Rainer Maria Rilke [Autriche]

Après avoir lu « Lettres de Paris – 1902-1910 », « Journal de Westerwede et de Paris, 1902 », puis les « Carnets de Malte Laurids Brigge », j’avoue que « Lettres à un jeune poète » a certes un contenu très intéressant – et ce serait pêcher que de ne pas connaître cette œuvre – mais nous laisse toutefois un peu sur notre faim. Nous en apprenons tellement par ses lettres envoyées à sa femme Clara, à ses amis Rodin ou bien Verhaeren, mais également au travers du personnage de Malte qui ne fait que retranscrire les faits et gestes de Rilke lorsqu’il se trouvait à Paris, que les lettres envoyées à Franz Xaver Kappus semblent à première vue moins consistantes.
Il n’en est rien bien évidemment, car aux travers de ces 10 lettres écrites entre 1903 et 1908, c’est toute la personne de Rilke que nous retrouvons : son aura, sa façon de vivre, ses idéaux, ses pensées, ses craintes, ses conseils … mais également son grand thème de prédilection : la solitude avec pour but de se connaître pour pouvoir par la suite s’extérioriser. C’est le fameux « connais-toi toi-même ».
Ces lettres sont donc d’une grande valeur pour les passionnés de Rilke et reste un incontournable.

On y reviendra, mais je crois que ce livre est à conseiller à tous ceux que la plume démange dès le plus jeune âge. Des statistiques indiquent qu'un Francais sur quatre pense qu'il pourrait être un écrivain. C'est beaucoup.

Rilke repond franchement, mais avec délicatesse, à ce jeune ecrivain qui lui demandait son avis : "laissez cela" ! Il lui conseille de bien examiner son projet :

Citation :

personne ne peut vous conseiller ni vous aider, personne. Il n'existe qu'un seul moyen : plongez en vous-même, recherchez la raison qui vous enjoint d'écrire

.
et plus loin,

Citation :

demandez-vous à l'heure la plus tranquille de votre nuit : est-il nécessaire que j'écrive ?

à la question "est-il necéssaire que j'écrive?", beaucoup devrait y réflléchir et s'abstenir de le faire. Je ne dis pas qu'ils ne doivent pas mettre noir sur blanc leurs rèves mais parmis les nouveaux auteurs, ils y en a beaucoup qui n'ont rien à faire là. Oui, il y a ceux de demain, mais est-ce rendre un service à la littérature que de laisser publier tout et n'importe quoi. Mais je m'éloigne de Rilke là, non !!!

Esther a écrit:

Mais je m'éloigne de Rilke là, non !!!

Pas du tout ! on est en plein dans le sujet ! et ce fil connaîtra un beau developpement puisque d'autres oeuvres de Rilke interessent dejà plusieurs "saugrenus".

Comme thèmes des écrits, Rilke recommande les sentiments personnels éprouvés :

Citation :

"les choses qui vous entourent, les images de vos rêves et les objets de vos souvenirs."

.

A ses yeux l'enfance joue un rôle déterminant et il rejoint bien des auteurs.
Baudelaire disait "le génie, c'est l'enfance retrouvée".

On pourrait aligner les citations de Giono, de Michel del Castillo etc.

Pour ma part j'aime la formule de Jean Rouaud :

Citation :

L'enfance, c'est l'encrier.

l'enfance est en effet un des thèmes principaux de Rilke. Cela se comprend lorsque nous savons qu'il a eu une enfance solitaire et terne. Cette enfance mal vécue est donc très évoquée au cours de son oeuvre.

Il en est ainsi dans "les élégies de Duino" où dans la huitième il dit que l'enfance a un double sens : innocente et maudite en tant que nous "retournons" le jeune enfant et le "contraignons à regarder en arrière".

ou bien dans "les lettres à un jeune poète" :

"Etre seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elle font. S'il n'est pas de communion entre les hommes et vous, essayez d'être prêt des choses: elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays. Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d'évènements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l'enfant que vous fûtes: tristes et heureux; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien."

Je n'ai pas terminé la lecture de Lettres à un jeune poète.
Mais vos commentaires m'ont beaucoup intéressée !

Comme le suggérait Rotko, j'ai lu quelques poèmes de Rilke.
Je vous livre celui-ci, le XXII ème des Sonnets à Orphée

Nous sommes les sans trêve.
Mais la marche du temps,
tenez-là pour babiole
dans le stable à jamais.

Tout ce qui n'a que hâte
n'aura fait que passer ;
ce n'est que séjourner
qui seul vous initie.

