Stendhal, Lucien Leuwen

mazel a écrit:

Quelques difficultés à comprendre madame de Chasteller.

Stendhal s’amuse de ses personnages principaux mais il cherche toujours à les comprendre et à les excuser : ainsi pour madame de Chasteller, sans mère pour la conseiller, privée d’ami(e)s par la surveillance de son vieux père, un vieillard pas intéressant - mais intéressé, elle vit dans un milieu à l’idéologie étroite, passéiste, obsédée par la réputation et « la gloire », terme du XVIIe siècle (réputation intacte aux yeux d’autrui et de soi-même).

Son éducation a été faite par les religieuses du Sacré Cœur, obnubilées par les sacrilèges (cf La loi du même nom), et dans la haine des romans. Veuve à 24 ans, sans doute à la suite d’un mariage de convenance, son cœur est neuf, mais prisonnier d’une véritable gangue religieuse et sociale.

p.208 - sur madame de Chasteller
C'était une âme simple, sans expérience des choses de la vie ni d'elle-même. Elle avait passé dix ans au couvent et seize mois dans le grand monde. Mariée à dix-sept ans, veuve à vingt, rien de ce qu'elle voyait à Nancy ne lui semblait agréable.

Cheres amis-es gds, vous allez à toute vitesse, moi j'ai lu les préfaces et un ou deux chapitres. Sans internet qui est de retour aujourd'hui, 900 pages, je me demande si je pourrai vous rejoindre.

Prends ton temps, Amadak.

Merci pour cette citation précise, Mazel, donne plutôt le chapitre que la page. La mère est la grande absente dans la vie des heros de Stendhal, et dans sa propre vie, je crois.

ce n'est pas une course Amadak, promis on ne dévoilera rien pour ne pas gâcher ton plaisir.

d'accord rotko.

Fin de la période nancéenne et de la période militaire ... retour à Paris de notre héros... qui entre en politique. - chapitre XXXVIII

Vous utilisez quelle édition? Parce que j'ai regardé dans la mienne (Pléiade), et c'est un peu le grand bazar!!

Rotko, pour le médecin Du Poirier (je crois), tu peux me dire c'est à quel passage, peut-être qu'il y a une note à ce sujet

j'ai regardé dans la pléiade, et en effet grand bazar entre "oeuvres romanesques" et "Stendhal : Romans et nouvelles"... histoire de lire d'autres oeuvres, mais risque de double emploi.

Prince d'Aquitaine, Pour Lucien Leuwen, celui que je lis est dans "le livre de poche".

Je lis Lucien dans la Pleiade, les notes sont presque exclusivement des variantes.

Citation :

Le lecteur est tout occupé à comparer mon portrait à l'original grotesque, ou même odieux, de lui bien connu.

Citation :

"j'ai donc fait tout ce que j'ai pu pour que vous ne puissiez reconnaître, ô lecteur bénévole,, un ministre de ces derniers temps qui voulut jouer de mauvais tours à Lucien".

adresse au lecteur avant la deuxième partie de Lucien Leuwen.

Il ne s'agit pas du docteur Poirier comme je l'ai dit, mais de M de Vaize.( Pas trouvé trace d'une note explicative).

J'en suis à la page 129. Jusque là le pauvre Lucien n'a eu que des mésaventures, et la cerise sur le gâteau a été la punition qu'il a reçu pour "avoir déversé le ridicule sur le colonel" J'ai vu ailleurs une blague sur le comportement dû à la hiérarchie militaire , j'essayerai le mettre ici
Dans l'armée, il est bien connu que, si on ne veut pas prendre de risques et bien se faire voir, il vaut mieux être du même avis que le chef.
C'est par plaisanterie ou moquerie que certains ont considéré que, lorsque le supérieur hiérarchique propose une alternative et qu'on n'est pas sûr de la réponse que lui ferait, il vaut mieux répondre "les deux, mon..." suivi du grade du supérieur.

