C'est de qui ? - Henri Barbusse

Poterloo marche depuis un mois dans des bottes de fantassin allemand, de belles bottes quasi neuves avec leur fer à cheval aux talons. Caron les lui a confiées lorsqu’il a été évacué pour son bras. Caron les avait prises lui-même à un mitrailleur bavarois abattu près de la route des Pylônes. J’entends encore Caron raconter l’affaire :

- Mon vieux, le frère Miroton, il était là, le derrière dans un trou, plié ; i zyeutait l’ciel, les jambes en l’air. I’m’ présentait ses pompes d’un air de dire qu’elles valaient le coup. « Ça colloche » , que j’mai dit. Mais tu parles d’un bizness pour lui retirer ses ribouis : j’ai travaillé dessus, à tirer, à tourner, à secouer, pendant une demi-heure, j’attige pas : avec ses pattes toutes raides, il ne m’aidait pas, le client. Puis finalement, à force d’être tirées, les jambes du macchab se sont décollées aux genoux, son froc s’est déchiré et le tout est venu, v’lan ! Je m’ai vu, tout d’un coup, avec une botte pleine dans chaque grappin. Il a fallu vider les jambes et les pieds d’dans.

-  Tu vas fort !…

- Demande au cycliste Euterpe si c’est pas vrai. J’te dis qu’il l’a fait avec moi, lui : on enfonçait notre abattis dans la botte et on retirait de l’os, des bouts de chaussettes et de morceaux de pied. Mais regarde si elles en valaient le coup !

C'est pas dans la rubrique jeu ?

Coucou me revoilou

C'est dans Le Feu d'Henri Barbusse.

oui, c'est dans le feu d'henri Barbusse. J'ai mis ce texte ici parce qu'ouvrant mon dico ce matin, j'ai lu :

Citation :

Céline,[...] romancier francais, il a révolutionné l'écriture par l'introduction du langage parlé, souvent argotique, Voyage au bout de la nuit (1932)

C'est le dictionnaire Hachette que Xian veut me racheter

Le feu d'Henri Barbusse date de 1916.

Oui, sur le coup je me suis fait la même réflexion.
Mais ce n'est pas la même chose : Barbusse transcrit dans un dialogue la parole argotique d'un personnage. Céline s'approprie en tant que narrateur la parole argotique qu'il transforme en objet littéraire. Enfin, il me semble !

tu as sans doute raison, je découvre Henri Barbusse avec ses dialogues qui laissent entendre des voix avec leur accent pris sur le vif.

Citation :

Ah! Les potes, hein, la barbaque qu’on nous a balancée hier, tu parles d’une pierre à couteaux ! Du bifteck de bœuf, ça ? Du bifteck de bicyclette oui, plutôt. J’ai dit aux gars : « Attention vous autres ! N’mâchez pas trop vite : vous vous casseriez les dominos; des fois que le bouif aurait oublié de r’tirer les clous ! »[…]

-D’aut’fois, pour que tu t’plaignes pas qu’c’soit dur, i’t’ collent en fait de bidoche, qué’ qu’ chose de mou : d’l’éponge qui n’a point de goût, du cataplasme. Quand tu croûtes ça, c’est comme si tu boives un quart d’eau, ni plus ni moins.

- Tout ça, dit Lamuse, ça n’a pas d’consistance, ça ne tient pas au bide. Tu crois que t’es rempli, mais au fond de ta caisse, t’es vide…

La voix du narrateur est différente, mais Barbusse sait camper l' atmosphère de pesanteur imbibée d'un brouillard :

Citation :

Un peu plus de lumière a filtré des brumes qui enveloppent la terre. Mais le temps est resté couvert, et voilà qu’il se résout en eau. La vapeur d’eau s’effiloche et descend. Il bruine. Le vent ramène sur nous son grand vide mouillé, avec une lenteur désespérante. Le brouillard et les gouttes empâtent et ternissent tout : jusqu’ à l’andrinople tendue sur les joues de Lamuse, jusqu’à l’écorce d’orange dont Tulacque est caparaçonné, et l’eau éteint au fond de nous la joie dense dont le repas nous remplis L’espace s’est rapetissé. Sur la terre, champ de mort, se juxtapose étroitement le champ de tristesse du ciel.