Jean-Pierre Abraham, Ar Men.

au seuil.

Autant ouvrir un fil tout de suite ; il vient de là.

Citation :

Nous entrons dans la période des vives eaux et l'on aperçoit, à basse mer, un morceau de la roche rouge sur laquelle le phare est bâti.

Ar Men en breton signifie la Pierre. Qu'avait-elle de particulier cette roche pour qu'on la nomme ainsi, parmi les dizaines d'autres qui émergent sur la Basse-Froide ? J'aime ce nom.

Le phare est enfoui dans la lumière. Je sens au-delà des énormes murs la pression de l'espace. La porte est barrée. Les doubles fenêtres sont closes dans les trois chambres. Je reste assis sur une marche de l'escalier, adossé à la chaux. Aucune ombre ne bouge.

Je croyais jadis que les tempêtes étaient effrayantes. Dans l'enthousiasme j'envisageais très bien de m'envoler avec le phare. mais la vraie peur apparaît quand la mer est trop calme.

Vivre dans un phare amène à regarder sans cesse un paysage changeant, tantôt clair, tantôt envahi par la brume, bientôt secoué par la tempête. Le gardien-veilleur y trouve pourtant ses repères, des lumières signes des lieux.

La poésie des feux et des couleurs fait sonner les syllabes, au rythme des lanternes et selon l’impact des sonorités.

Citation :

Le paysage que j’aime a des noms précis. Il est fait de lumières toutes différentes, posées dans la nuit à leur place exacte. Au nord les phares d’Ouessant : blancs, la Jument et le Créac’h ; rouges, le Stiff et Kéréon. Dans le chenal du Fromveur, les Pierres noires, le Four. Parfois le faisceau de l’Ile Vierge, là-bas, en Manche. Et sur la côte, Saint-Matthieu, le Minou, le Porzic, plus bas Trévennec, le phare maudit - la merveilleuse maison blanche, seule sur ce rocher abandonnée, j’y ai vécu tout un jour - la Plate et la Vieille dans le Raz, Cornoc-an-ar-Braden, verte à l’entrée du port de Sein ; Audierne, Pennmarc’h. Et dans l’Ouest le feu blanc, six secondes, trois secondes, la Bouée Occidentale.

Tous les repères de ma nuit, les feux des bateaux courant de l'un à l'autre, dans ces mots je respire bien.

j'aime beaucoup ce phare... il m'ancre à quelque chose que je ne sais pas? Avec l'océan autour, foudroyé de colère/

oui, la poésie des couleurs... il y a tant de nuances ! sais tu le vert des près reconverti dans la vague ? l'hésitant bleu, avant d'être devenu si clair, qu'il tue le céladon ! et puis se brise sur le noir du rocher.... sais-tu la lumière emprisonnée dans la houle, celle qui éclate sur le phare et le rend si grand ! si beau...
gardien de phare, mon ami qui a tout vu de la tempête, laisse moi regarder ce que tu vois....

il me suffira d'embarquer, pour avoir un peu peur.... là où l'eau devient sombre, d'un bleu si foncé qu'il atteint le noir d'encre. Oui, j'ai peur, mais j'avance encore, plus loin ! toujours plus loin...
y aura-t-il une ile ? juste un bout de rocher pour que je puisse poser ma tête impatiente ? Rien n'est si beau que le reflet miroir des vagues multipliées, si fortes que j'en tremble.
Il est là, le phare. Sur son morceau de roche. J'ai eu si peur, souvent, de ne point le rejoindre.....

Ar-Men est un journal qui note, jour après jour (la suite n'est pas régulière), voire à quelques heures de distance, la vie au phare, les humeurs, les paysages - ou leur absence.

Dans ce huis-clos, les poèmes de Reverdy, comme les tableaux de Vermeer, sont des compagnons. Il arrive même qu'ils inspirent des sentiments différents.

Face à lui-même, le gardien-poète reste vigilant.

