Le style qui nous plaît

rotko a écrit:

Je renvoie au fil Lyonel Trouillot pour trouver d'autres passages qui témoignent de la vigueur des personnages et de la densité du texte.

Je vous soumets quelques réflexions : un style qui comporte des imperfections, voire des erreurs grammaticales est-il admissible et même souhaitable ?
Dans bêtes sans patrie d'uzodima Iweala, Alain Mabanckou qui assure la traduction de l'américain, rend la parole, les tics de langage, les confusions de mots de son personnage, un enfant-soldat, dont on imagine mal qu'il parlerait dans la traduction une "langue d'école primaire" :

Citation :

"Le Commandant il est tellement grand que si tu le regardes on dirait que tu montes dans un arbre, et il est tellement gros que s'il est à côté de toi son ombre ça te barre tout le soleil. Il est tellement fort qu'on voit ses veines sur ses bras. C'est très marrant de le voir marcher on dirait que ses jambes vraiment c'est deux poteaux en bois qui se plient jamais." (…)

"Même quand nous courons ses jambes elles bougent de la façon-là que je dis et qui me donne presque envie de rire, or personne ne peut moquer le Commandant à cause que ça l'énerve. Il frappe les gens qui l'énervent, et même qu'un jour il a tué un type qui l'a vraiment beaucoup énervé. On a laissé le cadavre de ce type quelque part au bord de la route avec un gros trou comme ça dans la tête et les yeux grands ouverts."

On a ainsi des confusions de mots : le commandant se gosille, le soldat est au grade-à-vous, il fait un salut minitaire etc. ce qui rend la langue très vivante.

Quand ce "style" sert à rendre la parole d'un ou plusieurs personnages comme dans l'exemple que tu donnes, je trouve que c'est tout à fait bienvenu. Je pense en ce moment à Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué d'Howard Buten, qui commence ainsi :

Citation :

Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué.
J'attendais Popeye qui passe après le Journal. Il a les poignets plus gros que les gens et il est tellement fort qu'il gagne toujours au finish. Mais le Journal voulait pas s'arrêter.
Mon papa il le regardait. Moi je m'avais mis les mains sur les oreilles pasque le Journal ça me fait peur. Ca me plaît pas comme télévision. Y a les Russes qui vont nous enterrer. Y a le président des Etats-Unis qui est chauve. Y a les grands moments du fabuleux salon de l'auto de cette année, que j'y suis même allé une fois et ça, ça m'a plu comme chose à faire."

Bien que le roman entier soit écrit ainsi ou justement parce qu'il l'est, il en devient saisissant.
En revanche quand cela ne s'explique que pour faire moderne ou simple ou provocateur, moi, cela m'agace et j'ai envie d'abandonner ma lecture ! Je ne parle pas des "auteurs" qui ne le font sans doute pas exprès et écorchent la syntaxe en écrivant comme ils parlent.

Je pense au style de James G. Ballard dans "Crash !" Qui est très étonnant. Puis au style de Lautréamont. Tout cela est très poétique, très phonétique. Par contre dans le sens de la pure narration, réaliste et sobre je pencherais pour Martyn Bedford, Dave Eggers, ou bien Cormac McCarthy.

Par contre je ne comprend pas où est la tare d'écrire comme on parle. Ou peut-être est-ce tout simplement que cela t'énerve.

L'émane a écrit:

Je pense au style de James G. Ballard dans "Crash !" Qui est très étonnant. Puis au style de Lautréamont. Tout cela est très poétique, très phonétique. Par contre dans le sens de la pure narration, réaliste et sobre je pencherais pour Martyn Bedford, Dave Eggers, ou bien Cormac McCarthy.

Par contre je ne comprend pas où est la tare d'écrire comme on parle. Ou peut-être est-ce tout simplement que cela t'énerve.

C'est sûr ! Je veux dire par là que si je sens que c'est par facilité ou snobisme, oui je supporte difficilement. Je veux dire aussi qu'à mon sens, un véritable écrivain est en mesure d'utiliser tous les registres de langue et surtout sait le faire à bon escient. J'ai tout à fait conscience qu'aux yeux de certains - jeunes ou moins jeunes d'ailleurs -, cela relève d'une attitude passéiste : j'assume !

