Récit évolutif n° 2 - Le Récit

Nous sommes réunis dans une salle de cet hôtel, afin de discuter d'une stratégie de gestion de GDS, tout se tient... Un employé annonce sur son ardoise "Call for Mr Jacques".

Rotko interrogea Jacques du regard, suivi de Marie. Jacques fit un bref signe du visage signalant aux autres qu'il avait repéré l'employé et sa pancarte-pas-discrète-du-tout. Il se leva et se dirigea vers le téléphone, méprisant moins le loufia pour son indiscrétion que pour avoir prononcé le Nom.

La tablée observait l'employé, les regards indifférents, car leurs pensées ailleurs, dans le groupe.

Nous étions tous réunis pour discuter du devenir de GDS et surtout autour d'une table conviviale et discrète. Or, ce coup de fil pour Jacques nous étonna tous. Qui savait que nous étions dans cet hôtel ? Il était pourtant très clair que nous ne devions parler à personne de ce rendez-vous ? Pour preuve, Marie, qui était mariée n'avait pas soufflé mot à son mari de cette escapade. Il la croyait encore à Paris en train de faire les soldes. Elle lui avait dit:
- Je pars une semaine à Paris avec Coline.
Il avait dit: "D'accord, tu fais ce que tu veux."
Ils étaient donc tous bien au courant : ils se réunissaient dans le plus grand secret... Et pourtant Jacques avait été appelé au téléphone?

Rotko avait effectivement demandé que cette réunion soit tenue "totalement secrète"! Il faut dire que l'heure était grave et nécessitait une mobilisation générale de la plus haute importance. Nul ne devait manquer à l'appel. Et sur place, nul ne devait être distrait de la question essentielle dont il convenait de débattre sans perdre de temps .
Coline avait écourté ses vacances...Elle en avait quelques regrets mais l'insistance de Rotko lui avait fait mesurer l'importance de cette réunion...Ce qui lui avait été le plus difficile, c'était de se lever pour arriver ici à une heure aussi matinale. Elle sirotait ce qui était déjà son troisième café.

Colbrune songea qu'elle avait abandonné son portable dans sa chambre, afin que cette réunion ne soit pas inutilement interrompue par les appels intempestifs de sa nombreuse progéniture. Ses lous étaient en de bonnes mains, les détails elle les aurait à son retour, les petites disputes pourraient bien se passer d'elle quelques heures, elle les appellerait ce soir, au calme.

Mais se pourrait-il que Monsieur Jacques fasse partie de ces gens dont l'entourage ne peut se passer une seule minute ? On ne sait presque rien les uns des autres dans le fond. C'est peut-être un homme d'affaires très affairé, ou un père - voire un mari ou un amant - très intentionné. La réunion n'avait même pas commencé, on avait attendu quelques retardataires (dont Colbrune faisait partie, comme à sa fâcheuse habitude) ... et voilà qu'il leur faussait déjà compagnie !

Le silence devenait pesant. Nous étions réunis depuis déjà deux bonnes heures, et, mise à part quelques "bonjours" gênés, personne n'avait osé s'adresser la parole. Nous attentions tous les explications de Rotko qui nous avait tous expressement demandé de venir sans nous dévoiler la véritable raison de notre rendez-vous.
Quand il avait appelé Nam, un matin, à 6h58 précisément, elle n'en était pas vraiment revenue. Réveillée après une seule paire d'heures de sommeil, elle avait répondu au téléphone avec rage. Le ton de Rotko était sec, et inquiet. Il lui avait demandé de se rendre, le lendemain matin dans un mystérieux hôtel. Alarmée par le ton de cette invitation, elle n'avait pu qu'accepter. Et maintenant, elle somnolait vaguement sur l'un des sofas de la pièce, se demandant par quels moyens détournés Coline avait pu dénicher ses trois cafés aux frais de la princesse.
Quand Jacques fut appelé au téléphone, la tension monta d'un coup. Et si Rotko avait l'air surpris, la tête des autres convives étaient aux confins de l'hébétement.

