Histoire d'un Allemand, par Sebastian Haffner

Publié après la mort de son auteur, ce texte vise à exprimer le ressenti d'un jeune Allemand, juriste berlinois, pour qui le nazisme pue, et qui se trouve impuissant par rapport à ce rouleau compresseur. Il montre qu'il y a eu, depuis la fin de la première Guerre Mondiale, divers courants politiques qui ont préfiguré le nazisme ; il cherche quelles sont les caractéristiques inhérentes au peuple allemand qui ont permis l'établissement de l'Etat totalitaire.
Il choisira l'exil, après avoir perdu peu à peu son monde connu : les journaux et les partis politiques qui disparaissent ou qui changent de bord, les amis juifs qui s'exilent ou sont emmenés, la loi traditionnelle prusse que l'on n'applique plus, les cabarets-théâtre qui ferment, etc...
Une certaine paranoïa s'installe entre les citoyens, car on se demande si untel est nazi ou pas, les lâches et les criminels embrassent la barbarie de bon coeur, tandis que l'Etat organise de nombreuses fêtes, fait marcher en chantant dans les rues les bons partisans dans leurs uniformes "couleur d'excrément".

Citation :

... la personne de Hitler, son passé, sa façon d'être et de parler pouvaient être d'abord un handicap pour le mouvement qui se rassemblait derrière lui. Dans de nombreux milieux, il était encore en 1930 un personnage plutôt fâcheux sorti dun trouble passé : le rédempteur bavarois de 1923, l'homme du putsch grotesque perpétré dans une brasserie... Son aura personnelle était parfaitement révulsante pour l'Allemand normal, et pas seulement pour les gens "sensés" : sa coiffure de souteneur, son élégance tapageuse, son accent sorti des faubourgs de Vienne, ses discours trop nombreux et trop longs qu'il accompagnait de gestes désordonnés d'épileptique, l'écume aux lèvre, le regard tout à tour fixe et vacillant. Et le contenu de ces discours : plaisir de la menace, plaisir de la cruauté, projets de massacres sanglants. La plupart des gens qui l'acclamèrent en 1930 au Sport-palast auraient probablement évité de lui demander du feu dans la rue. Mais déjà se montrait ici un phénomène étrange : la fascination qu'exerce précisément, dans son excès même, la lie la plus écoeurante.

Citation :

Je me tournai vers un policier, un peu incrédule, souriant, confiant comme quand on demande un renseignement à un sergent de ville :
- Faut-il vraiment rentrer chez nous ?
- Vous avez le droit de rentrer chez vous, répliqua-t-il - et je faillis me figer sur place, tant son ton était menaçant. Il avait parlé d'une voix lente, glacée, perfide. Je le regardai, et me raidis une deuxième fois : quel visage c'était là ! Pas la bonne tête bien connue du brave sergent de ville. Ce visage-là semblait tout en dents. L'homme m'avait bel et bien montré les dents, il avait même découvert ses deux mâchoires, spectacle exceptionnel chez l'être humain ; ses dents étaient petites, pointues, méchantes comme celles d'un requin. Et sous le shako tout son visage blond et blême était celui d'un requin : les yeux morts, vitreux, incolores, les cheveux sans couleur, sans couleur la peau, et son nez avançait au-dessus de ses dents comme celui d'un brochet. Très "nordique", il faut en convenir - seulement ce n'était plus le visage d'un homme, mais plutôt celui d'un crocodile. Je frissonai. J'avais vu le visage du SS.

Haffner, bien qu'ayant les connaissances de l'histoire globale de cette époque, délibérément s'en écarte pour se centrer sur l'impact des évènements sur la conscience de l'individu. Et c'est passionnant, car je pense que tout le monde s'est un jour posé la question : comment tout un pays a-t-il pu sombrer dans l'horreur, et plus spécifiquement : comment se fait-il que des gens comme vous et moi se soient laissés entraîner ? Haffner nous donne des réponses, en toute honnêteté, avec lucidité et ironie.

A ce que je crois, ses souvenirs vont de la période 1914 à1933

Souvenirs 1914-1933

Son texte écrit en 1939 aurait été écrit en Angletere où il s'était exilé en 1938.

Une belle piste à explorer que tu nous soumets, là, Troglo

D'autant que je n'ai mis que des extraits traitant de choses très concrètes, tandis qu'il a des observations et des réflexions souvent très larges.