Jacques Chessex

« Le vampire de Ropraz » de Jacques Chessex, chez Grasset.




Le vampire de Ropraz se présente comme le journal d’une enquête, sec et solide, qui relate des faits. Au moins en apparence, car saisi du virus de l’affaire à éclaircir, Jacques Chessex donne à l’histoire le charme vénéneux de la légende - horrible, puis la cohérence d’un fait-divers aux ramifications et prolongements inattendus.

Il campe d’abord le décor, avec plus de précision géographique qu’un Pierre Jourde, mais sans allusion transparente à d’éventuels secrets honteux de l’habitant :

Citation :

Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois 1903. C’est un pays de loups et d’abandon au début du XXe siècle mal desservi par les transports publics à deux heures de Lausanne, perché sur une haute côte au-dessus de la route de Berne bordée d’opaques forêts de sapins. Habitations souvent disséminées dans des déserts cernés d’arbres sombres, villages étroits aux maisons basses. Les idées ne circulent pas, la tradition pèse, l’hygiène moderne est inconnue. Avarice, cruauté, superstition, on n’est pas loin de la frontière de Fribourg où foisonne la sorcellerie. On se pend beaucoup, dans les fermes du Haut-Jorat. Aux poutres faîtières. On garde une arme chargée à l’écurie ou à la cave. sous prétexte de chasse ou de braconne on choie poudre, chevrotine, gros pièges à dents de fer, lames affûtées à la meule à faux. La peur qui rôde.

Ensuite vient le sobre procès-verbal des macabres découvertes, des investigations vaines et la ronde des présumés coupables, jusqu’à ce qu’enfin on tombe sur le suspect idéal, providentiel, un garçon de ferme taiseux, à l’enfance maltraitée et qui n’a de commerce qu’avec les vaches de l’étable.

Citation :

De son nom complet, le malheureux est Charles Augustin Favez. IIl a vingt et un ans, en paraît le double, drôle de corps, tête fuyante, alcoolique, vicieux, taiseux. Et il s’amuse avec nos bêtes ! Est-ce qu’il roderait dans les cimetières ? Et si c’était Favez le coupable, Favez à la tombe de Rosa, lui encore à Carouge, encore Favez à Ferlens ! Bien sûr c’est Favez, le monstre. C’est lui, le vampire de Ropartz[…]

Ce jeudi 14 mais, un seul cri monte du Jorat, et plus loin dans tout le pays : « on tient le vampire ! C’est lui le vampire ! » Oui c’est lui, pire que le loup, ou l’ours surgi des légendes, qui a souillé trois corps de jeunes mortes à Ropraz, à Carrouge, à Ferlens, lui qui nous a terrorisés, c’est lui maintenant qu’il faut juger, c’est pour lui qu’il faut rétablir la haute peine.

Chronique de l’hystérie d’un village, le vampire de Ropraz est certes une œuvre de fiction, mais qui se présente comme un fait-divers éclairant les comportements humains ; c‘est, la description d’un de ces pièges de fer aux dents pointues qui se resserre mécaniquement sur le pauvre bougre qui passait par là.

un moment, le "Vampire de Ropraz" ou présumé tel, est enfermé dans une cellule, et sous forme de pièces du dossier, on apprend qu'une femme non identifiée lui rendait visite. L'ecrivain présente tellement bien l'affaire qu'on la gobe sans brocher.

Ca voudrait dire que le "fantasme du vampire" exerce une attirance sur les - ou certaines, femmes ?

j'aurais pensé le contraire, mais attirance et répulsion auraient-elles des adeptes communs ?

moi je pose la question naïvement, et ce n'est pas pour un sondage

Un mot sur ce petit livre : l'histoire est bien menée, assez banale malgré tout. Mais la toute fin du roman, dans les deux dernières pages en fait, est absolument géniale. Le bouquin m'en est tombé des mains ! Je n'en dis pas plus...

la revue Lire s'intéresse à Jacques Chesseix qui habite de village de Ropartz dont il parle dans le vampire.

il évoque sa mère dans deux romans pardon, mère et la revanche des purs, tous deux chez Grasset.

Dans sa bibliothèque, un couteau de boucher qui aurait servi à son personnage du vampire.