"Rotko, il serait temps que tu nous parles non ? Nous savons tous que le problème de gestion de GDS est une couverture pour que tu nous informes d'autre chose. As-tu fais éloigner Jacques pour cette raison ?" demanda Nam, subitement réveillée par le tic-tac de l'horloge. Non mais c'est vrai, 9h20, c'est une heure pour inviter les gens? Ca a intérêt à être vraiment important...

Jacques revint, souriant, s'immobilisa devant la tablée. "- A quoi bon éteindre son portable, je vous le demande... Rassurez-vous, c'est mon fils Johan qui tenait à me faire savoir qu'il était bien arrivé à destination. Il est à New York pour deux semaines et vous savez tous, la psychose sourde des autorités vis-à-vis des touristes, dans les aérogares. Vaut mieux pas fixer un flic trop longtemps dans les yeux."
Jacques venait donc de dévoiler un point marquant de sa vie, non par hasard, contrairement à ce que la tablée de GDS pouvait en penser: Jacques a donc un fils nommé Johan.
"- Et maintenant que les boissons sont servies, (Jacques se rassit) Rotko, peut-être pourrais-tu nous éclairer sur l'objet précis de la réunion.
- Ton fils? Il a quel âge? demanda Marie, qui tenait à détendre l'atmosphère, et désirait apprendre à connaître mieux ses copains et copines du net.
- Vingt ans, Marie... vingt ans fit Jacques, le regard vague. Il but une gorgée de son jus de cerise. Puis s'accouda à la table, et entreprit de regarder chacun des grains, tour à tour. C'est étrange, dire que l'on communique presque tous les jours depuis deux ans sans s'être jamais rencontrés. Et réunis, nous sommes tous un peu crispés, en attendant l'intervention de Rotko qui, lui, ne cessait de farfouiller dans son porte-document. Il déposa enfin sa serviette, déployant lentement son PC portable devant lui sur la table.
...

Coline avait très envie de reprendre la perche tendue par Marie...Oui, on aurait pu commencer par un tour de table, comme dans beaucoup de réunions semblables à celle-ci...Une façon de commencer la matinée en douceur, de délier les langues et d'établir des contacts avant de passer aux choses sérieuses: ce qui lui permettrait d'être un peu mieux réveillée et un peu plus opérationnelle...Mais elle savait que ce n'était pas à elle d'en décider. Peut-être Rotko allait-il d'ailleurs le proposer? Il n'avait encore rien dit...Alors elle se contenta d'adresser un clin d'oeil complice et un sourire à Nam qui était en train de bâiller juste au même moment qu'elle...

Quand Rotko, enfin nous regarda tous et nous dit:
- Bon
Un frisson nous parcourut. Nous savions tous qu'il allait en dire plus. Jacques eut presque un éclair de triomphe dans les yeux, et Coline et Nam qui s'endormaient relevèrent la tête et se frottèrent les yeux comme après un long sommeil.
Colbrune et moi qui n'avions d'yeux que pour Rotko retenions notre respiration.
- Hum Hum! dit Rotko en s'éclaircissant la voix..

Toute la tablée fit silence.

Même Marie qui pourtant avait la réputation d'être bavarde comme une pie, restait tétanisée, attendant la suite. Il faut dire que Jacques s'était placé à côté d'elle, à sa droite et l'avait avertie:

- Si tu parles avant que la parole ne te soit donnée je te fiche un coup de pied sous la table.

Ce n'est pas qu'elle avait peur de ce père de famille , mais bon , elle ne tenait pas à ce qu'il lui file son collant neuf.

Bon, reprit Rotko en toussotant…

Comme d’habitude, Nam, tu as été très clairvoyante…Enfin, pas complètement : l’hypothèse selon laquelle j’aurais voulu éloigner Jacques un instant en le faisant appeler au téléphone, tu vois bien qu’elle ne tient pas…J'attendais une approbation de son directeur d'entreprise pour une tâche que je veux lui confier et je tenais à ce qu'il ne l'entende pas.

Cependant, Nam, tu as deviné que je voulais vous parler d’autre chose que d’un problème de gestion de GDS*. Je sentais bien que si j’avais l’air de faire planer une menace terrible sur l’avenir du forum, j’avais quelque chance de vous voir vous déplacer…C’était même ma seule chance de vous voir vous déplacer…Alors j’en ai usé.
Il émit un petit rire satisfait.

