L’émancipation des femmes passe-t-elle par l'érotisme ?

L’émancipation des femmes passe-t-elle par l'érotisme ? émission du grain à moudre sur France-culture
15.09.2010 - 18:20

Lilith, cette figure archaïque de femme, a 4 000 ans, puisqu’elle nous vient de Sumer, via la Kabbale. Façonnée par Dieu lui-même, le Créateur serait tombé amoureux de ses formes parfaites au point de lui révéler son ultime secret – son véritable Nom ! Selon d’autres traditions, cette amante insatiable aurait plaqué Adam - pas à sa hauteur sur le plan érotique – pour se réincarner en serpent ; ce serait sous cette forme que Lilith aurait tenté Eve avec la pomme et provoqué ainsi l’exil du couple originel loin des délices du Paradis…

On conçoit qu’une telle figure ait séduit Joumana Haddad et Alina Reyès qui, chacune à sa façon, a entrepris de réconcilier la chair avec l’esprit.

La première, figure de la vie culturelle libanaise, où elle dirige les pages culturelles du grand quotidien An-Nahar, était déjà bien connue comme poétesse, lorsqu’elle a créé la revue Jasad. Jasad est la première revue consacrée à la culture du corps et à l’érotisme dans le monde arabe. Et le scandale est à la mesure du succès. « Tu mérites d’être lapidée à mort », « Nous prions pour qu’on te lance de l’acide au visage », lui écrivent quotidiennement les bigots locaux.

C’est un autre genre de réconciliation que prêche Alina Reyès. Cette romancière appartient au courant souterrain des écrivains convertis au christianisme – aux cotés de Fabrice Hadjadj, Jean-Claude Guillebaud, François Taillandier, ou Patrick Kéchichian. Il faudra que nous consacrions quelque jour une émission au phénomène…. Pour Alina Reyès, une religion qui prône un Dieu d’amour, qui proclame l’Incarnation de Dieu dans un corps d’homme ne saurait condamner l’amour charnel. Qu’en pense Bélinda Cannnone, esprit agile et provocateur, qui avec « la tentation de Pénélope » a récemment attaqué certains des poncifs d’un féminisme trop bien installé.

L’érotisme a beaucoup été une affaire d’hommes contemplant des corps de femmes. A ce titre, il n’a pas toujours été en odeur de sainteté du côté féministe. Les choses sont-elles en train de changer ? On en parle avec nos invitées.

Invités :
Joumana Haddad, ecrivain et journaliste libanaise Responsable des pages culturelles du quotidien An Nahar et du magazine Jasad
Belinda Cannone, docteur en littérature comparée, romancière et essayiste
Alina Reyes, ecrivain

podcast de l'emission

Cette émission qui ne sera disponible en podcast que 7 jours, je crois, nous interesse notamment par les invitées :

Joumana Haddad et alina reyes.

Lilith est aussi, à mon avis, le chapitre final le plus intéressant d' Amour, prozac et autres curiosités de lucia Lucia Etxebarria.

quelques livres de belinda Cannone

L'écriture du désir chez Calmann-levy

Le sentiment d'imposture chez Calmann-levy

La tentation de Pénélope chez Stock


Joumana Haddad,

J'ai tué Schéhérazade : Confessions d'une femme arabe en colère, Actes Sud

Le retour de Lilith Les éditions L'Inventaire

Miroirs des passantes dans le songe Editions Al Dante.


Alina Reyes

Le carnet de Rose : Suivi Sept nuits et l'exclue chez Pocket

Derrière la porte id.

En gros, les participantes examinent l’érotisme dans leur milieu :

Joumana Haddad, la plus intéressante, dit renouer avec une inspiration arabe traditionnelle, mais actuellement tarie, voire réprimée, dans des pays où la liberté n’existe pas, ou très contrôlée. Elle regrette la duplicité et l’hypocrisie des mondes arabes où on dit autre chose que ce que l’on pense, et où on vit autrement que proclamé. C’est le constat que faisait Driss Chraïbi dans le passé simple.