Mort de jacque chessex

Citation :

Ses derniers livres, brefs, percutants, ils les avait écrits sur des crimes. Sur le mystère de la morale, parce que la morale était son problème et c’est, entre autres, ce qui le rattachait à la littérature.

le temps.

le vampire de Ropraz ne laisse pas indifférent ! (remonter sur le fil)

Extraits d'un article du temps

Citation :

Son écriture, d’abord humoristique et «humoresque», sut se faire de boue pour restituer les aubes lourdes et gluantes, légère et souveraine pour les ailes des oiseaux, austère pour chanter Saint-Augustin et Job. Et soudain une note de fraîcheur et de drôlerie, un virage vers l’allegria (c’est le titre d’un de ses derniers récits).

Citation :

L’œuvre est marquée par des éclats de lumière et des éclats de noir: l’érotisme, omniprésent, est sans cesse mêlé au sentiment de la faute, le bonheur, parfois fulgurant, demeure précaire, menacé et menaçant lorsqu’il n’est pas associé à un bestiaire plein de tendresse, ou comme dans Feux d’orée à l’évocation superbe des campagnes vaudoises

«Le Dernier Crâne de M. de Sade» , dernier roman de Jacques Chessex .

Citation :

Un divertissement carnassier, brillant, provocateur et sulfureux, logique dans l’œuvre de l’écrivain disparu

commente le Temps qui note,

Citation :

l'ouvrage fait même songer parfois, par son ton faussement documentaire, à un procès en canonisation littéraire en faveur du divin marquis.

Il recense en effet les derniers jours prodigieux et inquiétants du vieil écrivain libertin incarcéré à l’hospice de Charenton, puis se lance dans les récits successifs des miracles accomplis jusqu’à nos jours par les restes de Donatien Alphonse François de Sade.

chez Grasset le 6 janvier.

Le roman posthume de Jacques Chessex, La Tête de Sade, sera vendu sous cellophane, pour cause de scènes à caractère pornographique.

Rien de tel pour booster les ventes...

De Chessex, je n'ai malheureusement lu que "L'éternel sentit une odeur agréable";
J'ai déjà aimé le titre avec la mise en parallèle de la Genèse 8:21 "L'Eternel sentit une odeur agréable, et l'Eternel dit en son coeur: Je ne maudirai plus la terre, à cause de l'homme, parce que les pensées du coeur de l'homme sont mauvaises dès sa jeunesse; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l'ai fait."
Puis on pense à "parfum de femme"...
Un roman à la fois farce et tragédie....vraiment très intéressant!!

Bridget Jones a écrit:

Le roman posthume de Jacques Chessex, La Tête de Sade, sera vendu sous cellophane, pour cause de scènes à caractère pornographique.

Rien de tel pour booster les ventes...

tu as raison de dire que le sexe attire un certain public mais encore faut-il que l'auteur soit connu. Avant d'acheter on aime feuilleter quelque mot par ci par là ou la 4e de couverture. Pour ce qui est d'un livre sous cellophane, il faut avoir confiance en l'auteur.

Citation :

Depuis ses premiers livres, dont «la Confession du pasteur Burg», Chessex était habitué à être détesté, vilipendé, menacé, apostrophé – il le sera jusqu’à son dernier souffle

Article sur Bibliobs et annonce de son livre posthume : L’Interrogatoire, par Jacques Chessex,
Grasset, 162 p.

Le fil sur Gorz m'a fait penser à Chessex, mort il y a peu. Il a livré, quelques temps avant de mourir, un tombeau (Pardon mère, Grasset)pour sa mère absolument admirable et sans impudeur dans lequel il adresse un profond message d'amour. C'est un livre qui m'a beaucoup marqué et peut-être physiquement éprouvé.

Voici ce qu'en disait Barrot lors de sa parution:
Chessex, Pardon mère

Le dernier crâne de M. de Sade. Lecture prenante et jubilatoire (j'assume ce mot ).

Au fil de ma lecture, l'image du Piss Christ m'est passée par la tête. Vaste programme que de vouloir rendre des mythes tels que Sade ou Jésus à leur nature humaine.