Mais en vérité, c’est d’un projet ambitieux que je voudrais vous faire part. Un projet ambitieux dans lequel je souhaite vous entraîner avec moi.

Cela fait maintenant huit mois que nous nous retrouvons régulièrement et je sens bien qu’il y a pour GDS*, avec tous ses membres, le potentiel nécessaire pour envisager de devenir plus encore qu’un forum.

- n'êtes-vous pas gênés par l'ascension de Google et ne vous sentez -vous pas menacés par sa puissance financière ?

Chacun le regarda avec étonnement.

Où voulait-il en venir ?

Rotko se garda bien d'en dire plus. Il avait surpris son auditoire, et ménageant ses effets, il attendit les interventions.

Immédiatement Marie ouvrit la bouche puis devant l'air stupéfait des autres la referma. Un silence se fit à couper au couteau!

Coline reprenant son sang-froid, d'une petite voix intervint:

- Nous t'écoutons Rotko, nous sommes venus pour cela.

Nam qui venait de sortir une feuille de papier et un stylo gravé à ses initiales, s'apprétait à prendre des notes.

Rotko nous regarda tous en souriant.

- On va jouer dans la cour des grands... dit-il d'un air satisfait, un coup à damer le pion à Google ! un projet grandiose, fabuleux, pharaonique...

Manifestement il jouissait de la sidération générale.

une minute s'écoula.

De son stylo uni-ball eye en or massif, il donna un petit coup sec sur la table;

-Seulement il y a un hic...

Queenie était restée discrète jusque là. Mais avait-elle le choix... L'ambiance générale la mettait profondément mal à l'aise. Le petit groupe semblait former une communauté bien soudée dans laquelle elle avait un peu de mal à trouver ses marques.
Et l'atmosphère ambiante n'arrangeait rien. La tension était très forte. Elle-même se sentait fébrile, pratiquement happée dans son fauteuil, elle croyait avoir totalement disparue, avalée par le tissu.
Elle se cramponnait aux bras du fauteuil, mais son corps tremblait, ses forces la quittaient, et tout s'embrouillait autour d'elle.
Un instant elle ferma les yeux, laissa passer quelques secondes, minutes, quelques heures peut-être.
Elle commença à percevoir le son des voix, des mots. Du mouvement. Petit à petit le fauteuil sembla se remplumer, lui offrir une assise plus stable.

Raclement de gorge. Rotko parlait. Queenie ouvrit les yeux. Les visages étaient encore un peu embrouillés, les formes évasées, mais elle tenait bon.
Subrepticement elle prit un cachet planqué dans la poche de sa veste, et le glissa dans sa bouche. Elle l'avala.
La pièce s'éclaircit, le groupe reprit sa place. Tout redevenait stable.

Elle écouta Rotko s'enthousiasmait à l'idée de battre Google. Mais qu'avait-il en tête ??? Personne ne pouvait vaincre Google et ses tentacules d'acier...
Et pourtant, rien que d'entendre ce cri de rébellion, cette envie d'indépendance, de liberté, Queenie prenait plus d'appui dans son fauteuil, se redressait. Etait (presque) prête à conquérir le monde !

Parenthèse

Faut-il préciser que ce récit est totalement imaginaire et que les personnages le sont aussi ? Si on retrouve des pseudos de grains et graines dans ce récit, les personnages qu’ils désignent n’ont pas de rapport avec le rôle que jouent ces grains et graines dans le forum, sur la toile ou dans la vie.

De même le forum GDS* dans le récit a un rôle ludique et imaginaire qu’il ne revendique pas dans sa vie actuelle. Si vous y voyez des symptômes de mégalomanie, il faut en accuser notre imagination délirante et débordante, et surtout ne pas vous inquiéter outre mesure.

Enfin ce récit est ouvert à tous, anciens et tout nouveaux grains, et il est parfaitement possible au grain du vendredi soir de poster sur ce fil dès le samedi matin. Au contraire, ce sera une initiative acceptée de grand cœur, une sorte de péripétie si fréquente dans les projets et entreprises humaines.

