Cyril Mennegun, Louise Wimmer

Je n'irai pas voir bientôt, j'ai vu : Louise Wimmer, de Cyril Mennegun, avec Corinne Masiero.


Je suis très partagée. L'histoire est terrible et révoltante, sorte de Sans toit ni loi revisité par la Florence Aubenas du Quai de Ouistreham.
Corinne Masiero est époustouflante, "à la fois solide comme un roc et fissurée de partout" (comme y disent chez télérama) et interprète quelques scènes bouleversantes, comme celle de sa danse-transe ou celles dans la voiture, univers étouffant, bruyant, secoué.

Et pourtant, le côté "bons sentiments" m'a agacée. Mennegun rend hommage à une "battante", une qui ne lâche rien, même dans sa situation. J'y trouve un petit air de "quand on veut on peut", "puisqu'elle y arrive, les autres peuvent y arriver aussi", "ah la la, qu'est-ce qu'elle est courageuse, la dame", etc. et tout ça sans faire de vague, sans se faire remarquer, toute en dignité mon bon monsieur. Et puis cette fin, comme si le bonheur suprême "du pauvre" était, bien sûr, l'appartement tant désiré au 15e d'une tour HLM. Alors oui, bien sûr, quand on dort dans sa voiture (ou pire), un logement, c'est le début d'un commencement. Mais tout de même, je garde un petit goût d'amertume au fond de la bouche.

je comprends ta réaction, mais je ne suis pas trop surpris de cette attitude "quand on veut, on peut".

J'ai un ami proche qui galère depuis toujours, et vit de petits boulots, ici et là. Il accepte tout, quitte à faire sa malle ensuite. Il n'est pas tendre pour ceux qui restent en attente, et il professe assez explicitement cette morale.

Je n'avais pas osé ouvrir un fil spécial.

Je trouve que ces personnes forcent évidemment l'admiration mais on ne peut pas considérer pour autant que nous sommes tous égaux devant les difficultés, et pas non plus stables selon la période où nous pouvons être frappés. Et puis c'est mettre un peu vite la responsabilité sociale - de tous - au fond de la poche.

Citation :

c'est mettre un peu vite la responsabilité sociale - de tous - au fond de la poche.

je ne comprends pas suffisamment ta phrase.

Oui, je suis aussi choqué d'entendre mon copain dire qu'avec le système débrouille, on arrive tout le temps à se sortir la tête de l'eau. Comme c'est mon copain, je l'ecoute, d'autant qu'il est bien placé pour parler, en connaissance de cause.

C'est vrai aussi que généraliser cette "morale de l'action" individuelle a des limites...

Désolée pour le manque de clarté. Je voulais dire que nous vivons une période de résignation collective, dans un pays richissime où les signes les plus ostensibles d'une société d'ultra-consommation côtoient la misère la plus noire. Comme si nous vivions sur deux planètes différentes. Pourtant le sort de chacun est lié au sort de tous.

Ce genre de choses :

« Il s’agit d’un nouveau ravage de l’essentialisme. Il est donc logique qu’en face du mensonge de l’essence et de la partie, la grève fonde le devenir et la vérité du tout. Elle signifie que l’homme est total, que toutes ses fonctions sont solidaires les unes des autres, que les rôles d’usager, de contribuable ou de militaire sont des remparts bien trop minces pour s’opposer à la contagion des faits, et que dans la société tous sont concernés par tous. En protestant que cette grève la gêne, la bourgeoisie témoigne d’une cohésion des fonctions sociales, qu’il est dans la fin même de la grève de manifester : le paradoxe, c’est que l’homme petit-bourgeois invoque le naturel de son isolement au moment précis où la grève le courbe sous l’évidence de la subordination. »
(Roland Barthes, Mythologies, L'Usager de la grève)

« Qui croit
Pouvoir faire du miel
Sans partager le destin des abeilles ? »
(Muriel Barbery, L'Élégance du hérisson)

J'ai un livre dans lequel se trouve une magnifique photo. Il s'agit de C'est quand demain ?, de Marie-Pierre Dieterlé.
La photo se nomme Velichka. J'y perçois bien ces "deux planètes", deux espaces-temps distincts :

Soit dit en passant, n'hésitez pas à visiter le site de présentation et à acheter le livre.

