Georges Perec

Avec W ou le souvenir d’enfance, chez l’imaginaire, Gallimard, Georges Perec renouvelle l’écriture de soi : deux histoires alternent, l’une fictive en italique, l’autre, biographique.

Mais les deux fils s’interpénètrent et s’interrogent, car le premier cernait sans trop le savoir un secret qu’il pressentait, et l’autre, hésitant dans ses débuts sur la conduite à tenir, décrypte le premier et s’efforce de découvrir ou de reconstituer le destin familial.

Il s’aventure aussi dans les motifs et arcanes du désir d’écriture qui s’est éveillé tôt chez Pérec.

Questionnement sur une enfance et ses manques, interrogation sur l’écriture face à l’indicible, W est un récit polyphonique et douloureux sur les blessures intimes.[center]

Citation :

« Moi, j’aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le dîner. Sur la table, il y aurait eu une toile cirée à petits carreaux bleus ; au-dessus de la table, il aurait eu une suspension avec un abat-jour presque en forme d’assiette, en porcelaine blanche ou en tôle émaillée, et un système de poulies avec un contrepoids en forme de poire. Puis je serais allé chercher mon cartable, j’aurais sorti mon livre, mes cahiers et mon plumier de bois, je les aurais posés sur la table et j’aurais fait mes devoirs. C’est comme ça que ça se passait dans mes livres de classe. »

Le récit fictif qu’il a imaginé enfant raconte l’utopie d’une cité olympique qui tourne vite au cauchemar. Elle renvoie à l’envers du décor des films esthétisants de Leni Riefensthal, la cinéaste des jeux olympiques sous le régime nazi.

Citation :

Pendant des années, j’ai dessiné des sportifs aux corps rigides, aux faciès inhumains ; j’ai décrit avec minutie leurs incessants combats ; j’ai énuméré avec obstination leurs palmarès sans fin.

Avec le recul du temps, l’examen de ses propres souvenirs et ses recherches, Pérec découvre qu’il « ressassait » l’histoire des camps de concentration où sa mère avait disparu.

Devant la difficulté de reconstituer sa propre histoire, Perec découvre une source de son amour pour la lecture :

Citation :

Les livres racontaient une histoire ; on pouvait suivre ; on pouvait relire et, en relisant, retrouver, magnifiée par la certitude qu'on avait d eles retrouver, l'impression qu'on avait d'abord éprouvée [...]

Il éprouve dans la lecture de ses livres favoris

Citation :

"une complicité, une connivence, ou plus encore, au-delà, une parenté enfin retrouvée".

J'ai entendu une explication du type histoire littéraire à propos de W ou le souvenir d'enfance paru en 1975; comme pour les choses en 1965.

Parait-il qu'à l'époque, sous l'influence des coups de boutoir du nouveau roman, parler de vécu était mal vu dans les sphères littéraires que frequentait notamment Pérec. Il fallait "écrire l'aventure de la phrase" et non du biographique.

Aussi Pérec dans les choses aurait usé d'un subterfuge, le document sociologique de portée générale pour transmettre en réalité un épisode personnel. Dans W le récit fictionnel aurait joué aussi le rôle de masque. Pourquoi pas ?

Cela n'exclut pas les autres interprétations : l'aventure personnelle de Pérec les choses fut celui d'une génération qui succombait au consumérisme, et le récit d'enfance W comme psychanalyse d'une interrogation vécue sur l'absence des parents.

On peut jouer sur les deux tableaux ( je n'avais pas pensé à la pression littéraire due au nouveau roman, mais mon informateur s'y connaît) et on sait que Pérec était virtuose en la matière.

L'homme qui dort - que je n'ai pas lu, serait la traduction d'une dépression personnelle de l'auteur.