Belinda Cannone porte l’accent sur une écriture féministe qui serait souvent victimaire, de demande sinon de plainte, alors que le modèle occidental serait envié par beaucoup de femmes dans des situations autrement plus difficiles. Le thème de la « victimisation » est lassant car il conduit à une acceptation ou à une résignation.

L’érotisme, longtemps considéré comme une marchandisation du corps des femmes change de cap : il remet sur un pied d’égalité les désirs féminin et masculin. Joumana Haddad précise qu’elle entend rester femme dans ces domaines de sexualité, mais que par ailleurs, dans les autres activités, elle pratique   « la suspension du genre », ie qu’une activité soit faite par un homme ou une femme revient au même.

Alina Reyes développe des thèmes assez fumeux sur la religion où l’amour est incarné, donc praticable par la chair.
Ses interlocutrices lui opposent courtoisement les notions de "péché" et le retard de l’Église sur des sujets fondamentaux. Faut-il séparer la religion et l’Église, alors que cette dernière en fixe les codes, sans réserver aucune place aux femmes dans ses « cadres » ? L'Eglise "vivrait dans son temps propre",
- qui n'est pas celui d'aujourd'hui.

Joumana Haddad évoque son enfance et adolescence "enfermée" au Liban dans son quartier cerné par la guerre, et une liberté conquise par la lecture de livres point de son âge : Sade, Nabokov etc.

"Jasad", premier magazine érotique du monde arabo-musulman !

Joumana Haddad a 38 ans. Elle a investi 50.000 dollars de sa propre poche et trouvé des sponsors. Aujourd'hui, son site internet est piraté et nombreux sont les détracteurs alors que le numéro 2 du magazine vient de paraître

Sur la couverture de son magazine on peut voir une calligraphie en forme de menotte, ouverte...! Kama Soutra, homosexualité, première fois, pénis, ce sont les thèmes qu'elle a choisi d'aborder dans son magazine Jasad. Jasad signifie "Corps" en Arabe.

Jusqu'ici rien de très choquant! Sauf que dans le monde arabo-musulman, l'érotisme et la sexualité ne sont pas du goût de tous. Joumana a déjà reçu plusieurs menaces et roule en voiture avec un chauffeur! Le magazine, lui, est vendu sous cellophane opaque pour ne choquer personnes en librairie.



Si certains s'étonnent que l'émancipation des femmes passe par l'érotisme, qu'ils aillent donc voir s'il passe du côté de la burka

rotko a écrit:

"Jasad", premier magazine érotique du monde arabo-musulman !

[i] Joumana Haddad a 38 ans. Elle a investi 50.000 dollars de sa propre poche et trouvé des sponsors. Aujourd'hui, son site internet est piraté et nombreux sont les détracteurs alors que le numéro 2 du magazine vient de paraître

Sur la couverture de son magazine on peut voir une calligraphie en forme de menotte, ouverte...! Kama Soutra, homosexualité, première fois, pénis, ce sont les thèmes qu'elle a choisi d'aborder dans son magazine Jasad. Jasad signifie "Corps" en Arabe.

Une très bonne initiative, qui dans ce contexte, demande beaucoup de courage.

L'érotisme, c'est l'art de susciter ou d'exciter le désir amoureux de l'autre ou des autres. On voit bien qu'il prend le contrepied de certaines interprétations du Coran qui mènent justement à ce que la femme ne soit pas visible par les hommes de manière à ne pas susciter ce désir.

Bref, c'est effectivement une opération remarquablement osée que de lancer un tel pavé dans la mare. Cela dit, si l'on s'en tient au vrai sens de l'érotisme, celui-ci suggère sans montrer totalement et en sollicitant l'imagination ... Délicat équilibre à trouver. Mais effectivement, pour que la femme soit libre, son corps doit l'être également.

Dans l'émission, Joumana Haddad soulignait que son magazine suscitait beaucoup de curiosité de lapart des femmes et qu'elle recevait un abondant courrier d'Arabie Saoudite, où la situation des femmes n'est pas idéale.

Ce qui nous interesse aussi est l'entreprise littéraire des femmes auteurs, et Joumana Haddad dit "travailler contre la langue" pour exprimer ce qu'elle a à dire.

La langue elle-même constitue un système de pensée. SurJoumana Haddad, voir ce fil.