Primo Levi [Italie]

Primo Levi, Lilith, éditions Liana Levi.

Témoignages et fictions.

Les témoignages sont des textes brefs, 3 à 4 pages, sur la vie quotidienne dans les camps. Il s’agit pour Lévi de s’acquitter d’une dette : soit la demande d’un interné qui prévoyait son non-retour, soit une histoire à laquelle tenait un prisonnier et que seul maintenant Primo Lévi peut raconter.

Étrange monde qui permet de sonder les hommes dans des conditions épouvantables, et où pourtant, au milieu des peurs et des lâchetés, subsiste le goût de la musique : ce Wolf, pharmacien berlinois, voûté, tout en ongles et en lunettes, capable de chanter en sourdine une rhapsodie de Brahms, avec imitation des divers instruments.

Étonnant cet humour où des prisonniers décharnés se saluent le matin,

Citation :

dans le respect de l’étiquette : bonjour Herr Doktor, comment allez-vous Maître, monsieur le président-directeur général ? Avez-vous bien déjeuné ?

Primo Levi, La Trève, Les cahiers rouges, Grasset.

Retour des Camps en 1945.

La "trève" désigne l'intervalle entre la fin de la vie concentrationnaire et l'arrivée en Italie : de longs mois d'errances entre l'Allemagne, l'Union Soviétique, la Pologne, la Hongrie.

Primo Levi dresse une galerie de portraits étonnants, depuis le Grec cyniquement débrouillard, jusqu'à ces figures pittoresques et inattendues qui surgissent des groupes cosmopolites. Ainsi le commandant russe d'un camp devenu présentateur d'une fête improvisée :

Citation :

"Egorov parut sur le bord de la scène, fin saoul, portant d'immenses pantalons dont la ceinture lui arrivait sous les bras tandis que la queue de pie balayait le plancher. Il était en proie à une profonde tristesse alcoolique et il annonçait d'une voix sépulcrale les divers numéros comiques ou patriotiques au milieu de sanglots sonores et d'accès de larmes. Son équilibre était douteux : dans les moments cruciaux, il se rattrapait au haut-parleur et alors la clameur du public cessait tout à coup comme lorsqu'un acrobate saute d'un trapèze dans le vide."

Episodes de survie, moments de débrouillardise, scènes cocasses, l'humanité sous la plume de P Lévi se révèle pleine de ressources. Mais d'abord en sourdine, le thème du "caractère indélébile de l'offense" éclate à l'arrivée au pays :

Citation :

"Où allions-nous puiser la force de recommencer à vivre ?".

Un livre qui témoigne de la joie de revivre et de l'angoisse liée à un passé qui hante les rêves des survivants.

j'ai été assez déconcertée concernant les 3 parties bien différentes qui composent "Lilith" :

1/ "passé proche", partie que je préfère ou plus exactement qui m'a le plus interpelée par le fait que ce sont, comme tu le dis Rotko, des témoignages bouleversants.

2/ "futur antérieur" et 3/ "indicatif présent" : ce sont ces parties qui m'ont déconcertées. Nous ne sommes plus dans le témoignage mais dans la nouvelle. J'ai tenté d'y voir un rapprochement avec la guerre à chaque fois, mais tous ne s'y prêtent pas. En fait, j'ai pas vraiment compris où Primo Levi voulait en venir à part le fait, qu'en effet, il montre même dans les nouvelles qui suivent la première partie, la violence de l'être humain.

Voilà pourquoi j'en suis resté aux témoignages, donc à la première partie.

c'est, je pense, cette partie qui reste en mémoire et je regrette que toute l'oeuvre n'ait pas été que des témoignages.

A compter du 17 avril, Turin, ville natale de l'écrivain, accueille une exposition intitulée «Primo Levi, puisque c'est un homme», conçue par l'universitaire français Philippe Mesnard, auteur, entre autres, d'une étude sur la représentation de la victime humanitaire dans les sociétés occidentales.

L'exposition se tiendra simultanément à Lyon, au Centre d'histoire de la résistance et de la déportation, et entend faire découvrir toutes les facettes de Primo Levi, souvent «réduit» à son seul statut de témoin.

