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| | Jean Rhys [Dominique] | |
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Auteur | Message |
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Moon Animation
Nombre de messages : 8306 Age : 34 Localisation : Seattle Date d'inscription : 16/12/2006
| Sujet: Re: Jean Rhys [Dominique] Mer 03 Juin 2009, 17:01 | |
| J'ai écrit un article sur Jean Rhys pour mes cours, je vous le mets en spoiler. - Spoiler:
Jean Rhys, La Prisonnière des Sargasses
L’année dernière est paru aux Éditions Denoël un recueil de nouvelles de Jean Rhys inédites en français : L’oiseau moqueur et autres nouvelles. Mais Jean Rhys a également écrit des romans, dont son œuvre majeure, qui a connu un grand succès de son vivant, La prisonnière des Sargasses (Wide sargasso sea). Les récits de Jean Rhys sont partiellement autobiographiques : elle y parle des Antilles et y relate ses expériences en Europe. Elle met en scène, à travers une langue marquée par la créolité, des femmes souvent déchues et avides de liberté.
« Si je cesse d’écrire, ma vie n’aura été qu’un échec atroce. Je n’aurai pas gagné ma mort »
Ella Gwendolen Rees Williams, ou Jean Rhys, a vécu, à l’image de ses héroïnes, une vie tourmentée. Elle naît en 1890 à la Dominique, une île des Antilles anglaises, d’un père d’origine galloise et d’une mère créole. Elle grandit au sein d’une communauté majoritairement noire avant de quitter les Antilles à l’âge de dix-sept ans pour l’Angleterre où elle devient Chorus girl. Elle part ensuite en Autriche et s’installe finalement à Paris. S’en suit une période prolifique où elle publie de nombreuses œuvres. Néanmoins, dans les années 1940 son état se dégrade : elle connaît la pauvreté, l’alcoolisme, elle est même arrêtée en 1949 pour avoir agressé ses voisins – épisode qu’elle raconte dans Qu’ils appellent ça du Jazz1 En 1966, elle publie La prisonnière des Sargasses, et à travers l’histoire de son héroïne, qui est d’ailleurs un personnage secondaire du roman Jane Eyre de Charlotte Brontë, elle nous parle des Antilles, de la solitude, et de la haine qu’un homme finit par éprouver pour une femme qu’il ne comprend pas.
La prisonnière des Sargasses met en scène une jeune créole, Antoinette Cosway, qui vit avec sa mère et son frère dans une plantation isolée et délabrée de la Jamaïque. Pendant toute sa jeunesse elle ne connaît que l’indifférence de sa mère, obsédée par son frère à la constitution fragile, et les révoltes d’esclaves. Elle est alors envoyée dans un couvent qu’elle quitte à l’âge de dix-sept ans pour se marier à un Anglais, Mr Rochester, récemment débarqué à la Jamaïque. Mais celui-ci est trop arrogant et égoïste ; imbu de lui-même, prisonnier de ses préjugés, il ne s’intéresse pas à elle.
« Il y a trop de tout, telle était mon impression tandis que je chevauchais avec lassitude derrière Antoinette. Trop de bleu, trop de violet, trop de vert. Les fleurs sont trop rouges, les montagnes trop hautes, les collines trop proches. Et cette femme est une étrangère. Son expression implorante m'est désagréable. Je ne l'ai pas achetée, c'est elle qui m'a acheté, ou, en tout cas, elle le pense. Je baissai les yeux sur la crinière rude du cheval... Cher Père. On m'a versé les trente mille livres sans discussion ni conditions. »2 Au fur et à mesure du roman, leur relation se dégrade et l’on perçoit le lent changement qui s’opère dans les sentiments de Mr Rochester ; son indifférence finit par se transformer en une haine farouche.
