Andrei Makine

Le Livre des brèves amours éternelles , paru au Seuil.

Un condensé de sensibilité, de grâce, d'intelligence. dit l'Express

qui juge ce récit "comme la plus lumineuse et la plus sobre des confessions".

Lire l' article de l'Express

Le Livre des brèves amours éternelles , paru au Seuil.

un très beau livre, dont l'épisode premier sert d'ouverture musicale, annonçant le thème et ses variations : makine fait la scenographie soviétique, comme une société du spectacle, avec les défilés, les tribunes, et le peuple embrigadé ;

ce dernier joue l'enthousiasme jusqu'à ce que les sous-fifres et les sans grades démontent les décors avec mepris et lassitude.

Le dissident qui ouvre ce récit de plusieurs épisodes dans la même veine (il faut donc les lire en continuité pour bien saisir les variations) dresse en même temps le panoptique culturel :

Dans le défilé il y aura de nouveau ces trois catégories : des placides somnambules très majoritaires,, des ricaneurs, et quelques rebelles marginaux

et Dimitri Ress, le dissident, de poursuivre

- Ses paroles chuintèrent, fébriles :

Citation :

"oui, elle seront... toujours là... ces trois catégories... des porcs ensommeillés... des ricaneurs... des grincheux aux poumons crevés... comme moi...."

La force du récit, outre cette construction musicale qui introduit chaque air dans sa tonalité, repose essentiellement sur deux atouts

- La force du témoignage, soit d'un observateur extérieur, soit plus frequemment d'une experience interieure, vécue personnellement.

- l'introduction d'un thème annexe dans le cadre totalitaire : ce qui fait la beauté de la vie dans un décor caricatural. Ce thème annexe devient le thème principal, et ce sera à vous de le ressentir...

vous le devinez déjà dans le titre,

Le Livre des brèves amours éternelles

On le découvre progressivement, sous plusieurs formes, à la lecture de ce beau livre, recueil d'épisodes vécus et rappelés.

Les amants dans un vent nocturne, in Le Livre des brèves amours éternelles

On aurait envie d’intituler cette nouvelle, « l’amour au pays des soviets ».

Le premier couple, celui du narrateur et d’une compagne du mois d’Août, sait bien la liaison précaire, d’où une fièvre d’impatience, contrariée par la puritanisme ambiant, comprenez l’impossibilité de trouver un endroit sûr et confortable.

D’où la stupeur de voir, dans un film français, des amants accéder sans formalités à une chambre d’hôtel.

La réaction du public est immédiate :

Les applaudissements effacèrent tous les sons provenant de l’écran. Les gens riaient, hurlaient, et dans la pénombre, je croisai plusieurs regards brillants de larmes.

A qui la faute ?

Au régime ! pensent les amants frustrés.

C’est sans doute aussi l’avis d’un artiste qui représente Brejnev comme

un vieillard assis dans un fauteuil à bascule. Un dispositif ingénieux, un système de filins et de poulies, était aménagé le long du mur. Les visiteurs pouvaient tirer une poignée et alors, le vieillard couvert d’un plaid à carreaux commençait à bouger, dans un roulis de plus en plus ample, limité toutefois par des cales. Le sculpteur avait réussi à imprimer à ce vieux visage un mélange de contentement niais et d’inquiétude. Les gens riaient, lançaient des quolibets …

Quant au deuxième couple, il est uni d’un amour qui a traversé les épreuves...

C’est un volet de la vie quotidienne russe, une variante des risibles amours à la Kundera, avec l’émotion en plus.

Une femme aimée de Andreï Makine, 362p. Seuil.

Le cinéaste russe Oleg Erdmann, désire sonder le mystère de la Grande Catherine. Qui était-elle? Une cruelle Messaline russo-allemande aux penchants nymphomanes? Une tsarine clamant son « âme républicaine »? La séductrice des philosophes, familière de Voltaire et Diderot, Cagliostro et Casanova?

Derrière ce portrait, Erdmann découvre le drame intime de Catherine ? depuis son premier amour brisé par les intérêts dynastiques jusqu’au voyage secret qui devait la mener au-delà de la comédie atroce de l’Histoire.

Lecture en cours

Une femme aimée, publiée au Seuil, n’est pas un livre d’histoire. On y parle certes de Catherine II de manière non conventionnelle, puisqu’elle ne l’était guère, mais avec du recul.

Derrière le sujet, on voit un actuel auteur de scénario, bien en peine d’avoir un regard neuf sur la Grande Catherine : que de difficultés ! son amie lui préfère un scénariste à succès, et le Comité d’État pour l’Art Cinématographique (le fameux CEAC) suit son projet de près.

Disons même qu’il le tient à l’œil !

- Et que la séance qui ouvre la seconde partie pourrait peut-être orienter de manière différente le scénario : on ne mettrait plus en avant des scènes torrides, à répétition, mais des actions bénéfiques accomplies, ou on découvrirait un autre visage de femme ?

