Georges Perec

Un homme qui dort
(comme toi, rotko, je trouverais intéressant de voir une adaptation théâtrale de la pièce...)

Ce texte est étrange, fascinant, terriblement troublant car il pourrait rapidement nous concerner....L'histoire d'un jeune homme de vingt-cinq ans, visiblement étudiant en sociologie, qui décide de se laisser aller, mais véritablement, qui n'ira pas passer ses examens, qui ne verra plus personne, ne sortira plus sauf pour se promener et acheter l'indispensable. Pour le reste, sa chambre lui suffit. Le récit est rédigé dans son entier à la 2ème personne du singulier, ce qui crée une sensation étrange, comme si l'auteur parlait à son personnage mais aussi et surtout comme s'il nous parlait à nous-même, nous mettait en garde, en quelque sorte...
Un film en a été issu, quelqu'un l'a vu ?

pas vu le film, et je doute de pouvoir le voir un jour...

Sous le regard du narrateur, les personnages et le monde qui nous entourent ne sont pas réjouissants :

les passants

Citation :

Bannis, parias, exclus, porteurs d’invisibles étoiles. Ils marchent en frôlant les murs, têtes baissées, épaules tombantes, mains crispées s’accrochant aux pierres des façades, gestes las de vaincus, d mordeurs de poussière.

la ville

Citation :

Ville putride, ville ignoble, hideuse. Ville triste, lumières tristes dans les rues tristes dans les music halls tristes, queues tristes devant les cinémas tristes, meubles tristes dans les magasins tristes.

Le narrateur lui-même n'est pas au mieux de sa forme. On voit là le Pérec dépressif, parfois obligé d'arrêter sa publication de W prévue en feuilleton dans la presse, ou bien suivant une psychanalyse qui s'éternise.

Citation :

Quels secrets cherches-tu dans ton miroir fêlé ? Quelle vérité dans ton visage ? Cette face ronde, un peu gonflée, presque bouffie déjà, ces sourcils qui se rejoignent, cette minuscule cicatrice au-dessus de la lèvre, ces yeux un peu globuleux, ces dents irrégulièrement plantées, pleines de tartre jaunâtre, ces excroissances multiples boutons, points noirs, verrues,

Citation :

Tu es seul. Tu apprends à marcher comme un homme seul, à flâner, à traîner, à voir sans regarder, à regarder sans voir. Tu apprends la transparence, l’immobilité, l’inexistence.

Tu apprends à être une ombre et à regarder les hommes comme s’ils étaient de pierre, tu apprends a rester assis, à rester couché, à rester debout.

Tu apprends à mastiquer chaque bouchée, à trouver le même goût atone à chaque parcelle de nourriture que tu portes à ta bouche.

Tu apprends à regarder les tableaux exposés dans les galeries de peinture comme s’ils étaient des bouts de murs, de plafonds, et les murs, les plafonds, comme s’ils étaient des toiles dont tu suis sans fatigue les dizaines, les milliers de chemins toujours recommencés, labyrinthes inexorables, texte que nul ne saurait déchiffrer, visages en décomposition.

rotko a écrit:

pas vu le film, et je doute de pouvoir le voir un jour...

Pourquoi ?

le film existe en DVD
Un homme qui dort -de Georges Perec et Bernard Queysanne, Edition Digipack le Texte intégral du Film

voici les dix premières minutes du film

je voulais dire que j'ai peu de possibilités de le voir sur écran,
- à moins d'un coup de chance.

je crois aux coups de chance

Penser/classer
Un petit livre, des notes sur un tas de sujets : la classification des livres, la description de son bureau de travail, une réflexion sur l'analyse, et même un exercice de style oulipien, avec des permutations sur des recettes : très drôle.

Bref un condensé de l'oeuvre de Perec, très sympa et attachant.

rotko a écrit:

roudita a écrit:

Coucou tous, et bonne année !

Comme par un fait exprès, je viens juste de m'offrir un Perec que je n'ai pas encore lu : "L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation".

je crois l'avoir vu, c'est une sorte de jeu de l'oie, comme l'histoire des petits pois de Queneau

Alors, en fait, non, ca n'est pas un jeu de l'oie. C'est un exercice de style que Perec a réalisé sur base d'un algorythme (comme en informatique ou en gestion de l'information), le but étant d'envisager tous les enbranchements possibles de manière linéaire et non schématique. Et pour aider, ils fournissent l'algorythme de base en schema au début du livre.

C'est écrit sans aucune ponctuation, sans paragraphe, tout d'une traite. Il y a des récurrences et des variations sur un même thème, c'est très drôle.

