Etty Hillesum [Pays-bas]

(Un peu d'hésitation pour placer ce fil sur Etty Hillesum...Il aurait pu paraître dans le forum "Histoire et documents"...mais il va bien au-delà de son cadre historique).


« LETTRES DE WESTERBORK »
Etty Hillesum n’est pas une historienne mais ses « Lettres de Westerbork » et son journal, « Une vie bouleversée » constituent l’un des plus saisissants documents que nous possédions sur le contexte de ces écrits, et sur Westerbork, antichambre de l’Holocauste.

De juillet 1942 à septembre 1944, quelques cent mille juifs néerlandais déportés transitèrent par le camp de Westerbork . De semaine en semaine, quatre-vingt treize convois les emportèrent ensuite vers Sobibor, Auschwitz…

Ce camp fut au départ construit, non par les Nazis, mais par les Néerlandais, avec l’assentiment de la principale organisation juive du pays. Il s’agissait d’y accueillir, dès 1939, les réfugiés juifs allemands ou apatrides, qu’ils fussent rentrés légalement ou illégalement aux Pays-Bas, tous ceux qui chassés de chez eux attendaient de pouvoir émigrer à nouveau. Leur souhait était le plus souvent de rejoindre la Palestine.
Pour installer ce camp, on avait choisi l’un des rares endroits peu peuplés et relativement hospitaliers des Pays-Bas, une lande inculte de la province de Drenthe, à une trentaine de kilomètres de la frontière allemande.
C’est en temps que fonctionnaire qu’Etty entra dans ce camp alors qu’il était encore sous commandement hollandais. Elle y avait été envoyée par le Conseil Juif.
Lorsque le camp passa sous commandement allemand, Etty prit la décision d’y rester pour apporter autant qu’elle le pourrait son soutien aux déportés.
Restent de son séjour là-bas ces lettres la fois dramatiques et lumineuses qu’elle a envoyées, tout le temps qu’elle a pu le faire, à ses amis hors des barbelés.
Ses parents et son frère Mischa, victimes de la grande rafle des 20-21 juin1943 sont arrivés un jour dans le camp.
Et en septembre 1943, à l’âge de vingt-sept ans, Etty partait avec eux pour Auschwitz. Sa dernière lettre, jetée du train, a été retrouvée près de la voie et postée par des paysans…

Si je ne devais garder qu’un livre, ce serait sans doute celui-là…Ce témoignage bouleversant, tellement humain, tellement empreint d’espoir en l’homme…écrit avec un talent littéraire certain, par une belle, intelligente et généreuse jeune fille qui mourut, comme tellement d’autres, de la haine incompréhensible des bourreaux de l’Histoire…


Poignant, c'est sûr...On est évidemment dans la relation d'un drame épouvantable qui se joue chaque jour, et pire encore, chaque mardi au rythme des trains qui arrivent avec leur cargaison humaine à Westerbork et qui sont remplis aussitôt pour un départ à Auschwitz ou Sobibor...
Mais on supporte cette lecture des lettres que Etty, au coeur du drame, envoie à ses amis parce que cette jeune fille, au-delà de l'horreur témoigne, mais sans pathos, de ce qu'elle voit mais aussi de son amour pour les humains et pour la vie...
Je dois t'avouer que j'en connais des passages entiers par coeur. Nous avions fait, à cinq comédiennes, une tournée de lectures publiques de ces lettres , notamment dans les lycées et les bibliothèques du département, en quelques autres lieux aussi...Ce fut pour nous une expérience si forte. Et on nous en parle encore très souvent...Je ne peux te dire à quel point furent réceptifs à ce texte les adultes et les adolescents que nous avons rencontrés...
Je n'ai pas pu supporter de voir le film "Nuit et brouillard"... Ce livre-là, je le défends comme un témoignage de générosité et d'amour qui prime, mais de loin, et sans l'occulter, sur la barbarie.

coline a écrit:

Je n'ai pas pu supporter de voir le film "Nuit et brouillard"...

Insoutenable certes, Coline, il n'empêche que le texte de Jean Cayrol est un 'incontournable' de la 'littérature' des camps et que c'est le plus 'beau' à mon avis.