Malgré son habitude à voir vociférer des soit-disant managers dans leurs grands projets, managers incapables d'aligner deux ou trois lignes de programme en langage Python qui donnerait le résultat d'une simple addition, Jacques se sentit mal à l'aise. "J'étais sensé venu pour parler littérature, et voilà que Rotko nous annonce qu'il veut s'attaquer à Google. Je dois rêver." pensa-t-il.

-Attends, là... euh... Alain... tu nous réunis tous ici, et tu annonces ton nouveau combat contre Google? Je rêve ou quoi Non mais là je me sens visé. Demande à Marie, à Queen, ou à Coline... tu nous a pas invité pour nous parler d'une OPA sur Google tout de même. Non mais regarde les Grains! Ils sont venus! Et nous sommes cencés parler bouquins."
Jacques se tourna sa tête vers le bar, pris par une folle envie d'un Whisy. Puis fixa Rotko ténébreusement.
- "Moi je veux bien rendre service, mais si tu es mué par la seule envie de gagner du fric... Oh et puis merde! Je suis venu causer littérature."
Jacques ne cachait plus son irritation.
- Ecoute Alain, si tu continues, moi, on m'attend à Bruxelles. Pour ton projet, je veux bien en discuter en privé, mais... regarde les autres!"

Marie fut la seule à pouffer de rire. Queenie gardait un air sérieux mais approbateur. Un malaise plânait sur le groupe.

...

Coline, comme dans une bulle, n'entendit qu'à peine la réaction virulente de Jacques. Pourtant elle ouvrait grands les yeux maintenant et fixait Rotko. Elle avait l'air médusée par ce qu'elle venait d'entendre. Pas un son n'arrivait à sortir de sa bouche. Elle aurait voulu réagir, tout au moins poser une question, mais elle en était incapable.
Un moment elle douta: Rotko n'avait-il pas perdu son bon sens? Le succès de GDS ne lui était-il pas monté à la tête?
Elle essayait d'imaginer ce qu'il envisageait de faire...
Google, se disait-elle...celui que j'appelle parfois "mon ami Google"...celui auquel je peux m'adresser à toute heure..et à qui je peux poser n'importe quelle question avec la certitude qu'il m'apportera une réponse...Google, le seul...l'unique Monsieur J'ai-réponse-à-tout...Non!...Je rêve!...Rotko n'imagine tout de même pas que dans un futur proche...GDS puisse concurrencer le géant et lui tenir tête sur le même terrain...savoir répondre à toute demande de recherche ...Elle repensa soudain à ce fil initié par Utopie: "Avis de recherche:Vous recherchez un livre épuisé, un auteur, un titre dont vous ne connaissez pas les références ou il vous reste un vague souvenir d'un texte et vous aimeriez le retrouver ...
Un grain de sel aura peut-être la réponse ."...Etait-ce là le point de départ d'un délire mégalo-maniaque pour Rotko?...
Elle secoua la tête. Cette idée lui paraissait totalement "saugrenue"et elle n'osait pas poser de question à Rotko, lui demander si elle avait bien compris. Elle se disait qu'elle devait certainement faire erreur et que ce n'était pas la peine de se ridiculiser devant l'assemblée des Grains. Elle espérait qu'une demande de précisions émanerait d'autres membres. Et pour se donner une contenance, elle se leva et alla se servir un quatrième café...

Le bruit que fit Coline en reculant sa chaise réveilla Colbrune au beau milieu d'une de ses rêveries de début de journée, une de celles où elle se la jouait Ellénore, pourquoi pas ? Marie avait parlé de son fils Benjamin, qui avait évoqué en Colbrune l'Adolphe du Constant, et la voilà partie, disparue, sur un nuage.

Dur dur d'atterrir en plein milieu d'une réunion ambitieuse, surtout lorsque l'on tombe d'un petit nuage rose ... et qu'on a pas, mais alors pas du tout suivi le cours des discussions. Elle avait la vague impression que le mot "Google" avait été prononcé, mais était-ce bien vrai, n'était-ce pas, encore une fois, le fruit de ses élucubrations mentales ?

Et là encore, même la certitude qu'il s'agissait bien de "Google", de quel Google était-il question ? Google moteur de recherche omniscient ? Google Earth qui permet de voyager sur son PC à l'autre bout du monde ? Ou encore ce 'Henri Google qui a un gros sexe' qu'avait mentionné novice, un grain disparu des rangs des posteurs, mais les posteurs passent, c'est bien connu, alors que leurs pôts restent !