Tout comme rotko, je ne comprends pas très bien cette phrase

Citation :

Et puis c'est mettre un peu vite la responsabilité sociale - de tous - au fond de la poche.

Quand je vois des SDF ou que j'entends des gens (p.ex. dans le bus, sur le banc à côté de moi) qui sont dans la dèche, ça m'interpelle, je me sens peut-être responsable voire coupable, mais je vois mal ce que je peux faire. Les services sociaux existent certes, mais on ne peut pas non plus aider les gens malgré eux.

J'ai connu une femme qui s'est retrouvée au chômage à 50 ans passés et qui refusait tous les petits boulots qui se présentaient à elle, car elle estimait qu'ils n'étaient pas assez bien pour elle. Elle aurait voulu retrouver le même genre de job avec le même genre de salaire qu'avant. C'est évidemment ce qu'on aurait souhaité pour elle, mais il faut aussi être réaliste. Elle est partie petit à petit à la dérive, dépression, médocs, aide sociale etc.... Elle a fini par partir à l'étranger, dans l'illusion qu'il serait plus facile de repartir à zéro dans un pays dont elle ne parle pas la langue ("j'apprendrai, c'est pas un problème"). Je n'ai plus de nouvelles, elle dort sans doute sur un banc quelque part où, au moins, il fait un peu moins froid.....

Je vois mal ce que j'aurais pu faire pour assumer ma "responsabilité sociale" vis-à-vis d'elle....

Bridget Jones a écrit:

Je vois mal ce que j'aurais pu faire pour assumer ma "responsabilité sociale" vis-à-vis d'elle....

C'est exactement pour cela que j'ai employé le terme "responsabilité sociale" et non "responsabilité individuelle".
Nous vivons dans un pays où nous bénéficions (encore un peu) de certains acquis sociaux. Mais pour la plupart d'entre nous, nous avons oublié que ces acquis ont été gagnés par des luttes acharnées. Nous, nous pensons que tout va être préservé sans que nous ayons à mouiller un peu notre chemise. Mais ces acquis sont détruits les uns après les autres.

Car pendant ce temps, d'autres n'oublient pas. Warren Buffet le dit très bien : « Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner ».

Alors nous pouvons toujours dire que nous connaissons tel SDF ou tel chômeur, etc. mais le fond du problème n'est pas là. Il est beaucoup plus général et... social. Dans le sens qu'une société se construit, elle n'est jamais donnée telle quelle une fois pour toutes. Et que la manière dont elle évolue touche tout le monde.

le fil de Florence Aubenas.

C'est vrai que la société produit et désigne des exclus, et que les droits se perdent très vite, ce qui entraîne des dérives et des laissés pour compte, deshumanisés.

Le Logement, la santé, le travail, sont refusés à de plus en plus de personnes, et même l'état-civil avec les papiers, etc.

N'oublions pas le droit au respect : la considération sociale n'est pas égale pour tous, et on ne s'adresse pas à une femme de ménage comme à une documentaliste. Le mépris se marque dans le ton, y compris par la désignation de la profession.

J'ai entendu un "c'est une femme de service" qui m'a atterré. Le marqueur de la réussite sociale (la fameuse montre Rolleix) fonctionne à plein dans les hautes sphères. Ce n'est pas le moment d'être un "pauvre con".

Pour autant, je ne voudrais pas donner une fausse idée du film. Je trouve qu'il mérite vraiment d'être vu, particulièrement pour la magnifique interprétation de son actrice.
Et la manière dont elle fait aussi ressortir que la fameuse "dignité" attendue se transforme parfois (tout à fait inconsciemment) en un orgueil qui enferme. Étrange culture que la nôtre, qui nous fait croire qu'il faut s'en sortir tout seul pour être "méritant" (et je sais de quoi je parle ).

Avec le recul, peu à peu, mon regard sur le film se modifie. Il faudra que je le revois.