De couleur rouge sang

Sujet: De couleur rouge sang Mer 03 Mar 2010, 14:35

Ca fait déjà un moment que je ne vous ai rien posté dans cette section.
Je continue à écrire, tant bien que mal, avec des hauts et surtout des bas. Un an maintenant que je bosse sur mon livre qui n'avance pas. Je le réécris sans cesse, jamais vraiment satisfait de ce que je ponds.
col

Je vous en livre un nouvel extrait. Sorti de son contexte...

1/2

Un profond silence emplissait la pièce. Son œil, ébloui de lumière, avait du mal à percer la pénombre qui l’envahissait. La seule source lumineuse l’attira immédiatement : là bas tout au fond, à une vingtaine de pas de l’unique porte, une lampe au pied de nacre répandait une lumière douce, qu’un abat-jour de toile teintait d’ocre. De cet îlot chaleureux émergeait un bureau en bois d’acajou. Ce meuble somptueux de style Louis XVI faisait la fierté de son propriétaire et l’admiration de ses visiteurs. De taille respectable – près de deux mètres sur un –, il laissait supposer l’existence de tiroirs, révélés par une étroite ceinture. Son entrée, encore trop récente pour qu’il se fût suffisamment accommodé, ne lui permettait pas de percevoir les fines cannelures des pieds fuselés. Des moulures de bronze soulignaient un plateau tendu d’un maroquin émeraude sur lequel s’entassaient des piles bien ordonnées de papiers. Deux cadres trônaient sur la droite, proches de la lampe. De l’embrasure de la porte où il se tenait toujours, l’œil ne pouvait en apercevoir que le dos. Rien ne lui permettait de deviner leur contenu.

Par delà ce morceau de patrimoine, confortablement installée, une femme lisait. Le dos bien calé, les avant bras reposant sur de larges accoudoirs.

- Tu es encore là ? Demanda-t-il d’une voix douce dans laquelle perçait une certaine tendresse douloureuse.

Absorbée, ou indifférente, elle sembla ne pas l’entendre. Pas un seul de ses muscles ne bougeait. Seuls ses globes oculaires parcourant les lignes tracées devant eux, oscillaient de gauche à droite. Après un profond soupir de lassitude, elle porta son buste en avant et déposa la feuille – la dernière. De sa main droite, elle ôta ses fines lunettes, les abandonnant sur ses genoux. Fermant les yeux, elle les massa lentement. Du bon travail : cette revue fastidieuse s’avérait indispensable. Seul le tiroir à sa gauche préservait encore intacts ses secrets.

Plus tard.

Ce n’est qu’à cet instant qu’elle remarqua l’homme qui se tenait dans l’encadrement de la porte. Sa main robuste pressait toujours la poignée. Elle lui accorda un pâle sourire, à peine perceptible, triste. Ses lèvres demeurèrent scellées.

Elle avait atteint cet âge à partir duquel les hommes, entre eux, usaient volontiers d’adverbes : Elle est encore très séduisante, entendait-elle parfois sur son passage. Le temps œuvrait et en femme coquette, elle restait attentive à son image. Aussi, ce commentaire qui se voulait flatteur, l’irritait. Un jour, elle ne manquerait d’ailleurs pas de franchir une nouvelle étape : elle devait être très belle, prononcerait-on alors. Le jogging qu’elle pratiquait depuis toujours, lui permettait de conserver forme physique et silhouette athlétique : une poitrine ferme, un ventre plat, des cuisses musclées sans une once de cellulite initiant des jambes élancées. Le déclin s’amorçait néanmoins et elle le combattait de façon quotidienne avec obstination. Dans l’intimité de sa chambre, elle passait davantage de temps devant le miroir de sa coiffeuse à fignoler un maquillage recherché qu’elle voulait discret. Elle teignait ses cheveux, jadis auburn, dans lesquels apparaissaient des fils argentés disgracieux. Un institut de beauté de l’avenue de la Grande Armée recevait ses visites hebdomadaires. Elle s’était même laissé convaincre du bien fondé d’une légère intervention chirurgicale devant gommer les pattes d’oie qui se formaient au coin de ses yeux. Albert lui avait fait remarquer que vieillir était le destin de chacun. Certes. Mais elle ne se résignait pas. Elle lui répondait généralement d’un regard condescendant en pensant qu’il serait le premier à se plaindre si elle baissait les bras et venait à se négliger. Ses dépenses, que d’aucun jugerait excessives – à tort – se trouvaient parfaitement maitrisées. Son train de vie élevé n’avait rien de dispendieux. Avec des moyens modestes, elle aurait déniché des artifices bons marchés pour parvenir à ses fins et retenir sa jeunesse étiolée.

