Jean-Pierre Santini

Jean-Pierre Santini, Isula Blues, Albiana juin 2005, 97 p., 12 €

Isula blues est un court mais dense roman noir qui se déroule dans la lumineuse beauté des paysages du Cap corse.
C'est un blues plus nostalgique que mélancolique qui fait résonner une musique douce-amère exhalant l'âme d'une terre désertée , mais néanmoins habitée, bruissant de la vie de ces morts qui ont marqué ces paysages de leur empreinte.
Un roman jouant sur les ambivalences , tant dans son propos que dans son style où alternent observations aiguës et réflexions subtiles condensées dans des formules percutantes et longues descriptions évocatrices laissant ouverte la porte au rêve. Et Jean-Pierre Santini, avec une maîtrise remarquable, parvient à lier une succession de courts épisodes narratifs juxtaposés, à l'image de ses personnages solitaires qui se croisent sans se rencontrer, par un chant au timbre émouvant qui s'amplifie jusqu'à son terme...

L'histoire s'articule autour de deux personnages principaux.
Julien Costa, homme qui n'a jamais osé se livrer et n'a pas reçu grand chose de la vie, est soudain assailli et dépassé par un amour merveilleux qui va lui permettre enfin d'exister.
Mais Florence Lodi, jeune femme généreuse et trop belle, n'a jamais réussi qu'à se perdre, toujours victime des autres.
Autour de ces deux héros, gravite le commissaire, un ancien tortionnaire nostalgique des colonies, qui, comme d'autres, tente de meubler le vide de son existence en s'adonnant à des rites, des rites absurdes qui deviennent vite obsessionnels. Tandis que Dominique Lucchesi , vivant dans la solitude d'un couple qui n'a plus rien à se dire, se raccroche à la tendre complicité l'unissant à son fils Arnold qu'il initie avec plaisir à la chasse...

EXTRAITS:

p. 5/6

"Julien Costa finit tranquillement de déjeuner en attendant la météo.C'est ainsi. La sarabande des images aide l'âme à s'évader. Elles n'éclairent pas la conscience, invitent à la légèreté, à la tentation de n'exister que pour soi. Si au spectacle de l'horreur les plus sensibles versent encore une larme, cela n'empêche personne, le soir, d'aller dîner en ville. Il y a une géographie de l'émotion qui est une catégorie de l'obscénité.Et qui sert sans doute, quelque part, des intérêts bien compris. Seule l'intimité de la mort affecte encore les êtres.On ne meurt pas indifférent.
Julien Costa est conforme aux modèles dominants. Il n'exprime jamais ses opinions réelles. Il respecte strictement les consignes de ses employeurs. Il a appris à jouer les rôles utiles et roule dans le monde comme une monnaie en cours."

p.22

"La jeune femme se perd dans la contemplation du paysage. Elle suit le maillage complexe des chemins dont la trace lumineuse couve sous les signes obscurs du maquis. Ici, par l'humilité de leurs oeuvres, des itinéraires masqués, des pas effacés et qui pourtant ont durci à jamais le sol, les morts se rappellent aux vivants et, inlassablement, les appellent à eux.
Florence ressuscite le pays dans sa tête, le capte dans l'immensité de son regard, l'éveille aux clartés diffuse de sa mémoire, l'imprègne de sensations vécues, ces fantômes de plaisirs qui, doucement, sous la nuque, dénouent leurs lassitudes."

pas dans ma mediathèque

rotko a écrit:

pas dans ma mediathèque

Les petits éditeurs - surtout quand ils sont corses - sont malheureusement rarement représentés dans les médiathèques .
Pourtant il y a une littérature de qualité non-médiatisée qui gagne à être connue !
Peut-être faudrait-il que l'incitation à aller un peu voir hors des circuits balisés vienne des abonnés de ces médiathèques ?
( Personnellement je n'ai pas de médiathèque à une proximité raisonnable, ni de librairie d'ailleurs, et je suis contrainte à acheter sur le Net, où l'on trouve parfois des occasions intéressantes ...)