Merci à Firenze pour l’information concernant l’émission de ARTE consacrée à Boris Vian ce jeudi ! Sans cela, je l’aurais sûrement ratée.
Et puis, au passage, en « fouinant » dans les écrits de Firenze, je découvre qu’il (elle ?) a lu « W ou le souvenir d’enfance » de Perec…Superbe ! Le thème du « souvenir » me passionne. Et je ne résiste pas à l’envie de citer un extrait de ce livre que j'aime beaucoup :

« Je n'ai pas de souvenir d'enfance. Jusqu'à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j'ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j'ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m'adoptèrent. Cette absence d'histoire m'a longtemps rassuré : sa sécheresse objective, son évidence apparente, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon précisément de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n'était ni sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente. “Je n'ai pas de souvenirs d'enfance” : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l'Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps. »

Excellent livre, oui. J'ai surtout apprécié la partie fictive, quoique les fades anecdotes - et surtout celles à propos d'Un Homme qui dort - de l'autre soient très charmantes. Mais la manière dont l'écriture introduit encore plus l'horreur de l'île qu'il n'y paraît à première vue est tout à fait prodigieuse. George Perec, un grand Monsieur.

Penser/Classer est un recueil regroupant différents articles autour d'un même thème : le classement. Il n'est pas évident d'en parler d'un point de vue global, car chaque article aborde le rangement d'une certaine manière...Cette obsession n'est pas effectuée sans malice de la part de Perec, qui parvient toujours à parler des objets du quotidien (ainsi, il énumère tous les objets se trouvant sur son bureau, ce qui en apparence pourrait sembler ennuyeux , mais qui en fait est très drôle). Je ressens toujours une sorte de connivence entre l'auteur et le lecteur, comme si finalement, il nous disait :"Vous voyez, on peut voir les choses matérielles d'une autre façon", mais toujours d'une manière inattendue. J'aime particulièrement l'article qui aborde les différentes façons de ranger une bibliothèque, ainsi que celui qui répertorie les différents emplois du verbe "habiter".

je viens de finir la vie mode d'emploi. ce livre m'a définitivement appris à sauter des pages.

ceci était une participation éclair.

Personne ne parle de La vie mode d'emploi !

Moi-même, je n'ai jamais réussi à en lire plus de trente pages, j'abandonne à chaque fois (et la manie de tout détailler m'exaspere parfois).

Alors si quelqu'un l'a lu, je voudrais bien qu'on me donne une bonne raison de faire une dernière tentative.

Je n'ai pas lu non plus la vie mode d'emploi : j'ai parcouru ses notes de travail, avec les schémas d'organisation, ce qui permet de comprendre les intentions et les mécanismes avoués de l'auteur pour sa réalisation.

Parfois, outre le regard sur les coulisses de l'oeuvre, voir d'autres oeuvres introduit dans l'univers de l'auteur.
J'avais vu à Nantes l'exposition(cf. pages 1 et 2) "regarde de tous tes yeux, regarde" consacrée à Pérec et aux artistes contemporains qui appliquent des critères dont il s'est fait le champion.

Ainsi on voit des passerelles entre l'écrit et le visuel, entre la littérature et l'art, ce que soulignent dans le catalogue de l'exposition les articles de Jean pierre Salgas, d'andré Rouillé etc.

Ce catalogue se clôt sur des notices d'artistes qui ont participé à l'exposition de Nantes, puis de Dole.

Le catalogue explicite l'exposition que j'avais vue à Nantes.

Penser/classer, paru au Seuil, intéresse car on y voit des considérations de Perec qui valent celles de Barthes sur la mode, ou qui s’inspirent de Marcel Mauss pour l’étude du banal, fréquent champ d’interrogations de l’art contemporain.

Les variations sur une simple expres​sion("j’habite en France / j’habite la France" etc.) situent l ’auteur des Choses dans la lignée des exercices de style de Raymond Queneau, remarques savoureuses, mais aussi allusions romanesques quand il évoque les aventures de Jules Verne (cf. le début de W).

Perec ne pratique pas gratuitement les inventaires ou les catalogues : il y décrypte son moi et y voit la présence de son histoire ; C’est dans le banal des descriptions de son bureau qu’il découvre sa manière de travailler, qu’il recherche son identité.

Citation :

« une manière de marquer mon espace, une approche un peu oblique de ma pratique quotidienne, une façon de parler de mon travail, de mon histoire, de mes préoccupations, un effort pour saisir quelque chose qui appartient à mon expérience, no pas au niveau de ses réflexions lointaines, mais au cœur de son émergence ».

L’écriture devient un décryptage comme une analyse psychanalytique.

Citation :

« je pose comme une évidence cette équivalence entre la parole et l’écriture de la même manière que j’assimile la feuille blanche en à cet autre lieu d’hésitation, d’illusions et de ratures que fut le plafond de mon cabinet d’analyse ».

Réponse tardive à une question posée sur le fil des lectures d'octobre :

Marie kiss la joue a écrit:

L'écureuil volant a écrit:

et Un homme qui dort de Georges Perec.

Qu'en as-tu pensé ? J'avais beaucoup aimé !

J'ai bien aimé aussi, c'est un livre qui m'a beaucoup touché. Le tutoiement du lecteur n'y est sans doute pas pour rien. Quant aux autres raisons, elles sont trop personnelles pour que je les évoque sur un forum public. Je crois que je vais le relire régulièrement.

1/2 L’augmentation de Perec,avec Olivier Dutilloy et Anne Girouard, compagnie "le Festin".

