Gabrielle Wittkop

Le nécrophile



J'aimerais savoir qui a lu cet ouvrage hors du commun et profondément choquant.

En gros : itinéraire d'un nécrophile antiquaire, qui ne sait aimer que les cadavres qu'il va déterrer directement dans les cimetières. Il les aime charnellement, ce qui suffit à faire tourner de l'oeil le lecteur moyen, mais aussi platoniquement, ce qui élève le lecteur moyen et sublime cette histoire indécente, cauchemardesque et pourtant illuminée par une écriture divine.

Je suis sous le choc de ce bijou littéraire.

Mais incapable d'en parler autour de moi.

L'anonymat d'un forum facilitera les confidences...

Qui l'a lu ?


Avez-vous lu d'autres ouvrages de cette mante religieuse ?


Gabrielle Wittkop.

Si c'est bien la même qui a écrit Sérénissime assassinat --
Gabrielle Wittkop dont le nom complet est Gabrielle Wittkop-Ménardeau,

on pourrait en discuter, une fois que je l'aurai lu

Oui, c'est elle.
(Au passage, bonjour Rotko, je ne suis pas venue depuis un bail !)

Je compte lire l'ouvrage que tu cites, que j'espère plus "reposant" pour ma conscience agitée...


On la dit héritière de Sade, elle est pire encore.

Mais ne serait-ce pas dangereux pour moi de le lire ?

risque-t-on des sequelles ?

Elle a écrit aussi La mort de C. ; suivi de Le puritain passionné 2001 Verticales

elle a traduit Le Colporteur de Peter Handke et Deux points de vue de Uwe Johnson. Ce n'est pas une employée des pompes funèbres

C'est en effet un livre (et un thème) tellement choquant que je n'ose le conseiller.
Le pb, c'est que la réputation littéraire de G. W. n'est pas usurpée. Alors on hésite, on hésite, puis l'amour des belles lettres nous fait un jour craquer. On le lit malgré les sévères mises en garde : à réserver à un public très averti (ce que je ne suis pas !).

Elle a tellement de talent que quand tu refermes le livre, une odeur fétide flotte dans tes narines. Quant à manger, n'y pense pas. Il m'a fallu quelques jours avant de pouvoir le faire.

Alors comment nous tient-elle en haleine ? Par l'originalité, la beauté de la langue, et une émotion discrète et bien distillée, car cet homme, si prisonnier de cet amour interdit a aussi un passé, des faiblesses.

Une scène finale magnifique d'horreur.

Je n'ai jamais lu un truc pareil !

Je me suis "retapée" après cette lecture éprouvante avec les sonnets et madrigaux que Michel-Ange écrivit pour son grand amour, Cavalieri, et avec un petit ouvrage fantastique, une biographie romancée de Giorgione, par Claude Chevreuil.


L'éther...

serenissime assassinat 121 pages au Seuil

Citation :

Un texte sur la ville des miroirs. Pietro Longhi, Francesco Guardi et Tiepolo le Jeune sont les décorateurs de ce drame étrange et cruel.

tu me préviens dés que tu commences la lecture ?

Lecture prévue début juin. (Oui, j'en suis arrivée à devoir planifier...).

Et aussi un autre ouvrage, qui m'a l'air délectable : Thomas de Quincey - De l'assassinat considéré comme un des beaux-arts .

Tout cela en parallèle avec l'expo "Crime et châtiment"...

parbleu ! tu seras dans l'ambiance !

le fil de l'exposition crime et chatiment qui pourra être isolé ensuite

Je ne connaissais pas cet auteur, et j'ai maintenant très envie de lire Le Nécrophile !

Comme si je n'avais pas assez de lecture en retard... Mais ça peut être une bonne idée pour les vacances.

En me renseignant, j'ai trouvé ce site : http://blog.gabrielle-wittkop.fr/

J'ajoute que cela me fait penser à ce passage de la Bible :

Vos morts vivront ; mes cadavres ressusciteront ;
Réveillez-vous et chantez, vous qui êtes couchés dans la poussière
Car votre rosée, Seigneur, est une rosée de lumière,
Et la terre rendra au jour les trépassés.
Isaïe – XXVI, 19 à 21 (traduction du chanoine Crampon).

