Jacques Roubaud

Jacques Roubaud, Le chevalier Silence, Haute Enfance, Gallimard.

Un montage littéraire ludique.

A la manière de Chrétien de Troyes, le narrateur de cette histoire, Heldris de Cornouailles, raconte la vie cachée de Silence, jeune fille déguisée en chevalier, pour échapper aux gardes du Roi Arthur.

Il s'agit d'une transposition moderne du Roman de Silence (XIIIe siècle) où le comte de Cornouailles faisait passer sa fille Silence pour un garçon afin de préserver son droit d'héritage.

On ne rentre pas dans le détail de l'histoire, un peu compliquée, et que le narrateur moderne, L'oulipien Jacques Roubaud masqué, mène à sa fantaisie, quitte à taquiner le lecteur par des parenthèses et des commentaires de son cru :-).

Jacques Roubaud, Le chevalier Silence.

En fait on trouve dans ce récit des citations transparentes mais non dévoilées de Tristan et Iseut, de Rabelais, des clins d'oeil à La Fontaine, voire à Chateaubriand ! Si bien qu'identifier la référence à une chanson ("il était un petit navire") devient un jeu du lecteur, qui sait pertinemment que beaucoup d'allusions lui échappent, mais se rejouit de ce qu'il trouve.

Dommage que les anciens auteurs n'aient pas eu vent des nouveaux tours de magie de leurs légendes : Pour Roubaud utiliser les technologies modernes fait partie des anachronismes malicieux.

A lire avec le sourire.
Extrait :

Citation :

Dans un pays de hautes montagnes, derrière un glacier, ils virent des hommes verts, moitié hommes, moitié arbres ; une humanité à branches, qui était née du mariage d'une de leurs reines, autrefois, avec un peuplier [...]Il y avait des jeunes filles porteuses de cerises, des filles roseaux,[...] des vieillards chênes chenus ; ils rendaient la justice. Ces êtres vivaient lentement ; ils étaient sages. Des poêtes pins coulaient une résine de paroles métrifiées. Les boulangers étaient des arbres à pain.

Précisons que le roman initial du 13é siècle aimait les jeux de langage, mais que Heldris de Cornouailles, contrairement à Jacques Roubaut, ne faisait pas partie de l'Oulipo (rire).

Jacques Roubaud vient de publier Nous, les moins-que-rien, fils aînés de personne. Multiroman Fayard «alter ego».

Un multiroman ? voici pourquoi :
Nous, les moins que rien est ainsi un «multiroman» édité scientifiquement par un certain Octavius J. Cayley, professeur émérite de l'université de Saint-Andrews at Lochgelly, l'un des masques de l'écrivain. Cette présence érudite a tout pour rassurer le lecteur, car ce livre, c'est Roubaud à travers les siècles.

Après avoir fait le jacques sur sa colonne, en passant son temps à des mathématiques antiques, il deviendra dendrite en s'installant au sommet d'un arbre. Lui succède Pierre Corneille Roubaud dont le «secret douloureux» n'est pas d'avoir écrit les pièces de Molière, mais déchiffré des messages secrets dans les acrostiches des vers de l'auteur du Cid.

toute l'histoire est là

Le seul titre de Roubaud nous met en joie : nous, les moins-que-rien, fils aînés de personne(1) , écho sans doute de quelque tirade de Cyrano.

La première des 13 feintes autobiographies de Jacques Roubaud, intitulée « vie de Jacques le Stylite » se déroule à Carthage au début de l’ère chrétienne.

Le ton est donné lorsque le narrateur se pose la question de savoir si cueillir les fruits du pêcher du voisin est en soi un péché. Dans ce récit édifiant :

Citation :

Vous lisez ces pages pour votre instruction et divertissement tout ensemble

l’intéressé s’absout avec vigueur

Citation :

« je le ferais encore, si j’avais à le faire »;

(1) fayard

Nous, les moins-que-rien, fils aînés de personne

On assiste donc à la vocation religieuse de Jacques, qui pendant que ses amis combattent les Vandales décide, lui, de mener un héroïque combat contre Satan.

Il adopte alors un langage qui charrie des images saintes et pieuses, dignes de la légende dorée : celle de ce bébé

Citation :

qui ne tête que le sein gauche de sa mère pour être plus près de son cœur,

qui montre un orgueilleux sentant sa foi fléchir :

Citation :

Son âme désira le repos, son esprit inclina vers la terre, ses pensées furent sujettes à certaines agitations.

