Maïssa Bey [Algérie]

C'est une auteure que je découvre grâce au DVD des "belles étrangères", vivre et écrire en Algérie.

Pour elle qui vit actuellement à Sidi Bel Abbès, il est difficile d’être à la fois femme, algérienne et francophone. Elle conçoit l’écriture comme la conjuration de ses révoltes et de ses angoisses. Sa production est importante aux éditions de l'Aube :

Entendez-vous dans les montagnes,



cette fille-là, prix marguerite Audoux.

Citation :

l'histoire intime et politique des femmes algériennes. Peu d'écrivains algériens ont réussi à raconter ces femmes du peuple, oubliées par la Révolution, l'Indépendance, l'Algérie elle-même. C'est la colère qui la fait écrire. Une colère salutaire. "

(leila sebbar dans le magazine littéraire)

Sous le jasmin la nuit,

Surtout ne te retourne pas prix Cybèle 2005.

et Bleu blanc vert :

Deux lycées à la rentrée des classes de 1962 apprennent qu'il ne faut pas employer trois couleurs : Le blanc du papier, l'encre bleue et les corrections écrites en rouge rappelleraient trop les couleurs honnies du drapeau français. Durs, les débuts de l'indépendance !

Entendez-vous dans les montagnes ? éditions de l'Aube


Ce récit a été mis en scène par Jean-Marie Lejude et la Compagnie de I.'OeiI du Tigre,

Citation :

le texte de Maïssa Bey «Entendez-vous dans les montagnes» a renvoyé le public plus dé 40 ans en arrière et posé avec sensibilité toutes les :-questions qui restent toujours sans réponses sur la guerre d'Algérie, d'un côté comme de l'autre, sur la colonisation française, sur le racisme aussi.

Il s'agit d'un petit roman de 71 pages, où Maissa Bey évoque des souvenirs de guerre.

Elle avoue avoir mis quarante ans pour pouvoir écrire sur la mort de son père, instituteur torturé et assassiné en 1957 ;

Citation :

L’écriture ne guérit pas mais elle permet de penser à autre chose;

Actuellement il y a en Algérie une floraison de nouveaux moyens d’expression : ce qui explique le grand nombre de peintres et de chanteurs.

Citation :

"A tous ceux qui me demandent pourquoi j'écris, je réponds tout d'abord qu'aujourd'hui je n'ai plus le choix, parce que l'écriture est mon ultime rempart, elle me sauve de la déraison et c'est en cela que je peux parler de l'écriture comme d'une nécessité vitale."

Maïssa Bey a reçu le Grand prix des libraires d'Alger.

A propos de Bleu Blanc Vert :

Citation :

Dès qu'il a posé son cartable sur le bureau, il a dit: à partir d'aujourd'hui, je ne veux plus voir personne souligner les mots ou les phrases avec un stylo rouge ! Ni sur les cahiers, ni sur les copies. D'abord, j'ai pensé que le rouge était sa couleur. Je veux dire, la couleur du professeur. Une couleur réservée exclusivement à tous les professeurs. Pour les corrections et les commentaires. Les bien, très bien, passable, mal, médiocre, les points d'exclamation, d'interrogation, les zéros soulignés, les bonnes et les mauvaises notes entourées ou non d'un certain nombre de cercles pour que les parents les voient bien. Il a ajouté: maintenant vous ne soulignerez plus qu'en vert. Avec un stylo vert. J'ai levé le doigt. Il m'a autorisé à parler. J'ai demandé pourquoi. Pourquoi on ne devait plus utiliser le rouge. Alors il est monté sur l'estrade. Il a expliqué. J'avais tout faux. Il nous a dit que, si on écrivait avec un stylo bleu sur la feuille blanche et qu'on soulignait en rouge, ça ferait bleu blanc rouge. Les couleurs de la France. Celles du drapeau français. Il a dit qu'on était libres maintenant. Libres depuis quatre mois. Beyrouth retrouve sa nuit et s'en voile la face. Si les émeutes de la veille ne l'ont pas éveillée à elle-même, c'est la preuve qu'elle dort en marchant. Dans la tradition ancestrale, on ne dérange pas un somnambule, pa même lorsqu'il court à sa perte.

Pour ma part, mon préféré est Surtout ne te retourne pas.


Résumé
Amina, une jeune fille jusqu'alors sans histoire, profondément ébranlée par le tremblement de terre survenu dans son pays, décide brusquement de rejoindre la cohorte des victimes du séisme. Elle se défait ainsi de son identité, de ses racines, de sa vie même, et va découvrir, au contact d'une humanité ravagée, au milieu du désordre, de la misère, de la précarité - et de la violence aussi -, des aspects encore inconnus d'elle-même... et de cette même humanité.