Citation :

Le vent ronfle dans la coupole. Ce mouvement léger où je glisse, c’est le temps qui se met à courir, librement, dégagé des heurts et des cassures, que provoque la lumière. Ce temps qui me défait, qui me dépossède, qui passe comme une eau sur mes images.

Journal d'un recueillement pour voir clair en soi.

Le Phare est une sorte de monastère où rechercher l'essentiel, dans la vie comme dans l'écriture.

Citation :

Je crois que peu à peu dans la brume où tout s’embrouille, les pensées inutiles, durement secouées, finiront par tomber, par disparaître avec les oiseaux. L’une après l’autre, je crois. Mais la nuit passe sans attendre.

j'ai regardé chez Gibert-Joseph, parce que, bien entendu, il n'est pas à la médiathèque ( ) il est à un peu plus de 13 euros et sans frais de port, je crois que je vais me l'offrir, Ar men.

Ysandre a écrit:

j'ai regardé chez Gibert-Joseph, parce que, bien entendu, il n'est pas à la médiathèque ( ) il est à un peu plus de 13 euros et sans frais de port, je crois que je vais me l'offrir, Ar men.

il est actuellement introuvable parce que non réédité. A 13 € tu fais une affaire.

oui, ça je m'en doutais puisque tu as dit qu'il y avait des illustrations !

Ysandre a écrit:

oui, ça je m'en doutais puisque tu as dit qu'il y avait des illustrations !

non, pas d'illustrations, le texte est par moments très visuel, ça suffit.

En revanche, une video qui concerne Jean-Pierre Abraham et les gardiens du phare d'Ar-Men

superbe, cette vidéo. Je suis depuis longtemps fascinée par les phares et la vie que l'on y mène.

Jean-Pierre Abraham saisit l’instant et l’humeur sur le vif. Il accorde un choix de vie avec un style d’écriture, soucieux de précision. Écrire suppose attente, vigilance, regard critique.

Citation :

Les mots trop brillants abîment tout le travail. Et parfois des mots sans éclat, lorsqu’ on les réunit, voilà qu’ils brillent ensemble. Est-ce qu’il le faut ? Je ne crois pas. Je ne sais pas encore. Je suis trop vite séduit pour ne pas me méfier. Mais si avare ! Il faut du temps pour qu’un mot vienne sur le pont Il en faut encore bien plus pour se résoudre à en rejeter un par-dessus bord…

Réflexion à rapprocher de la stratégie du pêcheur à la ligne - mot qui relève aussi de l’écriture. Il faut saisir le mot comme un poisson, l’amener à bon port, et vérifier qu’il convient dans un ensemble.

Citation :

A l’instant où [la ligne] se raidit, où l’on sent cette étincelle entre les doigts, c’est une fameuse joie, il n’y a rien à dire. Mais alors il ne faut pas succomber à l’exaltation. Amener lentement. Ne pas laisser de mou dans la ligne. S’interrompre lorsqu’elle file sur le côté. Attendre. Bloquer. Recommencer. Une tâche blanche apparaît entre deux eaux, il faut hisser rapidement, il y en a qui se décrochent…

Tout commentaire est superflu.

oui, vrai ! mais je crois que nous n'avons pas tous la même approche des mots... ils me viennent dans la tête parfois, ou bien un assemblage de mots, une métaphore, et je ne sais pas si c'est bien ou mal, alors j'écris. Après je relis et je me dis que c'est bon à mettre à la poubelle, mais je ne le fais pas :

quelqu'un m'a dit : "ne jette rien, tu ne peux être juge et partie. Laisse à ceux qui découvriront, le soin de juger si ce que tu as écrit est bon ou mauvais. Et puis, qu'en as-tu à faire ? tu ne veux pas écrire pour la postérité. Seulement laisser une petite trace de toi pour tes enfants et ceux qui t'aiment. Alors écris ! puisque tout te passe par le coeur. C'est un peu un testament. Tu es trop paresseuse pour écrire un livre ? assume-toi. N'aie pas de regrets, c'est stérile.

