Vous et moi (nouvelle de Jean-Michel Guyot)

Dès l’abord, le climat fut tendu entre nous.

Quand je vous ai connue, sans envie aucune de faire votre connaissance, votre métamorphose était pour ainsi dire achevée : vous étiez en passe de devenir toute entière l’œuf que vous portiez initialement dans votre ventre et qui commença par vous manger les yeux.

Dans ce récit, je le sais, vous n’accorderez aucune attention à ce que j’ai voulu dire, pour ne retenir que ce que j’ai pu dire. Pourtant, c’est bien là, dans la volonté la plus grande qui échappe à qui croit en être le maître que réside l’absence de pouvoir, l’abandon total à cette force qui va, déliée, incertaine de ses fins, mais résistante, pleine d’affirmations péremptoires et de discours.

Votre excès est là, dans ce filet aux mailles trop grandes pour laisser passer l’infime qui nous lie.

Une vie durant, vous avez été celle par qui le scandale n’arrive pas. Jusque dans votre sommeil, vous avez employé vos forces à réconcilier les extrêmes dans la trame même de votre vie, au détriment de la tension et du hasard, au profit exclusif d’une soif de sécurité qui constitue encore aujourd’hui le fond de votre être.

Nous ne pouvons pas nous entendre, tout au plus nous écouter. D’aucuns parleront de politesse du cœur. Je préfère pour ma part y voir le signe d’un désespoir qui ne se relâche pas. Pour rien au monde, vous ne voudriez de ma place. Vous dites m’envier. Vous vous ingéniez à énumérer les avantages de ma situation. Vos fioritures ne vous coûtent rien qu’un peu de salive.

Ecrit à l’encre sympathique, un récit court entre deux vies, un récit que ces deux vies ne liront jamais, trop occupées qu’elles sont à se lier pour mieux déchaîner la hargne et le ressentiment, dans une sorte de solidarité du malaise qui reste, la vieillesse venue, leur seul ciment.

Je ne bâtis pas sur un tel matériau, mais j’en use. C’est là ma ruse, la seule qui me soit permise en ces temps de disette. La mort rôde partout. Pas un mot qui ne soit un appel au meurtre, au silence, à la vacuité doucereuse d’un terme atteint, d’un lieu de repos comparable à un suaire.

C’est comme si les hommes avaient déposé une grand drap blanc sur l’aube. Un peu de sang coule de dessous le drap. Noces de sang entre l’aube fragile et la brute humaine qui a eu son plaisir…

Et dire qu’un imbécile a claironné que la femme est l’avenir de l’homme… Comment le serait-elle, si celle-ci s’ingénie à faire des hommes qu’elle élève, elle la mère absolue, des tyrans repus ?

Quel style magistral !

Bravo pour cette nouvelle , qui dit en quelques paragraphes tout le mépris que ( parfois) l'homme porte à sa compagne ... bien que nous pourrions croire, à la lecture, que la personne à qui cette missive s'adresse est une éducatrice, une mère, ou même une grand mère.

Le personnage qui parle est un peu difficile à cerner : sait-il seulement lui-même qui, exactement, il veut représenter ?

Quoiqu'il en soit, un texte excellent

je suis un peu desarçonné.

Certains passages me font penser à une naissance non désirée (je ne dis pas "par qui" pour n'apparaître pas plus crétin que nature), et je n'envie guère les liens entre les personnages.

Une remise en cause, certes, un texte assez violent qui me laisse sous le choc. A ne pas offrir le jour de la fête des mères...

tant pis je me lance au risque de paraitre vraiment gourde
j'ai lu le texte très très bien écrit certes, mais je n'ai pas compris grand-chose .... désolée

Pas de souci, Marie, vous avez raison, c'est un texte hermetique... C'est vrai.
J'aimerais presque m'amuser a l'"expliquer" ou tout du moins a tenter... mais je crains de donner une fausse interpretation. En tous cas, c'est un texte qui demande relecture...
Je le trouve tres beau, c'est pourquoi je l'ai poste, alors qu'il n'est pas de moi...
J'aurais aime l'avoir ecrit...

ah d'accord !! il n'est pas de toi !
mais pourquoi l'as-tu mis ici dans les nouvelles écrites par les membres?
cela aurait été bien dans un autre fil Rotko!!!!!!!! dans lequel?