Ne vous lancez pas intrépides,
ô jeunes gens, dans la vitesse,
dans la tentative aérienne.

Tout est repos :
ombre et clarté,
et fleur et livre.

A lire plusieurs livres de front, on établit des passerelles. Virginia Woolf parle de l'amour qui explique tout - mais "ce n'est pas l'amour d'un homme pour une femme", et Rilke y voit

Citation :

une extraordinaire occasion de mûrir, de se transformer au sein de soi, de devenir un monde, un monde en soi pour quelqu'un d'autre.

.

Rilke prend alors des accents prophétiques. Il fait confiance à la femme.

Citation :

"Un jour la jeune fille existera eet la femme dont lenom ne signifiera plus seulement ce qui s'oppose au masculin, mais quelque chose qui vaut par soi, quelque chose qui n'induit pas à penser la moindre complémentarité ni aucune limite, mais seulement une vie et une existence : l'être humain féminin."

lettre 7

Serpents d'argent

C'est le titre de l'une des 13 nouvelles du jeune Rilke retenues pour ce recueil.

Que dire?...Oui, bien sûr, c'est déjà du Rilke forcément alors on prend goût à s'attarder sur cette belle écriture...
Oui mais...il n'est que question de nostalgie extrême, de mort, de quête de l'Absolu, d'impossible amour ...ou d'amour si parfait qu'il fait mourir de crise d'apoplexie...
Une jeune femme s'enfonce dans un étang... Un vieillard agonisant violerait bien la jeune religieuse qui le soigne... Une prostituée vient se confesser à un prêtre le jour où elle renonce à la luxure par amour pour sa mère (mourante bien sûr!) et le soir même ce prêtre insiste pour être son client...Une femme pure fracasse le crâne de son époux alcoolique...Un homme se suicide sur la voie ferrée...etc...etc...

Je n'arrive pas à lire plus d'une nouvelle à la fois...C'est d'une tristesse!...Pfffffff!...

Serpents d'argent

L'écrivain et poète Rilke annonça en 1896 un recueil de nouvelles qui ne fut jamais publié. Treize nouvelles, textes de jeunesse dont la plupart demeurèrent à l’état manuscrit Déjà l’exigence stylistique du poète est toute présente.
L’homme qu’il dépeint dans ces treize nouvelles est un être tourmenté par sa quête d’absolu (“cet ineffable et toujours cet ineffable”écrit Rilke dans une lettre à Stephan Zweig). Comme il ne peut l’atteindre dans un monde hostile et sordide, il est conduit au désespoir, à la folie, au suicide ou à l’assassinat.

Ces textes sont à la fois d’une grande pureté et d’une grande noirceur. Ils sont tous magnifiques…mais j’avoue ne pas avoir pu en lire plus d’un à la fois.
Je referme ce livre me disant que Rilke m’ assène de grands chocs…et force mon admiration.

Oui, et c´est bien pour celà que je ne peux plus lire QUE de la litterature OPTIMISTE, Coline.
L´autre jour ils sont venus sonner à ma porte, me proposant je ne sais plus quel oeuvre de Benito Perez Galdos, j´ai eu beau leur expliquer que j´avais passé l´âge de ces lectures impeccables mais sordides, que mon truc c´etait Auster ou des ecrivains qui me boostaient, et bien ils n´ont rien compris : ils ont vu une dame bien rangée pour qui Galdos eut été la lecture rêvée...

swallow a écrit:

Oui, et c´est bien pour celà que je ne peux plus lire QUE de la litterature OPTIMISTE, Coline.
L´autre jour ils sont venus sonner à ma porte, me proposant je ne sais plus quel oeuvre de Benito Perez Galdos, j´ai eu beau leur expliquer que j´avais passé l´âge de ces lectures impeccables mais sordides, que mon truc c´etait Auster ou des ecrivains qui me boostaient, et bien ils n´ont rien compris : ils ont vu une dame bien rangée pour qui Galdos eut été la lecture rêvée...

Benito Perez Galdos...ça me ramène à l'époque de mes études...et comme c'est loin!...
Je devrais suivre tes conseils et me tourner vers la littérature et le cinéma optimiste...Mes goûts ne me portent pas forcément vers ça...pourtant je suis aussi gaie que la plupart des gens...

J'ai découvert Rilke à travers ses poèmes mais il y a déjà un fil sur le sujet, du coup je vais me contenter de parler de l'autre oeuvre que j'ai lue de lui : Lettres à un jeune poète.