C'est une date anniversaire : Primo Levi s'est "suicidé" - des doutes planent encore - le 11 avril 1987.

J'aurais juré qu'il existait un sujet Mario Rigoni Stern ... pas trouvé.

Toujours est-il que Mario Rigoni Stern (on doit en avoir parlé, c'est quand même un contemporain majeur, en tout cas à découvrir si ce n'était déjà fait) signe à la Fosse aux ours (ça j'en suis sûre que vous en avez parlé) un volume "Pour Primo Levi", offert par l'éditeur à l'occasion de son dixième anniversaire à l'achat de deux volumes de la collection. Hi hi, on croit faire une bonne affaire..., nan, je rigole, on fait une bonne affaire, mais je ne l'ai pas encore lu.

Amarande a écrit:

J'aurais juré qu'il existait un sujet Mario Rigoni Stern ... pas trouvé.

N'hésite pas à éclairer notre lanterne, on adore apprendre, et une curiosité tous azimuths nous taraude, le jour et la nuit.

Evene.fr vient de publier un article sur Primo Levi aujourd'hui :

http://www.evene.fr/celebre/actualite/portrait-hommage-primo-levi-homme-767.php

Je viens de voir l'expo sur Primo Levi

On nous montre bien le besoin qu'il avait de raconter ce qui lui était arrivé . A son retour à Turin il en parlait à tt le monde même à ses voisins de train
Il était enraciné dans sa ville de Turin ,il nait et meurt ds la même maison ,celle de ses parents
Il a exercé son métier de chimiste jusqu'à la fin de sa vie on voit des photos de son univers professionnel.Des échantillons d'éléments chimiques sous formes solides ponctuent l'expo
Il s'essaya à ts les genres littéraires, s'engagea ds la vie de la cité à travers des prises de positions publiques sur les grands dossiers de l'actualité contemporaine (il était contre les Brigades Rouges )Il écrivait ds le journal" La Stampa "
Il a arreté de témoigner qd ds un lycée des jeunes lui on dit " 40 ans après vous arrivez après le Viet nam et d'autres guerres " Primo Levi est resté Coi
Il était passionné de montagne ts les week_ends il les passait en balades
Une rue de Paris porte son nom ds le 13 éme arrondissement

Je viens de découvrir ce fil... c'est dire si j'ai été attentive hein !

Je me souviens d'avoir lu (que dis-je, dévoré) Lilith à 17 ans, en une soirée, dans une chambre d'hôtel en Grèce... et d'avoir été subjuguée, émue, choquée et ravie.. tout ça à la fois...

Vous me donnez envie de le relire plus sérieusement ! Je n'ai plus du tout en tête ce découpage...

Un film italien de Davide Ferrario , le voyage de Primo levi.

Citation :

Ce road movie sur les pas de Primo Levi, ponctué par des citations de "La Trêve", est aussi une peinture de cette nouvelle Europe encore reliée aux restes de l’Union soviétique, ses mouvements neo-nazis, Tchernobyl, les villages d’immigrés...

Vu sa date de sortie, le 12 Mars 2008, il faudra l'attendre un peu.

Ah, il n'est pas encore sorti en France ??

Marie kiss la joue a écrit:

Ah, il n'est pas encore sorti en France ??

si, il est prevu pour ce week end à Paris, Agen, lyon, Strasbourg et lille, attends un peu qu'il descende ( ou monte) chez toi

Ah d'accord, ça me rassure alors car je pensais l'avoir manqué.

Si c'est un homme.

J'achève bientôt ce livre bouleversant.
Je n'emploie pas le terme bouleversant dans le sens poignant, émouvant, mais exceptionnel, ahurissant.
Primo Levi est parvenu à prendre un recul suffisant pour se contenter de nous apporter un témoignage de sa détention à Auschwitz. Il ne cherche jamais à nous tirer une larme, à s'attirer la sympathie du lecteur.

