Je viens de terminer Melmoth, l'homme errant, dévoré en 3 jours ; j'en sors vidé, physiquement et mentalement et exception faite de quelques longueurs, c'est un véritable chef-d’œuvre, précurseur de la littérature gothique, du roman noir et fantastique...
Melmoth c'est cette figure du damné, du meurtri, de l'homme noir/mélancolique/triste/atroce, de celui qui passe à travers l'existence des Hommes sans que ceux-ci puissent l'atteindre. C'est l'être des horreurs, des terreurs et des douleurs. C'est aussi ce passionné pour qui la vie n'a rien à offrir, aimant et aimé, mais fatalement tourné vers une destinée obscure, vers les ténèbres qui le constituent. Melmoth a tout vu, tout entendu ; son existence est-elle humaine lui qui se rend de lieu en lieu sans être vu, qui est-il ? C'est le grand voyageur désillusionné par la médiocrité des Hommes. Tout au long du roman, j'ai pensé à ces vers de Baudelaire :
"Dites, qu'avez-vous vu ?
IV
« Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici."
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Extrait du Chapitre 20 :
"— Oh ! vous allez détruire mes fleurs, s’écria-t-elle, se rappelant tout à coup les moments heureux où des fleurs étaient à la fois les compagnes de son imagination et de son cœur.
— Je vous prie de me pardonner ; c’est ma vocation, dit Melmoth en se roulant sur les fleurs écrasées et en lançant à Isidora un de ses regards sombres et effrayants. Je suis envoyé pour fouler aux pieds toutes les fleurs du monde physique et moral, n’importe que ce soient des jacinthes, des cœurs ou d’autres bagatelles de ce genre. Et maintenant, dona Isidora, puisqu’il faut vous appeler ainsi, je suis ce soir ici ; demain, je serai… où votre choix m’aura placé. Je vous préviens d’avance que cela m’est égal, soit que vous m’envoyiez aux mers de l’Inde, où vos songes m’ont déjà si souvent expédié, ou bien qu’il me faille briser la glace du pôle, ou bien enfin que je sillonne les flots de cet Océan qu’un jour, jour affreux, qui n’aura ni soleil ni lune, ni commencement ni fin, il me faudra sillonner à jamais pour ne recueillir que le désespoir !
— Paix ! paix ! ne prononcez pas des mots aussi horribles ! Est-ce vous en effet que j’ai vu dans l’île ? Est-ce vous qui depuis ce moment avez fait partie de mes prières, de mes espérances, de mon cœur ? Êtes-vous cet être sur qui je fondais encore mon espoir quand la vie était sur le point de me manquer ? Dans ma traversée pour me rendre à cette terre chrétienne, j’ai beaucoup souffert. J’étais si malade que vous auriez eu pitié de moi. Oh ! vous seul, votre pensée, votre image pouvait me soutenir ! J’aimais, et quand on aime on vit. Privée de cette existence délicieuse qui me parut un songe et qui remplit encore mes songes, en faisant de mon sommeil une seconde existence, j’ai pensé à vous, j’ai rêvé de vous, je n’ai aimé que vous !
— M’aimer !… aucun être ne m’a encore prouvé son amour que par des larmes !"