Marguerite Duras

Coline,
Hier en lisant Écrire, j'ai beaucoup pensé à Ann Hidden. Et ton post me fait penser aussi à elle.

Oui Colbrune...Tu as pensé sans doute à leur solitude et leur lien si fort avec une maison?...En l'occurence pour MD, la maison "de l'écriture" fut sa maison de Neauphle-le-Château...

"La solitude elle se fait seule. Je l'ai faite. Parce que j'ai décidé que c'était là que je devrais être seule, que je serais seule pour écrire des livres. Ca s'est passé ainsi. J'ai été seule dans cette maison. Je m'y suis enfermée - j'avais peur aussi bien sûr. Et puis je l'ai aimée. Cette maison, elle est devenue celle de l'écriture. Mes livres sortent de cette maison. De cette lumière aussi, du parc. De cette lumière réverbérée de l'étang. Il m'a fallu vingt ans pour écrire ça que je viens de dire là. " (MD dans Ecrire)

Aussi la création, quand il raconte comment Ann travaillait, c'est tellement austère comme processus et comme production, enfin je parle de la façon dont c'est décrit dans Ecrire et dans Amalia. Et l'enjeu pour toutes les deux, elles font table rase de tout pour que le livre ou la partition puissent exister

Duras, à propos de l'écriture:

" Je ne peux pas me souvenir d'un âge où l'idée m'a traversée que je pourrais être autre chose qu'un écrivain. "

" Je travaille comme une brute " (Le Camion)

" A ce moment-là, j'écrivais des livres huit heures par jour. " (Outside)

" Le mot écrire, c'est être là à cette table tous les jours que Dieu fait, tous les jours, tous les jours... 0ui, c'est être là tous les jours, à être comme ça à ne rien faire . "

" Le véritable travail est imposé de l'extérieur. Horaire et horreur: pour moi deux mots équivalents ".

" Ecrire, non plus, non, je ne crois pas que ce soit du travail. Je l'ai cru longtemps, je ne le crois plus. Je crois que c'est un non-travail. C'est atteindre le non-travail. " (Les Yeux verts)

Parlant des Petits Chevaux de Tarquinia, elle concède: " Oh, je pourrais en faire un en quinze jours, des livres comme ça. J'ai cette vulgarité en moi, je l'ai. C'est une sorte de facilité que j'ai, que j'avais à l'école, vous savez, la même. Je peux torcher un livre en trois semaines, n'importe quoi. La Musica, qui s'est jouée dans le monde entier, elle est de cette veine-là. "

" C'est une facilité d'écrire. C'est une vulgarité aussi. "

" J'écrivais comme on va au bureau, chaque jour, tranquillement, je mettais quelques mois à faire un livre et puis tout à coup, ça a viré. Avec Moderato Cantabile, c'était moins calme. Et puis, après Mai 68, avec Détruire, alors c'était plus du tout ça, c'està-dire que le livre s'écrivait en quelques jours et c'est la première fois que j'ai abordé la peur avec cela. Si enfin, ça avait commencé avec Le Ravissement de Lol V. Stein . "

" C'était une chose dont on ne parlait pas, comme une syphilis cachée. "

" Pendant toute ma jeunesse, j'ai été ensevelie sous les conseils des hommes qui m'entouraient (...): "Ne te fais pas remarquer. Ne te ridiculise pas. (...). Refuse de parler à la radio, à la télévision, refuse les interviews. (...). Travaille plus. (...). Ne parle pas de tes livres comme tu le fais, ça ne se fait pas, on ne parle pas de ses propres livres. Ne fais pas de journalisme. (...). Ne fais plus de cinéma, tu vois bien que tes films ne marchent pas. Tiens-toi tranquille, ne fais pas la folle de Chaillot. (...). Écris dans ton coin, c'est tout."

Elle conquiert sa " première liberté " avcc Moderato Cantabile - " J'avais mis des années à y arriver"

" L'épreuve d'écrire, c'est de rejoindre chaque jour le livre en train de se faire et de s'accorder une nouvelle fois à lui, de se mettre à sa disposition."