J'en parlerai davantage quand les autres grains partageant cette lecture commune seront plus avancés.

je l'ai terminé, et compte ce soir ou demain y déposer mon billet.
avant il me faut le temps de transcrire ce qu'il m'a inspiré

Avec ces mots Primo Levi, nous raconte sa descente aux Enfers. En dix sept chapitres, il dit que ce livre était déjà écrit dans sa tête, que si un jour il revenait, que le monde sache, la sinistre nouvelle de ce que l’homme à Auschiwitz , a pu faire d’un autre homme.

Les affreuses lois raciales imposées par Mussolini à l’instar du paranoïaque Hitler, aujourd’hui on sait qu’il l’était, ont démembré la communauté juive italienne, ainsi que celle de toute l’Europe.

Je ne vais pas raconter tout le livre, enfoncé comme il l’était dans une Tour de Babel où on entendait parler 152 langues et tous à subir la même déshumanisation.
A la page 97

Citation :

Si je pouvais résumer tout le mal de notre temps en une seule image, je choisirais cette vision qui m’est familière : un homme décharné, le front courbé, les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent nulle trace de pensée.

Les fameuses sélections, à gauche ou á droite, c’était, pour combien de temps, de jours ou d’heures, le camp ou la cheminée ? Levi parle du vieux Khun qui, par erreur n’a pas été choisi, priant et remerciant Dieu de ce miracle.

Citation :

Est-ce qu’il ne sait pas que la prochaine fois ce sera son tour ?
Est-ce qu’il ne comprend pas que ce qui a eu lieu aujourd’hui est une abomination qu’aucune prière propitiatoire, aucun pardon, aucune expiation coupables, rien enfin de ce que l’homme a le pouvoir de faire ne pourra jamais plus réparer ?
Si j’étais Dieu, la prière de Kuhn, je la cracherais parterre.

La chance pour Primo Levi fut d’avoir été élu, en raison de son métier de chimiste, à travailler au laboratoire. Là-bas il ne souffrait pas du froid et, ce témoignage se gravait dans sa tête.
Je ne décris pas les souffrances vécues par ces malheureux car ayant lus « Les disparus » de Mendesshon, « L’écriture ou la vie » de Jorge Semprun et d’autres sur le même sujet, notre sensibilité s’est d’une certaine manière endurcie et peut tenir le coup.

J’ai lu , une réflexion de Semprun qui résume tout :
« Je ne suis ni Espagnol ni Français, je suis un rescapé de Buchenwald ».
Alors je me penche sur l’Appendice qui est à la fin et oú il y a une série de considérations majeures qui apportent un éclairage précis sur la question.
A suivre

suite

Cet appendice est un livre à part, il répond aux questions que lycéens et personnes adultes lui posent
Sur son manque de haine et de rancœur et s’il a pardonné ? Il parle avec un jugement exemplaire, il y a beaucoup à lire, donc je résume :

Citation :

Non,je n’ai pardonné à aucun des coupables, et jamais ni maintenant, ni dans l’avenir, je ne leur pardonnerai, à moins qu’il ne s’agisse de quelqu’un qui ait prouvé qu’il est aujourd’hui conscient des fautes et des erreurs du fascisme, chez nous et à l’étranger, et qu’il est résolu à les condamner et à les extirper de sa propre conscience et de celle des autres.
Dans ce cas là alors, bien que non chrétien, je suis prêt à pardonner, à suivre le précepte juif et chrétien, qui engage à pardonner son ennemi ; mais un ennemi qui se repent n’est plus ennemi

Je choisis au hasard quelques réponses : oui je suis retourné à Auschwitz en 1965 à l’occasion d’une cérémonie commémorative de la libération des camps. Il y a un musée où sont exposés de pitoyables vestiges : des tonnes de cheveux humains, des centaines de milliers de lunettes, des blaireaux, des poupées, des chaussures d’enfants, mais cela reste un musée, on l’a repeint.

Par contre j’ai éprouvé une profonde angoisse en pénétrant dans le Lager de Birkenau, là tout était comme avant, j’étais avec une amie Giuliana Tedeschi, rescapée de Birkenau. Elle m’a dit que sur chacune de ces planches – de 1,80m sur 2- on faisait dormir jusqu’à neuf femmes. Elle m’a fait remarquer que de la fenêtre on voit les ruines du four crématoire ; à cette époque on voyait la flamme en haut de la cheminée. Elle avait demandé aux anciennes : « Qu’est ce que c’est que ce feu ? »et elle s’était entendu répondre : « c’est nous qui brûlons ».