Citation :

Je marche dans les rues de la ville. J'avance, précédée ou suivie, je ne sais pas, je ne sais pas, mais quelle importance, suivie ou précédée d'un épais nuage de poussière et de cendres intimement mêlées. Je traverse des rues, des avenues, des boulevards, des impasses, des allées, des venelles qui sont à présent chemins de pierres et de terre. Et le présent, démesurément dilaté, se fait stridence, espace nu où s'abolit le temps. [...] Il paraît que j'ai poussé un grand cri, un seul, juste avant d'ouvrir les yeux. Je n'en ai aucun souvenir.

Mon avis
Un très beau texte sur la recherche de l'identité, au-delà du nom et de la généalogie, sur la filiation, etc...

Seb

Entendez-vous dans les montagnes ? éditions de l'Aube.

Ce petit livre a été fait pour mettre fin à un silence : celui de Maïssa Bey sur le mort de son père - instituteur torturé puis exécuté pendant la guerre d’Algérie, mais aussi les silences subis par les trois protagonistes du récit :

Ceux des pieds-noirs nostalgique d’un  «avant » qui occultent la « suite », ceux des combattants français peu désireux de parler des "évènements", ceux des Algériens qui sentent bien que le discours officiel des  « héros » est une récupération politique mensongère.

Le récit est dramatique, au sens propre, puisqu’on voit des personnages à la fois désireux de parler mais peu capables de le faire, et une voix off qui, par séquences, raconte une scène difficile à oublier.

On comprend bien que ce récit soit adapté au théâtre, même si l‘auteur feint de s’en moquer dans sa présentation :

Citation :

« Et voilà, la boucle est bouclée ! Une petite fille de pieds noirs, un ancien combattant, une fille de fellaga. C’est presque irréel ! Qui donc aurait pu imaginer une scène pareille ? […] on pourrait presque en faire une pièce de théâtre, en choisissant un titre anodin, d’une banalité recherchée, par exemple « conversation dans un train ». Acte 1. Les personnages sont en place ».

Donc sur une scène ou un écran, l’émotion passerait mieux à mon avis, qu’à lire un récit dont on devine trop l’évolution.

Lemonde des livres du 4 avril 2008 présente Pierre Sang Papier ou Cendre, magistrale fresque sur la colonisation française en Algérie de 1830 à 1962. (Edition de l'aube)

Le titre vient d'un poème de Paul Eluard. A l'origine de ce récit, le metteur en scène Jean-Marie Lejude, qui a adapté Entendez-vous dans les montagnes, propose à la romancière d'écrire une pièce sur les bienfaits de la colonisation.

Citation :

"D'abord, j'ai refusé tout net car je ne me sentais pas d'écrire sur ce sujet. Puis, peu à peu, l'idée a fait son chemin à travers une interrogation. Moi qui suis le produit de la colonisation française, que m'a-t-elle apporté ou enlevé ? Elle m'a ôté une choseessentielle : mon père, tout en me donnant une autre chose essentielle : une culture et une structure mentale qui m'ont permis de penser cette contradiction qui me constitue."

Citons encore la romancière parlant de la colonisation:

Citation :

"Je ne dénonce rien, j'énonce simplement, non pas ma vérité mais une vérité. D'ailleurs, comment pourrais-je condamner quelque chose dont je suis le produit..."

Sur Pierre Sang Papier ou Cendre, les critiques de "tout arrive" sur france culture émettaient des réserves : le récit étant celui d'un enfant, il comporte des naïvetés qui peuvent se retourner contre lui, comme si le peuple indigène était resté dans l'enfance, disait un des intervenants.

En revanche, celui qui a défendu le livre, notait qu'il relevait plus du théâtre que du roman, ce que je veux bien croire puisque j'avais fait la même remarque à propos de entendez-vous dans les montagnes ? .

Je pense que c'est une écrivain captivante ,je lirai
si je le trouve UN de ces romans
Amadak

Sous le jasmin la nuit

Onze nouvelles, onze destins de femmes. La première ne m'a pas accrochée, mais petit à petit, je suis rentrée dans les récits, pour m'y enfouir à partir de la superbe Improvisation.

Une voix originale, une écriture poussée comme un cri, le constat d'une société écrasante...

Je crois que je vais continuer la lecture de cette auteure singulière.

