Horacio Castellanos Moya - [Salvador]

Horacio Castellanos Moya, le dégoût, chez 10/18.

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Edgardo Vega, résident habituel de Montréal, rentre au Salvador pour l’enterrement de sa mère. Tout le met en fureur, suscite sa colère et son écoeurement, et il énumère, dans un bar, à un ami d’enfance tout ce qui lui soulève le cœur.

C’est donc une diatribe orale, ponctuée de « me dit Véga », que retransmet Moya, un déversement d’horreurs si outrées que le texte en devient réjouissant, avec des reprises, des redites, des anathèmes, des invectives, dans une langue scandée que le traducteur a merveilleusement restituée.

Il crache son venin sur les chauffeurs de bus, les frères Maristes, la famille de son frère, les Salvadoriens… tout mérite son dégoût :

Citation :

« Je ne pouvais en croire mes yeux, Moya, ce matin-là quand j’ai décidé de faire un tour sur le campus de l’université du Salvador, je ne pouvais croire à une pareille ignominie. On aurait dit un campement de réfugiés africains : les bâtiments tombant en ruines, un tas de construction en bois, puantes et entassées chaotiquement, des excréments humains dans les couloirs des quelques bâtiments encore debout, des excréments humains dans les coi loirs de l’université du Salvador, un air fétide et répugnant dans les couloirs de la principale université du pays à cause des déjections humaines que l’on doit soigneusement éviter quand on les parcourt »

2/2 le dégoût

Outre des tirades enflammées contre les politiciens véreux et bellicistes - que je vous laisse découvrir, on trouve dans ce livre des accents de Antonio Lobo Antunes, pour dénoncer « une culture qui a sauté d’un coup de l’analphabétisme le plus atroce à la fascination pour la stupidité de l’image télévisuelle, un saut mortel… », pour les sarcasmes les plus violents face à la dégradation du goût :

Citation :

« Mon frère trouve que ces jambes rendues difformes par les cloques et la crasse sont « de sacrées guibolles » . C’est à vomir, Moya, à se demander comment diable est constituée cette race aussi obtuse, aux goûts aussi ignobles… »

Les tirades de Véga sont réjouissantes de méchancetés, ressassées et ruminées, où seuls, dans ce jeu de massacre et d’exécration, demeurent intacts, le concerto en si bémol mineur de Tchaikovski et la langue rythmée, colorée et violente de Horacio Castellanos Moya.

Bibliographie

Là où vous ne serez pas, Les Allusifs, 2008,

Le dégoût, 10/18, 2005,

L'homme en arme, 10/18, 2008,

Le bal des vipères, Les Allusifs, 2007,

La mort d'Olga Maria, 10/18, 2006,

Déraison, Les Allusifs, 2006,

portrait de cet écrivain surprenant

Là où vous ne serez pas.





De quoi est mort l'ancien ambassadeur Alberto Aragon ?
Pourquoi est-il parti du Salvador pour finir seul et misérable à Mexico ?
A travers les errances d'Alberto, c'est toute l'histoire contemporaine du Salvador que l'on traverse : guerres, amours, trahisons.
Une dictature, de la corruption, une politique marquée par les ingérences des autres pays d'Amérique (USA en tête bien sûr), Le Salvador a connu une histoire contemporaine sombre et meurtrière.

Le verbe est puissant, l'écriture fiévreuse, il y a de la violence dans ce pays déchiré par la guerre civile, de la violence dans l'alcool qui coule à flots pour oublier l'exil, de la violence dans les amours de ces personnages perdus, déracinés et désabusés.

La Servante et le Catcheur (La Sirvienta y el Luchador), d'Horacio Castellanos Moya, traduit de l'espagnol (Salvador) par René Solis, Métailié, 240 p

Fin des années 1970. 48 heures à San Salvador, en pleine guerre civile. Une femme de ménage part à la recherche d'un jeune couple disparu et croise sur son chemin une vieille connaissance, ancien catcheur devenu flic et tortionnaire.

Le roman entremêle les voix. Le Viking, personnage principal, est une pure création à la Moya : un ancien catcheur devenu tortionnaire, moribond mais coriace, une brute sentimentale aux désirs huileux et dégradants. Moya se salit les mains : il ne refuse pas sa compassion au bourreau, il regarde en face sa pesante humanité.

Aucun de ses crimes ne sera pourtant ni édulcoré ni oublié. Les dialogues ignobles du Viking et de ses collègues de travail en deviennent jubilatoires, et suffisamment complaisants pour laisser une profonde impression de malaise. Mais Moya ne se laisse pas déstabiliser par la sauvagerie sanglante des faits dont il s'empare. La virilité du mec armé (flic ou révolutionnaire) n'exerce aucune fascination sur lui.