Nam venait d'apercevoir le mouvement de Coline, et avait avidement constaté qu'elle tenait sa tasse de café vide à la main. Elle la poursuivit dans l'idée de pouvoir enfin déguster sa dose de caféine.
La situation avait fini par lui mettre des idées machiavéliques en tête, elle imaginait soudain Rotko, les yeux rouges, les pupilles dilattées, se leve en écartant les bras et en hurlant "c'est le monde que je veux conquérir ! Le monde !!". Le pire étant peut-être, pour Nam, d'adhérer à cette hypothèse on ne peut plus illusoire. Elle n'arrivait pas à croire que les idées de Rotko lui soient apparues un beau matin, au réveil... Il avait sans doute tout manigancé depuis le début...Repéré, aux quatre coins de France, les meilleurs "agents" susceptibles de le servir, et amadoués à l'aide d'un forum au nom obscur, brusquement réduit à ses simples initiales. GDS. Mais bien sûr !! Il s'agissait d'un nom de code ! N'était-il pas étrange, par ailleurs, que tous, ici présents préservent jalousement leur identité par l'usage d'un pseudonyme ? Les pensées de Nam s'arrêtèrent brusquement au moment où le café eut enfin fini de couler.

"...
... Coline ? Tu n'aurais pas de quoi rouler un joint par hasard ?"

- Il me faut être plus clair, reprit Rotko, cachant son air dépité sous une chape jésuitique. Vous avez bien compris qu’il ne s’agissait pas de faire du fric, ce qui n’est pas l’esprit de la maison, - regard noir vers la droite, ni de tomber dans la mégalomanie galopante - regard noir vers la gauche, mais de faire respecter une certaine déontologie dans le domaine littéraire.

Je m’explique : La pieuvre GOOGLE BOUC voudrait, pour des raisons financières notamment, lancer sur le web des versions tronquées/ expurgées/ inexactes des oeuvres littéraires que nous aimons.
Nous devons lutter contre cette hydre malhonnête et malfaisante selon nos propres moyens.

Qu’on ne m’accuse pas de verbiage, dit-il en foudroyant Coline du regard : voici un aperçu des tâches qu’il nous faut exécuter, dit-il, en mettant devant chacun un petit cahier à son nom.

- Non Nam, chuchota coline, je n'ai pas de quoi rouler un joint...notre seul recours sera de carburer au café!
Elles se sentaient un peu prises de fou-rire, trop désarmées devant la démesure de la tâche qui les attendait, mais Rotko les fusillait du regard ... Lui n'avait pas vraiment l'air d'avoir envie de plaisanter...Elles regagnèrent donc leur place, une tasse de café entre les mains.
Jacques qui, comme coline, venait d'essuyer une réprimande se tenait très droit. On le sentait nerveux et les autres Grains faisaient mine d'être accaparés par les pages du cahier qu'on venait de leur remettre.

Sauf Marie, qui avait été obligée de mettre son sonotone pour mieux entendre tout ce qui se disait autour de la table. Elle n’en avait pas perdu une miette et se leva brusquement en hurlant : sauvons la littérature, sauvons les livres et tuons ce vermisseau de Google bouc !

Tous les autres la regardèrent, stupéfaits ! -
- Pourquoi cries-tu ainsi Marie, on n’est pas sourds lui fit remarquer gentiment Colbrune que Marie avait encore une fois sortie de son rêve.

- Vous non mais moi si ! hurla encore Marie

- Mais enlève ce truc s’agaça Rotko, tu as décidé de mettre le désordre ou quoi ?

Marie, vexée se rassit et se pencha, comme les autres vers le petit cahier devant elle.

Rotko avait de belles couleurs, on sentait qu’il s’énervait mais en fait il n’avait pas tort, cette interruption brutale de Marie avait quand même soulevé le vrai problème :

Devions-nous sauver la presse également ? devions-nous sauver les livres dits pornos ? sous prétexte de casser cette vermine de Google bouc?