Toujours est-il que cette formule a donné lieu à des blagues diverses

Citation :

« Dans une caserne,un officier dit à un militaire :
Demain, le grand général des généraux va venir vous poser 3 questions : tout d'abord il vous demandera "Depuis quand êtes vous ici ?" et vous lui répondrez "6 mois, mon général", après, il vous demandera "Quel âge avez-vous ?" vous lui répondrez "18 ans, mon général" et pour finir il vous demandera "Préférez-vous les petits pois ou les carottes ?" vous lui répondrez "les deux, mon général".
Le lendemain le grand général arrive et dit :
- Quel âge avez vous ?
- 6 mois, mon général.
- Depuis combien de temps êtes-vous ici ?
- 18 ans, mon général.
- Vous me prenez pour un con ou pour un imbécile ?
- Les deux, mon général... »

rotko a écrit:

Il ne s'agit pas du docteur Poirier comme je l'ai dit, mais de M de Vaize.( Pas trouvé trace d'une note explicative).

J'ai lu ici (p. 185 sq) que M. de Vaize aurait été inspiré par Antoine d'Argoult et Adolphe Thiers

Pour la Pléiade, j'ai regardé la notice dans Œuvres romanesques complètes (t. II), et il semble qu'il y ait la version manuscrite et une transcription personnelle donnée par... (le nom m'échappe) sous le titre de Le Chasseur vert.

merci pour le lien Prince d'Aquitaine.

L’amour

2/2

Avec l’auteur de « de l’amour », il fallait s’attendre à une belle analyse des phases du sentiment amoureux, mais la fiction, respectueuse des personnages, évacue tout inventaire systématique :

- on trouve la surprise, le rôle de l’orgueil, l’acceptation du sentiment, la phase de défiance, et surtout ce qui m’a surpris, le rôle du soupçon, déclencheur de la jalousie, et peut-être ainsi de l’amour. On se trouve non loin de chez Proust, avec une analyse qui vaut largement celle d’Alberoni.

Les figures de l’amour s’incarnent dans plusieurs personnes :

- Melle Theodelinde Serpière, pour la confiance, l’entraide et les confidences,

- Madame d’Hocquincourt pour l’aventure galante,

- et Madame de Chasteller dont on ne dira rien pour respecter l’histoire

et madame Grandet pour l'amour poltique
et mademoiselle Raymonde pour l'amour vénal

Lucien tombe amoureux de madame de Chasteller

Au mot que lui adressa madame de Chasteller, Lucien de-
vint un autre homme. Par le noble regard qui daignait s’arrêter
sur lui, il se crut affranchi de tous les lieux communs, qui
l’ennuyaient à dire, qu’il disait mal, et qui, à Nancy, font encore
l’élément essentiel de la conversation entre gens qui se voient
pour la huit ou dixième fois. Tout à coup il osa parler, et beau-
coup. Il parlait de tout ce qui pouvait intéresser ou amuser la
jolie femme qui, tout en donnant le bras à son grand cousin,
daignait l’écouter avec des yeux étonnés. Sans perdre rien de sa
douceur et de son accent respectueux, la voix de Lucien
s’éclaircit et prit de l’éclat. Les idées nettes et plaisantes ne lui
manquèrent pas plus que les paroles vives et pittoresques pour
les peindre. Dans la simplicité noble du ton qu’il osa prendre
spontanément avec madame de Chasteller, il sut faire apparaî-
tre, sans se permettre assurément rien qui pût choquer la déli-
catesse la plus scrupuleuse, cette nuance de familiarité délicate
qui convient à deux âmes de même portée, lorsqu’elles se ren-– 250 –
contrent et se reconnaissent au milieu des masques de cet igno-
ble bal masqué qu’on appelle le monde. Ainsi des anges se par-
leraient qui, partis du ciel pour quelque mission, se rencontre-
raient, par hasard, ici-bas.

mazel a écrit:

et madame Grandet pour l'amour politique
et mademoiselle Raymonde pour l'amour vénal

oui, Mazel, mais dans la deuxième partie, j'ai fait une pause à la fin de la première partie pour vous attendre

Amadak a écrit:

il se crut affranchi de tous les lieux communs, qui l’ennuyaient à dire

beau texte puisqu'on y trouve l'ennui, né de la routine provinciale, qui paralyse les pensées et les personnes. En revanche l'amour inspire.