Citation :

Le poète Heine avait dit cent ans auparavant :
« que ceux qui brûlent des livres finissent tôt où tard par brûler des hommes ».

Parmi les personnages de Si c’est un homme j’en ai revu bien peu, la plupart peut être considérée comme disparue, sur l’ensemble des déportés italiens, des milliers, il n’y en a que 5% qui soient revenus et qui ont perdu famille, biens, leur santé et leur équilibre
J’ai revu le Pikolo,Piero Sonino, Charles le français, Le Rabbin Allemand Mendi le moderniste, pour simple coïcidence il s’est reconnu en lisant la traduction allemande de mon livre : il s’est adressé à moi et nous nous sommes revus.
A suivre.

suite:

Quelques mots pour le docteur Pannwitz, mon chef au laboratoire du camp :
Dans mon livre « le Système Périodique » ( j’ai lu moi Amadak,
ce livre magnifique) je l’appelle Dr Müller et je lui consacre le chapitre « Vanadium »
Ici il ne dit plus rien sur ce personnage, sauf qu’il est mort d’une
tumeur au cerveau

mais moi je raconte un peu cette histoire véridique.
Primo Levi avait une entreprise de produits chimiques à Turin
et pour des affaires concernant son industrie il s’adressait à plusieurs laboratoires et il est tombé sur l’un dont il pouvait se fournir des éléments nécessaire pour son travail. C’était une entreprise Allemande, où son ancien bourreau était chef.

Et après avoir échangées plusieurs lettres, ils se sont reconnus.

Levi n’oubliait jamais le mépris qu’il subissait, comment des nuits entières il les passait à fabriquer des pierres à briquet pour les échanger pour un morceau de pain, et voilà que cet industriel voulait absolument le voir, il ressentait une envie de se justifier, de lui faire voir son regret de l’époque passée.

Après de nombreuses demandes de L’Allemand, ils se sont fixé un rendez-vous à Turin, et 3 jours avant la réunion Levi reçoit une lettre de la femme en lui annonçant la mort subite du visitant.
Pour ceux qui ne l’ont pas lu ,je recommande « Le système périodique » un livre très intéressant

Je reviens à l’appendice :
Que serais-je aujourd’hui si je n’avais été prisonnier à Auschiwtz ? Je n’aurais probablement jamais écrit. Ce fut l’expérience du Lager qui m’obligea à écrire, ce livre était déjà tout prêt dans ma tête et ne demandait qu’à sortir et à prendre place sur le papier.

Une de mes amies déportée toute jeune au Lager pour femmes de Ravensbrück, assure que le camp a été son université : je crois pour ma part,que je pourrais en dire autant et ,qu’en vivant,puis en écrivant et en méditant cette expérience, j’ai beaucoup appris sur les hommes et sur le monde.

A mon avis l’appendice est plus important que le livre même, je n’ai mis que des bribes, mais c’est une lecture indispensable

Primo Levi aborde ses souvenirs (dans Si c'est un homme) avec un tel détachement, que j'ai cru qu'il avait écrit son livre 20 ou 30 ans après les faits.
Et bien non : il l'a écrit dès son retour. Et même, nous confie t-il, il en avait commencé la rédaction sur place, au chaud dans son laboratoire de chimie.

Sur Primo Levi:

Il est vrai que son témoigage est sobre , il semble qu'il ait surmonté les faits vécus, mais il appartient à ce genre humain où les traces restent marquées pour toujours et de là viendra son suicide; il n'a pas été le seul à le faire, je me souviens de Stephan Zweig de Celan et d'autres.

Citation :

de là viendra son suicide

oui, c'est la tentation que mentionne incidemment Jorge Semprun dans l'écriture ou la vie.
Un sorte de pulsion de mort qui vient des resurgences d'un passé insupportable.