Elfriede Jelinek [Autriche]

J'ai lu de cette auteure Les Exclus, qui a priori est significatif de son œuvre.

Dans ce roman, Jelinek dresse le portrait d'un groupe de jeunes adultes (18-20 ans) qui réfléchissent à commettre des crimes uniquement pour la violence gratuite. Rainer, cerveau du groupe, fait preuve d'arrogance et de pédantisme, et veut prouver à Sophie, aristocrate, sa supériorité qui doit normalement amener son amour. Anna, sa sœur jumelle, aime Hans, issu de la classe ouvrière, qui l'utilise comme un objet sexuel, lui-même aimant Sophie. C'est donc les relations à l'intérieur de ce groupe que Jelinek va étudier.

Au moyen d'un style sec, cru, Jelinek s'attaque à l'Autriche de la fin des années 1950 qui croyait avoir fait peau neuve en se dégageant de la domination nazie découlant de l'Anschluss. C'est avec une violence rare que Jelinek rappelle à sa patrie son passé loin d'être glorieux, une société où cohabitent les anciens SS et les socialistes, les bourreaux nazis et les enfants des victimes de la résistance. C'est un monde d'animalité et de faux-semblant arrangeant que représente Jelinek.

Basé sur un fait réel, le roman met en place un violence idéologique et physique qui amène à une véritable boucherie.

Die Kontrakte des Kaufmanns. Rechnitz (Der Würgeengel). Über Tiere

apparemment des oeuvres non encore traduites.

sujet de Rechnitz

Citation :

Dans la nuit du 24 mars 1945, peu avant l'arrivée des troupes soviétiques, lors d'une fête à laquelle participait la nomenklatura locale du régime nazi, au moins cent quatre-vingts juifs hongrois - contraints de travailler à une dérisoire fortification de la frontière du Reich - y furent massacrés par un groupe d'invités auxquels on avait distribué des armes. Cette tuerie sur ordre ne fut pas un cas isolé dans la région, où les autorités allemandes aux abois achevaient les prisonniers trop épuisés pour marcher.

écrit le Monde dans un article qui précise les sujets et intentions de l'auteur dans son théâtre représenté à Vienne.

Les exclus que je lis actuellement ne sont pas une oeuvre facile :

les pensées et paroles des personnages se glissent à l'intérieur du texte sans marque distinctive, et comme on a affaire à un incessant va-et-vient entre les protagonistes, il faut être très attentif.

Par moments, c'est-à-dire souvent, l'auteur intervient sans qu'on sache si le jugement porté sur tel ou tel sujet relève du personnage ou de l'auteur.

Ajoutons aussi que ces commentaires sont fréquemment ironiques, ce qui ne facilite pas la compréhension immédiate.

J'ajoute qu'aucun personnage n'est sympathique, ils mentent, disent des sottises, et Jelinek nous les livre en bloc dans un paquet-cadeau empoisonné.

Je donne un exemple (pages 136-137, c'est là que je suis arrivé) de la façon dont Jelinek traite ses personnages :

comme des insectes, ni beaux à voir, ni beaux à entendre, et qu’on peut envelopper dans le même mépris : je souligne l’intérêt de leurs échanges

Citation :

« la mère de Hans interrompt le pot pourri mental de son fils dans l’espoir d’améliorer ses performances mentales . Elle n’y parvient pas, il n’écoute plus que du rock and roll que son ami Rainer lui explique souvent. De préférence devant un Campari soda, il lui explique l’effet de la musique moderne alors que Hans préfèrerait laisse cet effet s’exercer sur lui ; Rainer l’en empêche avec son bla-bla-bla. Rainer a d’ailleurs raconté qu’il connaissait personnellement un musicien, ce qui n’est pas vrai du tout […) Souvent Rainer développe de grandes théories sur un sujet quelconque dont tout le monde se fiche. Et sa mère développe en ce moment des vues du même type, afin que son fils ait une vision d’ensemble, mais c’est peine perdue. »

Suivent les propos de la mère : c'est effectivement bas de gamme.

Citation :

« Et patati et patata rabâche la mère…. »

Excellent souvenir de La pianiste, oeuvre ultra violente sur les rapports mère/fille, quand ils sont cannibales, mais quelle écriture !

Citation :

Excellent souvenir de La pianiste, oeuvre ultra violente sur les rapports mère/fille, quand ils sont cannibales, mais quelle écriture !

Ca ne me surprend pas. Je n'ai pas envie de lire la pianiste car j'ai vu le film (l'argument est discutable). J'attendais que Prince m'exhorte à continuer ma lecture, car à vrai dire, je me suis un peu perdu dans les histoires, et les personnages ne me retenaient pas.

voici les dialogues à la mode Jelinek. je posterai plus tard sur l'humour.

