Henri Michaux

Journal et récit de ses péregrinations en Asie, de ses étonnements et de ses rencontres, Un barbare en Asie est aussi une recherche de sagesse, voire de spiritualité, le tout servi par une langue impeccable, concise et poétique .

Citation :

La chauve-souris n'est pas un oiseau, si l'on veut. Mais elle leur apprendra, à tous, à voler. Un pigeon, on dirait qu'il pagaye, qu'il bat l'eau, tant il fait du bruit avec ses ailes. La chauve-souris, personne ne l'entend. On dirait qu'elle prend l'air comme un drap, avecles mains.

Avec son long bec et sa tête de torpilleur, le corbeau est un noir poltron.
Aux Indes, un quart d'heure avant le coucher du soleil, il devient vorace, et risquant le tout pour le tout, vient se jeter sur le morceau de pain donné par une petite fille timide. Cette témérité est l'affaire d'un moment, puis il s'envole à tire-d'aile vers son nid, un nid dur et fait sans goût. Il y a des dizaines et des dizaines de millions de corbeaux aux Indes.

Dix minutes après, vient la chauve-souris, ici, là, où ? l'affolée silencieuse, avec ses ailes qui ne pèsent rien et ne font même pas soupirer l'air. On entend un oiseau-mouche; une chauve-souris, non. Et elle ne traverse jamais un espace en ligne droite. Elle suit les plafonds, les corridors, les murs, elle fait du cabotage. Puis la voilà sur une branche et aussitôt s'y pend par ses peaux, comme pour dormir. Et la lune silencieuse l'éclaire.

Difficile de définir un barbare en Asie (1) d’henri Michaux. Entre le carnet de voyage et les petites chroniques sur des domaines différents, l’auteur y livre ses impressions, ses réflexions tant sur la quotidien que sur la recherche d’une spiritualité par exemple. Il n’y a pas de petits et de grands sujets. Tous sont abordés avec la même simplicité ingénue ou ironique. Il parle aussi bien des combats de fourmis que des seins des Balinaises.

On retrouve son étonnement dans celui qu’il suscite chez le lecteur par de phrases inattendues :

Citation :

Quand chez un Hindou, quelque chose ne va pas, m^me s’il est riche, marié, père de dix enfants : « Bon s’il en est ainsi, je vais mendier ». Il confie sa fortune à son neveu et s’en va mendier.

Plus tôt il avait prévenu le lecteur :

Citation :

Un aveugle pauvre en Europe excite déjà une compassion notable. Aux indes, qu’il ne compte pas sur sa cécité pour émouvoir…non, qu’il ajoute à sa cécité, des genoux broyés, un bras coupés, ou tout au moins la main, et qu’elle soit sanguinolente autant que possible, puis une jambe d moins et le nez rongé, cela va de soi. Un peu de danse de Saint-Guy dans ce qui reste, alors il pourra se présenter utilement.

Pour lire quelques extraits bien présentés... .

(1) L'imaginaire chez Gallimard.

Citation :

En fait de misère et de dénuement, on n'étonnera jamais l'Hindou.
Il faut voir les hôtels qu'il ya chez eux. Diogène faisait l'original parce qu'il habitait un tonneau.
Bon ! mais jamais il ne songea à lelouer à une famille, ou à des voyageurs de Smyrne, ou à le partager avec des amis

Michaux fit ses voyages en 1931, un Barbare est publié en 1933.

Le magazine littéraire n°200 de 1985, consacré à Michaux éclaire le lecteur sur les voyages de l'ecrivain : voyages réels, relatés dans un barbare en Asie et dans Ecuador, mais aussi imaginaires, avec "voyage en grande Carabagne" ou au pays de la magie

le jardin exalté paru en 1983 chez Fata Morgana, transmet l'expérience d'un trip, sans que la drogue utilisée soit précisée.

On y trouve à la fois la vision onirique du poète et l'examen scrupuleux, quasi physiologique de l'observateur.

Citation :

"mon coeur en chair et en muscles dans ma poitrine me fait souffrir, entretenant maux, malaises et pensées de désagrément"

je donnerai plus tard des passages plus représentatifs de ce voyage où "l'espace du dedans" et du dehors se confondent.