La vieille servante est une femme intelligente, obstinée, observatrice et complexe, attachée aux communistes nantis qui l'emploient, les Aragon. Ceux-ci apparaissaient dans trois romans antérieurs de Moya. Ici, leur histoire est racontée du point de vue de la servante, qui mène l'enquête pour savoir ce qu'est devenu un couple de jeunes gens de la famille, disparus à leur retour d'URSS, séquestrés.

C'est cette enquête qui la conduit à retrouver la trace du Viking, et à lui demander de l'aide. Bien que tout la sépare de lui, il deviendra son alter ego par la force des situations.

tout l'article du Monde sur ce grand écrivain salvadorien.

Citation :

"Son oeuvre nourrie à la guerre civile du Salvador (1100.000 morts de 1979 à 1992 dénonce l'extrême violence des pays d'Amérique Centrale, la bêtise crasse de la classe dirigeante autant que du peuple.
 Influencé à ses débuts par le style d'un Thomas Bernhardt auquel le dégoût emprunte et la voix et le nom, l'oeuvre déverse des tombereaux de ironie, de colères  et de moqueries en même temps qu'elle pénètre au coeur de la violence et du mal, ne se sauvant du désastre que parle biais d'un rire qui passe du jaune à la folie"

je propose en lecture commune


Le début est fulgurant : une chevrolet jaune, vrai tas de ferraille, sert d'habitation à un clodo, ancien comptable d'une grande entreprise. Le narrateur est intrigué par ce marginal, jusqu'à, suite à des circonstances imprévues, prendre sa place dans la voiture et sa succession dans différentes affaires.

Le venin est dans le récit qui vous prend aux tripes ou à la gorge. A chacun ses parties sensibles

Le narrateur noue des liens intimes avec  ses reptiles
 
Beti était la vipère potelée aux yeux bridés ; Loli allait être une vipère fine aux mouvements timides, presque délicats ; Valentina, aavec sa peau chatoyante, exhalait la sensualité ; et Carmela, en sa menuité, avait quelque chose de mystérieux.

- Bonjour les filles, les saluai-je.
 
Et il faut avouer que le lecteur s'attache aussi à l'histoire et à leurs méfaits . Le livre comporte 4 parties, la 2e et la 3e relatent l'emoi de la population via la police ou une journaliste, et on attend de retrouver notre homme et ses vipères : la 4é partie est pimentée d'érotisme ; il est vrai qu'avec les serpents et les serpentes, la tentation est grande, depuis le paradis terrestre .
 
Moya a écrit des livres plus importants dont la tétralogie autour dela famille aragon qui débute avec "là où vous ne serez pas" (2003) 270 p.

Spoiler:

 
et s'achève avec la servante et le catcheur (2011) présenté supra.
 
Nonobstant, le bal des vipères est assez excitant, et donne le frisson jusqu'au sommet de l'Etat.

Citation :

hé bé non ! tu as beau faire, tu ne me tentes avec tes serpents ! berk !

On finit par les aimer, ses vipères lubriques !

des vipères lubriques ? ya du malpoli là-dedans !je ne sais si je puis lire cela ? moi qui suis coincée et pudibonde ....

Amadak a écrit:

CASTELLANOS MOYA
je vais essayer une fois pour toutes de comprendre l'incompréhensible.
j'avais commencé,laissé tomber, et recommence. Il me semble que c'est le plus compliqué de C.Moya:affraid:

je crois que tu es mal partie si tu veux voir un symbolisme ou un message quelconques dans cette histoire. C'est une fiction où le plaisir de raconter - et de lire, un récit inhabituel, est primordial. La substitution d'un personnage à un autre plonge dans le désarroi les enquêteurs, comme l'action des vipères, stupéfie les foules et alimente les rumeurs. Ce qui devient une affaire d'Etat.

merci Rotko, j'ai vu le fil. Attends à que je le finisse. Lire pour le plaisir de lire c'est ce que j'aime; quand même il faut comprendre.
Une fois achevé et digéré, je donnerai mon avis

ouaip ! j'ai pris le bal des vipères à la médiathèque aujourd'hui ! chuis drôlement courageuse, parce que ... les vipères, c'est pas ma tasse de thé ! 

pour Ysandre: j'espère que  tu changeras ton avis sur les vipères, toi qui aimes tous les animaux.

Voilà Amadak ironique  as-tu fini le bal des vipères ou l'abandonnes-tu ? moi je lirai déraison du même auteur.

pour Ysandre: j'espère que tu changeras ton avis sur les vipères, toi qui aimes tous les animaux. a écrit:

Amadak
  tu as raison, ma Lointaine, j'apprécie ton ironie (soulignée par Rotko). Mais les serpents... c'est physique !!! j'ai eu beau essayer de les voir autrement, rien à faire !!! j'ai les poils des bras debout et les cheveux hérissés (déjà que ces derniers le sont naturellement quand ils sont très courts, l'été !).
J'ai commencé le bal des vipères ce livre me fait rire ! Et puis... les animaux qui parlent me ravissent.