Des jeux et des crimes : 1936 Le piège blanc olympique, de Monique Berlioux montre comment les successeurs et amis de Pierre de Coubertin voulurent le premier triomphe international d'Adolf Hitler. W ou le souvenir d'enfance tape donc juste.

pas beaucoup d'amateurs pour Pérec !

je pense à lui à propos du sommeil et des rêves; Un titre l'homme qui dort, et dans W ou le souvenir d'enfance, un fantasme initial.

Dans son livre le sommeil et le rêve, trop compliqué pour moi car Michel Jouvet en neurobiologiste fait appel à des connaissances que je n'ai pas, l'auteur cite des rêves de georges pérec. Ce dernier les raconte dans la boutique obscure :

on trouve par exemple un personnage que le rêveur connaît - et reconnaît, mais qui délivre un message incompréhensible. Ca fait penser à un avertissement ou à un oracle.

Jouvet y voit un exemple de dissociation entre les deux hémisphères du cerveau : le droit permet la reconnaissance des visages, le gauche la compréhension de la parole.

Or, en gros, le gauche a du retard dans le sommeil à ce moment-là.

Perec est-il passé de mode ?

[...] J'ai pris conscience de ce rejet grâce à un fait insignifiant mais significatif, l'autre jour, à la bibliothèque municipale où j'avais coutume de déposer un exemplaire du Bulletin de l'Association Georges Perec. On m'a gentiment fait savoir que désormais je pouvais me dispenser de ce don [...] (8 janvier 2008)

La suite ici, sur les Notules dominicales

c'est bien triste !
quels rapports entretiens-tu avec ces notules ?
(je cherche à démêler les fils...)

Je suis justement en train de lire Espèces d'espaces, je me régale . Perec donne à réenvisager l'espace, à l'observer, à faire attention à l'organisation d'une page,des pièces d'un appartement, des villes, des quartiers...Il veut nous faire changer de regard sur ce qui nous semble habituel et banal mais qui ne l'est pas tant que ça.Il essaye par exemple d'imaginer une pièce qui serait totalement inutile, qui ne servirait à rien.Certaines remarques sont très amusantes, je les noterai sur ce fil

Rotko: L'auteur des Notules est un perecophile remarquable, il parle souvent de l'écrivain tout au long de ses réflexions hebdomadaires.. Je le citais pour ça.

De Perec, j'aime bien "Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?".
C'est un tout petit livre, une pêche à la ligne loufoque pour apprentis linguistes. On peut le lire comme un jeu, en recherchant les procédés littéraires dont il donne la liste à la fin. Il en a inventé certains, d'ailleurs. à étudier pour de rire.

Igitur a écrit:

Qui, ici, a lu une vie mode d'emploi entièrement ?

pas moi, mais j'ai parcouru Cahier des charges de la Vie mode d'emploi -- Georges Perec ; présentation, transcription et notes par Hans Hartje, Bernard Magné et Jacques Neefs .

Editeur : Paris , CNRS Cadeilhan , Zulma -- 1993


qui présente des diagrammes et programmes très compliqués, avec des flèches qui vont dans tous les sens.
en voici un aperçu

sur ce site

C'est vrai que le fil pérec demanderait à être etoffé.

Il y a aussi la tentative d'épuisement d'un lieu parisien, moins connu, où Pérec tente de tout dire d'un endroit, une place parisienne en fait. Tout jusqu'aux moindres détails.
C'est bien moins long que la vie mode d'emploi (une soixantaine de pages en fait), mais c'est le même esprit.

le musée des beaux-arts de Nantes a réalisé une exposition sur l'art contemporain de george Pérec

Cliquer sur le lien pour voir quelques artistes.

Pérec, lui, fallait le connaître, car il était présent en creux.

- l'enfance et les artistes du biographique, c'était W

- les tableaux sociologiques, type chambre à coucher d'un célibataire dans les années 60, renvoyait aux choses

- le ludique ou les contraintes, allusion à la disparition ou aux jeux de l'Oulipo. Ajoutons-y les "séries", comme dans je me souviens.

-le romanesque avec la vie mode d'emploi.