La plus grande classe est de savoir mêler les trois registres... selon moi. En faire un usage pertinent, et esthétique. (Pas comme Brassens ou autre merdeux de ce genre)

L'émane a écrit:

La plus grande classe est de savoir mêler les trois registres... selon moi. En faire un usage pertinent, et esthétique. (Pas comme Brassens ou autre merdeux de ce genre)

On va donc finir par tomber d'accord sauf pour BRASSENS ! Le connais-tu bien ? C'était un poète, un virtuose de la langue qui travaillait inlassablement ses textes ! L'Académie Française lui a décerné son Grand Prix de Poésie dans les années 60. Qu'ajouter ? Il faut l'écouter bien sûr et... le lire.

Oh la la !!! C'est quoi cette attaque violente contre Brassens ??

Brassens a été la musique de mon enfance, la musique de mon père. J'ai aimé un certain temps, mais aujourd'hui c'est pas mon style. Je crois bien qu'il utilise beaucoup l'humour, et bien il ne me fait pas rire. Après si vous voulez une critique plus constructive... mais ce n'est pas le sujet.

Pour le fait qu'il ait eu le prix nobel ne fait pas de lui un poète de qualité, comme si c'était quelque chose d'objectif. Il y a des gros cons qu'ils l'ont eu aussi.

De plus, il ne suffit pas d'une voix monocorde (ringarde et grave) et d'une musique. Selon moi, il faut aussi une intonation de qualité, puissante. Sur du Brassens, je n'arrive qu'à être blasé et à me sentir vieux con. C'est tout.

Sefyu, serait pour moi un exemple de qualité. Mais ce n'est pas du tout le même style, sûr.

Brassens n'est pas qu'un chanteur, ses textes ont très souvent une portée philosophique, sociologique.. qui amène à réfléchir sur la vie. Ce n'est pas rien. Et c'est vraiment un génie de la mélodie, il avait une inventivité extraordinaire, aucune mélodie ne ressemble jamais à une autre, malgré la quantité de chansons écrites.
Après, chacun ses goûts.

brassens n'a pas eu de prix nobel... j'ai sans doute mal compris

L'idée sans le style et la qualité n'est rien pour moi.

Edit : Heu oui, exact. Il a reçu le grand prix des poètes.
Edit 2 : Ouf ! ça part vite dès qu'on critique Brassens... est-il le sacro-saint des bobos ?

J'ai du mal à détacher le style du reste du roman ...
C'est vrai qu'un bel emballage aide à "faire passer" un cadeau médiocre ....

Sinon je me délecte à lire Sylvie Germain, Patrick Modiano, Ian McEwan et Paul Auster entre autres ...
ce sont les auteurs qui me viennent à l'esprit...
avec eux je suis certaine d'une qualité d'écriture

Je ne vois pas le rapport entre Brassens et les bobos. J'adore Brassens et je suis tout sauf bobo.
Je pense que si Brassens n'avait eu aucun style ni aucune qualité musicale comme tu le dis, il n'aurait pas autant marqué l'histoire de la chanson française. Je ne sais pas si on se rappellera Sefyu dans 20 ans..

Gare au Gori-i-i-lle !

Ah Brassens Ce que je l'ai ecoute et lu ses textes en apprenant votre langue! Avec un enorme plaisir.
Je dis souvent que c'est un critere de bien connaitre la langue francaise courante et sa richesse, c'est de comprendre les textes de Brassens.

Ca , c'est bien dit Maya !

L'émane a écrit

Citation :

La plus grande classe est de savoir mêler les trois registres... selon moi. En faire un usage pertinent, et esthétique. (Pas comme Brassens ou autre merdeux de ce genre)

La musique de mon père aussi, la mienne mais pas que celle là.
Je n'avais jamais vu Brassens sous un côté merdeux, j'ai plutôt vu des textes fouillés, la langue française comme une gourmandise, la beauté et la multiplicité des mots pour dire une même chose, bref je le voyais et le vois toujours plus espiègle et cabotin que sa voix grave et son physique ne pouvaient le laisser présager.

Mais passons, Brassens n'a pas besoin qu'on le défende, ses textes non plus.

Il n'en reste pas moins que certains de ses textes demandent un effort, tout comme en littérature et sans aimer les textes pompeux j'aime ceux qui ne sont pas facilement acquis, ceux qui ne se présentent pas comme une évidence.

Bulma a écrit:

Je ne vois pas le rapport entre Brassens et les bobos. J'adore Brassens et je suis tout sauf bobo.
Je pense que si Brassens n'avait eu aucun style ni aucune qualité musicale comme tu le dis, il n'aurait pas autant marqué l'histoire de la chanson française. Je ne sais pas si on se rappellera Sefyu dans 20 ans..