Citation :

Entre Terre et Cieux - félicité dépassée- une sauvagerie inconnue renvoyait à une délectation, à la transgression au plus haut comme au plus intérieur, là où l’indicible reste secret, sacré.
.
S’y ajoutait seulement, s’y agglutinait (venant d’on ne sait où) scansion imperturbable, un rythme sourd, fort,mais également intérieur, tel le martèlement d’un cœur, qui aurait été musical, un cœur venu des arbres, qu’on ne leur connaissait pas, qu’ils nous avaient caché, issu d’un grand cœur végétal (on eût dit planétaire), cœur participant à tout, retrouvé, enfin perçu, audible aux possédés de l’émotion souveraine, celle qui tout accompagne, qui emporte l’univers.

le jardin exalté

Rotko, tu me fascines : tu as posté ton message à 6h49 !!!

Il y a donc des gens qui ne dorment pas, à cette heure-là, un samedi ?

Ceci étant, ce passage est magnifique.

Encore une fois, je retrouve là un peu de ce qui m'a fascinée dans Siddhartha, en moins serein, certes, mais avec cette même conception de l'univers.

Michaux décrit une expérience sous l'empire de la drogue : il avait du produit et avec une amie il s'est rendu pour cette experience dans un jardin, a mis de la musique etc.

Michaux a été très prudent dans l'emploi de la drogue, veillant toujours à son "retour".

Ce texte de 28 pages qu'on trouve dans les bibliothèques montre que Michaux ne se payait pas de mots.

C'est aussi une forme d'approche de ses dessins, car il a pratiqué les deux itinéraires.

Lîlâ, quand tu veux, ouvre un fil sur les écrivains et la drogue : c'est un thème riche (et non une incitation ou je ne sais quoi!)

Tes désirs sont des ordres, Rotko.

Fil ouvert sur l'art et la drogue (j'ai élargi un peu le thème pour ceux qui voudraient parler aussi des autres types d'art où la drogue a pu jouer un rôle).

En effet, Michaux n'a fait l'expérience de la drogue qu'entouré d'amis et de médecins, pour éviter toute dépendance et tout "accident".

On ne peut en dire autant de tous....

Dans cette expérience de drogue, relatée dans le jardin exalté, Michaux observe le visage d’une femme qui a pris du produit :

Expérience de révélation sur le visage.

Citation :

« En peu de temps elle montra une étonnante famille de visages, qu’elle portait sans le savoir, outre l’ancestrale, et celle des parent (éloignés ou poches, une famille potentielle, à l’évolution inconnue, que personne sans doute ne lui vit jusque là ; aux caractères multiples qui dans sa vie resteront susceptibles d’apparaître l’un au détriment du suivant ; lutte à qui dominera l’autre, voilà que par le fait d’organes et de glandes diversement atteints, ils sont, en raccourci, avec l’humeur corrélative, montrés en quelques minutes, dégagés, étalés, qu’elle ne voit et ne soupçonne pas et continue d’exposer, innocente. »

Cette citation me rappelle l'obsession de Michaux pour les "figures", que ce soit dans ses textes ou ses peintures.

Etrange coïncidence : parmi ces figures, il voyait les liens du passé, comme sur le visage de cette famille les visages d'un passé proche ou lointain.

Intéressant.

le jardin exalté,

Expérience d’un autre mode de sentir sur un support musical.

 

Citation :

un disque. un lied fut mis, puis écarté. Je ne voulais pas d’un entraînement européen et de cette époque.

Un autre disque, de musique Karnatique lui succéda. Les premières notes, àl’instant d’une importance inouïe furent comme frappées à l’intérieur de l’oreille même […]Elle nous cueillait au passage. Force intérieure de l’Inde, encore intensifiée ; celle-ci apportait prééminence, poussait à la grandeur, alliée à de la ferveur, à une ferveur impersonnelle.

Comme l’eau avance dans le lit d’un fleuve, pareillement la musique avançait dans le lit de mon être, entretenant, entraînant ampleur et aspiration à l’ampleur.

La dernière phrase est magnifique.

On va dire que c'est une obsession, mais ça m'évoque une fois de plus Siddhartha.

Rien de religieux chez Michaux, et s'il ya volonté de se dépouiller d'une culture - européenne notamment, il oeuvre avec prudence, se demandant toujours par quoi il remplacera ce qu'il veut quitter.

Poteaux d'angle devrait te plaire, avec des aphorismes et des pensées à méditer.

tu pourrais ansi alterner Michaux pour les jours pairs, et Cioran pour les impairs

ce n'est qu'une idée, pas des places de stationnement intellectuel obligatoire

Non, car j'aime varier mes lectures, et je reste actuellement sur le Bouddha de banlieue.

Et puis dans tout ça, où caserais-je mes autres chéris ?!

Hesse, je ne pourrais plus le mettre, par exemple.

Ceci étant, je ne disais pas ça du tout pour une question de religion, mais pour le rapport au fleuve, à l'universel, aux mille visages de l'univers...