Prends, apprends, des autres. Ne sois pas aussi humble, il y a des grands, des moins grands, des mauvais... ne te pose pas de question quant aux autres, ils ont peut être eu les mêmes scrupules, les mêmes hésitations que toi. Tu as la chance de pouvoir le faire, d'avoir ta signature dans un journal, c'est déjà une reconnaissance, non ? Alors, va ! la sagesse n'est pas ton fort, mais tu sais agripper les gens avec tes papiers. Tu crois que je te garderais, minable pigiste ? si tu n'avais pas de lecteurs ? allez, file, Calamity !"

j'ai copié aussitôt sur mon carnet ce qu'il avait dit, mon patron. Dès que j'ai eu un ordinateur, je l'ai transcrit scrupuleusement. Et je continue à tout écrire, même sur GDS* que je pollue !

Je suis tres interessee par ce phare mythique! Et par les efforts tentalesques qui ont accompagne sa construction! Ar Men est une legende! Lire sur lui, c'est presque l'emotion de le decouvrir en reel!

68 p. Le Tout sur le Tout.

le Vent

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« Le vent révélait des trous subits dans les feuillages et dessinait de vives surfaces sur le fouillis des branches. Sans lui on ne pourrait rien découvrir peut-être. Mais il faut beaucoup de temps pour le comprendre. »

Cet opuscule de Jean Pierre Abraham est poétique au même titre que les rêveries d’un promeneur solitaire :

un flâneur des rives explore les lieux solitaires, il affectionne les étroits passages qui débouchent sur des aperçus de lumières et de lignes. Elles révèlent progressivement l’inexploré, ses tonalités hostiles ou indifférentes, qu’il faut apprivoiser.

Le flâneur est un voleur de l’instant, qu’il immobilise dans une formule,

- L’air tremblait comme une vitre.

- Pour la première fois, je reconnus l’extraordinaire silence de ce pays.

- Parfois une vieille planche passe sans bruit dans le courant.

J'ai pris mon temps pour lire tout le fil sur lui, sa vie, ses écrits, ses connaissances, une vie riche dans le sens qu'il aimait cette vie toujours près de la mer; et j'ai été frappée par les mots d'une seule syllabe avec lesquels il a construit son oeuvre: mer-vent-pluie-peur-joie-flair-nuit-aube-île-froid-faim-ciel.

d'après vos exemples, j'ai le sentiment que c'est "un impressionniste" de l'écriture, non ? comme les peintres....

un écriture très visuelle, mais rien de flou ! que du précis !

merci à Amadak et Ysandre de prêter attention à ces textes si bien écrits.

XXXIII petits textes forment les étapes de la découverte, à pied ou à la rame, le lecteur y est associé, comme complice d’un plaisir simple pour amateur raffiné.

« C’est l’aube et le ciel apparaît. Le sable est glacé contre la joue, il tremble comme une toile d’araignée. Un paquet de goémon glisse d’un rocher noir dans l’eau brillante, remue et s’éloigne doucement avec quelques étincelles. Des rayons de soleil viennent s’échouer en dansant sur le sable. Ils sont tout de suite saisis et cachés dans des grottes, auprès d’autres épaves de riches navires engloutis. »

c'est vraiment très beau ! j'ai hâte de le lire.

par contre je ne sais quand je pourrai le lire, Rotko ! je t'avais dit que j'avais trouvé Ar Men chez Gibert Joseph pour 13 euros, mais comme une idiote je n'ai pas fait la commande immédiatement, quand j'ai voulu le faire, ils ne l'avaient pas !!!! j'essaierai chez Price ou amazone.

merci à toi Rotko de nous faire parvenir de si beaux écrits, surtout pour moi, qui n'aurait jamais eu cette chance dans notre loitain continent.