« Je me levai enfin ; le soleil, maintenant était ardent. Je marchais avec raideur et ne parvenais pas à me forcer à réfléchir. Puis je passai à côté d'une orchidée avec de longs rameaux fleuris d'un brun doré. Une des fleurs toucha ma joue et je me souvins d'en avoir cueilli quelques-unes pour Antoinette, un jour. "Elles vous ressemblent", lui avais-je dit. À présent, je m'arrêtai pour en casser un rameau et je l'enfonçai dans la boue en le piétinant. »3
La prisonnière des Sargasses est un livre d'une éblouissante cruauté. Celle d'un homme qui ne parvient pas à percevoir sa femme autrement que comme une étrangère et qui finit par la haïr. La haïr parce qu’il est incapable de l’aimer, la haïr pour l'emprise qu'elle possède sur ses sens, pour les promesses qu'il lui a faites et qu'il n'arrive pas à tenir. Bref, parce qu'elle lui a montré qu'il était faible. Ce qui est étonnant c'est que le lecteur perçoit véritablement les sentiments qui le submergent petit à petit et vers la fin du livre on parviendrait presque à le comprendre tant Antoinette apparaît ravagée, après avoir sombré dans la folie et l’alcool. Mais La prisonnière des Sargasses c’est surtout l'histoire de cette femme qui aime en vain et à en devenir folle. C’est également une peinture sublime des Antilles. Néanmoins, elle ne met pas l’accent sur les paysages exotiques – même si on trouve certaines descriptions - mais davantage sur cette atmosphère particulière, souvent étouffante et poisseuse, qui exacerbe les passions et accentue le mal-être. Par ailleurs, Antoinette Cosway, que son mari finira par appeler Bertha, est également un double de l’auteur. Et les questions qu’elle se pose sur son identité sont une projection de celles de Jean Rhys.
« C'était une chanson sur un cancrelat blanc. C'est moi. C'est comme ça qu'ils nous appellent nous tous qui étions ici avant que les gens de leur propre race, en Afrique, ne les vendent aux marchands d'esclaves. Et j'ai entendu des Anglais nous appeler des nègres blancs. Aussi, entre vous tous, je me demande qui je suis, et où est mon pays et à quelle race j'appartiens et pourquoi je suis née du reste ! » 4
Quand au mari, il formule clairement ce que nombre d’Européens pensent des Créoles antillais :
« Des yeux en amande, tristes, sombres, étrangers. Elle a beau être une Créole de pure descendance anglaise, ces gens-là ne sont pas anglais ni non plus européens. »5
En général, je n’aime pas les livres qui reprennent les personnages d’autres romans. Néanmoins, La prisonnière des Sargasses est bien plus qu’un prélude à Jane Eyre, même si Antoinette Cosway est bien la première femme de Mr Rochester, celle qu’on découvre enfermée dans le grenier de la belle demeure anglaise et qui finira par y mettre le feu. En effet, il constitue une œuvre entièrement indépendante et il n’est pas nécessaire d’avoir lu le roman de Charlotte Brontë pour lire celui-ci. L’auteur n’insiste pas sur l’origine de ses personnages, tout lecteur averti comprend de lui-même. D’autre part, Jean Rhys a une approche entièrement différente. Elle ne porte pas du tout le même regard sur Antoinette et Mr Rochester que Charlotte Brontë puisqu’Antoinette est humanisée - à travers son histoire et la mise en relief de ses sentiments. Néanmoins, dans La Prisonnière des Sargasses Mr. Rochester n’est pas non plus dénué d’humanité. Ainsi, Jean Rhys n’opère pas un renversement complet des perspectives : les décisions qu’on lui a imposées, le caractère de sa femme expliquent en grande partie son attitude. D’autant plus, que la folie d’Antoinette Cosway semble également une fatalité, puisqu’elle suit exactement le même chemin que sa mère, qui avait sombré dans la folie elle aussi.
1 A septembre Pétronella suivi de Qu’ils appellent ça du Jazz, éd. folio 2 euros. 2 éditions Imaginaire Gallimard page 81. 3 éditions Imaginaire Gallimard page 121. 4 éditions Imaginaire Gallimard page 124. 5 éditions Imaginaire Gallimard page 77.
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| | | Nymphéa pilier
Nombre de messages : 1480 Age : 70 Localisation : Nord Date d'inscription : 28/12/2008
| Sujet: Re: Jean Rhys [Dominique] Mer 03 Juin 2009, 18:42 | |
| Merci Moon pour toutes ces précisions très, très intéressantes et révélatrices sur cette oeuvre et son auteur. | |
| | | Nestor Admin
Nombre de messages : 1576 Date d'inscription : 25/12/2005
| Sujet: Re: Jean Rhys [Dominique] Sam 13 Juin 2009, 18:47 | |
| - Citation :
- L'Oiseau moqueur et autres nouvelles. The Whistling Bird
de Jean Rhys chez Denoèl, traduction par Jacques Tournier.