" Je sais que le lieu où ça s'écrit, où on écrit - moi quand ça m'arrive -, c'est un lieu où la respiration est raréfiée, il y a une diminution de l'acuité sensorielle. ... Je ne sais pas ce que ce livre va être, je ne sais pas ce qui arrivera dans une heure, dans trois heures, dans quinze jours, je ne sais rien de ça."

" Des fois on a peur de mourir avant que la page soit pleine. (...). On connaît les repères, on connaît l'événement auquel on veut aboutir, mais il faut amener le texte à ça. (... ). Je pense que c'est, effectivement, I'activité qui fait que la pensée de la mort est là chaque jour."

Au moment du Ravissement de Lol ~ Stein: "J'écrivais et tout d'un coup, j'ai entendu que je criais, parce que j'avais peur. (...). C'était une peur (...) de perdre un peu la tête.... "

L'Amant: " Il faut être fou pour exposer, comme ça, son écriture. Se mettre dans le livre et vendre le livre. Il y a plus de pudeur chez la pute du bois de Boulogne qui se montre toute nue. Écrire est plus impudique. (... ). On le fait très naturellement quand c'est là, quand pour vous, il n'y a plus de choix. "

Pour Marguerite Duras, cependant, pas d'autre route que l'écriture,
" injonction interne"

La mouche:

"Ce jour. Celui daté, d'un rendez-vous avec mon amie Michelle Porte, vue par moi seule, ce jour-là sans heure aucune, une mouche était morte.
Au moment où moi je la regardais il a été tout à coup trois heures vingt de l'après-midi et des poussières: le bruit des élytres a cessé.

La mouche était morte.

Cette reine. Noire et bleue.

Celle-là, celle que j'avais vue, moi, elle était morte. Lentement. Elle s'était débattue jusqu'au dernier soubresaut. Et puis elle avait cédé. Ça a peut-être duré entre cinq et huit minutes. Ça avait été long. C'était un moment d'absolue frayeur. Et ça a été le départ de la mort vers d'autres cieux, d'autres planètes, d'autres lieux.

Je voulais me sauver et je me disais en même temps qu'il me fallait regarder vers ce bruit par terre, pour quand même avoir entendu, une fois, ce bruit de flambée de bois vert de la mort d'une mouche ordinaire.

Oui. C'est ça, cette mort de la mouche, c'est devenu ce déplacement de la littérature. On écrit sans le savoir. On écrit à regarder une mouche mourir. On a le droit de le faire. "

Marguerite Duras (Écrire )

Partant de là, Eduardo Pavlovsky (acteur, auteur, psychanalyste) a écrit un monologue de théâtre intitulé "La mort de Marguerite Duras".
Il ne s'agit, en fait, que de l'agonie d'une mouche solitaire. Celui qui parle, observant l'agonie de la mouche, solitaire lui aussi, réfléchit sur sa vie, ses amours, ses engagements, ses joies...La vie, éclatante ou cruelle...

Extrait:
"Seule résignée à mourir seule car tout près il n'y avait pas d'autres mouches je n'en aperçus aucune je me demandai si le rituel de la mort chez les mouches consistait à mourir dans la solitude la plus absolue...Peut-être les autres fuient-elles parce que la mort les terrifie elles se sauvent pour ne pas la voir mourir.
Elles font ce que nous, nous n'osons pas faire...je pensai."

L'après-midi de Monsieur Andesmas

M. Andesmas vit depuis un an, avec sa fille Valerie, dans un village dominant la Mediterranée[quote]

j'avoue avoir été un peu deconcerté par la lecture de ce recit. Il me semble qu'une mise en scène clarifierait le propos dont on ne voit, à mon sens, que la partie émergée. Les attentes de Monsieur Andesmas, les visites qu'il reçoit, la musique lointaine qu'on entend - mais l'entend-on dans le recit ? un film ou un spectacle serait plus explicite, plus materiel, parlent d'une action et de personnages qui sont dans les coulisses.

Je conviens bien de la virtuosité de l'écriture qui rend presents des personnages absents, qu'on effleure dans la conversation. On evite d'en lparler trop explicitement car la situation est brûlante pour les protagonistes : Andesmas et Madame Arc.