Citation :

Sur Pierre Sang Papier ou Cendre, les critiques de "tout arrive" sur france culture émettaient des réserves : le récit étant celui d'un enfant, il comporte des naïvetés qui peuvent se retourner contre lui, comme si le peuple indigène était resté dans l'enfance, disait un des intervenants..

C'est effectivement un enfant qui voit Madame Lafrance venir avec ses bateaux apporter "l'inaltérable lumière de la civilisation" à ces "barbares incultes".

Maissa Bey cite avec ironie, dans ce contexte militaire de la conquête, les expressions tradiionnelles : "France mère des armes et des lois", "la fille aînée de l'Eglise", ce qui ne manque pas de piquant.

La Madame la France chapeautée, corsetée et entravée dans une jupe à longue traîne est tournée en dérision, elle s'incarne dans les différents rôles qu'on connaît au colonisateur, l'institutrice, le général, l'officiel etc.

Jusqu' aux artistes :

Citation :

cette race deguenillée, en lambeaux, drapant sa nudité avec une couverture à jours est superbe à voir.

On aurait pu citer Colette.

Le constat de certains est lucide :

Citation :

Nous avons rendu la société arabe beaucoup plus misérable et plus barbare qu'elle ne l'était avant de nous connâître"

dit Alexis de Tocqueville.

Paradoxalement les procédés de dérision de "Madame Lafrance" arrogante aboutissent dans ce récit à une grandiloquence (anaphores, reprises, couplets) qui, à mon avis, dessert la cause de l'auteur algérienne.

Toutes les colonisations sous prétexte de civilisation ont commis des outrages contre les peuples "barbares".
Je n'ai rien lu d'elle encore, mais je sens que sa personnalité est coupée en deux:sa source arabe et sa formation occidentale

Tchipette a écrit:

Je crois que je vais continuer la lecture de cette auteure singulière.

Tchipette surtout ne te retourne pas !
(je veux dire: "Tchipette, je te recommande particulièrement la lecture du roman de Maïssa Bey intitulé Surtout ne te retourne pas.")

bonjour à toutes et à toutes! Bonne fete de la femme!

J'ai trouvé un article intéressant sur le livre de Maissa Bey: Cette fille- là
Alors je vous en donne le lien et svp dites moi votre avis! Merci


Nestor : je remets le lien correctement
maissa bey

cindymine a écrit:

bonjour à toutes et à toutes! Bonne fete de la femme!

aujourd'hui , pensons aux femmes! bon d'accord, on y pense déjà tout le temps, mais mettons les bouchées doubles


merci Cindymine pour cet article très intéressant.
je crois que le thème de la reconquête d'une identité se trouve aussi dans Surtout ne te retourne pas.

bonjour Seb,
merci de ta réponse
oui j'ai lu ce livre Surtout ne te retourne pas et c'est vrai qu'on retrouve le même thème obsédant de reconquête de l'identité.

Quand à la fin du roman,

Spoiler:

on a l'impression que c'est tout le regard sur la généalogie officielle qu'il faut remettre en question
Cette fille-là est un texte très touchant parce qu'il est consacré aux femmes "rebuts" de la société algérienne

a bientôt

C'est en effet une bonne idée d'attirer l'attention sur ce livre - que je n'ai pas lu et que l'article invite à découvrir.

Les problèmes d'identité dans la société algérienne, je les découvre à la lecture de nedjma de kateb yacine.

Les considérations sur le Keblout, la tribu originelle, les généalogies compliquées, trompeuses, et reposant sur des mensonges et des compromissions, révélent les difficultés d'un peuple à se reconnaître dans les épisodes de son histoire, bouleversée par des occupations..

le petit éloge de la mémoire, 4000 années de nostalgie de Boualem Sansal aide à à faire le point, et à ne pas regarder le pays sous le seul angle de l'histoire récente liée à la France.

Le monde publie aujourd'hui un article sur Maissa bey ou la necessité de l'ecriture non disponible sur le Web. Christine rousseau la considère comme

Citation :

"une des grandes voix de la littérature algérienne. une voix qui a surgi au coeur des années noires, celles qui frappèrent l'Algérie en 1990"

Dansbleu blanc vert Aube 2006, elle retraçait l'histoire d el'Algérie de 1962 à 1992 comme "l'histoire de sa génération et d'un espoir floué"

Son dernier livre Pierre, Sang, Papier ou Cendre est aux yeux de Christine Rousseau, une fresque magistrale, nourrie des citations politiques et littéraires, où on croise Albert Camus et Kateb Yacine.

