Driss Chraïbi [Maroc]

Une enquête au pays
de Driss Chraïbi

Pour ceux qui connaissent un peu c'est l'une des fameuses enquetes de l'inspecteur Ali (le Columbo local...)

Dans un petit village oublié au coeur du Haut-Atlas marocain, deux policiers tentent de mener une enquête et se heurtent à la rudesse du paysage et du climat autant qu'à la simplicité fruste des habitants. A la fois hymne sensuel à la terre natale et vision du Maroc de l'après-décolonisation, Une enquête au pays mêle l'humour et la réflexion en confrontant deux sociétés et deux époques qui ont bien du mal à dialoguer entre elles. Et c est aussi, pour Driss Chraïbi, l'occasion de dénoncer, non sans ironie, la crétinisation par la 'chefferie' et les dangers d'un 'progrès' occidental importé qui a tendance à détruire les valeurs traditionnelles de la société arabo-berbère.



"Il faut savoir descendre les échelons de la hiérarchie au lieu de monter sur la tête des autres : on peut tirer un âne avec une ficelle, mais non le pousser. Driss Chraïbi Extrait d' Une enquête au pays

par l'auteur de la civilisation, ma mère !, c'est, je crois, une grosse pointure, et on explorera la piste.

Une enquête au pays, de Driss Chraïbi, points Seuil.

A vrai dire, on ne sait guère l'objet de l'enquête des deux policiers, le Chef et l'inspecteur. Tous deux forment un duo comique qui moque les anciens colonisés, autant par leur arrogance, leur goût de l'autorité, le mépris pour le montagnard ordinaire... pour l'un, que la servilité pour l'autre.

Leur langue est fautive, ils ne sont pas des "insectuels", et l'auteur raille leur charabia avec une verdeur qui serait mal perçue chez un auteur français.

Pour l'instant, l'auteur ne leur fait pas de cadeaux, les présentant comme héritiers d'une fausse culture qui fait de ces "cadres" des caricatures :

Citation :

Le chef de la police lançait ses bras en des moulinets saccadés et vociférait dans toutes les langues connues de lui seul : dans sa langue maternelle, en français, en anglais, en américain de poker, en allemand de taverne, en wolof, soit dans toutes les langues civilisées dont il avait parfaitement assimilé les injures.

Ce faisant, il se comportait en homme du tiers-monde qui, outre les déchets de la culture qu’il avait reçus de l’occident, les détritus de ses valeurs, les armes en plus. Très loin de toute pensée discursive, pour l’heure il était en train de beugler. Quelque chose comme*
Ladinmouk et de ta rrrrace !..etc.

Driss Chraïbi est un auteur marocain d'expression française...

la civilisation, ma mère ! chez Folio gallimard.

présentation de l'oeuvre sur ce site

on a parlé de son roman policier une enquête au pays sur ce fil, mais on peut à juste titre le signaler parmi les ecrivains magrhebins.

Dans la civilisation, ma mère ! il raconte son enfance et l'attitude réticente de sa mère devant l'evolution du monde.

Un des passages qui ouvre le récit, la tonte vigoureuse du mouton, une corvée que la mère exécute tambour battant :

Citation :

- je n'aime pas la laine. Ce n'est pas bon, la laine. Du tout, du tout, du tout !... on ne fabrique rien avec la laine, pouah !

[elle] bondissait sur l'animal et les redoutables ciseaux japonais faisaient entendre un cliquetis de fonte.

-Vite, vite, vite ! criait ma mère. Nagib, va chercher le balai. Il y a une touffe, je la vois. Elle est là, entre ses pattes.

A la fin de la journée, il y avait un tas de laine dan,ns le coffre à bois -et quelques lambeaux de peau. Ma mère était en nage. [...] Quant au mouton, il s'était transformé en un mustang fou furieux, avec des symptômes psychosomatiques. Et il ne voulait entendre parler de rien, ni d'arène, ni de danse, ni de rodéo. Tout agité de tics, les yeux hors de la tête et la langue pendante, il faisait entendre une sorte de miaulement : pitié, pitié !

J'adore Chraibi, et vivant au Maroc, je trouve qu'il est le meilleur pour ce qui est de rendre ambiance locale.
Cela dit mon préfére est un de ses romans historiques, La mère de printemps, un bouquin vraiment exceptionnel sur l'arrivée de l'Islam au Maroc et l'accueil mitigé des Berbères.
On est loin du lyrisme un peu exagéré de Ben Jelloun (les larmes de pierres etc...) , et ce coté lacrymal à tous les étages qui m'exaspère.

Entre deux mondes est une semi-biographie passionnante du personnage, genre de mémoire léger et déconnant sur son exil Francais.

Les autres sont plus couleur locale et toujours de bons moments de lectures, plus légers mais inconsistance.

Tu peux nous parler de toi et de tes lectures sur le fil accueil et présentation.

Dès maintenant je peux te dire que tes interventions sur les auteurs marocains seront très appréciées. Bienvenue à toi !

Eh thomas 212 tu as oublié Le Passé simple, c'est un chef d'oeuvre!

yik yak a écrit:

Eh thomas 212 tu as oublié Le Passé simple, c'est un chef d'oeuvre!

je le lis actuellement, comprends que j'en suis en gros à la moitié (115 sur 270) soit les chapitres I et II
ce qui permet, avec les pauses, d'accueillir les remarques et commentaires.