Oui, lis-le !

Et reviens nous dire tes impressions.

Si tu passes la première page, c'est gagné !

Mais gare !

Elle est coriace, celle-là !

Sans penser à la Bible, il y a de l' Amour dans ce texte.
Pour faire simple : Eros et Thanatos, au sens propre et figuré.


As-tu lu le parcours de la bonne femme ?


Une homosexuelle carnassière, mariée "intellectuellement" avec un Juif qu'elle cacha dans les années 40, et pour lequel elle subit la honte de la tonte, des voyages lointains, une vie sans enfant (beurk, dit-elle), une belle arrogance, un visage de marbre, une superbe...

Quel mec !

Et évidemment, j'allais presque oublier, elle s'est suicidée.


A plus de 80 piges...

Quel mec oui... J'ai lu tout ça sur Wiki. D'ailleurs, il paraît que, je cite : Sur la 4e de couverture des éditions posthumes : « J'ai voulu mourir comme j'ai vécu : en homme libre ».

Quant au visage, il est intimidant, c'est vrai :



Mon Dieu, que ça me donne envie de la lire ! Merci encore de m'avoir fait connaître cet auteur !

Ne te réjouis pas trop vite !

Car cette femme va te mener en enfer...



Une femme diabolique.


En tout cas, je suis curieuse d'avoir un autre avis.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce fil à l'avantage de titiller notre curiosité.
Je laisse Hope faire son baptème du feu.

Harelde78 a écrit:

Je laisse Hope faire son baptème du feu.

Une annonce qui vaut un engagement

Ma lecture en cours ...

1/3 Sérénissime assassinat, chez Verticales.

Tout commence par un spectacle de marionnettes, ce n’est pas un hasard : le regard extérieur empêche de voir les motivations de personnages, ils jouent leurs rôles, on les voit comme dans un tableau, immobiles ou agissant froidement, opaquement.

La Venise que présente Wittkop est mortifère, emplie de masques, de délateurs, de secrets, fangeuse et vénéneuse.

Citation :

Miserere nobis, domine, chantent les orphelines, avec des fioritures, des appogiatures, des roucoulements, des glissandi, tandis que l’eau clapote, se gargarise en borborygmes d’agonie et que la rame frappe à coups secs dans la forcola . La canicule pèse sur la mousse des murs qui brille à marée basse, pèse sur la ville déchiquetée en corolle d’œillet et qui pèse à son tour sur les eaux pesantes, les fonds vaseux de la lagune.

On est imbibé de sa moiteur, de sa pénombre brumeuse, et l’écriture nous amène à tourner des yeux inquiets dans toutes les directions, car on se demande où l’auteur nous mène :

Citation :

Le coucou appelle, monomane. Un convive enlève sa perruque. Le ciel prend une couleur cendrée, lointaine. Une cloche retentit. C’est l’heure où on arrose les jardins. Les jardins visibles et les jardins cachés sous de noirs bosquets ou tapis dans le secret des ruines oubliées.

Une lecture interessante, que je pousuis

2/3 Serenissime assassinat


Le tableau les tricheurs de Georges de la Tour traduit bien les regards cachés, soupçonneux et les reflets dans le miroir qu’on trouve dans Sérénissime assassinat.

Citation :

Ainsi Piero Trapassi voit-il Ottavia, belle encore mais défaite, fanée, lasse et lointaine, telle qu’elle-même se voit dans le miroir de la toilette, les paupières bouffies par le vin solitaire de la nuit. Piero Trapassi tient la boîte de mouches où Rosetta prend pour sa maîtresse des confettis de taffetas, lunes, étoiles, losanges qui doivent relever le teint. Mouches de soie.
D’autres mouches aussi se cachent dans les rideaux sur les plinthes, derrière les cadres, gonflées, gravides, et celles qu’on parvient à écraser se vengent par l’éclatement d’une laitance couleur de pus et d’un sang qu’on devine dérobé aux hommes.

3/3 Serenissime assassinat.

L’intrigue, les morts successives des épouses d’Alvise Lanzi, tient la route, mais l’essentiel reste la peinture de Venise.