Une femme aimée
L'auteur s'interroge, creuse le passé de Catherine II, sa vérité n'est pas à l'intérieur mais à l'écart de sa vie, interroger Zoia, femme alcoolique, vieille, ordinaire elle a le regard porté vers l'extérieur,comme si elle attendait quelqu'un.
Le monde punit toujours la faiblesse des reveurs, Oleg est un grand reveur.
je poursuis...

Kozine , le réalisateur :

Citation :

« Il faut juste montrer qu’elle [Catherine] n’était pas une baiseuse pathologique ni une obsédée du pouvoir. Bien sûr les vieux crocodiles du CEAC charcuteront tout ce qui dépasse le portrait officiel. Ils supporteraient , à la limite ses fesses nues mais pas le côté révolutionnaire de son règne.

Tiens, elle crée la Maison de l’éducation - n’importe quel enfant de serf, admis comme élève, y devient libre. Elle ne peut pas abolir l’esclavage, alors elle entreprend une manœuvre oblique. Les paysans savent qu’un moyen de s’affranchir existe ; Et c’est l’essentiel ! Comment le dire sans faire sortir les crocodiles de leur marigot ? »

Makine s’intéresse certes à Catherine II, mais il le fait par l’intermédiaire du scénariste Oleg, le vrai fil conducteur du récit, celui qui montre l’évolution politique récente de la Russie, ouverte aux financiers de tous poils.

Toutefois, il a soin de remettre les prétendues barbaries russes à leur vraie dimension :

qu’en était-il en France par exemple ? Et de parler, entre autres horreurs, du supplice de Damien qui fut écartelé…

Et Voltaire ? P.199 :

Citation :

on surprend Voltaire en train d’écrire des lettres de délation dont le but est de faire embastiller un jeune littérateur qui ose le critiquer […].

« La guerre est une vilaine chose, monsieur », répond Catherine, à cet humaniste qui l’exhorte à massacrer les Turcs.

Une femme aimée

J'ai fini le récit de Makine, intéressant à plusieurs degrés :

- il montre comment un réalisateur de cinema peut avoir recours à des artifices métaphoriques pour éviter un réalisme trop racoleur.

- on voit aussi comment à chaque époque correspond une vision ou une sensibilité historique.

- Oleg ne peut comprendre la vraie nature de Catherine que par une empathie venant de sa propre histoire et personnalité.

Pour autant certains passages m'ont paru répétitifs ;

si on jette avec Oleg un regard synthétique sur l'histoire récente de la Russie, on le doit à la maîtrise de Makine : il possède parfaitement son sujet (la personnalité de Catherine II et l'histoire russe), mais le tout m'a semblé un peu froid.

Ton avis, Soussou ?

J'espère ne pas déranger vos échanges très intéressants sur Une femme aimée pour glisser mon commentaire sur La femme qui attendait, roman dont il a déjà été question plus haut sur ce fil.

J’ai été sous le charme d’une écriture à la fois poétique et précise.
Le narrateur et Vera sont deux personnages attachants qui se nuancent au fil des pages : il est irrésistiblement attiré par cette femme « qui pourrait être sa mère », institutrice dévouée, compatissante, qui vit seule depuis trente ans dans l’attente de l’hypothétique retour d’un fiancé sans doute mort à la guerre, comme beaucoup d’hommes du village.
Il découvre aussi très vite que les habitantes du village ne sont pas les caricatures de veuves de guerre qu’il s’attendait à trouver et à tourner en dérision ; elles sont humbles et pathétiques.
Quant à Vera, elle l’intrigue, il se demande pourquoi cette femme belle et intelligente, faite pour le bonheur, a ainsi choisi la fidélité au souvenir, la solitude et le refus de l’amour. Il la guette, pour ne pas dire qu’il l’espionne. Il est subjugué par cette femme « qui a fait de sa vie une attente infinie ». Il essaie de trouver une explication rationnelle à cette attente : elle avait 16 ans en 1945, ensuite elle a suscité le respect des villageois jusqu’à devenir une sorte de curiosité locale ou d’icône.
Il finit cependant par se dire que tout se passe comme s’il n’y avait rien à comprendre, comme si elle n’avait pas choisi mais « avait été cruellement happée par une époque, ce passé de guerre qui s’était refermé sur elle telle une souricière. » Le narrateur devient de plus en plus intime avec cette femme.
À l’étape suivante, et parce qu’il croit l’avoir enfin cernée, comprise, il veut la convaincre qu’elle a tort de continuer à attendre, qu’il faut qu’elle tourne la page et vive pour elle-même.
À la fin du roman, nous apprenons ce qui est arrivé au fiancé et le narrateur, sur le point de partir, s’aperçoit qu’il s’est trompé complètement sur Vera.
Cependant, le lecteur reste avec des interrogations sur cette femme étrange, d’autant que le point de vue adopté est constamment celui du narrateur qui est écrivain. Quel est le rôle de son imaginaire, de la re-création ou peut-être de la création tout court ?