Les abonnés des mediathèques ont en général accès à un livre de "propositions" de titres.

Sur le site Priceminister, on trouve en général pas mal de livres de petits éditeurs corses en occasion.
Actuellement, il y est possible de se procurer Isula Blues au prix d'un livre de poche :
http://www.priceminister.com/offer/buy/6040974/Santini-Jean-Pierre-Isula-Blues-Livre.html

Merci Ecaminade, je viens de le commander.

je ne vais pas chômer au rayon lectures ces temps-ci

Jean Pierre Santini, Isula blues, chez Albiana.

La chanson qui donne le titre, je ne l’ai pas trouvée sur le net, au moins ai-je le poème de Fernando Pessoa pour les paroles :


Je ne sais. Une sens me fait défaut, une prise
sur la vie, sur l'amour, sur la gloire...
A quoi bon une quelconque histoire,
un quelconque destin ?

Je suis seul, d'une solitude jamais atteinte,
creux en dedans, sans futur ni passé.
Sans me voir, semble-t-il, s'écoulent les instants,
mais ils passent sans que leur pas soit léger.

Je prends un livre, mais ce qui reste à lire déjà me lasse.
veux-je penser, ma conclusion d'avance me fait mal.
Le rêve me pèse avant d'être rêvé. Sentir
a terriblement l'air du déjà vu.

N'être rien, être une figure de roman,
sans vie, sans mort matérielle, une idée,
une chose que rien ne rende utile ou laide,
une ombre sur un sol irréel, un songe épouvanté...

Futurisme.

Isula blues 1/3

La première piste fut qu’il s’agissait d’un roman policier : le titre, le fusil et la cartouche sur la couverture, le bandeau sur fond rouge : « la série noire » made in corsica.

Et de fait, on fait successivement la connaissance de personnages, avec des itinéraires et trajets dont on devine qu’ils se rejoindront, et des mobiles ou attitudes qui laissent présager un drame, voire un règlement de comptes.

Mais j’ai dû abandonner cette première piste, sans trop de regrets encore qu’elle maintînt le suspens de ce livre bien écrit où les couleurs jouent un rôle.

« En contrebas, la mer force le socle des montagnes par une baie étroite où cognent les tempêtes. Plein sud, le golfe de Saint Florent cerné du rempart mauve des Agriate, s’ouvre sur la lumière et s’estompe à l’horizon dans un charivari de bleus. »

Il me reste deux autres pistes

chez Albiana.

Isula Blues 2/3

La piste corse !

Tout se passe en Corse, dans des paysages précis, avec des personnages emblématiques, que la densité humaine empêche de virer aux clichés.

Elle est triste, la Corse hivernale, déserte, privée de ses fils et filles. Tout le monde se connaît, et sait ce que fait son voisin.

On s’y conduit prudemment car

« Un rien peut déclencher une violence soudaine, terrifiante, une sorte de folie qui prend racine dans les tourments d’une mémoire collective où la justice a le goût du sang. Il n’y a pas de petite peine. L’atteinte à la dignité d’un homme appelle le châtiment suprême. On s’entretue pour une insulte, un mot de travers et l’inconvenance même d’un regard. Chacun porte en soi le droit absolu de juger et donc toute l’injustice du monde »

aux dires du commissaire qui espionne et traque toute velléité indépendantiste.

A lire Isula Blues, on sent vivre le pays, et on le comprend mieux.

rotko a écrit:

Isula blues 1/3

La première piste fut qu’il s’agissait d’un roman policier : le titre, le fusil et la cartouche sur la couverture, le bandeau sur fond rouge : « la série noire » made in corsica.

D'abord, merci d'avoir cherché les paroles de la chanson, que je ne connaissais pas .

Comme toi, je m'attendais à un roman policier , confondant roman policier - qui débute en général par un crime et nous fait suivre une enquête - et roman noir qui se termine en général par la mort - et pas forcément un crime - et s'attache plus à faire vivre des personnages dans des situations conduisant à cette issue fatale ...
C'est en cela que l'on peut considérer que la vie est un roman noir !