Citation :

****************** Toi alors avec ta sempiternelle phobie du contact, tu es incapable de donner la main à quelque un ou de regarder les gens franchement en face, dit Sophie en évitant Rainer qui à cet instant précis tend franchement la main vers elle pour la caresser ou la tripote. Sophie a l’art d’esquiver les attaques de Rainer. Laisse-moi tranquille, qu’as-tu besoin de me tripoter sans arrêt ! On parle avec la bouche, pas avec les mains.

Mais on embrasse avec la bouche, Sophie mon amour.
C’est plus fort que moi.

****************** Hans dit aussitôt que c’est quand même lui le plus fort, on parie. Et prêt à le prouver, l’imbécile de tendre effectivement le bras pour une partie de bras de fer.

j'ai mis des * pour indiquer les retraits du texte.

rotko a écrit:

J'attendais que Prince m'exhorte à continuer ma lecture, car à vrai dire, je me suis un peu perdu dans les histoires, et les personnages ne me retenaient pas.

Je ne veux pas te forcer, rotko Beaucoup d'autres étudiants de ma promo n'ont pas aimé.
Et puis comme tu le dis, ce ne sont pas les personnages qui vont te donner envie de continuer ta lecture. Aucun ne mérite d'être sorti du groupe tant leur mentalité est dégoûtante.
Il n'est pas indispensable de tout lire, mais la fin vaut le détour. Le dernier chapitre, qui constitue le paroxysme de l'horreur, est remarquable de boucherie. D'ailleurs, c'est bien là où veut en venir Jelinek.
Plus j'y pense et plus elle me fait penser à Haneke.

Merci de ton mot.

Malgré des reserves ponctuelles, en cours de lecture, je reste ouvert et à l'écoute. L'ennui : lorsque je rédige un billet, je fais le bilan de mes impressions du moment et me convaincs moi-même

C'est en quoi je suis très favorable aux échanges sur les forums.

Et le film La pianiste, avec Huppert, il est comment ?

Elle, je la vois bien dans ce rôle injouable.

J'ai plus de doutes sur Girardot dans le rôle de la mère...(trop "douce" par rapport au livre)

Crevette a écrit:

Et le film La pianiste, avec Huppert, il est comment ?

très bien ! comme les films de Haneke que j'ai vus.

un peu d'humour avec Jelinek ? on passe vite de la farce au sarcasme corrosif

Citation :

Mû par une décision soudaine (impératif pour un officier, savoir décider !) l’ex-officier se rend à la cuisine dans l’intention de violer sa femme, l’envie l’en a pris subitement, mais l’idiote ayant fait comme d’habitude un geste maladroit, il dérape sur le carrelage et s’ effondre parterre . Là, agité de soubresauts, il rame avec la jambe qui lui reste. Mais il a beau faire, il ne se redresse pas. Déjà que d’ordinaire il rame pour l’avoir dure - pourtant cette fois ça aurait sûrement marché, il en avait tellement envie. Et voilà, c’est fichu une fois de plus.

Cela vient, croit-il, de ce que les puissants stimulants qui le submergeaient, jeune homme, dans les territoires occupés de l’est, ne se manifestent plus que très affaiblis ces derniers temps.
Qui a vu de montagnes de cadavres, de corps nus, y compris de corps de femmes, n’est plus guère stimulé par sa légitime au foyer.

Et en même temps à la gravité.

J'ai aussi lu Les Exclus, il y a bien longtemps. J'avais adoré, au point d'en lire plusieurs autres à la suite, mais pas avec le même bonheur (en fait, je ne crois pas les avoir terminés). Sûr qu'elle ne donne pas beaucoup de grains à moudre aux lecteurs qui ont besoin de s'identifier aux personnages, à moins d'admettre que nous avons en nous ce genre de désirs, ce qui n'est pas simple.

Crevette a écrit:

Excellent souvenir de La pianiste, oeuvre ultra violente sur les rapports mère/fille, quand ils sont cannibales, mais quelle écriture !

De même.
L'adaptation filmique est somptueuse. Je ne vais pas encore une fois faire l'apologie de l'actrice Isabelle Huppert.
Ce qui est surprenant, je ne parle que de mon impression, c'est le fossé ressenti entre le personnage romanesque et le personnage dans l'oeuvre filmique.

Un fossé qui se tient entre le point de vue omniscient du livre, et principalement externe du film. La majorité des éléments se sent par supposition ou par coups de glaives de sensibilité, d'empathie, avec la présence ô combien pesante du silence dans le film. Alors que par Jelinek, nous sentons une profondeur des mots, des adjectifs. L'écriture est très compacte à certains moments. Mais puisqu'il s'agit d'une énumération constante du psyché, des tourments, la superposition est souvent élément phare d'une certaine perte du personnage principal dans un monde trop imbibé de sentiments paradoxaux.