Citation :

J'aimerais presque m'amuser a l'"expliquer" ou tout du moins a tenter

dis toujours, on verra si ça correspond à ce qu'on a entrevu.

Marie ! "gros yeux", le nom de l'auteur est mis entre guillemets et la nouvelle correspond aux "critères en vigueur dans lesmilieux bien informés"

Jean-Michel ecrit d'une "facon bien a lui". Il n'aurait pas voulu "embeter" le groupe avec un texte si "different"... Moi je pensais qu'il vous interesserait... (J'ai beaucoup aime les textes que vous avez publies)
Je l'ai informe apres coup et de toutes facons, il est membre, mais il a momentanement "egare" ses codes d'acces... hihi...
On en reparle... bonne fin de journee,

Cet apres midi (ce soir pour vous en France) je ferai une tentative d'extrapolation avec plaisir!.. en esperant ne pas etre a cote des la plaque.

Donne-moi son pseudo et je lui refais un mot de passe qu'il pourra modifier ensuite à sa guise.

le texte nous a interessés et en plus il nous intrigue, alors...

c'est bien la question que je me pose
un homme une femme
un enfant et sa mère??

JE tente une explication... j'y travaille

Dès l’abord, le climat fut tendu entre nous.

Quand je vous ai connue, sans envie aucune de faire votre connaissance, votre métamorphose était pour ainsi dire achevée : vous étiez en passe de devenir toute entière l’œuf que vous portiez initialement dans votre ventre et qui commença par vous manger les yeux.

L’homme s’adresse à une femme sur le ton du vous parce qu’il la respecte et qu’il respecte la distance qu’il y a entre eux. Il lui fait remarquer que c’est le hasard qui les a mis en présence, sans donc que leur rencontre soit le fruit d’une démarche particulière. On comprend qu’elle était toute jeune, mais qu’elle portait en elle ce qu’elle est devenue, elle était en quelque sorte la matrice de la mère qu’elle est devenue… la part-mère en elle était énorme au point qu’elle lui mangeait jusqu’aux yeux…

Dans ce récit, je le sais, vous n’accorderez aucune attention à ce que j’ai voulu dire, pour ne retenir que ce que j’ai pu dire. Pourtant, c’est bien là, dans la volonté la plus grande qui échappe à qui croit en être le maître que réside l’absence de pouvoir, l’abandon total à cette force qui va, déliée, incertaine de ses fins, mais résistante, pleine d’affirmations péremptoires et de discours.

Il la connaît très bien, « je le sais », dit-il, il lui dit qu’il sait a quoi s’attendre avec elle. Elle n’en fait qu’a sa tête et s’attache à la forme plutôt qu’au fond de ce qu’il dit. A l’évidence, c’est une chose qui le contrarie, mais contre laquelle il est impuissant. Dans ce que j’ai pu dire, on entend la frustration de celui qui parle, mais laisse entendre autre chose que ce qu’il a voulu dire, il pointe du doigt l’ « espace » entre « le dire et le voulu dire » qui est la preuve que le dire nous échappe en quelque sorte. Il nous laisse voir notre faiblesse face aux mots, face a l’expression des sentiments, malgré ce qui nous pousse à croire que nous sommes maîtres de notre expression… On veut dire quelque chose, et ce qu’on veut dire nous dépasse et nous échappe. On est entraîné vers un Dire qui devient autonome… L’autonomie du Dire s’éprouve dans l’élaboration de tout texte qui échappe à qui l’écrit au moment où il l’écrit, à tel point que, parfois, dans une quasi transe, un état en tous cas comparable à une auto- hypnose, que celui qui écrit a l’impression d’être écrit par le texte qu’il rédige. Abdication alors de l’autorité de l’auteur qui équivaut à une suprême autorité : ce n’est que dans et par le langage que la souveraineté de l’existence s’affirme et s’affine dans l’existant… Donc, après tout, il faut admettre cet état de fait pour laisser dire ce qui nous dépasse…

Votre excès est là, dans ce filet aux mailles trop grandes pour laisser passer l’infime qui nous lie.