Citation :

masques de cet ignoble bal masqué qu’on appelle le monde

autre expression qui délivre les amoureux, des âmes de même portée, de l'horrible hypocrisie des rôles sociaux, en particulier dans ces salons de la haute société. Ici ces gens qui regrettent l'ancien régime (avant la Révolution) sont contrefaits, désuets, ridicules. En contrepartie Stendhal loue le naturel qui apparait parfois en province mais pas dans ces milieux gourmés.

Quand on lit Stendhal, on repère assez vite les mots-clés de sa pensée.

Dans le bal où ils se sont rapprochés, elle lui demande pourquoi au début de la soirée, il n'avait dit que des mots sans importance à ce que, troublé, il répond;

Citation :

je n’ai point d’expérience de la vie, je n’avais jamais aimé ; vos yeux vus de
près m’effrayaient, je ne vous avais vue jusqu’ici qu’à une grande distance. »

Ce mot fut dit avec un accent si vrai, avec une intimité si tendre ; il montrait tant d’amour, qu’avant qu’elle y songeât, les yeux de madame de Chasteller, ces yeux dont l’expression était
profonde et vraie, avaient répondu : « J’aime comme vous. »

sur la chute des Bourbon,

elle leur était dévouée et attristée sur leur sort. Elle leur devait tout,c'etait sa croyance.
Ses idées étaient nettes, brillantes, et surtout obligeantes pour qui l’écoutait. Pour peu qu’elle pût voir deux ou trois fois dans un salon l’indifférent le plus égoïste ou l’idéologue le plus enclin à la République, elle le convertissait à l’amour des Bourbons, ou du moins émoussait toute la haine
qu’on pouvait avoir contre eux.

Son père vivait hanté par 93 et ne voulait pas voir sa fille mariée, il comptait sur sa fortune.

Madame de Chasteller n’était réellement haïe que des jeunes républicains, qui sentaient trop que jamais il ne leur seraitdonné de lui adresser la parole.]

Amadak a écrit:

Son père vivait hanté par 93

Oui, la Terreur de 1793 est le cauchemar de ces aristocrates émigrés pendant la Révolution, et il leur semble voir l'ombre de la guillotine dès qu'il y a un changement politique, comme la monarchie parlementaire de Louis Philippe.

Les "juste milieu", ie essentiellement les bourgeois, ont eu la même frayeur, c'est pourquoi, par peur de la république, ils se sont ralliés à Louis Philippe.

Ils ont compris qu'un sentiment d'amour s'est éveillé dans leur âme, mais en même temps un malentendu va gâcher ce bonheur: Lucien imprudemment laisse tomber le mot soupçon. Madame de Chasteller panique; quel soupçon? a-t-on parlé mal d'elle? Elle est pure et innocente. Le bal finit dans des larmes qui l'empêchent de dormir. Lucien, lui aussi passe une nuit blanche, sachant qu'il l'aime mais un certain doute le prive de jouir de ce ravissement.

Citation :

Un jeune homme éperdument amoureux qui méprise sa maîtresse, que son cœur lui montre comme un ange de pureté. Une femme vertueuse qui aime de même, mais veut fuir son amant, et cependant est tourmentée par la curiosité de savoir quel est le soupçon dont il lui a parlé. Voilà le vrai dessin du nu, le dessin des passions, bien différent de la brillante draperie de Valentine

.