L'ennui pour moi est que le personnage du vieil homme ne m'emeut guère. Celui de Valérie non plus. Reste la situation et la manière de la mettre au jour, par sa réfraction sur un vieil homme pris entre l'aveuglement et des moments de lucidité.

C'est surtout l'art avec lequel MD a su parler de l'attente qui fait de ce livre un ouvrage à caractère un peu exceptionnel. 128 pages où nous vivons cette attente avec Monsieur Andesmas et tout autant que lui
...
MD a souvent fait de ses personnages des êtres qui attendent et décrit le temps qui s'étire mais là il ne s'agit "que" de cela...Et c'est assez remarquable car elle nous emmène au bout de cette histoire, nous mettant véritablement en l'état qui est celui de Monsieur Andesmas, nous faisant ressentir non seulement ce qui se passe en lui mais aussi autour: les bruits, les odeurs, la chaleur...

L'action (mais y a-t-il action?) se déroule sur deux lieux:
- la plate-forme isolée qui surplombe le village ou M. Andesmas, immobile, attend Michel Arc.
- la place du village, en contrebas, où l'événement est survenu un an plus tôt, un "rectangle blanc" d'où montent, comme d'un "gouffre" la musique et les rires.
Le récit se base sur une scène qui a eu lieu un an auparavant, presque rien...mais tout!...

Mauvaise nouvelle les "collègues" j'ai réessayé "l'Amant" ( c'est une image !!!) de MD et j'ai de nouveau calé vers la 40 ème page.... :cry: :silent:

marie chevalier a écrit:

Mauvaise nouvelle les "collègues" j'ai réessayé "l'Amant" ( c'est une image !!!) de MD et j'ai de nouveau calé vers la 40 ème page.... :cry: :silent:

Chère "collègue"!...on pouvait s'en douter...En tout cas, bravo!...tu auras essayé!...
(J'adore le ton de tes messages Marie.)

Alors Marie , ta re-lecture ne t´a pas conduite jusqu´à la page 50. Et il s´établit comme un dialogue entre la manière qu´a le riche amant chinois de laver la jeune fille, d´essuyer sa peau tout en la caressant, de s´occuper de l´hygiène et du bien-être de son jeune corps d´adolescente et ce que représente l´Amour chez Quignard: " Aimer aux yeux des enfants c´est veiller. Veiller le sommeil, apaiser les craintes, consoler les pleurs, soigner les maladies, caresser la peau, la laver, l´essuyer, l´habiller" (Villa Amalia, p.288).
C´est comme si la jeune fille trouvait au fond du lit de l´amant tout ce qui lui manque, car elle n´a que 15 ans et c´est encore une enfant.
Des fois les romans se parlent et se répondent entre eux.

Tu sais quoi? je vais le reprendre mais carrément à la page 50 j'aurais gagné 10 pages et qui sait?

Non je plaisante ...quoique....

Moi, à ta place, j'aurais commencé un autre livre de Duras, comme Barrage contre le Pacifique.
Mais je vous ferai sans doute un bout de conduite avec l'amant, vu que je l'ai à portée de la main et que je n'en connais que des passages.

Non, Marie, je ne veux pas t´embarquer dans l´aventure de l´Amant. Tu es libre de t´incliner pour d´autres auteurs. Mais que veux-tu, chaque fois qu´on parle ( en bien ou en mal) de ce livre, je ne pourrai m´empêcher de mettre mon grain de sel !!!

Mais ne t'inquiète pas !! je crois que nous sommes tous semblables, nous voulons faire partager si nous avons aimé un auteur.
Alors cela veut dire aussi que franchement je vais encore essayer lol je suis très pugnace ! mais ce sera la dernière !

Marie, Rotko te propose d'essayer de lire "Barrage contre le Pacifique", c'est un excellent conseil.
Mais si tu veux du plus court... pour commencer !...je te suggère "Le ravissement de Lol V. Stein" ou "La pluie d'été"...ou "Dix heuresdu soir en été"...Tu souffriras moins longtemps!

