De Goupil à MargotPergaud est doublement connu. Pour sa fameuse « Guerre des boutons » et pour sa triste fin pendant la première guerre mondiale.
Il est dommage de laisser dans l’ombre un autre côté de son œuvre, celui qualifié de « naturaliste ».
«
De Goupil à Margot » est un recueil de nouvelles au sujet atypique.
Le sujet : les animaux sauvages. Les lièvres, les renards, les oiseaux...
Comment vivent-ils dans leur forêt ?
Comment assument-ils les milliers de dangers qui les guettent ?
Qu’est-ce donc qu’une vie faite de fuites, de cachettes, de peur, de faim ?
C’est une vie d’animal.
Il ne faut pas se tromper : il n’y a ni compassion déplacée, ni caricature de l’animal. Pergaud ne prête aucun sentiment à ses bêtes sylvestres, mais des instincts et une conscience aigüe de l’instant (celle que l’homme a perdue depuis longtemps...).
Le lecteur est obligé de laisser tomber son unique point de vue d’être humain.
Il devient autre.
Il devient sauvage.
Avec pour seule règle : manger ou être mangé.
Le livre est donc constitué de descriptions de scènes de chasse, de prédation, de sommeil, de repas (la joie d’un renard qui dévore une poule, d’une grenouille avalant un vermisseau, eh oui, on y participe aussi !)...
Il ne faut pas chercher la métaphore là où l’auteur ne l’a pas pensée.
Il s’agit bien d’un exercice de style par amour de la langue, qui est simplement grandiose, précise, captivante et tellement vivante, qu’on s’identifie aux « héros » particuliers de ces nouvelles. C’est un documentaire animé.
La dernière nouvelle, « Margot », m’a profondément émue. Margot est une pie. Pergaud décrit par le menu sa vie en liberté, en groupe. Les dangers la guettent mais elle vole et affronte le monde sans peur.
Un jour, elle est capturée par un homme, qui l’emprisonne et la mutile, pour le plaisir des brutes qui viennent se biturer dans sa taverne. On vit cette expérience à travers la pie : affolement, panique, incompréhension, désespoir et mort.
Je vous jure
qu’on devient pie pendant 30 pages. C’est magistral de happer le lecteur à ce point là !
Cette histoire finit tragiquement, comme vous pouvez l’imaginer. Car si Pergaud reste neutre et objectif dans sa narration, il ne peut s’empêcher de décocher une flèche contre ses semblables en fin de livre, fustigeant leur cécité et leur cruauté.
Le simple fait de nommer un animal revient à l’aimer. Pergaud était un amoureux attentif de la nature.
Un émerveillé.
Plus que tout, Pergaud était un magnifique écrivain, qu’il convient de saluer ici.