Il y avait certainement des allusions à espèces d'espaces, mais je ne l'ai pas lu !

Mais de Pérec directement, rien, nul panneau ou nul texte accompagnant les oeuvres de ses contemporains, ce qui faisait dire à une jeune femme (il faut toujours écouter les jeunes femmes !) qu'elle restait sur sa faim, - en ce qui concernait Pérec.

Mais non Perec n'est pas passé de mode ! Enfin, je dis ça, mais en fait je n'en sais rien. Tout ce que je peux dire, c'est que je l'ai lu et que cela doit même être le seul auteur dont j'ai absolument tout lu, jusqu'à ses projets restés inachevés.

Aujourd'hui, si je ne devais garder que quelques titres, ce seraient d'abord ceux de trois romans : "Les choses", "Un homme qui dort" et "La vie mode d'emploi". Ce seraient ensuite ses oeuvres les plus autobiographiques : "Je me souviens" et "W ou le souvenir d'enfance". Enfin ce serait un essai inclassable : "Espèce d'espaces".

Sur Perec, il ya aussi pas mal de choses intéressantes à lire. De ce côté là, je retiendrai les deux livres de Claude Burgelin :
- "Georges Perec" dans la collection Les contemporains du Seuil : c'est un ouvrage idéal pour des étudiants qui voudraient comprendre un peu mieux Perec
- "Les parties de dominos chez Monsieur Lefèvre" chez Circé : un ouvrage beaucoup plus pointu sur les rapports de Perec à la psychanalyse.
Il y a également un ouvrage de Philippe Lejeune sur Perec et l'autobiographie : "La mémoire et l'oblique" chez POL.
Et puis il y a un épatant ouvrage de Roland Brasseur qui élucide les "Je me souviens".

Mais il est vrai que je trouve également Perec bien absent de la toile et particulièrement des blogs de lecture. Et j'avoue que je ne vois pas très bien pourquoi...

Dommage que tu n'aies pas vu l'exposition de Nantes. Pour un lecteur averti de pérec, elle devait être plus riche que pour moi, lecteur occasionnel, mais très intéressé.

je note l'ouvrage de brasseur sur je me souviens, ouvrage qui m'a souvent paru mal compris sur forums et blogs, et qui donne lieu à des séries de souvenirs à la petite semaine par tout un chacun.

Coup de veine, je peux me le procurer. C''est Je me souviens de Je me souviens : notes pour Je me souviens de Georges Perec à l'usage des générations oublieuses -de Roland Brasseur , paru au Castor Astral. Un grand merci !

je regrettais que le fil Pérec soit un peu maigre. Tu arrives bien

En plus cet ouvrage de Brasseur a une histoire étonnante. Il a mené des recherches assez monomaniaques sur les Je me souviens et a fait paraître son livre à compte d'auteur. Ce n'est qu'ensuite qu'il a été repéré par le Castor astral et gagné ainsi en visibilité.
Non malheureusement je n'ai pas vu cette expo nantaise, mais étant donné ce que tu en dis, je n'ai pas trop de regrets...

Mon avis n'est que subjectif, et traduit mes attentes.

Les oeuvres qui étaient présentées étaient interessantes. Pérec comme tu le sais, avait beaucoup d'amis qu'il encourageait dans différentes directions, et son rôle ne se limitait pas à celui d'un écrivain.

Par ailleurs je connaissais déja plusieurs artistes pour les avoir vus dans différentes expositions, notamment au Mac Val, ou chez Dina Vierny au musée Maillol, ou pour avoir vu les films de Regis Perray et entendu ses propres commentaires.

Citation :

Une forme d’engagement simple et quotidienne se profile au cœur de la création de Régis Perray à l’image de son amour pour la peinture flamande et ses scènes du quotidien : vivre le temps pleinement sans chercher à aller toujours plus vite (vidéo Paris pour ne rien faire, 2003), employer des moyens simples, lents et répétitifs (vidéo Patinage artistique au Musée des Beaux-Arts de Nantes, 2000, dans laquelle l’artiste lustre les parquets du musée « chaussé » de patins), s’imposer des exercices, des performances physiques même qui nécessitent un entraînement et une hygiène de vie (comme pour préparer le patinage au Musée de Nantes, expérience qui a duré environ un mois et demi pendant lequel l’artiste a patiné tous les jours d’ouverture).