Je pense que les deux sont à voir. Si c'était à refaire, je regarderais le film avant de lire Jelinek.

je serais prêt à retenter ma chance avec Jelinek, sur un autre titre que la pianiste ou les exclus. je demande donc vos conseils

La pianiste

A sa sortie, j’avais vu le film ; je l’avais trouvé dérangeant, dur, mais joué à la perfection.
Je ressors de cette lecture un peu groggy. En effet, tout est dense et implacable dans cet ouvrage. Voici un roman, composé de deux parties à peine identifiées, sans aucun chapitre, et dont le contenu de chaque partie est à peine aéré. La densité du texte rend le contenu encore plus lourd. Je ressens comme un essoufflement à la lecture, car on ne sait pas où s’arrêter, bien qu’il faille s’arrêter, tellement c’est difficile. Ce livre ne se lit pas d’une traite, il nécessite que l’on prenne son temps.
Bien que la trame de l’histoire ne se situe pas en huis clos, l’impression qui se dégage est celle d’un enfermement, un enferment psychologique des personnages, et notamment les deux protagonistes féminins.

Erika est professeur de piano au conservatoire de musique de Vienne. Elle a 36 ans, et vit (encore) chez sa mère….et dès les premières lignes, on imagine quel sera le psychisme de l’enfant, comme se plait à l’appeler sa mère. Cette mère qui est tyrannique, culpabilisante, infantilisante, abaissante, jalouse de sa fille, qui n’a jamais fait de place au père, et qui formera avec Erika un couple assez glauque.
Erika, en effet, partage avec sa mère le lit conjugale, et est installée dans une relation de dépendance à sa mère, qui lui rappelle constamment les sacrifices consentis pour elle, afin qu’elle se consacre à son art : la musique.
« Le métier d’Erika, la passion d’Erika ne font qu’un : c’est la musique, puissance céleste. »

« Souvent la mère est prise d’inquiétude, car tout possédant doit apprendre d’abord, et il l’apprend dans la douleur, que la confiance c’est bien, mais le contrôle c’est mieux. »

«Chez Erika, tout ce qui peut être fermé est fermé. »
Erika a reçu une éducation rigide, autoritaire, dénuée de toute image et repères masculins, l’homme ayant été diabolisé par la mère. Et, c’est là son drame. Il y a un fossé abyssal entre l’image policée, rigide, cassante, et lisse qu’elle donne lorsqu’elle enseigne « Madame le professeur », et celle dépravée, dévergondée, et névrosée lorsqu’elle sort du conservatoire pour aller dans les peepshow, et jouer les voyeuses dans les parcs un peu chauds de la ville de Vienne.
« Mais Erika ne veut pas passer à l’acte, elle veut simplement regarder. »
De cette absence de repère masculin, Erika sera incapable d’aimer, elle qui de par l’éducation maternelle est incapable de s’aimer. Sa relation aux hommes parait bien compromise.

« Erika ne sent rien et n’a jamais rien senti. Elle est aussi insensible que du carton goudronné sous la pluie. »

Alors quand un élève, plus jeune qu’elle s’en éprendra, la relation qu’ils entretiendront ne pourra qu’être esclavagiste, perverse et violente.
Bien que l’histoire soit nettement portée sur la sexualité é et ses déviances, et que l’auteur soit claire à ce sujet, la sémantique reste dans l’ordre de l’acceptable. L’auteur épargne à son lecteur, par un style impeccable, la vulgarité et ne dédaigne pas user ici ou là d’un humour assez caustique.

Ces deux femmes, pour des raisons qui finalement se rejoignent m’inspirent de la tristesse. Elles sont plus à plaindre qu’à blâmer, même la mère, dont on ne sait explicitement pas grand-chose sur son passé, mais que l’on n’imagine pas très épanouissant.

deux autres livres de jelinek

Winterreise, par Elfriede Jelinek,
traduit de l'allemand par Sophie Andrée Herr,
Seuil, 170 p

Restoroute. Animaux,
traduit de l'allemand par Patrick Démerin et Dieter Hornig

un entretien avec l'auteur

Citation :

en Autriche, on me considère en général comme une fanatique sans humour. Ce qui est d'autant plus étrange que la littérature autrichienne a bien plus d'humour que la littérature allemande. On ne voit toujours que mon côté agressif, jamais le côté drôle.

J'ai fini La pianiste, j'avais eu envie de le lire après avoir vu le film de Haneke. Le roman est écrit par lames de rasoir tellement le style est acéré, l'auteur méprise ses personnages, c'est assez impressionnant (enfin c'est comme cela que je l'ai ressenti). Bon j'avais l'impression de voir Huppert à chaque mention d'Erika Kohut, mais elle est tellement parfaite dans le film que c'est assez logique^^