Ysandre a écrit:

J'ai commencé le bal des vipères ce livre me fait rire ! Et puis... les animaux qui parlent me ravissent.

ah ! bon début ! et elles sont jolies en plus, un tempérament de feu pour des reptiles "à sang froid" ! 

oui... jolies ?..... faut le dire vite ! elles ont quand même des gueules de vipères ! et elles sont malpolies, elles  très souvent !

je vais retrouver mes vipères !  

Je viens de finir "Le bal des vipères"

Voici ce que j'ai aimé :

Sachant qu'elles sont à part et surtout détestées, elles se vengent et ne font pas de quartier ( Loli, Beti, Valentina et Carmela, de somptueuses créatures toutes d'écailles vêtues) .

C'est vrai que l'histoire est originale, burlesque parfois, surréaliste certainement,  délire paranoïaque probablement. Sur fond politique agrémentée de crimes organisées,  de policiers corrompus, de méthodes bien connue de la presse à sensation etc ... Quelle énergie dans ce récit cela va crescendo, on a envie de connaitre la suite, j'étais scotchée, hallucinée, parfois révoltée certainement, amusée également,  je lisais vite, très vite, afin de pouvoir tout finir d'un coup !

« J’ajustai le tabouret, enlevai le carton du pare-brise, démarrai et me dirigeai vers la station-service. Je m’arrêtai à l’entrée du parking. J’ouvris la portière et leur dis que le gros lard se trouvait dans le groupe d’à côté. Je m’envoyai un coup de gnôle et allumai une cigarette. C’était vendredi soir, évidemment, et le tapage de la fiesta battait son plein. Mais jamais je n’avais vu les filles aussi furieuses : Carmela fit un saut dans les airs et s’enroula autour du cou du gros lard si violemment qu’elle faillit lui arracher la tête ; les trois autres le mordirent aussi, avant de s’en prendre au reste du groupe. L’effroi se répandit, instantané : certains s’enfermaient précipitamment dans les voitures ; d’autres couraient se mettre à l’abri dans le supermarché ; beaucoup d’entre eux ne savaient même pas pourquoi ils fuyaient ventre à terre. Je sortis mon cran d’arrêt pour me curer les ongles. Dans cette confusion, en voulant fuir, plusieurs voitures se heurtèrent. Un petit jeune chevelu qui avait été mordu réussit à monter dans sa voiture dernier modèle et à démarrer sur les chapeaux de roue, mais ensuite il perdit le contrôle et alla s’écraser contre les pompes à essence : il y eut d’abord une série de petites explosions, puis une déflagration d’une telle ampleur que je crus que la flamme allait griller ma Chevrolet. "

Voici ce que j'ai cru détester !

La violence, la dépravation, l'alcool, les tueries (épouvantables carnages) ...

Je l'ai seulement cru !

Puis, vers la fin j'ai compris ! La tendresse m'a pris pour cette balade ophidienne, ces hallucinations, pour cet homme aux frontières de la folie, pour les scènes érotiques finales, également cette société sans avenir inévitablement vouée à l'échec ! j'ai compris enfin, je regrette d'avoir écrit  cette phrase dans le fil du bar, "cela m'a achevé" ! C'est faux totalement faux, c'est une histoire très bien construite, surtout à ne pas prendre au premier degré !

J'ai aimé ! je recommande donc la lecture de ce livre !

HORACIO CASTELLANOS MOYA. Certes un univers déjanté ! mais je lirai volontiers d'autres romans de cet auteur.

Voilà qui est bien envoyé !

c'est en effet un livre difficile à classer, il tient du "road movie", de l'epopée burlesque, et la fin est inattendue. Oui, on s'attache à ces vipères qui ont chacune leurs caractères et leurs pratiques. quel déchainement contre elles ! attendons Ysandre et ses impressions !

Citation :

je lirai volontiers d'autres romans de cet auteur.

j'ai lu dégôut qui ouvre le fil, et emprunté Déraison.

attendons Ysandre et ses impressions ! a écrit:

Rotko
je suis déjà bien avancée dans ce récit surréaliste, avec dégâts collatéraux. Je suis contente d'avoir vaincu ma phobie des ophidiens ! ce qui ne m'a pas empêché de regarder sous le lit avant de me coucher ! hum ! même pas peur .... 
"pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?..." allitération connue qui m'avait marquée .... Ah Racine ! si tu savais ?.....

Mon avis pour demain, étrange histoire, j'aurais dû commencer par "le dégoût"
sans ironie, j'assure.