1814. M. de Sade est un vieil homme en proie aux tourments du vieillissement : « M. de Sade n'est plus l'arrogant aristocrate de la légende, mais un vieux corps écailleux et rouge, gonflé de goutte, d'ulcères, de liquides épaissis. »

Pourtant, malgré les terribles contingences du corps humain, ce marquis-là semble encore la source d'étranges phénomènes. Ainsi parle-t-on de cette « aura métallique, à la fois phosphorescente et brûlante, couleur de soufre et par saccades atrocement lumineuse, (…) incontestablement diabolique. » Ou encore de l'étrange magnétisme de l'homme : « À croire que M. Sade m'a envoûté. Est-ce à dire qu'il aurait tous les pouvoirs que la légende lui prête ? » L'écrivain répond : « Vous savez que je n'y crois pas. »

Comment un simple être humain est-il devenu définitivement le symbole du mal ? « C'est parce que l'homme est seul qu'il a si terriblement besoin de symboles. D'un crâne, d'amulettes, d'objets de conjuration. La conscience vertigineuse de la fin de l'être dans la mort. À chaque instant, la ruine. Peut-être faudrait-il regarder la passion d'un crâne, et singulièrement d'un crâne hanté, comme une manifestation désespérée d'amour de soi, et du monde déjà perdu. »

Car c'est bien cette Église, aidée en cela par la « bonne » société, qui a créé la légende, semble dire Chessex. L'homme s'est emparé d'une icône censée personnifier le « bien » pour fonder une religion. Mais celle-ci ne pouvait survivre et prospérer sans créer une deuxième figure : celle du mal. Alors, ce marquis de Sade, quelle aubaine ! « Pour l'abbé Geoffroy, sans répit, le monde se résout dans un affrontement : le diable contre Dieu. Et M. de Sade, c'est le diable. »

Chessex met d'ailleurs en évidence avec malice la condamnation absolue de l'impiété blasphématoire du marquis alors qu'on ferme les yeux sur ce que le vieillard va faire subir à une gamine : la mère sera financièrement dédommagée, un abbé se fera raconter avec gourmandise tous les menus détails des « chambres » et les autres ne s'en soucieront pas le moins du monde. Vaste hypocrisie que Sade aura combattue avec acharnement : « une parole acérée malgré l'infirmité de la bouche, un regard d'azur pur sur les mensonges du monde. » Car la violence de sa vie et de ses écrits n'est pas différente de celle que l'on agrée partout ailleurs en se signant dévotement, « sur les places patibulaires, les nuits de supplice, sous les tréteaux où rôdent les chiens ».

Ainsi, le monde serait simple : d'un côte le bien, de l'autre le mal, rien au milieu. Et la possibilité de traquer et d'enfermer au non de ce bien, pour lutter contre ce mal. Jusque sur la tombe de la chair morte : « L'Église qui triomphe d'un cadavre ». Il s'agit pourtant de bien plus : consolider sa position sur les cendres d'un symbole, désigner l'épouvantail aux oisillons. Bien au-delà de la mort, puisque – pour la paix des « bonnes » âmes - le crâne lui-même conservera les propriétés de la légende. « Il y a une étrange vertu dans les reliques. Les plus endurcis d'entre nous, les plus téméraires aventuriers du néant, les matérialistes, les athées même ne peuvent s'empêcher d'être saisis parfois jusqu'à l'adoration nerveuse, par les restes d'un saint, d'un dément abyssal... »

Ce récit posthume de Jacques Chessex aurait pu s'appeler : La mort du voisin. En effet, lorsqu'un voisin âgé meurt de sa mort naturelle, et qu'une cérémonie en français et en allemand a lieu dans la chapelle du village, il s'y rend. Tout le talent de l'écrivain va consister à rendre la palette d'émotions qui le saisissent et nous saisissent.
Bonheur et honte de survivre, et certitude, hélas, de ne pas survivre longtemps : « Vide et béance, la folie gagne, je tomberai sur le sol noir au sortir d'ici, à la lumière éblouissante du grand jour, tous ils verront ma chute et passeront sans m'appeler. » Mais aussi, le retour du passé, en images fulgurantes et superbes, un fou qui hante les rues de Ropraz, un visage de jeune homme suicidé, une amante et consolation du narrateur, dénommée Blandine, au sexe de miel.

présentation sur Bibliobs