L’atmosphère morbide est rendue visuellement et auditivement par ce récit où s’entrecroisent des voix diverses, mal identifiées, chuchotis, commérages, rumeurs, tableaux de genre :

Citation :

Un prêtre badine à la fenêtre avec une catin qui lui donne de grands coups d’éventail sur le nez. Les pauvres trafiquent de leurs enfants en bas âge, par contrat libellé devant le notaire.

Les références picturales sont nombreuses, les recettes de poison aussi,, les mots savants et/ou précis abondent, ce qui transforme le lecteur en un personnage de Venise : hésitant, se défiant de tout, avançant lentement dans la pénombre où rodent des ombres inquiétantes, car maléfiques.

Crevette a écrit:

dans le fond, elle te paraît comment sa prose ? tu aimes ?

moi, j'aime bien decouvrir de nouveaux genres, et là, on peut dire que la prose de Wittkop est soignée, le vocabulaire savant, la technique précise.

Toutefois la lecture n'est pas aisée, car on doit progresser très lentement.

A mon avis, l'auteur a raison de faire des récits courts, car pour une histoire longue, il faudrait un style plus fluide.

C'est un livre qui traduit la personne cultivée, qui connaît la Venise reposant sur une forêt pourrissante, et qui révèle la décadence d'une société à travers ses manifestations artistiques, ses moeurs, ses attitudes et ses conversations.

Si j'aime ce style ? je préfère des récits moins étudiés. Finalement la nouveauté de l'ecriture pourrait passer pour laborieuse. On s'amuserait facilement à illustrer le texte par des recherches picturales, notamment.

J'ai chez moi les Mémoires inutiles. Chronique indiscrète de Venise au XVIIIe siècle de Carlo Gozzi.

Venise est si riche comme thème de lecture...

Jérôme Garcin lui a réservé un chapitre dans son livre "Les livres ont un visage". Je ne sais pas si j'oserai la lire mais c'était tentant...

IzaBzh a écrit:

Jérôme Garcin lui a réservé un chapitre dans son livre "Les livres ont un visage". Je ne sais pas si j'oserai la lire mais c'était tentant...

Merci du tuyau, j'ai la possibilité de lire ce chapitre.

Compare ce que dit Garcin, qui, je suppose, parle davantage de l'auteur avec mon compte-rendu du récit, et tu devrais savoir si tu as envie de le lire ou non.

Pour moi la réponse est claire : parmi tant d'écrivains insipides, privilégions les auteurs et récits qui ont du caractère

C'était le postulat de Garcin en écrivant ce livre, donner envie de connaître les oeuvres en parlant de leurs auteurs

GOZZI, je l'ai lu mais quel style baroque !
Un vrai tourbillon !

A part GW, Garcin cite quels auteurs ?

Ca y est, j'ai commandé "Le Nécrophile" à mon libraire... Je l'aurais la semaine prochaine.

Hier, j'ai lu "Le diable amoureux" de Cazotte, et j'ai terminé "La sensibilité individualiste", petite compil de 2 articles de Palante chez 1001 Nuits. Aujourd'hui, j'aimerais bien finir "De la superstition", un texte court de Plutarque que je trouve passionnant.

Gabrielle Wittkop, 1920-2002 (suicide).

je résume à grands traits la visite de Jerôme Garcin à Gabrielle Wittkop à Francfort-sur-le-Main;

Il fait de l’auteur un portrait âcre et sulfureux : en haine de la religion, de la famille, des enfants, elle pratiquerait la cruauté littérairement.

Ses auteurs favoris, les philosophes du XVIIIe.

Lesbienne, elle avait rencontré pendant la guerre , un homosexuel allemand, Justus Wittkop (elle l’ épouse en 1946 par affinité intellectuelle) qui s’était rendu à Londres pour faire des émissions de radio contre Hitler.

Par contre à la Libération, elle aurait eu des ennuis pour avoir cohabité avec un Allemand, même antinazi ! > tondue !

Le nécrophile, interdit 3 fois ; elle l’avait écrit en 1972 pour Christopher, un ami très proche, débauché et buveur, amateur de mauvais lieux, notamment à Bombay, en Inde où il finit assassiné .

Les quelques mots de Jérôme Garcin confirment ce que j’ai dit de Sérénissime assassinat.

Jerôme Garcin, les livres ont un visage, Mercure de France.