Elle s’étira, émettant un grognement étouffé, et quitta son siège.

Elle fit quelques pas dans sa direction, lentement. Ses membres engourdis gémirent un instant puis retrouvèrent leur légèreté habituelle. L’épaisse moquette beige accentuait encore l’élasticité naturelle de sa démarche. Elle adorait le doux contact caressant de la laine sur ses pieds nus et ne manquait jamais de se déchausser en franchissant le seuil du cabinet. Plus tôt dans l’après midi, elle avait satisfait à ce rituel avec toutefois une émotion nouvelle. Cette sensation éveillait en elle des souvenirs d’une époque heureuse mais révolue. Un sourire empreint de mélancolie éclaira la souffrance qui marquait son visage, la rendant plus poignante encore.

Sujet: Re: De couleur rouge sang Mer 03 Mar 2010, 14:36

2/2

Sortant de sa rêverie, elle cessa de fixer ses pieds gainés de fins nylons et releva la tête. La pénombre s’épaississait. Le crépuscule glacé mourrait au profit d’une nuit d’encre. La grande bibliothèque qui occupait un pan entier de mur, la toisait, magnifique et généreuse. De la vaste baie vitrée – seule ouverture sur l’extérieur – qui lui faisait face, plus une lueur ne filtrait. Dans le salon, la grande horloge comtoise sonna cinq coups qui roulèrent le long du carrelage du vestibule. Elle pressa l’interrupteur ; l’ampoule s’éteignit et la pâle luminescence du dallage blanc de la terrasse apparut aussitôt, contrastant avec les ténèbres environnantes. Droite devant la surface vitrée, elle contemplait le parc. Toute la famille usait de cette hyperbole pompeuse pour désigner le jardin. Ses dimensions tranchaient tellement avec celles du précédent… En le découvrant, c’est elle, alors adolescente, qui prononça la première le terme. Chacun l’avait repris ensuite.

A l’extérieur, pas un mouvement. Pas un souffle d’air : la végétation demeurait immobile, pétrifiée par le gel. Le parc se pelotonnait, se recroquevillant sur lui-même dans la perspective d’une autre nuit hivernale. Le ciel paraissait de plomb, bas, uniforme, lourd et menaçant : une chape les isolant du monde extérieur. Il neigerait. Cette certitude lui procura un frisson qui parcouru son dos, de sa nuque à ses reins. D’un geste machinal, elle rentra sa tête dans ses épaules, réajusta la veste de son tailleur et garda les bras croisés pour la maintenir fermée. Elle sentit un corps qui l’enveloppa. Deux bras puissants se refermèrent sur elle et se croisèrent sur son ventre. Une tête se cala contre la sienne. Une joue hirsute, hérissée de poils rêches, lui piqua le lobe de l’oreille droite. Au bout d’un instant, elle se dégagea doucement.

Le contournant, elle jeta un regard circulaire sur cette pièce qu’elle aimait tant. L’obscurité happait les détails ; seuls les contours, vagues, parvenaient à s’échapper. Et encore lui fallait-il pour les percevoir, ne pas les regarder directement et se contenter de les deviner du coin de l’œil. Si elle cherchait à les surprendre, ils disparaissaient instantanément. Elle fit deux pas sur sa droite et retrouva dans le noir le bouton qu’elle pressa de nouveau. Les couleurs réapparurent.

Elle revint s’asseoir. Affectueusement, elle caressa des deux mains le bois rougeâtre.

Elle cru qu’elle allait de nouveau pleurer. Elle parvint à se reprendre et tendit la main vers le tiroir de gauche. Il résista : elle ne pu l’ouvrir. Une serrure en contrôlait l’accès. Où se trouvait cette petite clé dorée qu’elle avait aperçue ? Elle se rappelait s’être interrogée à son sujet mais ne la découvrit dans aucun des autres tiroirs du bureau. Ce qui ne la surprit guère. Le souvenir qu’elle gardait de ce morceau de métal remontait de toute façon à plusieurs heures. Avant qu’elle ne s’installe ici. Réfléchissant, elle revécut le début de son après-midi. Sitôt après un repas frugal durant lequel elle n’avait rien pu avaler, elle s’était réfugiée ici. Avec le prétexte du tri qui ne pouvait attendre. Un faux-fuyant qui ne dupa du reste personne. En entrant, elle avait accordée une attention attristée aux rayonnages chargés de livres. Tout en marchant, elle en effleurait tendrement les tranches, jusqu’à…

- Dans la petite boite d’ébène qu’ils ont rapportée du Kenya... Si mes souvenirs sont bons.