dix-huit nouvelles de femmes au bord du gouffre. Ces nouvelles sont préfacées par Christine Jordis qui a publié une étude sur Jean Rhys intitulée la prisonnière chez Stock. Kismet met en scène des doublures de vedettes dans le monde du spectacle, elle perdent pied petit à petit, et même si elles se bercent d'illusions, on sent bien que la déchéance les guette, à moins que. Avec "J'espionne une étrangère", c'est la conspiration des insulaires contre une étrangère, dans le contexte de la guerre qui favorise rumeurs méchantes et comportemnts paranoiaques. Dans cette dernière nouvelle, on entend les conversations mêmes qui révèlent la cruauté et l'injustice des ragots. La méchanceté se donne bonne conscience, et Jean Rhys n'a pas besoin d'en rajouter pour soulever notre indignation contre de tels agissements. - Citation :
- Jean Rhys ne cessa de décrire au cours de son oeuvre brève et intense[...] l'affirmation de la cruauté humaine, la misère des faibles, et en dépit de tout [la présence] de la beauté et de l'espoir...
C. Jordis. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Jean Rhys [Dominique] Sam 28 Nov 2009, 16:49 | |
| En remerciant Moon qui a bien prêché pour Jean Rhys, Pour Geneviève Brisac dans « la marche du cavalier » l’injustice faite à jean Rhys commence avec une photo qui la représente âgée, moins vivante et séduisante que dans ses textes. L’autre serait de lui tenir à grief des défauts, comme l’alcoolisme, qu’on pardonne aux hommes en les mettant sur le compte de la « virilité ». Chez elle, les petits bonheurs peuvent créer les grands : - Citation :
- « En sortant sur la place de l’Odéon, je me sens heureuse grâce à mes nouveaux cheveux, mon chapeau neuf, au bon repas, à l’odeur de la nuit à Paris »,
ou bien c’est une chanson qui sert de litanie dans Bonjour Minuit, à rôle de prière, - Citation :
- Maladie d’amour
Maladie de la jeunesse Éloigne-toi de moi Reste loin de moi. Les femmes ont, semble-t-il, le pouvoir de parler de ces choses naturellement, de leur donner l’importance qu’elles ont, pour traduire un état d’esprit ou masquer une humeur. C’est pourquoi l’achat d’une paire de chaussures ou la joie de la nouvelle robe, ont tout à fait leur place sur le fil du bar… | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Jean Rhys [Dominique] Ven 07 Sep 2012, 16:00 | |
| La prisonnière des SargassesLe point de départ de Rhys est bien Jane Eyre. Non contente du sort qui est réservé à l'épouse créole Bertha Mason dans le roman de Bronte, elle décide de donner la parole à celle qui était un personnage muet. Ce projet même est une subtile façon de dénoncer la posture de la littérature britannique au 19ème (et sûrement occidentale dans son ensemble) qui accorde toujours une place à des personnages issus de colonies - ce qui contribue à faire de l'impérialisme une composante normale de la société, un élément parmi d'autres dans le paysage occidental - tout en faisant d'eux des personnages secondaires qui ne peuvent s'exprimer par eux-mêmes et qui se retrouvent à la merci du narrateur qui les fait passer pour tout ce qui lui chante. Ce texte montre la sensibilité d'une écrivaine, antillaise elle aussi, qui se sent le devoir de réhabiliter les ''siens'' en racontant l'histoire de Bertha, tristement oblitérée, qui devient Antoinette. Elle se fait donc le porte parole de sa vérité afin d'humaniser le portrait, ''racialement'' péjoratif qui est donné de l'épouse dans le classique anglais, lui-même reposant sur un binarisme certainement peu accidentel avec d'un côté, Jane, la vaillante, la douce, la courageuse, la bienveillante et de l'autre Bertha, la sorcière, la meutrière, la folle...La présence de l'Homme blanc, qui ici est une femme, se veut régulateur alors que celle de l'étranger est liée au trouble, au chaos, à la pathologie ! En tant qu'auteur issu de la ''périphérie'', Rhys veut clairement proposer une vérité alternative à cette histoire trop tranchée, elle le fait notamment en déconstruisant les canons littéraires d'un héritage culturel ''blanc''. En effet, elle adopte des schémas narratifs temporels, et esthétiques qui reflètent un certain pluralisme culturel . La structure tripartite du texte prend à revers la progression linéaire du roman victorien, considéré comme le modèle le plus sophistiqué et le plus abouti du genre romanesque. Ceci permet aussi de transformer une mise en scène monolithique des personnages en une présentation qui se veut fragmentaire et pourtant plus complète grâce précisément à