Le texte de Cayrol , texte de "Nuit et brouillard" de Resnais, est magnifique...Le film, c'est vrai, je n'ai pas pu en supporter les images. Mais cela n'enlève rien à ses indéniables qualités.

On peut aussi citer "Si c'est un homme" de Primo Lévi.

Ce qui me touche beaucoup chez Etty Hillesum, qui est morte à 27 ans, c'est la parole si lumineuse de cette jeune femme au fond du tunnel où elle se trouvait. Lumineuse car remplie d'amour de la vie et des humains malgré tout. Seulement généreuse. En colère parfois mais sans haine.

Et je continue dans le sens de Coline, son livre est plein de vie, d'envie de vivre. Elle est bouleversante.

Mentionner peut-être celle qui l'a subtilement décrite:
Sylvie Germain, Etty Hillesum, éd. Pygmalion coll. Chemins d'éternité.

Je sais que les avis sont partagés sur cet auteur, qui il est vrai se montre parfois quelque peu "illuminée". Il n'empêche c'est son texte qui m'a fait découvrir Etty Hillesum.

colbrune a écrit:

Mentionner peut-être celle qui l'a subtilement décrite:
Sylvie Germain, Etty Hillesum, éd. Pygmalion coll. Chemins d'éternité.

Il existe encore un autre livre sur Etty: "Etty Hillesum, une voix bouleversante" de Pascal Dreyer(chez Desclée de Brower: collection Témoins d'Humanité)

Coline, cette "attaque d´amont" est-elle due à la méthode-Quignard?

swallow a écrit:

Coline, cette "attaque d´amont" est-elle due à la méthode-Quignard?

Cette attaque d'amont n'est que la mienne, Swallow...Hélas!...
J'ai eu à coeur de faire remonter des livres ou des auteurs dont je pense qu'il ne faut pas passer "à côté"...C'est du militantisme, comme le dit Rotko. Ce que je crois, c'est qu'être en troisième page du forum c'est avoir peu de chance d'être remarqué...Et comme l'on parlait hier de faire connaître des auteurs qui sortent des autoroutes de la médiatisation, j'ai pensé procéder ainsi...
(Sous influennce inconsciente de Quignard? )

Sylvie Germain a écrit
"Une biographie (Etty Hillesum, Pygmalion) ou plus exactement une «bio-résonance» - ainsi qu'elle la qualifie elle-même - d'Etty Hillesum, une juive hollandaise morte à Auschwitz en novembre 1943, à vingt-neuf ans, laissant un Journal et des Lettres de Westerbork (publiées au Seuil).

«Du vif-argent sans cesse chatoyant au gré des pensées, des questions, des flambées de désir qui surgissent en elle et qui la brûlent autant qu'elles l'illuminent», c'est ainsi qu'apparaît cette grande sœur d'Anne Frank qui, elle aussi, fit partie des 104 000 juifs assassinés sur les 140 000 recensés en Hollande.
Hantée par la Shoah, Sylvie Germain fait resurgir avec une intensité poignante la figure lumineuse de cette femme qui ne fut pas une «sainte» au sens propre du terme mais un «franc-tireur assez déroutant». Elle s'est aventurée le plus loin possible sur la voie d'un «amour inconditionnel pour ce monde, l'humanité aussi pécheresse que souffrante, et Dieu».

2 citations que j'ai notées de ce livre :

« Un jour, j’irai les visiter un par un, tous ceux qui sont passés entre mes mains, là-bas sur ce coin de lande. Et si je ne les trouve pas, je trouverai leurs tombeaux. Je ne pourrai plus rester tranquillement assise à ce bureau. Je veux parcourir le monde, aller m’assurer de mes propres yeux, de mes propres oreilles de ce qu’il est advenu de tous ceux que nous avons laissés partir. »

« La vie est une chose merveilleuse et grande : après la guerre, nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d’amour et de bonté à conquérir sur nous-mêmes. Nous avons le droit de souffrir, mais non de succomber à la souffrance Et si nous survivons à cette époque indemnes de corps et d’âme, d’âme surtout, sans amertume, sans haine, nous aurons aussi notre mot à dire après la guerre. Je suis peut-être une femme ambitieuse : j’aimerais bien avoir un tout petit mot à dire. »

Ca ne vous donne pas envie de vous plonger dans ce bouquin ?