Reproche ici… Contra-diction. Le filet est fait pour laisser passer a priori. Le texte, excessif par nature, en ce qu’il excède le vouloir dire initial, est comparable à un filet qui tente de retenir ce qui l’excède, c’est-à-dire la confrontation, dans le corps du texte, dans son économie interne autonome, d’une vie excessive, trop grande, toujours plus grande que le texte qui tente de la capter et du texte proprement dit qui enfle, se creuse et grandit à la démesure même de l’excès de vie qui l’excèdera toujours. Ecrire alors signifie laisser échapper ce qui constitue la raison d’être même du texte : c’est la vie qui a toujours le dernier mot…

Une vie durant, vous avez été celle par qui le scandale n’arrive pas. Jusque dans votre sommeil, vous avez employé vos forces à réconcilier les extrêmes dans la trame même de votre vie, au détriment de la tension et du hasard, au profit exclusif d’une soif de sécurité qui constitue encore aujourd’hui le fond de votre être.

Il dit à cette femme qu’elle ne s’est jamais rebellée. Même dans ses rêves, elle met en scène des vérités intimes, des craintes qui la poussent à un excès de prudence (soif de sécurité qui la pousse « par peur » à ne pas s’affranchir) et à un excès de pessimisme.

Nous ne pouvons pas nous entendre, tout au plus nous écouter. D’aucuns parleront de politesse du cœur. Je préfère pour ma part y voir le signe d’un désespoir qui ne se relâche pas. Pour rien au monde, vous ne voudriez de ma place. Vous dites m’envier. Vous vous ingéniez à énumérer les avantages de ma situation. Vos fioritures ne vous coûtent rien qu’un peu de salive.

Il constate qu’ils ont un problème de communication. Leur situation respective est sujet à « discussion ».

Ecrit à l’encre sympathique, un récit court entre deux vies, un récit que ces deux vies ne liront jamais, trop occupées qu’elles sont à se lier pour mieux déchaîner la hargne et le ressentiment, dans une sorte de solidarité du malaise qui reste, la vieillesse venue, leur seul ciment.

Il fait allusion à l’encre invisible, tout le non-dit. A l’autre relation de cette femme, qui s’entête à faire marcher les choses en « passant » sur ce qui ne va pas, pour s’attacher à ce qui ne peut pas séparer.

Je ne bâtis pas sur un tel matériau, mais j’en use. C’est là ma ruse, la seule qui me soit permise en ces temps de disette. La mort rôde partout. Pas un mot qui ne soit un appel au meurtre, au silence, à la vacuité doucereuse d’un terme atteint, d’un lieu de repos comparable à un suaire.
Clin d’œil au lecteur. Il en use, de ce matériau puisqu’il en fait un texte et que vous lisez ce texte. « Ces temps de disette » : Il fait allusion au manque de cette femme qui l’étreint, après tout, c’est une petite compensation dont il se réjouit… Disette, manque… Le mot est proche de dire : c’est le manque qui fait parler et pousse à écrire. A chaque fois qu’on utilise un mot, on tue la chose, le langage protège en quelque sorte de la réalité… mais d’un autre côté, avec des mots, on crée un texte, qui est une création « bien réelle »

C’est comme si les hommes avaient déposé une grand drap blanc sur l’aube. Un peu de sang coule de dessous le drap. Noces de sang entre l’aube fragile et la brute humaine qui a eu son plaisir…

L’aube, c’est l’espoir, allusion à la virginité, une première fois… et puis un refus de rester « bloqué » sur cette première fois… après tout, on change bien les draps d’un lit… Espoir d’une vie nouvelle, malgré cette « brute humaine » qui s’est approprié cette femme.

Et dire qu’un imbécile a claironné que la femme est l’avenir de l’homme… Comment le serait-elle, si celle-ci s’ingénie à faire des hommes qu’elle élève, elle la mère absolue, des tyrans repus ?

Attaque dirigée contre cette femme, qui bien que non-libre, en protégeant ses enfants du sexe masculin, les empêche de grandir différemment de l’homme-tyran. Elle « reproduit » ce qui pourtant la heurte au quotidien.