cette vision parcellaire. Rhys met l'accent sur le monde intérieur de Bertha/Antoinette et de Rochester, et cette introspection ne peut se faire, si elle veut être véridique, qu'au travers d'impressions. Elle réinvente donc le texte de base grâce à des outils narratifs modernes et postmodernes. Les principaux thèmes abordés à mon sens sont : La question de l'identité : C'était une chanson sur un cancrelat blanc. C'est moi. C'est comme ça qu'ils nous appellent nous tous qui étions ici avant que les gens de leur propre race, en Afrique, ne les vendent aux marchands d'esclaves. Et j'ai entendu des Anglais nous appeler des nègres blancs. Aussi, entre vous tous, je me demande qui je suis, et où est mon pays et à quelle race j'appartiens et pourquoi je suis née du reste. La thématique identitaire est abordée de façon complexe, nous n'avons pas les blancs d'un côté contre les ''noirs'', comme le symbolise le métissage d'Antoinette : elle est la fille d'un ancien grand propriétaire d'esclaves qui a fait fortune sur l'île et qui s'est suicidé suite à l'écroulement de ses affaires à cause de l'acte d'émancipation de 1833 et d'une femme originaire de la Martinique. Sa famille est rejetée par tous, les autochtones et les britanniques. Comme le dit Rochester : Des yeux en amande, tristes, sombres, étrangers. Elle a beau être une Créole de pure descendance anglaise, ces gens-là ne sont pas anglais ni non plus européens La métisse voit tous ses espoirs de vie normale anéantis par son mariage arrangé avec Rochester, un anglais intéressé et libidineux dont la relation avec Antoinette montre tous les clichés racistes d'une Angleterre coloniale. A son contact, elle perd le peu de raison qui lui restait. Rochester, complètement perdu dans cet espace naturel qui lui est hostile, finit par l'emmener en Angleterre. Dès lors, c'est le décor établi par Bronte que nous retrouvons, avec l'épouse enfermée dans la grange. La dernière scène montre la tentative d'incendier le manoir, mais après avoir lu l'histoire d'Antoinette, le lecteur ne peut plus aussi facilement condamner les élans meurtriers de l'héroïne. l'esclavage : Il n'est pas uniquement lié à la ''race''. Antoinette semble destinée à l'assujettissement, pas simplement parce qu'elle est créole, l'origine ethnique n'y est pour rien, mais plutôt en raison de sa quête d'amour auprès d'un homme qui ne connaît guère ce genre de sentiments. Rochester ne s'intéresse qu'à son corps, pas à sa vie, son passé, et ses états-d'âme. Lui-même est voué à une certaine dépendance, dominé comme il l'est par ses pulsions sexuelles. Je ne l'ai pas achetée, c'est elle qui m'a acheté, ou, en tout cas, elle le pense. Le lien entre folie et féminité: La folie y est exprimée grâce à des images de chaleur, de feu et de sexe, le tout accentué par un décor de nature luxuriante. La femme et le désir qu'elle provoque sont présentés comme nocifs. Le personnage de Rochester m'a fait penser à Nietzsche et ce qu'il disait au sujet des rapports hommes-femmes: L'homme véritable veut deux choses : le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme, le jouet le plus dangereux. Cependant, il ne semble pas bien maîtriser les règles si bien que le jeu, qu'il pense avoir gagné d'avance, finit souvent par se retourner contre lui. Le mariage est présenté comme une institution folle puisqu'elle contraint les femmes à une dépendance totale et très infantile, à la fois financière et affective, vis-à-vis du conjoint. Antoinette essaie autant que faire se peut de lutter contre les tenants d'un système patriarcal même si ce combat doit la mener jusqu'à la folie. Je trouve que cette ré-écriture de Jane Eyre, œuvre pourtant considérée comme étant proto-féministe, complique singulièrement le débat sur le sort de la femme et le débat féministe qui en découle. L'attachement qu'Antoinette porte à sa robe rouge est intéressant, c'est comme si elle était le symbole de sa féminité, associée à la fois à la passion et à la destruction. Aussi, le dépendance financière se pose en obstacle et contraint la femme à l'asservissement, pourtant, pour Antoinette, le richesse n'a aucun sens ni aucune importance alors qu'avec Jane, la situation est plus claire, elle est une femme travailleuse, et autonome. Le texte de Rhys nous montre bien que tout n'est pas si simple, ni l'identité culturelle, religieuse, ou sexuelle et peut-être qu'à trop y réfléchir on finirait comme Bertha/Antoinette, fou à lier. |
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