Ludovic Janvier

Sa dormeuse

Une dormeuse est logée dans mes veines
Je ne peux la fuir en me cachant
Ni l’apaiser bien sûr en me couchant
Car c’est là surtout que je vois mes peines

C’est mon allongée c’est ma paresseuse
Ne comptez pas sur le Prince Charmant
Vous me trouveriez Belle au bois dormant
Rêveur pourrait bien s’éveiller rêveuse

En me touchant c’est elle qu’on touche
Écho tient Narcisse et Narcisse Écho
Si je rêve juste et je chante faux
C’est que sa voix nue passe par ma bouche


Ludovic Janvier, la mer à boire, Gallimard

Le sarrau

Le sarrau se boutonnait par derrière
pendant qu’on regardait vers la fenêtre
Impatient -du calme allons tiens-toi droit
on s’arrachait aux mains aucune voix
non pour vous retenir on se lançait
vers la journée avec le goût de voir
vers la journée claire sans savoir qu’elle
serait pareille aux autres et que les peines
ce soir deux mains lentes les déferaient
en défaisant les boutons par-derrière
du sarrau sentant la serge et la craie

Des milliers de nuits sourdes ont usé
l’impatience usé le goût de voir
surtout quelque chose manque à l’allure
marcher vous a sa lenteur de regret
comme si le dos raide attendait
la main qui l’emprisonne et le délivre.


La mer à boire, poésie/Gallimard