ton de comédie, et finit presque en tragédie (enfin ça dépend de quel point de vue on voit les choses ). Dans mon édition, Anne-Marie Baron souligne dans la préface que la nouvelle est un modèle du genre, et offre "un échantillon représentatif de cet univers" (balzacien).

Elle met aussi bien en avant le contexte historique de la Restauration, où se mêle "ancienne" et "nouvelle" noblesse, légitimistes, orléanistes, bourgeois... Anne-Marie Meininger le qualifie de "lieu de rencontre symbolique entre le passé et l'avenir", "intéressante mêlée de l'aristocratie et du peuple [...], de la classe finissante et de la classe ascendante" qui caractérise le règne de Louis XVIII.

Citation :

Mais Sceaux possède un autre attrait sur le Parisien. Au milieu d'un jardin d'où se découvrent de délicieux aspects, se trouve une immense rotonde ouverte de toutes parts dont le dôme aussi léger que vaste est soutenu par d'élégants piliers. Ce dais champêtre protège une salle de danse. Il est rare que les propriétaires les plus collets-montés du voisinage n'émigrent pas une fois ou deux pendant la saison vers ce palais de la Terpsichore villageoise, soit en cavalcades brillantes, soit dans ces élégantes et légères voitures qui saupoudrent de poussière les piétons philosophes. L'espoir de rencontrer là quelques femmes du beau monde et d'être vus par elles, l'espoir moins souvent trompé d'y voir de jeunes paysannées aussi rusées que des juges, fait accourir le dimanche, au bal de Sceaux, de nombreux essaims de clercs d'avoués, de disciples d'Esculape et de jeunes gens dont le teint blanc et la fraîcheur sont entretenus par l'air humide des arrière-boutiques parisiennes. Aussi bon nombre de mariages bourgeois se sont-ils ébauchés aux sons de l'orchestre qui occupe le centre de cette salle ciruclaire. Si le toit pouvait parler, que d'amours ne raconterait-il pas ? Cette intéressante mêlée rendait alors le bal de Sceaux plus piquant que ne le sont deux ou trois autres bals des environs de Paris sur lesquels sa rotonde, la beauté du site et les agréments de son jardin lui donnaient d'incontestables avantages.

Passage délicieux, on dirait presque que le narrateur a pris le point de vue d'Emilie. Et puis c'est amusant de voir qu'à l'époque, les Parisiens venaient à Sceaux prendre l'air de la campagne (aujourd'hui l'air est un peu moins disons... frais enfin il reste le parc)

Balzac, emporté par son sujet, ou décidé à ce qu'Emilie apprenne vite la vérité sur l'amoureux rejeté, force le trait en autorisant de la part du secrétaire d'ambassade (il l'appelle le babillard secrétaire d'ambassade) un "flux de paroles" bien peu vraisemblable; Il multiplie donc les excuses, le secrétaire revient d'Allemagne, se déclare "intarissable sur son frère", parle de son "babil", prétend avoir été poussé à l'indiscrétion par l'habileté de Mademoiselle Emilie etc.

C'est un personnage verbeux, qui poursuivra Emilie de ses "ragots mondains".
On voit ainsi la vraie valeur de Maximilien, actif et discret, loyal etc, trop beau pour être vrai, alors que son frère est une outre pleine de vent

J'ai commencé Gobseck : on est en terrain de connaissance avec les amours d'un jeune couple, Camille de Grandlieu et le vicomte de Restaud, l'avoué Derville, une belle figure honnête de la Comedie humaine, au courant de bien des secrets.

Le faubourg Saint Germain et La Chaussée d'Antin sont présents comme les deux forces sociales de l'époque, l'une déclinante, l'autre montante, toutes deux concernées par des rapports avec l'usurier Gobseck, dont on sera curieux de voir les metamorphoses :

Vers le soir l'homme-billet se changeait en un homme ordinaire, et ses métaux se métamorphosaient en coeur humain.

Etonnante puissance de celui qui, au courant des histoires d'argent, plonge dans les profondeurs du coeur humain, comme Balzac lui-même.

Mon regard est comme celui de Dieu, je vois dans les coeurs. Rien ne m'est caché. On ne refuse rien à qui lie et délie les cordons du sac. Je suis assez riche pour acheter les consciences de ceux qui font mouvoir les ministres, depuis les garçons de bureau jusqu'à leurs maîtresses : n'est-ce pas le Pouvoir ? j epuis avoir les plus belles femmes et leurs plus tendres caresses, n'est-ce pas le Plaisir ? le Pouvoir et le Plaisir (1) ne résument-ils pas tout votre ordre social ?

Balzac invite donc, par le témoignage de Derville, à découvrir la face cachée d'un personnage de premier plan ( comme dans la messe de l'athée), et par là ouvrir des portes dérobées de la Comédie humaine.

(1) rappel de l'Or et du Plaisir, ce beau couplet inaugural de la fille aux yeux d'or.

Gobseck

2/2

Drôle d'alliance entre Gobseck, l'usurier impitoyable, et Derville, l'avoué consciencieux et attaché à la morale.

Faute d'avoir une édition annotée, je reste un peu surpris par les termes de finance et d'embrouille (les deux allant de pair) comme fidéicommis et réméré, sans parler des intrigues pour l'appropriation des biens entre époux.

Balzac puise dans son sens du théâtre pour les allées et venues successives des personnages, les scènes dramatiques avec l'agonisant pointant le doigt vers la coupable etc.

Son goût du système joue de la proximité de l'homme avec son habitat - Gobseck est comme "une huître attachée à son rocher", et même d'une hérédité psychologique : madame de Restaud, fille du père Goriot, prête à tout pour sa progéniture.

Quant à Gobseck, capable d'une magnanimité toute relative et bien ponctuelle, il demeure dans la Comédie humaine, un Dieu qui tient serrés les cordons de la Bourse et perce à jour les errements du coeur... et du corps

Citation :

Gobseck "était né en 1740 dans les faubourgs d'Anvers, d'une Juive et d'un Hollandais, et se nommait Jean-Esther Van Gobseck"

Contrairement à ses habitudes, Balzac ne fait pas de commentaire sur ses origines. Il voit en lui un usurier, un point c'est tout. En revanche quand il s'agit d'un Polonais comme dans la fausse maîtresse, il avait sorti les grands plats pour y mettre ses commentaires.

Donc, pour Mazel, pas grand chose à tirer pour ton image du Juif dans la littérature. Si tu lis l'Argent de Zola, l'antisemitisme de Saccard y est très visible, dans le contexte de lutte entre la banque juive et la banque catholique.

On fera aussi justice des propos passe partout du genre "à l'epoque tout le monde était antisémite" ou "il n'était pas antisémite puisqu'il avait des amis juifs", affirmations qui ne valent rien, n'expliquent rien, et justifient tout et n'importe quoi.