Bal avec vipères

Ce roman est l’histoire d’une métamorphose sinistre  Le narrateur Eduardo Sosa sociologue  désœuvré dans son monde , qui n’a plus besoin d’illustrés,  un pays de cette Amérique Centrale, rongée par guerres civiles et corruption. Il habite chez une soeur et reçoit quelques dollars envoyés par une autre des Etats+-Unis.
Son regard se pose  une vieille Chevrolet jaune garée dans son voisinage.
 l’intérieur vit un indigent exclu aussi de la société, mais d’une manière  plus  pénible.
 Vêtu de loques, sans se raser, sale  il sort tous les matins chercher dans les tas d’ordures, des cartons, des trouvailles diverses qu’il met dans un sac et va marchander pour se nourrir et remplir sa bouteille.
Sosa c’est à dire le narrateur subit une fascination pour cet étrange personnage et réussit à  lui arracher quelques mots, le suivant dans son parcours. Il s’appelle  Jacinto Bustillo et avait été comptable dans une entreprise. Comme on dit souvent « cherchez la femme » pour élucider une affaire où un crime, Bustillo avait eu comme maîtresse la femme de son patron. De là son exclusion du travail, de sa famille et du monde.
Dans un confus épisode dans un sordide comptoir va mourir un pervers personnage et sans savoir pourquoi, Sosa  tue Bustillo.
Il s’empare des papiers, vêtements  et les clés de la Chevrolet et vivra  à la façon  de l’ancien  propriétaire de la voiture.
Quelle surprise à l’intérieur ! Quatre vipères,  alliées de Bustillo commencent à s’enrouler autour de son cou, de son corps, sensuelles et avides de caresses. Beti, Loli, Carmela et Viviana la plus jolie, avec  une peau  douce et chatoyante.
Persuadées qu’il est Bustillo et apprivoisées, les filles sont prêtent à tout faire pour lui.
Elles déclencheront une panique dans la ville,  une orgie de sang  qui durera trois jours.
Apparemment, il n’y a pas d’innocents,  un châtiment biblique, les bons paieront pour les méchants. C’est là que je pense que le récit dégringole, tombe à l’eau. Sans aucun doute Bustillo et Sosa, avaient de fortes raisons contre la société, mais choisir des vipères comme justicières,  et après cette épouvantable tuerie, le pays deviendra-t-il plus juste ?
 Il y a une critique acharnée contre Le Salvador, son pays, contre la corruption, les narcotrafiquants, les médias et leur obsession d’être à la une.
On trouve dans le récit plusieurs indices que l’homme du peuple  était ouvertement  en faveur de ce châtiment, l’auteur veut dire peut-être que le germe de mort et de violence font partie de l’humanité.
Au milieu de cette débâcle il fait l’amour  avec les Filles. Il regrette la mort de Viviana la plus sensuelle à la peau chatoyante, il déplore et pourtant quel bon bouillon, énergisant, il en a fait !!
Plaisant à lire, humour et ironie, imagine l’auteur pas moi.
Le dénouement est incompréhensible comme tout le roman : j’aime l’humour, j’aime rire et pleurer avec un livre, celui-ci m’a laissé de  glace.
Castellanos Moya n’écrit pas pour moi.

J’adore les écrivains de l’Amérique violente, qu’il est loin de ceux que j’aime !!
J’accepte toutes les critiques, mais on aime ou pas.

les relations de Sosa et de Bustillo m'ont rappelé le conte d'Abelardo Castillo que tu as traduit pour GDS*. Mais ce n'est qu'un moment de l'histoire.

L'intérêt du premier pour le second vient aussi qu'il voit dans cet indigent ce qu'il risque de devenir, au point d'en avoir un vertige tentateur, et de prendre la place du clochard, avec tout ce qui s'ensuit.

je dois avoir un côté salvadorien car les assauts effrayants et si rapides des vipères contre les vigiles m'ont beaucoup amusé.

Et quelle panique ! quelle violence qui embrase tout le pays, avec un point de départ si mince, un clodo dans une voiture épave...

oui, j'ai pensé à une épopée ; si le désarroi des enquêteurs uniquement préoccupés de Bustillo ralentissait le récit, je voulais retrouver ce brave Sosa et ses vipères qui me manquaient !! j'étais de tout coeur avec lui  

je te dirai Amadak de quoi parle déraison que j'ai emprunté. Bonne journée à toi, on a tous les jours dans les 30°...

Amadak a encore frappé !  bravo ! ma Lointaine, tu n'as pas apprécié ce livre et tu exposes avec clarté et franchise tes arguments.  
je vais donner mes impressions aujourd'hui.
Rotko exprime aussi ce qu'il a ressenti à cette lecture. J'aime bien quand les avis différent, tout le monde ne peut pas avoir le même ressenti ! et c'est heureux.