La scène s’inscrit comme un vestibule entre deux rangées de cinq portes. Elles sont allumées ou non, toujours closes, bien sûr, sauf quand on entre ou sort, mais on ne voit jamais à l’intérieur.

Au début une pantomime : un couple entre ou sort, se croise sans se voir, ou en s’évitant, sur une musique digne de James Bond : le parcours héroïque du combattant dans les bureaux !

Cette pantomime illustre certaines expressions bien connues : frapper à la bonne porte, rester à la porte,... se faire jeter !

2/2 l'augmentation

Pour la suite, la demande d’augmentation recense systématiquement les différentes possibilités : le chef de service (auprès duquel il faut solliciter l’augmentation) est-il là, pas là, en retard , disponible, etc.

Que faire ?, comme dirait Lénine, en chaque cas.

Pérec nous introduit dans un labyrinthe rationnel de possibilités administratives, que les comédiens débitent d’une voix de répondeur téléphonique (« taper 1, taper 2 »), de petit chef autoritaire, ou de collègue de bureau, épuisé, blasé, énervé ou aviné (après la fête orgiaque).

Il en résulte toute une conception du monde, dont on rit, car elle caricature ce que nous connaissons : l’individu devenu un pion sans importance perdu dans une grande machine.

On oppose à ses demandes le silence, la brutalité sèche, ou la langue de bois dont il n’y a rien à tirer.

C’est l’univers de la Multinationale, ou de l’État Bureaucratique : gesticulez, hurlez(1), trépignez, on ne vous voit pas, on ne vous entend pas, vous n’existez pas !

(1) La pièce est fort bien représentée, mais on en a parfois "plein les oneilles", dirait Ubu. L’ensemble constitue un bon spectacle que je vous recommande.

Citation :

C’est l’univers de la Multinationale, ou de l’État Bureaucratique : gesticulez, hurlez(1), trépignez, on ne vous voit pas, on ne vous entend pas, vous n’existez pas !

Citation :

Il en résulte toute une conception du monde, dont on rit, car elle caricature ce que nous connaissons : l’individu devenu un pion sans importance perdu dans une grande machine

ça me rappelle quelque chose! Oui, un pion sans importance.......Il ne faut pas s'attendre à de la compassion.

Un cabinet d’amateurs, chez Points Seuil, avec en couverture

la galerie de Cornelis Van der Geist de Willem van Haecht




est une intéressante - et amusante, incursion de Perec dans la peinture ; c’est surtout le début qui m’a séduit, avec ce tableau (plongée verticale) qui rassemble plusieurs tableaux d’un collectionneur et en fait une multiplication vertigineuse en « abyme », avec quelques variantes dans la répétition des miniatures progressives : 

Citation :

« Un berger rentrant ses moutons (la leçon de peinture, école hollandaise) en aurait compté une dizaine sur la première copie, une vingtaine sur la seconde, et plus aucun sur la troisième ; un joueur de luth devenait joueur de flûte (Scène de cabaret, école flamande) ».

D’autres tableaux extravagants (extensions horizontales) figurent ensuite dans ce récit où Perec abonde dans des détails dignes d’un commissaire-priseur chevronné.

Viennent ensuite les questions que le lecteur se pose. Elles auront leur réponse. Vous la trouverez ressemblante à l’image que Perec a su donner à ses lecteurs.

le tableau de Haecht en vue complète.

comme d'habitude je viens de lire tout le fil sur cet auteur, je ne le connais pas, mais je sais que c'est un écrivain qui a bien de lecteurs à sa faveur d'autres le trouvent ennuyant, Vous ne considerez pas que je devrais eviter sa lecture, qui me semble difficile n'ayant rien lu de lui, même si ses livres révèlent du talent.

Ah non, je te conseille vraiment Perec ! c'est un génie...Pour commencer, je te conseille Penser/Classer, un recueil de textes assez différents qui illustrent bien sa passion pour les classements en tous genres, sa façon de voir les choses du quotidien de manière décalée.
Pour ce qui est des "romans", tu peux lire Un homme qui dort (je le mets entre guillemets parce que apparemment, Perec a mit beaucoup de lui dans ce livre, mais bon c'est quand même un roman), qui évoque l'histoire d'un homme ne sortant pas de chez lui, presque inconscient du monde qui l'entoure, enfin c'est remarquablement écrit .

ne soyez pas pessimiste! Perec n'est pas oublié. Un ami, Julien Roumette s'est intéressé à lui: voir ses articles.

Sans doute ; mais dans une édition accessible, ce serait plus facile

Julien Roumette. Perec, l'autre visage. Face à Becket : Un homme qui dort, du roman au film. Littératures. Printemps-Automne 2003.

Personnellement, je ne suis pas fan de Perec : comme Beckett je le trouve trop sombre. Enfin, pour ce que j'en ai lu (seulement W en fait ! ). Mais j'avoue que la construction du roman est très réussie et très originale. Je reconnais aussi sa part de génie, c'est juste l'ambiance de ce roman que je n'aime pas. En fait, j'ai peut-être un problème psychologique !

Ce livre fut pour Pérec d'une rédaction douloureuse, il interrompit la publication dans le journal libération, et eut une periode de dépression.