Une part non négligeable du roman est consacrée à la description de paysages d’hiver magnifiques et aussi énigmatiques que Vera. Ces passages contribuent puissamment à la beauté du livre et à l’instauration d’une atmosphère très particulière de roman russe, très onirique parfois.

Citation :

La lune embusquée sous un bleu laiteux figeait les maisons et les arbres dans un guet soupçonneux, phosphorescent. Il faisait étrangement doux et aucun souffle ne passait dans la rue du village. La poussière de la route était argentée et moelleuse sous le pied.

Je suis contente que tu en parles nicyrl, car j'avais un peu oublié ce roman, il est très poétique, la personne de Véra très respecté par les villageois, comme une icone, les va et vient en barque par l'instituteur et les visites chez Véra sont pour le moins intimes, la fin du roman éclaire cependant l'issue d'une longue attente, A. Makine a su très bien illustrer par les mots l'ame russe et ses paysages hivernales.
Un beau roman que je relirais volontiers, je n'ai pas encore terminé Une femme aimée qui m'attire moins .

Merci, Soussou
Encore quelques lignes de Makine, pour le plaisir des mots :

Citation :

Ce jeune soldat, l’homme qu’elle aime, l’homme à qui, pendant leurs adieux, elle a juré quelque chose comme un amour éternel, quelque chose d’enfantin, me dis-je, oui, une fidélité sans défaut ou une attente jusqu’à la mort, je ne sais pas ce qu’une femme qui aime pour la première fois peut promettre à un homme, je n’ai jamais reçu une telle promesse, je n’ai jamais cru à la capacité, chez une femme, de la tenir… [...] Entre ces deux temps de sa vie, entre sa promesse juvénile et l’avenir que ce voeu avait anéanti, je tentais de retrouver le jour où tout avait basculé, où ces mots hâtifs, chuchotés dans les larmes du départ, étaient devenus destin.

Une mosaïque plus ample même et qui s’élargissait lentement sous la brise, devenant un dais renversé, prêt à recouvrir le lac tout entier. Le regard était entraîné par cette extension infinie. Une autre beauté se reformait, neuve et insolite, plus riche qu’avant, plus vivante après sa mort automnale.

Parfois, très sincèrement, je me disais : c’est une femme qui vit par ces rares instants de beauté. Que pourrait-elle offrir de plus à celui qu’elle aime ? Dans une divination confuse, je comprenais alors que les vivre était pour Véra une façon de communier avec l’homme qu’elle attendait.

Son visage me paraît vieilli, une tresse de cheveux argentés glisse sur son front. Et pourtant elle est toute empreinte d’une jeunesse neuve, frémissante qui est en train de naître dans le mouvement des lèvres, dans le battement des cils, dans la légèreté de son corps que la barque emporte déjà…

je n'ai pas lu ce livre, ma Nic, mais j'avoue que j'adore ta façon d'exprimer ce que tu as ressenti en le lisant !

Ysandre a écrit:

je n'ai pas lu ce livre, ma Nic, mais j'avoue que j'adore ta façon d'exprimer ce que tu as ressenti en le lisant !

Ysandre. Tu devrais aimer, me semble-t-il... à l'occasion, lis-le, il doit être dans toutes les bibliothèques ou presque.

Une femme aimée

je ne reviens pas sur l'histoire de la grande Catherine car ce n'est pas ce que j'ai vraiment retenu de ce roman.

j'ai surtout été intéressée par les observations de Makine sous le couvert d "Oleg" sur la Russie avant et après.

je trouve qu'il a bien décrit ce que j'avais, moi, ressenti quand le mur de Berlin était tombé

je m'étais dit: le peuple russe ne va pas en bénéficier. Seuls les riches seront plus riches.

Je sais il n'y a pas que cela dans ce roman, mais il y a référence souvent justement à

"ce que l'on pouvait dire maintenant" "ce que l'on ne pouvait pas dire avec la censure totalitariste du régime" etc..

et puis, personnellement la grande Catherine a bien pu faire de son Q ce qu'elle a voulu, il n’empêche qu'elle était une tortionnaire et un monstre à sa manière.

Maintenant, en lisant ce roman, on a presque l'impression que cette pauvre gamine, puis une femme sensible, qui a aimé... etc..

bref j'ai aimé lire ce roman mais avec des restrictions qui me sont propres. je ne peux pas vraiment m'intéresser à une tortionnaire qu'elle soit la tsarine ou pas!

je comprends ta position, et je notais dans mon compte-rendu les excuses trouvées par Makine aux usages russes, par une comparaison avec les châtiments pratiqués en France, à la même époque.

Voltaire n'y joue pas non plus un beau rôle, ce qui me remet en mémoire ce que disait Henri Guillemin, critique incisif et documenté, sur les manoeuvres pleines de méchanceté dont il avait poursuivi J.J Rousseau à Genève.

Oui ce livre a le mérite de dévoiler quand même quelques exactions que l'on aurait pu oublier de la part des "nôtres" !