Citation :

Maïssa Bey dépeint les violences, les douleurs, la soumission et la déculturation de tout un peuple, mais aussi les exactions commises de part et d'autre. Que l'on pense notamment à la répression sanglante de l'armée française le 8 mai 1945 à Constantine, ou au massacre par le FLN des hommes du village de Melouza, le 29 mai 1957.

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Actuellement Maissa Bey a écrit un court texte autobiographique l'une et l'autre 58 pages, paru chez l'aube ce 12 mars.

Tchipette a écrit:

Sous le jasmin la nuit

Onze nouvelles, onze destins de femmes. La première ne m'a pas accrochée, mais petit à petit, je suis rentrée dans les récits, pour m'y enfouir à partir de la superbe Improvisation.

Avec improvisation, je retrouve le goût de Maissa Bey pour le théâtre; bien que ce titre fasse partie d'un recueil de nouvelles ; elles font toutes une dizaine de pages, soit 5 feuilles petit format. je peux l'envoyer à qui me donne son courriel par Mp.

Je lirais volontiers cette nouvelle, rotko, merci d'avance

pareil pour moi Rotko, on te doit combien?  

je te l'envoie de suite; c'est parti ! les envoyer, ce n'est rien, mais il y a du boulot avant ; bonne lecture.
l'idée d'enregistrer une lecture de texte me plairait bien, et on pourrait aussi partager des textes lus avec daisybraille, sans parler du plaisr d'entendre l'interprétation d'ysandre

bah oui, j'aimerais bien aussi faire cette lecture, mais mon fils n'a pas le temps en ce moment, il revient juste d'Angleterre et il est un peu débordé. Et moi je ne sais pas comment faire !
j'ai lu le début à haute voix, c'est vraiment un texte à "dire".
le lémurien est empoté comme une poule qui a trouvé un couteau !!! la technique et moi .....!

je viens de lire cette nouvelle "improvisation" qui est un petit bijou.

Une jeune femme sur scène se décrit, s'explique, et se raconte dans le cadre d'une audition.
Prise par le sujet, en fait elle se laisse aller et sa vie se déroule devant un public imaginaire et nous allons avec elle au fond de ses rêves, de ses peines et de ses joies.
très très bien écrit, un petit régal de lecture

moi aussi je l'ai lu et appécié. Je donnerai mon avis l'un de ces jours, je vais chercher celui de Castellanos Moya "le bal des Vipères"

Improvisation, une très belle nouvelle qui tient du monologue intérieur et de la tirade de théâtre, entretenant pour le lecteur-spectateur une confusion ou plutôt une fusion entre le personnage dans la vie et celui qui tente sa chance pour un rôle.
Cette "improvisation" est très bien construite : la femme se met en scène elle-même dès le début en adoptant des poses, elle crée un décor dont l'élément essentiel sera le miroir virtuel dans lequel elle se contemple mais aussi celui qu'elle nous offre en nous invitant, en somme, à regarder au-delà du miroir.
En s'attardant sur l'expression de son pays "frappé par le vent", la protagoniste amorce la confidence sur les origines ; elle mêle alors les commentaires sur sa capacité à s'en sortir dans sa vie d'immigrée afin de "se faire accepter par les autres" et son aptitude à jouer le rôle "fait pour elle", celui pour lequel elle passe l'audition en cours.
La nouvelle se poursuit habilement avec des rebonds sur des mots comme "choix" ou "heureuse" (au féminin), des associations d'idées. Plus le texte avance, plus celle qui parle se livre, d'abord à elle-même, ensuite aux spectateurs chargés d'évaluer une actrice, enfin à nous, lecteurs anonymes. Elle a choisi de ne pas ressembler à sa mère, femme soumise et silencieuse ; ce faisant, elle devient poignante car elle révèle sa condition de femme qui a dû "jeter par-dessus bord [ses] souvenirs" et tout son passé afin de s'intégrer, ou du moins d'essayer, à un monde qui n'est fondamentalement pas le sien.

Ce que j'ai préféré dans cette nouvelle, outre sa forme théâtralisée, c'est cette façon de montrer la solitude, la dépersonnalisation de cette femme qui ressemble beaucoup plus qu'elle ne le pense à sa mère, ailleurs et dans un autre temps ; avec en point d'orgue en quelque sorte, l'idée que celle qui parle ainsi sur une scène prend peu à peu conscience de cette absence d'identité réelle pour sa mère, pour elle et pour nombre de femmes.

Oui Nic je suis tout à fait d'accord avec toi.
j'ai eu le même ressenti de solitude mais aussi de l'envie de s'en sortir, malgré tout en "jetant par dessus bord" ses souvenirs