Driss Chraîbi, le passé simple, chez Folio.

Près de passer son bac, Hamid au contact de ses amis européens du lycée, sent vivement la pesanteur du milieu d’origine :
le passé, de l’école primaire avec les châtiments corporels, un savoir fondé sur la mémoire et la répétition servile ; le présent de l’autorité dictatoriale du père qui fixe les heures des repas et toute la vie domestique, la présence muette et effacée de sa mère, et la chape musulmane orientée vers la Mecque, « rêve d’un demi milliard de crédules ».

Quittant Casablanca pour Fès, il exprime sa révolte contre les « saints hommes » autoproclamés, parasites jouisseurs incroyablement riches, qui humilient d’une manière ignoble une population consentante ; il s’indigne des répudiations d’épouses coupables d’un « crime de mauvaise cuisine »;

Le constat, nettement établi, laisse place au réquisitoire violent, avec une langue riche et poétique qui fait sursauter le lecteur :

Citation :

« j’ai vu des commissures basses d’abrutissement, avachies de sensualité. J’ai vu des plis de chagrin, d’ironie et de férocité,. J’ai vu des lèvres sans rides, unies, impersonnelles, mais révélant leurs secrets parce que fardée de rose à l’écarlate, du sec au gras, du trait à la fleur, épaissies, amincies, dessinées avec art, barbouillées en hâte, lèvres de vieille fille malgré l’alliance au doigt, lèvres étonnantes de jeunesse en plein milieu d’un parchemin, lèvres sarcastiques, bonnes à tout faire, ignobles de bestialité et de calomnie, serrées sur une énigme ou sur une souffrance… »

Le romancier innove, à mon sens, quand au cours d'une séance familiale menée par le père, son adolescent-narrateur se raconte une histoire pour s'abstraire de cette scène pesante.

On a là une sorte de sous-conversation( en fait une récitation) du narrateur avec lui-même, où il s'évade psychologiquement du milieu familial, avant de le quitter matériellement.

Plus difficiles à interpréter des allusions récurrentes à la ligne mince. Elle apparaît dans l'incipit :

Citation :

« Longtemps après, je me souviendrai de cette minute chargée d'une soudaine prescience qui m'envahit, m'affola, m'isola avec peut-être la même violence que la Ligne Mince. »

(italiques et majuscules dans le texte).

On la retrouve p.63 Folio

Citation :

Ligne Mince, Ligne Mince, je t'appelle comme un enfant insomniaque appellerait une berceuse maternelle.

et

Citation :

« je m'allongeai de cubitus sur mon lit. Ligne Mince, Ligne Mince »

sans parler de reprises ultérieures.

je reçois ces précisions de jeanne Fouée :

Citation :

Driss Chraïbi auquel j'ai consacré ma thèse de doctorat et de nombreux travaux de recherche, fut un écrivain passionnant et inégal. Surtout ne l'embaumons pas, d'abord il n'aurait pas aimé, ensuite nous serions ridicules. Je me permets de ...recommander la trilogie publiée au Seuil, le recueil de nouvelles "De tous les horizons", et le tragique dernier ouvrage "L'Homme qui venait du passé", à ceux qui voudraient faire la connaissance de celui qui se définissait comme l'ancêtre de la littérature francophone marocaine.

Citation :

« La ligne mince est un des motifs narratifs du "Passé simple", le premier roman de Chraïbi en 1954. Pour l'histoire de la publication de ce premier roman et de ses suites (Chraïbi l'a renié un temps!) je me permets de renvoyer à mon livre paru chez L'Harmattan en 1999, "Driss Chraïbi en marges". »

J’ai fini le passé simple, et je ne m’étonne pas que ce livre ait fait scandale, par la violence qu’il traduit de la société marocaine dans le cadre familial, mais aussi ses ramifications sociales.

Le ton révolté du jeune adolescent, puis sa stratégie de dissimulation amènent le père à exposer avec cynisme (mais n’est-ce pas à ses yeux du réalisme ?) sa conduite domestique et ses magouilles financières. Finies les apparences des bonnes manières, une seule solution reste indiquée : partir pour s’extraire du bourbier.

La lecture n’est pas si facile. Certes on trouve des formules chocs, des imprécations, mais les longues tirades, sinon obscures où du moins le sens n’est pas immédiat, peuvent rebuter.

Je ne m’attendais pas à trouver des ressemblances avec l’intrigue des faux-monnayeurs de Gide, plusieurs fois cité, y compris dans l’expression du titre, mais sans le ton feutré !

N'hésitez pas à me donner la réplique ou à me conseiller des titres plus récents. Le passé simple date de 1954.

Driss Chraïbi est l'un des écrivans et auteur marocains les plus talentueux et courageux de toute l'histoire... il a marqué toute une génération durant les années noires du régime Hassanien au Maroc et au delà...

cet homme était incompris de son vivant et a su avec habileté et courage décrire la société marocaine dans ce qu'elle a de plus singulier: l'hypocrisie sociétale régnant et le tiraillement de l'homme arab-berbéro-musulman entre le modernisme et le traditionnalisme.. un sujet, vous le voyez bien, toujours d'actualité de nos jours