Je vais me lancer dans "Dix heures du soir un été" ma foi je m'endormirai vers les 10h30 dessus si je n'accroche pas!!
je vous tiens au courant bien entendu
je vais le commander il faut que je commande le dernier cd de Pierre Perret joignons l'agréable à l'utile !!

marie chevalier a écrit:

Je vais me lancer dans "Dix heures du soir un été" ma foi je m'endormirai vers les 10h30 dessus si je n'accroche pas!!

Marguerite, je la vois bien comme la decrivait Jean-Louis Barrault : une enfant, quelqu´un pour qui la courtoisie, les compromis n´existent pas, puisque tout çà c´est bon pour les adultes.
"Marguerite a dû avoir, en Extrême-Orient, une enfance qui l’a marquée pour toujours.
Depuis, à la manière de ces savants qui consacrent une vie tout entière à observer la vie des abeilles, elle se sera penchée, en expert naturaliste, sur sa propre enfance, avec ses refus, ses indignations, ses appétits, ses émois, ses imaginations et ses désirs.
Ce sont les adultes qui, à un moment donné de leur vie, renoncent et acceptent de vivre " à part " . L’enfant, lui, refuse ces compromissions et s’obstine à vouloir vivre vraiment.
Quand je vois Marguerite aujourd’hui, je la reçois... et c’est l’Enfant qui apparaît avec tout son génie et son potentiel de vie.
Le bonheur, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus."
Jean Louis Barrault à propos de Marguerite Duras, " un enfant obstiné".

En fait vous savez quoi? je n'ai pas trouvé "dix heures d'un soir en été" et j'ai fait fort j'ai commandé "la douleur" pitié ne démolissez pas mes illusions j'y crois !!! je vais peut-être aimer MD!

tu es vraiment de bonne composition. Bravo pour cette ouverture d'esprit.

Merci Rotko , j'ai plein de défauts ( si si ne protestez pas mollement ) mais je crois effectivement que je ne suis pas "bornée" mais je vous tiendrai au courant bien entendu !!

marie chevalier a écrit:

j'ai fait fort j'ai commandé "la douleur"

Ce choix est des plus courageux Marie.
C'est un livre très fort. Un journal que MD tenait pendant la guerre...le retour de déportation de Robert Antelme...
Sa douleur devait être grande puisqu'elle a dit de ce livre qu'elle ne se rappelait plus l'avoir écrit. Cela peut paraître invraisemblable mais je crois à cela.

swallow a écrit:

Marguerite, je la vois bien comme la decrivait Jean-Louis Barrault : une enfant, quelqu´un pour qui la courtoisie, les compromis n´existent pas, puisque tout çà c´est bon pour les adultes.

Jean Louis Barrault à propos de Marguerite Duras, " un enfant obstiné".

C'est aussi comme une enfant qu'on peut la percevoir lorsqu'on écoute sa voix (avant qu'elle ne soit malade bien sûr!) raconter certains souvenirs...Je pense par exemple à un moment où on lui demande ce qui la fait rire...C'est une gamine!...
Je ne sais pas si les archives de l'INA sont plus aisément accessibles maintenant sur leur site...Je voudrais que vous puissiez l'écouter...

Je l'avais dit, je l'ai fait, j'ai lu un livre entier de MD:

"la douleur" et j'ai été époustouflée! J'ai bu ce livre comme on boit un truc amer dont on veut se débarrasser de l'aigreur vite fait!
Quel cri!! quelle douleur, quelle puissante émotion ! je n'en reviens pas.
Je crois qu'après ce livre, les autres de MD vont me paraitre fades, c'est ma crainte. Mais en attendant j'ai passé un moment de très grande émotion avec ces récits. Phrases courtes, tranchantes bref!!!! voilà! j'en reste sans mots.... :cry: :!: :silent:

marie chevalier a écrit:

Je l'avais dit, je l'ai fait, j'ai lu un livre entier de MD:

"la douleur" et j'ai été époustouflée! J'ai bu ce livre comme on boit un truc amer dont on veut se débarrasser de l'aigreur vite fait!
Quel cri!! quelle douleur, quelle puissante émotion ! je n'en reviens pas.

Tu traduis très bien ce que l'on ressent à la lecture de ce livre et l'impression qu'il reste après l'avoir refermé...
Moi non plus, je n'ai jamais pu en parler...