Tout cela tourbillonnait dans les esprits et même Nam qui renversait sa tasse de café sans s’en rendre compte toussota , génée par le silence qui s’était établi une fois encore.
-

Jacques observait, sans dire un mot. Il fallait emmagasiner des informations sur la personnalité des membres de GDS qu'il n'avait jamais rencontrés auparavant. Mais il gardait un intérêt tout particulier aussi au cahier que lui avait remis Rotko. - "C'est une cause très défendable." pensa-t-il.
Marie l'amusait. Elle semblait être la rigolote de service. Jacques aimait ce genre de personnalité opposé à la sienne: exubérante. Ca lui faisait oublier qu'il voulait sembler sans s'en rendre compte, toujours très sérieux. Cela venait de son enfance, une éducation stricte, une école catholique. Il avait sept ans quand il est parvenu à convaincre ses parents de rejeter cette école. Il était alors entré dans l'enseignement officiel où il s'est découvert deux passions: les maths et la littérature. Il savait plus que jamais à son âge que la vie est un combat. Alors pourquoi ne pas adhérer à celui de Rotko?

Queenie était stupéfaite et effrayée. Rotko avait posé devan chacun un cahier "d'instructions". Marie avait littéralement bondit de sa chaise, prête pour le combat contre Google - il ne lui manquait plus que le poing levé et le chant des partisans.
Jacques restait très silencieux, et regardait tout le monde tour à tour. Son regard s'arrêta un instant sur celui de Queenie. Paniquée, elle baissa le regard. Elle avait eu la sensation qu'en un éclair il avait balayé sa personnalité, son histoire et ses peurs. Et s'il avait lu jusqu'au tréfond de son âme...
Les tremblements reprirent. Queenie ne supportait plus d'être enfermée ici avec ces gens quasiment inconnus, embarquée dans une histoire où elle devait prendre ses responsabilités.
Mais pourquoi n'était-elle pas restée chez elle tranquillement ? Pourquoi avait-elle répondu à l'appel de Rotko ? Son médecin lui avait dit que ça lui ferait le plus grand bien, mais si cette épreuve avait semblée difficile sur le papier, elle devenait carrément intolérable désormais...

Elle devait partir, sortir, prendre l'air. Faire cesser les battements précipités de son coeur. Comprendre, analyser, décortiquer. Elle devait parler, là, devant tout le monde. A TOUT LE MONDE.

Queenie inspira, lentement, profondément. Ressera les poings contre ses cuisses, et dit dans un souffle, pratiquement un murmure.

- Désolée, je dois vous laisser, j' ai besoin d'un peu d'air.

Immédiatement sa phrase terminée, elle s'empara du cahier estampillé de son nom, et se précipita le plus calmement possible vers les toilettes, au fond du hall de l'hôtel.

L'oeil de rotko, qui devine les intentions les plus secrètes, la suivait tandis qu'elle se rendait aux toilettes, avec le cahier !!

N'était-ce pas une provocation délibérée ?

il en fut scandalisé et décida de s'en ouvrir à Colbrune.

Tandis qu'il entamait une conversation à voix basse avec cette dernière, coline, agacée (d'autant plus qu'elle commençait à se demander ce qu'elle venait "faire dans cette galère"!), éleva soudain le ton:

-Bon, Rotko, si cela ne t'ennuie pas, tu parles à tout le monde, s'il te plaît...Ou alors tu nous dis clairement que l'on est de trop et on rentre à la maison!... Je te rappelle tout de même que, sur ta demande expresse, j'ai écourté mes semi-vacances: j'ai quitté un stage d'écriture avec Jean Pierre Siméon!...Est-ce que tu te rends compte du sacrifice?...Et cela parce que tu disais avoir besoin de nous tous, de façon urgente, et sans exception !...Non seulement il n'y avait aucune urgence à nous réunir tous (et moi la première!... A mon petit niveau, mais que veux-tu que fasse pour cette soi-disant grande cause que tu veux nous faire défendre?..) Et maintenant tes messes-basses laissent entendre qu'il y aurait des oreilles "privilégiées"!... Vois-tu, je suis d'avance, gavée!...

Ce coup de gueule de coline surprit, c'est le moins qu'on puisse dire. Coline, la douce coline...Oui, mais elle savait parfois très bien sortir de ses gonds...surtout lorsqu'elle n'avait pas son compte d'heuresde sommeil...