Nous, les moins-que-rien, fils aînés de personne

On ne relatera pas en détail le cheminement de saint Jacques Roubaud le Stylite, sachez seulement qu’il passa du monde de la caverne au fût de la colonne, symbole de l’ascension spirituelle vers Dieu, après avoir été dendrite à l’ombre d’un micocoulier.

Ermite, il composa des poèmes dont les mots résonnent encore dans nos oreilles

Citation :

Dans l’orient désert…

ou bien

Citation :

Ôte-toi de mon soleil !

Sans oublier cette supplique aux bûcherons venus abattre son micocoulier

Citation :

Écoute bûcheron, arrête un peu le bras ..

On admirera donc la culture de Roubaud qui sait, en valeureux membre de l’oulipo, traduire sa progression spirituelle en progressions mathématiques...

- jusqu’à tendre vers le nombre parfait…

Amen

Citation :

Dans l’orient désert…

Citation :

je le ferais encore si j'avais à le faire

Citation :

Ôte-toi de mon soleil !

Citation :

Écoute bûcheron, arrête un peu le bras ..

au fait, de qui sont ces citations ?

Alors : la première, c'est Antiochus qui le dit dans Bérénice de Racine.

Puis "je le ferais encore..." c'est Rodrigue dans Le Cid...

"Ote-toi de mon soleil" : Diogène à Alexandre.

" Ecoute bûcheron... "Ronsard, dans Les Elegies, aux bûcherons de la forêt de Gastine.

J'ai bon ?

Citation :

Ôte-toi de mon soleil !

Ca m'inspire mais je digresse ailleurs

maïa a écrit:

Alors : la première, c'est Antiochus qui le dit dans Bérénice de Racine.

Puis "je le ferais encore..." c'est Rodrigue dans Le Cid...

"Ote-toi de mon soleil" : Diogène à Alexandre.

" Ecoute bûcheron... "Ronsard, dans Les Elegies, aux bûcherons de la forêt de Gastine.

J'ai bon ?

oui t'as bon, Maia
mais j'ai sans doute raté des citations cachées dans le texte de Roubaud.

Dans Parc sauvage (Seuil], Jacques Roubaud remonte à Septembre 42.

Deux enfants d'une dizaine d'années, Dora et "Jacques" arrivent dans une grande propriété des Corbières.

Ce domaine est une petite république, qui accueille réfugiés de la guerre d'Espagne, juifs et résistants en fuite.

Dora est venue avec Vlad, son oncle, "qui ne peut plus jouer en ce moment". Sa mère est restée à Toulouse. Les parents de "Jacques-maintenant" sont il ne sait où, loin.

Les enfants jouent, explorent. Ils découvrent le Parc Sauvage. Au fond du parc, le Vieux Bassin abandonné, sans eau, ses figuiers, ses lézards.

Jacques Roubaud, avec Quelque chose noir était au programme de l'ENS de Lyon, au même titre que Corneille, avec La place Royale, Monstesquieu, L'Esprit des lois, Stendhal, La Chartreuse de Parme.

Il a peu de chances de tomber pensaient les professeurs qui l'avaient, la plupart, un peu délaissés. Et les Khagneux de suivre l'orientation des pronostics.

Oui, mais voila ! Roubaud tombe en sujet le mardi 22 avril.

Qui a télphoné pour une alerte à la bombe, entraînant l'évacuation des candidats - et l'annulation de l'épreuve ?

Un moyen d'évacuer un sujet dérangeant pour certains candidats ?

j'ai d'excellents échos de Eros melancolique d' Anne Garréta, et Jacques Roubaud, chez Grasset.

Citation :

A Paris, dans les années soixante, un jeune chimiste écossais, Goodman, étudiant solitaire, mène une vie contrainte et méditative, [...] une voix de femme entendue dans une soirée, le corps nu d'une autre, viennent troubler ses projets.
Les spectres du passé envahissent l'immeuble, débordent les images photographiques de Goodman, désordonnent l'architecture de son secret.

Aux dires des critiques, tous unanimes sur france-culture, le récit démarre comme un roman d'espionnage. Il serait bourré de références à Pérec - la vie mode d'emploi et à d'autres auteurs, dont les troubadours, ce qui n'etonnera pas, vu les posts ci-dessus.