Je lis éblouie le texte de Stendhal, le charme de ls langue française classique. Ces livres on les relit et on y trouve des passages imprévus, qu'on comprend à la deuxième lecture. Ces livres ont laissé une trace à travres des cultures passées.


Le bal commence dans le chapitre XV et finit au chapitre XIX. Une succession d'incidents divers planent dans ces chapitres: timidité, arrogance, hésitation, amour, soupçon, honte, tantòt de la part de Lucien, tantôt de Mme de Chasteller

Une histoire d'amour entre deux personnages opposés, Le sous-lieutenant, bourgeois et républcain Et Mme de Chasteller ultra royaliste.

ET pour toile de fond le contexte historique dans lequel Stendhal exprime ses idées.

lecture terminée, il ne me reste plus que la préface pour demain. J'ai adoré cette relecture. Compte-rendu pour plus tard, le temps que tout le monde arrive au mot Fin.
bises

mes compliments à toi Mazel, moi j'en suis à la page277 à peu près ,il se compose de presque 900cents. Â cette vitesse j'arriverai à la fin (de l'année).

Amadak a écrit:

mes compliments à toi Mazel, moi j'en suis à la page277 à peu près ,il se compose de presque 900cents. Â cette vitesse j'arriverai à la fin (de l'année).

j'ai un avantage... je ne travaille plus, donc libre de lire jusqu'au bout de la nuit...
je te souhaite de prendre autant de plaisir avec ce livre... je pense bien renouveler l'expérience avant la fin de l'année d'ailleurs.
bonne lecture, bises

merci Mazel, n'importe quand je le finirai, l'important c'est que j'aime beaucoup cette lecture ´l'ambiance´un peu d'histoire de France que je ne connais pas. Et en plus une histoire d'amour à une époque si différente de la nôtre, plaît toujours. J'avoue que lire sur l'ecran, fatigue un peu les yeux, le livre à la main se lit plus vite, tu peux l'emporter ou tu veux, dans le bus, à la cuisine etc.
..
amicalement

L’ennui/ les ennuyeux

Le ton est donné dès le premières pages avec le père Leuwen qui déteste « les ennuyeux et l’air humide ». Son fils Lucien adopte le même credo : « Parbleu, je serais bien fou de faire des choses ennuyeuses », et le traiter lui-même d’ « ennuyeux » équivaut à une provocation en duel.

L’idée est chère à Stendhal qui avait déjà intitulé « L’Ennui » un chapitre du Rouge. Pour fuir l’ennui, selon la recette de Voltaire dans Candide, il faut cultiver son jardin, ce qui signifie ici « donner le meilleur de soi-même », et en avoir la possibilité. C’est impossible dans une ville de province comme Nancy ou Verrières (« l’ennui profond d’une ville de second ordre ») où la routine devient la règle de vie. Au moins en étant dans les Lanciers, peut-on se donner l’illusion de ce qu’avaient vécu les soldats de Napoléon, époque héroïque bien révolue…

Chacun doit donc trouver autre chose que la routine sclérosante : c’est pour fuir l’ennui que les femmes pratiquent l’adultère, et c’est parce qu’il s’ennuyait d’avoir « obtenu les premières places dans l’art de guérir » que Du Poirier s’est lancé dans les intrigues et la politique.

Lucien nourrit des idées d’accomplissement personnel qui ne sont compatibles ni avec l’époque ni avec la démocratie : la seconde n’engendre à ses yeux que la médiocrité, quant à la première, l’expression de « juste milieu » qui caractérise la monarchie de Juillet, elle est bien loin des passions de l’époque napoléonienne ou de cette Italie décrite avec les carbonari des Chroniques italiennes.

Stendhal nous présente donc des caractères qui aspirent à autre chose, dans des récits où il nous épargne au maximum les gens « désagréables à connaître » et les conversations fastidieuses que Lucien doit subir.