W ou le souvenir d'enfance est un grand classique des lectures complémentaires au bac (étude de l'autobiographie).

J'ai essayé de lire La Disparition. Je ne sais plus si cela m'a ennuyée ou si je n'ai rien capté mais j'ai abandonné au bout de quelques pages. Encore un beau livre acheté pour rien. Enfin, cela fait assez original dans une bibliothèque un livre sans "e". Je le montre à l'occasion à mes invités, comme on montrerait un phénomène de foire.

Perec cite dans la disparition un titre de livre Blanc ou l'oubli d'Aragon, ce qui aurait dû mettre la puce à l'oreille, au moins des critiques, puisque le titre est blanche ou l'oubli.

Pérec pose des pbs de lecture, c'est un auteur difficile d'accès.

En lisant un homme qui dort, je me souviens (!) de l'exposition de Nantes

"Regarde de tous tes yeux,
regarde", l’art contemporain de Georges Perec,

et en particulier de la chambre à coucher de cette exposition..



Si chaque lecteur peut interpréter le texte qu’il lit, je choisirais bien pour l’homme qui dort de Perec une interprétation théâtrale : un comédien, seul sur scène, ferait de ce monologue où le récitant s’adresse à lui-même - le « tu » constant dans le texte, un chant de solitude, et plus que d’indifférence, de lassitude.

Vu qu’il faudrait au comédien un bon souffle dans cette épreuve d’endurance, on lui adjoindrait, si besoin, un comparse, chargé des morceaux répétitifs du texte, soit pour en montrer le ressassement, ou pour en accentuer le caractère ludique.

Le paradoxe du texte réside à mes yeux dans ce double caractère : poétique comme chez Apollinaire dans « Zone » - un paysage de « seconde zone », dit d’ailleurs le récitant, et du ludique, voire de l’acrobatique, puisqu’il joue avec virtuosité de l’énumération, de la thématique récurrente, et se raccroche à d’autres textes pour les mêler à sa propre pâte.

Coucou tous, et bonne année !

Comme par un fait exprès, je viens juste de m'offrir un Perec que je n'ai pas encore lu : "L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation".

A croire que c'est de saison

roudita a écrit:

Coucou tous, et bonne année !

Comme par un fait exprès, je viens juste de m'offrir un Perec que je n'ai pas encore lu : "L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation".

A croire que c'est de saison

je crois l'avoir vu, c'est une sorte de jeu de l'oie, comme l'histoire des petits pois de Queneau

un homme qui dort

j'ai été frappé par un certain pessimiste de Pérec, dont on sait qu'il était dépressif (notamment en écrivant W) et a suivi longtemps une analyse.

Il avoue et cache en même temps

Dans un homme qui dort, il se voit sans avenir à 25 ans

Citation :

Tu préfères être la pièce manquante du puzzle. Tu retires du jeu tes billes et tes épingles. Tu ne mets aucune chance de ton côté, aucun œuf dans nul panier. Tu mets la charrue avant les bœufs, tu jettes le manche après la cognée, tu vends la peau d e l’ours, tu manges ton blé en herbe.

Il éprouve pour tout une grande indifférence (mot qui rappelle 'L'Etranger de Camus, dont le premier titre était l'indifférent)

Citation :

L’indifférence n’a ni commencement ni fin : c’est un état immuable, un poids une inertie que rien ne saurait ébranler. Des messages du monde extérieur parviennent encore sans doute à tes centres nerveux, mais nulle réponse globale qui mettrait enjeu la totalité de l’organisme, ne semble pouvoir s’élaborer.