Je suis en train de le lire , j'ai eu la chance de suivre les cours d'Anne Garréta à la fac et j'ai lu jusqu'à présent tous ses romans...Celui-ci est comme toujours assez complexe, mais j'aime beaucoup...
Le style fait souvent penser à Perec, on ressent la filiation oulipienne !

tu peux écouter l'avis des critiques sur le podcast de france-culture pendant 7 jours.

Merci pour le lien !

Eros mélancolique
Ce n'est pas sans une légère appréhension que j'ai ouvert le livre (crainte qu'il soit trop érudit, sans doute); j'ai eu des difficulés à rentrer dans l'histoire, mais après quelques chapitres, tout se met en place. Anne-F. Garréta et Jacques Roubaud se mettent donc en scène : la première aurait reçu un mail du second, lui envoyant un manuscrit (en format pdf). Ce manuscrit a été écrit dans les années soixante par Goodman (un personnage visiblement souvent utilisé par Roubaud) étudiant en chimie, qui prépare une thèse sur la lumière, et appuie ses idées sur la photo ("la photo est l'écriture de la lumière",est-il écrit) : tous les jours, toutes les nuits, selon un calcul méticuleux, il photographiera la même scène.
Mais une voix de femme va vite le détourner de ce projet; en se promenant dans Paris, il va entendre une voix qui va le fasciner, et dès lors, il n'aura de cesse de vouloir la retrouver...

Ce roman, malgré toutes ses allusions (notamment à Pérec et sa vie mode d'emplo) -je dis "malgré" car on ne les discerne pas toujours - se lit avec un grand plaisir; le talent d'écriture des deux auteurs est absolument confondant (j'ai lu la plupart des romans d'Anne-F.Garréta mais je n'avais jamais lu Roubaud).
C'est un roman sur la perte, l'absence...et qui se sert des nouvelles technologies -comme c'est un manuscrit, les auteurs ont joué sur la difficulté, parfois, de lire certains passages; aussi, à certains endroits, les mots sont coupés et la lecture est brouillée.

Perec et Roubaud se connaissaient bien :

Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go -- Pierre Lusson, Georges Perec, Jacques Roubaud chez Christian Bourgois.

53 jours -- Georges Perec ; texte établi par Harry Mathews et Jacques Roubaud
par Perec , Georges
1989 P.O.L.

A consulter son fichiier en bibiliotheque, je m'aperçois que Roubaud a beaucoup écrit.

et bien moi, je suis en train de le lire et j'approuve tout ce que tu dis.

Il y a des meubles avec pleins de tiroirs et de doubles-fonds. Eros mélancolique de Roubaud et Anne Garretta (chez Grasset) leur ressemble, ainsi qu’à ses géniteurs

. D’un côté Roubaud, jongleur de la littérature qui mêle le sérieux au clin d’œil, de l’autre, Anne Garetta, écrivain et passionnée de photo.
A eux deux, ils réactualisent « l’histoire trouvée dans les papiers d’un inconnu » si fréquente au XIXe siècle depuis Benjamin Constant et l’inévitable Balzac : maintenant c’est un message crypté qui s’est introduit dans un ordinateur, et qui, tel un cheval de Troie, s’insère dans le document de Goodman, « a work in progress », qui justement ne progresse pas vite.

C’est aussi des photos trouvés dans un coffret à double fond chez un antiquaire, à moins qu’il ne s’agisse d'une photo héritée d’une vieille tante, avec une jeune fille au bord de la côte, face au vent, tenant sa jupe et son chapeau. On pourrait la penser sortie d’un tableau de Hopper, mais là on entre dans la caverne des références, une vraie boîte à malices.

Eros mélancolique

Le dénommé Goodman, chimiste des couleurs et passionné de photos, pour son travail, vit dans son petit monde. On le suit comme on suivait le photographe des nuages chez Stephane Audéguy, entre érudition, récit et canular.

Figurez-vous que Goodman a une concierge bien curieuse qui  « a eu de malheurs », « qui appartient à une espèce en voie d’extinction », et ne sait pas bien prononcer le nom des arbres, ici des « séquaoias ». Vous l’avez reconnue ?

La voila donc elle aussi réactualisée, petit plaisir offert au lecteur par Roubaud, à cheval entre le pastiche et le récit et qui laisse son lecteur le cul entre deux chaises, ce qui permet d’avancer dans l’histoire.