Ce sont des textes très émouvants. C'est aussi une autre manière d'aborder le travail du poète.
Cela m'a certes touchée mais pas autant que j'aurais pu m'y attendre. Pourtant on a presque l'impression de rencontrer Rilke à travers cette correspondance. Sa volonté, ses envies et la manière dont il vivait sa poésie sont presque palpables.

A lire si possible avec le texte allemand sous les yeux.

Bonjour,

je viens d'acheter "au fil de la vie" et " Les carnets de Malte Laurids Brigge"

Une fois terminé, je reviendrai



* je n'ai pas trouvé de discussion sur Musil....help..merci..

En effet, rien sur Musil, auteur pourtant classique...Tu peux initier un fil si tu le connais et nous dire tes impressions. Pour ma part, je n'ai lu que "Les désarrois de l'élève Torless", mais c'était il y a longtemps...

Dès que j'aurai fini "l'homme sans qualités" de Musil, je viendrai en parler.

"Les carnets de Malte Laurids Brigge" j'ai cessé de le lire pour le moment. les sujets abordés sont sombres et me plongent dans un trou. j'attendrai sans doute le bon moment. J'ai le sentiment d'être touché par une balle et j'ai peur de cette "noirceur". C'est la 1ere fois qu'un livre me laisse cette impression. Ce sentiment d'être collé aux personnages et d'avoir peur d'être, comment dire.... hanté ?

De Rilke, je n'ai lu que Les lettres à un jeune poète.
C'est magnifique. J'ai adoré. Depuis, Rilke fait partie de mes écrivains fétiches ...même si je me tâte encore pour lire le reste de son oeuvre. J'ai tendance à privilégier les lectures faciles. Rilke, ce n'est pas de la tarte. Il me semble que son univers est assez sombre, non ? (Triste, nostalgique, un peu à la manière des romantiques. C'est ce que j'ai ressenti en lisant ses lettres.)

Bonsoir,

Autant le livre " Les cahiers de Malte Laurids Brigge " m'a donné l'envie de me mettre une balle dans le genou, autant "au fil de la vie", d'une drôlerie mêlée de noirceur, m'a convaincu de ne pas me mutiler.

Je relisais dans le train la 1ere nouvelle et j'avais le sourire aux lèvres. Je venais de terminer des nouvelles de Cendrars "d'oultremer à indigo" qu'un ami m'avait prêté, et je dois dire qu'il y a des kilomètres dans la forme, la justesse, la subtilité, l'humour et l'humeur, entre ces messieurs nés fin 19 eme.

"au fil de la vie" à lire !!

a@

Les Notes sur la mélodie des choses datent de 1898. A la lumière de ce que sera l'oeuvre de Rilke, c'est sa poésie même qui, ici, se cherche.
Le livre, d'une grande beauté, annonce magistralement son art poétique.
L'ouvrage traite de cette atmosphère qui pousse les êtres à sor tir de leur individualité, pour se rejoindre en un choeur mélodieux, summum de l'accomplissement en art.
Un autel sur lequel brûle une flamme sacrée figure, pour l'auteur, cet accomplissement.Rainer Maria Rilke a 23 ans lorsqu'il écrit ses Notes.
Il a rencontré Lou Andrea Salomé l'année précédente, à Munich, où il étudie la philosophie et l'histoire de l'art. On peut supposer qu'elle lui a longuement parlé de Nietzsche.
On trouve dans ces Notes, l'influence implicite de la Naissance de la tragédie.
La distinction premier-plan/arrière-fond, l'articulation entre solitude et communauté renvoient aux considérations nietzschéennes sur l'apollinien et le dionysiaque.
Rilke, comme Nietzsche, appelle de ses voeux une réforme de la scène qui soit, du même coup, un bouleversement dans la culture et jusque dans la vie, et mette en rapport les opposés.
Or l'art, jusqu'ici, n'a pas oeuvré en ce sens.La mélodie des choses ne quittera jamais Rainer Maria Rilke. L'extrême attention portée à la fois au tout proche et à l'immensité de l'ouvert sera, jusqu'à la fin, l'un des traits constants de sa poésie ; la solitude en sera l'élément vital.
Ce sont ses poèmes qui dresseront vraiment le théâtre de la mélodie des choses.


Que ce soit le chant d´une lampe ou bien la voix de la tempête, que ce soit le souffle du soir ou le gémissement de la mer, qui t´environne -- toujours veille derrière toi une ample mélodie, tissée de mille voix, dans laquelle ton solo n´a sa place que de temps à autre. Savoir à quel moment c´est à toi d´attaquer, voilà le secret de ta solitude : tout comme l´art du vrai commerce c´est : de la hauteur des mots se laisser choir dans la mélodie une et commune