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| | Elena Poniatowska, ( Mexique) | |
| | Auteur | Message |
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Amadak pilier
Nombre de messages : 3859 Localisation : Buenos-Aires Date d'inscription : 08/12/2007
| Sujet: Elena Poniatowska, ( Mexique) Mer 04 Déc 2013, 22:42 | |
| Elena Poniatowska
LA COMMISSION
Un petit récit de l’écrivaine Helène Poniatowska, née en France fille d’un prince Polonais et de mère Mexicaine, Elle écrit surtout en espagnol et j’ai trouvé sur le net, cette petite lecture en Français. Au Mexique elle s’est engagée pour la lutte des femmes toujours soumises, et sur les droits de l’homme. Elle a été honorée de nombreux prix, pour sa trajectoire. En 1942 elle a quitté la France à l’âge de dix ans, à l’arrivée des nazis, vers la patrie de sa mère En espagnol « el recado » en français « la commission »
Je suis venue Martín, et tu n'es pas là. Je me suis assise sur le seuil de ta maison, appuyée contre ta porte et je pense qu'en un endroit de la ville, par une onde qui traverse l'air, tu dois deviner que je suis ici. Voici ton petit bout de jardin; ton mimosa s'incline vers la rue et en passant les enfants lui arrachent les branches les plus accessibles...En terre, semées autour d'un mur, très rectilignes et sérieuses, je vois des fleurs qui ont des feuilles comme des épées. Elles sont bleu marine, elles ressemblent à des soldats. Elles sont très graves, très honnêtes. Toi aussi tu es un soldat. Tu marches dans la vie, un, deux, un, deux...Ton jardin entier est solide, il est comme toi, il a une force qui inspire confiance.
Me voici contre le mur de ta maison, telle que je suis parfois contre le mur de ton dos. Le soleil donne aussi contre la vitre de tes fenêtres et peu à peu il faiblit car il est tard. Le ciel rougissant a chauffé ton chèvrefeuille et son odeur se fait de plus en plus pénétrante. C'est la tombée du jour. Le jour va décliner. Ta voisine passe. Je ne sais si elle m'aura vue. Elle va arroser son bout de jardin. Je me souviens qu'elle t'apporte une soupe quand tu es malade et que sa fille te fait des piqûres...Je pense à toi très lentement, comme si je te dessinais en moi et que tu restais gravé là. Je voudrais avoir la certitude que je vais te voir demain et après-demain et toujours dans une chaîne ininterrompue de jours; que je pourrai te regarder lentement bien que je connaisse chaque petit recoin de ton visage; rien entre nous n'a été provisoire ni un accident.
Je suis penchée sur une feuille de papier et je t'écris tout ça et je pense que maintenant, dans un quelconque quartier où tu marches, pressé, décidé comme tu en as l'habitude, dans une de ces rues où je t'imagine toujours: Donceles et Cinco de Febrero ou Venustiano Carranza, sur une de ces banquettes grises et monocordes brisées par la foule de gens qui va prendre le camion, tu dois savoir au fond de toi que je t'attends. Je suis simplement venue te dire que je t'aime et comme tu n'es pas là je te l'écris. Je ne peux presque plus écrire parce que le soleil est déjà parti et je ne sais pas bien ce que je te mets. Dehors passent encore des enfants, en courant. Et une dame avec une casserole prévient, irritée: “ Ne me secoue pas la main, je vais renverser le lait...” Et je laisse ce crayon, Martín, et je laisse la feuille à lignes et je laisse mes bras pendre inutilement le long de mon corps et je t'attends. Je pense que j'aurais aimé t'étreindre. Parfois j'aimerais être plus vieille parce que la jeunesse porte en elle, l'impérieux, l'implacable besoin de tout relier à l'amour. Un chien aboie; il aboie agressivement. Je crois qu'il est temps de partir.
Sous peu viendra la voisine pour allumer la lumière de ta maison; elle a la clef et elle allumera l'ampoule de la chambre qui donne vers l'extérieur parce que dans cette colonie on assaille beaucoup, on vole beaucoup. On vole beaucoup aux pauvres; les pauvres se volent entre eux...Tu sais, depuis mon enfance je me suis assise ainsi à attendre, j'ai toujours été docile, parce que je t'attendais. Je sais que toutes les femmes attendent. Elles attendent la vie future, toutes ces images forgées dans la solitude, toute cette forêt qui marche vers elles: toute cette immense promesse qu'est l'homme; une grenade qui s’ouvre soudain et montre ses grains rouges, brillants; une grenade comme une bouche pulpeuse de mille grains.
Plus tard ces heures vécues en imagination, devenues heures réelles, devront prendre poids et taille et dureté. Tous nous sommes – ô mon amour – si pleins de portraits intérieurs, si pleins de paysages non vécus.
La nuit est tombée et je ne vois presque plus ce que je suis en train de griffonner sur le papier ligné. Je ne distingue plus les lettres. Là où tu ne comprends pas, dans les espaces, dans les vides, mets: “Je t'aime...” Je ne sais si je vais glisser cette feuille sous la porte, je ne sais. Tu m'as donné un tel respect de toi-même....Peut-être que maintenant je vais partir, je ne suis passée que pour demander à une voisine qu'elle te fasse la commission: qu'elle te dise que je suis venue. | |
| | | nicyrle pilier
Nombre de messages : 5882 Age : 81 Localisation : Tout en bas, sous les orangers Date d'inscription : 05/02/2008
| Sujet: Re: Elena Poniatowska, ( Mexique) Jeu 05 Déc 2013, 22:59 | |
| Merci, Amadak, tu nous offres un beau texte, sobre et simple qui dit l'attente, la résignation, la soumission de la femme ; il dit aussi la pauvreté et la violence avec des images saisissantes comme celle du mimosa dont les branches sont arrachées ou ces feuilles en forme d'épées. J'aime beaucoup | |
| | | Ysandre pilier
Nombre de messages : 18014 Age : 121 Localisation : sud ouest Date d'inscription : 25/06/2009
| Sujet: Re: Elena Poniatowska, ( Mexique) Ven 06 Déc 2013, 06:13 | |
| oui, Manic, tu as raison, c'est un très beau texte où la résignation, la soumission, font un peu mal... | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Elena Poniatowska, ( Mexique) Ven 06 Déc 2013, 10:59 | |
| très beau texte, merci Amadak. Il se trouve qu'on m'a offert un livre de cet auteur : j'en parlerai bientôt, merci d'avoir ouvert le fil. | |
| | | Amadak pilier
Nombre de messages : 3859 Localisation : Buenos-Aires Date d'inscription : 08/12/2007
| Sujet: elena Poniatowska Ven 06 Déc 2013, 17:24 | |
| merci Nicyrle, Ysandre ,Rotko:merci: ce texte dit beaucoup sur la soumission des femmes, non seulement au Mexique, mais dans notre Amérique latine. Elle a lutté contre; je suis contente que vous avez apprécié
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| | | | Elena Poniatowska, ( Mexique) | |
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