La piste corse, elle est incontournable et les Corses , surtout ceux qui vivent dans cette île, voient en général ce roman comme beaucoup plus noir que je ne l'ai ressenti . ( Il y a plusieurs critiques consultables sur le site de J-P Santini )

Dimanche 14 février , sur le site de François-Xavier Renucci , nous en avons discuté aussi :http://pourunelitteraturecorse.blogspot.com/2010/02/de-nouveau-propos-disula-blues-de-jp.html#comments

@rotko
Tu n'as pas inscrit tes commentaires en réponse au fil "jean-Pierre Santini" , c'est une erreur ou c'est volontaire?
Je pense que c'est mieux quand il y a une certaine continuité , sinon ce n'est pas facile de croiser les regards !

une erreur totale ! toutes mes excuses.

Tu as raison d'en faire la remarque. je me suis totalement approprié le livre, à en perdre la tête et les bonnes manières !!
je suis confus.

Du coup je relis ce que tu as écrit, et je suis entièrement d'accord, sauf pour le prénom de la jeune femme Florence Lodi. Pas grave à côté de mes distractions.

Je donnerai mon 3e volet demain, avec plus d'attention, j'espère

Isula Blues 3/3

un roman d'amour ?

oui, mais sans espérance de la part de Julien Costa, et avec un bilan amoureux désespérant pour Florence Lodi.

Ensemble dans la première page du livre, plus loin, à leur insu, étendus sur un rocher, chacun de leur côté, ils ne savent pas qu'ils seront réunis.

« Julien s’allonge sur un grand rocher. Il aime s’installer ainsi dans la grande solitude de pierres entre le ciel et l’eau. Il n’y a pas un souffle de vent. Au creux de l’hiver les insectes se taisent et la faune rampante s’engourdit dans les failles […] De la montagne tombe un silence extraordinaire qu’incise parfois le coassement d’un corbeau. A grands coups d’aile battantes, l’oiseau lent cherche sa route dans l’azur. »

« La jeune femme imagine qu’elle pourrait rester de longues heures, le corps plaqué à même la terre souple qui lui renvoie dans les reins, le dos, la nuque de délicates vibrations. Personne ne l’attendait, elle n’attendait personne. »

Le roman est noir parce que "noir" de tristesse, de l'hiver, de la vie, et du désespoir, ainsi que par le personnage du commissaire, mouton noir de l'humanité.

Les autres personnages marchent dans une impasse, et le montage alterné de l'auteur les mène implacablement vers ce qu'ils n'auraient pas voulu.

rotko a écrit:

sauf pour le prénom de la jeune femme Florence Lodi. Pas grave à côté de mes distractions.

Merci de ta vigilance, je corrige tout de suite ...

rotko a écrit:

Isula Blues 3/3

un roman d'amour ?

Un roman d'amour - partagé - pour cette terre de Corse , mais un roman d'amour déçu pour les Corses qui y vivent ou n'y vivent pas ...

C'est toujours la même histoire,Jean-Pierre Santini,éditions Clémentine, janvier 2010, 181 p., 12 €

C'est toujours la même histoire , le dernier roman de Jean-Pierre Santini est l'histoire d'un écrivain solitaire qui raconte , et se raconte, des histoires. L'auteur, avec lequel le héros partage bien des ressemblances, semble affectionner la mise en abyme ...
Il se présente comme un constat sombre et désabusé . L'amour absolu, cet idéal dont on rêve est une illusion : une fois atteint l'objectif, quand le « trompe-l'oeil » de la « ligne d'horizon » n'opère plus, seule reste une « ligne de fuite ».
Mais il ne faut pas se fier aux apparences, ce roman est bien plus complexe et ambigu qu'il n'y paraît et ses lectures peuvent être nombreuses .
Comme dans un roman policier, le lecteur y est incité à relever des indices et à échafauder des hypothèses ...

Site des éditions Clémentine :http://www.editionsclementine.com