De même que tout le monde retiendra Johnny Halliday ou Claude François (J'allais dire Michael Jackson, mais en fait non, lui il fait de la musique de qualité) Les meilleurs artistes se font aussi oublier. Brassens n'en est même pas un de mon avis.

bien bien, à ton avis

il est normal que la génération qui suit brûle les idôles de la génération précédente, on dira ça comme ça

Claude François ? qui c'est ? que vient-il faire dans un fil sur le style ?

Maupassant la nuit, cauchemar.

Citation :

Le jour me fatigue et m'ennuie. Il est brutal et bruyant. Je me lève avec peine, je m'habille avec lassitude, je sors avec regret, et chaque pas, chaque mouvement, chaque geste, chaque parole, chaque pensée me fatigue comme si je soulevais un écrasant fardeau.

Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. A mesure que l'ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s'épaissir la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.

Alors j'ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d'aimer s'allume dans mes veines.

J'aime bien, dans ce texte, les sentiments contrastés marqués par les mouvements de pesanteur ou d'essor et que le rythme accentue.

nicyrle a écrit:

Et vous, quelles sont vos préférences ?

Maupassant. Depuis longtemps...

Hmm, L'Emane, non seulement tu as l'air de connaitre ton sujet (Brassens prix Nobel), tu as l'air de savoir ce qu'est le style (Sefyu), en plus tu connais ton dictionnaire , tu maitrises le terme Bobo. Apparemment pour toi Mickael Jackson n'a fait que des bonnes choses et Brassens a la guitare qui le démange un peu trop.
Connais tu seulement son répertoire? Tu n'as pas l'air familier du dialogue socratien, le dialogue de tous les jours qui vise à échanger et à se connaître soi même. GDS est un lieu d'échanges, pas qu' une boite à idées.
Le style, le vrai, se passe heureusement de détracteurs. Il est abondamment commenté mais se passe de commentaires. Tu me fais penser à Robert de Montesquiou (un Bobo attention, un vrai qui ne fume pas la pipe) qui a toujours pris Proust pour un gentil écrivaillon car il n'a jamais lu une page du petit Marcel sans d'abord penser à ce qui était poétiquement correct... Ce qui a l'air d'être ton cas, tu es un vrai Bobo politiquement correct, qui aime le moonwalk...

Tiens ça tombe bien, je viens de finir un livre consacré à Robert, un des plus grands aristocrates de son temps. C'est vrai qu'il considérait Marcel comme un écrivaillon au début, il a mis le temps à le prendre au sérieux, et puis il a lu les premiers volumes de La Recherche et il a compris à quel point Charlus prenait de lui. Il a dit juste avant de mourir : Je suis couché, malade de la publication de trois volumes qui m'ont bouleversé.

Pour en revenir à Brassens, il faut dire que c'était quand même un poète extraordinaire, même si lui-même n'aimait pas se dire poète. Et un mélodiste hors pair. Bien sûr si on s'en tient aux classiques immuables, Les copains d'abord, Gare au gorille et Les sabots d'Hélène, on en a peut-être marre. Mais si on écoute, L'assassinat, Le mouton de Panurge, Le modeste, Mélanie.......

(apparté "S' il n'y a pas de clef véritable dans l'oeuvre de Marcel Proust, si tous les personnages sont formés par différents alliages, seul Palamède baron de Charlus fait exception. Sans doute dans les premiers tomes Charlus est encore un amalgame. On retrouve en lui certaines particularités du Baron X (que Proust a rencontré dans les salons de Mmme Straus), son obésité, par exemple, son visage épais et poudré. Mais il devient peu à peu un portrait vivant et irréfutable, qui a été sans hésitation reconnu par tout le monde." Léon-Pierre Quint)

Je trouve que Léon-Pierre Quint exagère : Charlus possède tout de même des traits qui lui sont propres. Il n'est pas un absolu copié-collé d'un personnage réel. Proust a inventé tout un pan de sa personnalité et de son parcours.

Quint est certainement un peu réducteur, mais c'est un contemporain de Proust, mais aussi un critique et un ami... D'où ce manque de recul je pense... Il a été un des premiers, de par son métier et sa fréquentation des cercles amis, à poser le visage de Montesquiou sur celui de Palamède de manière officielle..
Mais sur ce sujet, je pense que c'est toi qui pourras m'apporter des réponses