J'avais entrevu un reflet de ce que tu nous explqiues , Françoise, et j'avais bien vu qu'il s'agissait d'un texte que tu postais au nom d'un autre auteur - sans savoir que Jean-Michel Guyot est membre .. et je souhaite de tout ceour qu'il puisse retrouver ses coordonnées pour revenir bavarder avec nous.

Le texte est certainement un des meilleurs qu'il m'ait été donné de lire dans les derniers cinq ans .. si ce n'est plus.

PS Doublement heureuse, Françoise, je vois que tu habites en new Orléans ?? enfin, une autre française habitant les States !!! bisous de New York !!!

Jean-Michel est un auteur sensass, qui ecrit des trucs tres profonds.

Je suis une fan depuis de nombreuses annees. Il vient de se decider a essayer de publier. Ce sera chose fait en juin pour quelques-uns de ses textes ... Franchement, tout ce qu'il ecrit, c'est de l'or.

Il a retrouve ses coordonnees, alors il viendra sans doute papoter demain...

oui j'habite a New Orleans...

Merci de l'accueil du groupe. Vu la qualite de ce que je lis autant en creation qu'en commentaires, je n'en attendais pas moins.

moi je pensais à un règlement de compte d'un fils envers sa mère, elle-même plus ou moins victime d'un viol.

je crois que dans un contexte, la lettre serait plus précise, comme celle d'un fils à son père dans les faux-monnayeurs de Gide.

Tu as raison, Rotko, j'ai relu en pensant a un fils qui s'adresserait a sa mere. Et ca tient debout aussi... Les fils peuvent etre "virulents" quand ils s'adressent a leur mere!

Je vais me repencher dessus avec cet eclairage... Et je vais demander a Jean-Michel!

Citation :

" vous n’accorderez aucune attention à ce que j’ai voulu dire, pour ne retenir que ce que j’ai pu dire. "

Certes, mais le reproche adressé à une personne qu'on côtoie ne vaut pas pour le lecteur :
c'est à l'auteur de dire ou de faire sentir, deviner, suggérer, mettre au jour, ce qui est ressenti. Voir sur le billet de Lîlâ.

Un texte qui ne peut se comprendre que par l'intercession d'un lecteur qui le "digère" pour moi me laisse perplexe, voire indifférente.
De l'évident au totalement hermétique, il doit y avoir un intermédiaire, non ?

Le texte n'est pas crypté, il est venu d'un seul jet. Il est le produit d'une condensation, en quelque sorte. Je pourrais appeler un chat un chat, à vrai dire, ce serait tout aussi possible et même très romanesque. Une suite viendra quand elle voudra bien venir. La fatigue, les soucis en empêchent pour l'instant la germination. ceci n'est que le début d'un récit plus long...

oui, c'est pourquoi je pensais à un contexte.

Quant à un mediateur eventuel, pourquoi pas ? d'autant qu'ici, c'est moi qui le demandais

bon, le texte finalement appartient au lecteur, et c'est interessant aussi pour l'auteur de voir ce que le lecteur en a fait - et vice versa.

Françoise, on attend ton texte (soit libre, soit sur le thème du tableau, c'est ad. lib, comme disent les pages roses)

La contrainte formelle que l'on s'impose est peut-être la seule liberté : elle permet d'écrire de manière asymptotique pour ne pas heurter les sensibilités. J'avoue que les confessions crues me répugnent tout autant que les sous-entendus : le moyen terme, c'est la prise de parole littéraire qui permet en quelque sorte d'aborder un sujet sans en être accablé ni d'acccabler les autres avec des vérités toutes faites ou des questions ouvertes qui laissent entendre que telle ou telle personne est exclue des réponses possibles entrevues...

Rotko, j'ai une question : est ce que nous pouvons poster PLUS D'UN texte ?
deuxio : tu ouvres un autre jeu, PLULEEZE ??? (je te fais mon plus beau et alléchant sourire du chat du sheshire .. )

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Jean-Michel, il faudrait s'étendre davantage sur cette liberté de l'auteur : je suis absolument d'accord avec toi ( bien que ce soit un peu trop intellectuel pour moi, mais bon ) et c'est un sujet qu'il faudrait mieux cerner. Oui, je sais, la liberté étant sans contours, sans limites et sans frontières, la cerner ne sera pas chose facile - mais . hé !! qui aime les choses faciles ?



Lise, gourmande ...