J’oubliais ! Parfois la page a été passée au blanco, on a donc seulement les premiers mots de chaque ligne, on lit en colonnes, ça donne quand même une idée, vu qu’on s’est entraîné sur les écrans d’internet.

Citation :

Goodman a une concierge bien curieuse qui « a eu de malheurs », « qui appartient à une espèce en voie d’extinction », et ne sait pas bien prononcer le nom des arbres, ici des « séquaoias ».

Vous l’avez reconnue ?

Spoiler:

Citation :

madame Vauquer ressemble à toutes les femmes qui ont eu des malheurs .

Citation :

Le long de chaque muraille, règne une étroite allée qui mène à un couvert de tilleuls, mot que madame Vauquer, quoique née de Conflans, prononce obstinément tieuille

Ceci dit, les relations entre Anne Garetta et la photo sont sans doute fausses puisque je l'ai confondue avec anne marie Garat (excuses publiques !).

Roubaud adore le petit jeu des contraintes : ainsi il ne cite que des îles monosyllabiques : Ré, Yeu, Serk, etc.

Alors rotko, tu as terminé Eros ? Ton impression est plutôt favorable, non ? Si jamais tu veux poursuivre ta découverte de Garréta,, il y a son premier roman, Sphynx (1986) dans lequel il est impossible de déterminer si le narrateur est un homme ou une femme. Oulipo un jour, Oulipo toujours

hé non, pas encore, car je suis sur plusieurs chevaux; mais j'avance, avec la même rudence que goodman dans son labyrinthe qui lemène après détours et péripéties à une petite culotte

j'en étais là hier soir dans mon lit, enfin, bref

je connais un polar Un coin tranquille pour mourir où l'auteur yvonne besson a veillé à cette ambiguité du narrateur-assassin dont on ne doit pas savoir le sexe avant la fin.

Bonjour la recherche des participes passés et des adjectifs qui révèleraient inopportunément le genre

Si j’ai confondu Anne Marie Garat et Anne Garetta, je leur ai trouvé, par la suite, un point commun inattendu dans le récit : l’histoire du troubadour jaufré Rudel :

Citation :

« L’histoire du troubadour Jaufre Rudel qui était tombé amoureux de la comtesse de Tripoli, sans la voir […] est-ce que son cas à lui n’était pas le même? Il ne l’avait pour ainsi dire jamais vue le premier soir où il l avait entendue, et n’était-ce pas à cause de sa voix, de sa voix seule qu’il était tombé amoureux, n’était-ce pas sa voix , sa voix étrange qui lui avait dit le plus grand bien d’elle qu’il reconnaissait maintenant, sa voix seule qui l’avait rendu amoureux ? »

p. 246 dans Eros mélancolique

Or c'est le sujet principal du livre l’amour de loin d'Anne-Marie Garat.

sa voix seule qui l’avait rendu amoureux

Citation :

Entre tous ces bruits, il y eut la voix. Elle arriva à son oreille, entre toutes les voix qui entrecroisaient derrière lui. Son timbre si particulier la détachait des autres, comme s’il avait été soliste dans le concert des rues de paris, et les autres bruits l chœur. Elle n’était pas plus forte que les autres, elle ne parlait pas une autre langue que l’anglais, mais elle était la seule individuellement audible pour lui. Goodman ferma les yeux pour meilleur entendre son cœur battait […]
Goodman la regardait immergé dans sa voix. Il était heureux. Il la retrouvait. Il ne la perdrait plus. Elle avait la même robe. Elle avait la même coiffure, le même visage d’absence.

Le personnage du personnage principal, Goodman, m’a rappelé dans ses errances et son oisiveté l’Adam Pollo du procès-verbal de Le Clézio

Un livre comme Eros mélancolique demanderait un étude poussée, vu que l’auteur, on le sent bien, entend renouveler l’univers traditionnel du roman.

Aussi traduit-il par des pages aux trois quart effacées les résultats de ses photos « blanchies », qui elles-mêmes reflètent les deux données de bases, le texte qui s’introduit dans les données d’un ordinateur (comme un cheval de Troyes), et la photo insolite dans le tiroir secret du meuble de l’antiquaire, jeux de miroirs déformants/déformés.

J’apprécie ces acrobaties et correspondances du récit, plus que les considérations du narrateur sur sa double appartenance franco-anglaise.

En revanche j’ai trouvé passionnantes les attentes, les présences, et les disparitions de la nommée Raymonde, personnage mystérieux de femme désirée, attendue, aimée et regrettée.