Surprise d’entendre le son de sa voix, elle se tourna vers lui. De son bras tendu, il lui montrait l’objet posé dans une alcôve de la bibliothèque, au pied d’une photo du Kilimandjaro. Mais il ne fit aucun mouvement qui pu lui suggérer qu’il la lui apporterait.

- Merci, dit-elle néanmoins.

Elle se leva, franchit l’espace qui la séparait de la boite et l’ouvrit. A l’intérieur, elle trouva ce qu’elle cherchait.

Du tiroir, elle retira un épais dossier cartonné de couleur rouge sang. Sur la jaquette, ne s’étalait qu’un seul mot en lettres majuscules, tracé proprement à l’aide d’un feutre noir à la mine épaisse : Réminiscences.

Très loin d’elle, elle entendit une porte se refermer.

Sujet: Re: De couleur rouge sang Mer 03 Mar 2010, 15:31

Harelde, tu connais mes manies :

la réticence devant les longs papiers, et tu mets deux épisodes à suivre.

Les proposer successivement, avec un petit intervalle de temps, m'aurait encouragé. Là, tu devras attendre un accès d'héroisme Smile

Sujet: Re: De couleur rouge sang Mer 03 Mar 2010, 15:41

rotko a écrit:: Harelde, tu connais mes manies :

la réticence devant les longs papiers, et tu mets deux épisodes à suivre.

Les proposer successivement, avec un petit intervalle de temps, m'aurait encouragé. Là, tu devras attendre un accès d'héroisme

Pas de souci Rotko.
J'ai balancé tout le texte car je l'avais en entier sous la main.
charlot

Sujet: Re: De couleur rouge sang Jeu 04 Mar 2010, 09:04

je te donne quelques impressions en privé.

Sujet: Re: De couleur rouge sang Ven 05 Mar 2010, 09:49

Heureuse de lire ta création, Harelde ! Happy

A priori, j'aime bien ton style, mais il me faudrait connaître le contexte pour savoir si j'aurais envie de lire tout le roman ...

Sujet: Re: De couleur rouge sang Ven 05 Mar 2010, 10:08

Marianne a écrit:: A priori, j'aime bien ton style, mais il me faudrait connaître le contexte pour savoir si j'aurais envie de lire tout le roman ...

Mon style évolue encore beaucoup : je le trouve beaucoup trop influencé par celui de l'auteur que je lis au même moment... Embarassed

Pour le contexte général du livre, c'est l'histoire d'un jeune homme pas très sûr de lui qui décide d'écrire son premier bouquin (il y a un peu de moi là-dedans hesit

). Ce jeune homme passe par tous les états d’esprit au cours de son écriture : de l'euphorie initiale une fois sa décision prise (peut-être la plus importante de sa vie), aux cruelles désillusions des premières tentatives et des premières relectures... Jusqu'à la remise en question qui nivelle son humeur (en dents de scie) lui permettant de retrouver une certaine sérénité dans son projet qu'il juge pharaonique. Il prend alors du recul, écrit pour son propre plaisir sans plus former de rêves ridicules.
La jeune femme dont il est question dans le texte que je présente est la fille de cet homme. Nous avons fait un bond en avant de plusieurs décennies. L'homme, devenu un écrivain reconnu, vient de décéder et la femme qui met le nez dans les affaires de son père trouve ce manuscrit de jeunesse – du moins, elle le suppose tel – qui n'a jamais été publié.

Sujet: Re: De couleur rouge sang Ven 05 Mar 2010, 10:17

Regarde le livre de gwenaelle Aubry, Personne. La présentation du récit en glossaire par mots-clés est sans doute un peu sèche, mais elle capte l'attention en restant très concise.

Pour son père qui devait être bel homme, pas de clichés dans la description ; d'ailleurs en fait-elle une description ?
S'inspirer d'auteurs dont on aime les qualités aide à améliorer le style, je crois.

Sujet: Re: De couleur rouge sang Lun 08 Mar 2010, 18:57

Harelde78 a écrit:

Marianne a écrit:: A priori, j'aime bien ton style, mais il me faudrait connaître le contexte pour savoir si j'aurais envie de lire tout le roman ...

Mon style évolue encore beaucoup : je le trouve beaucoup trop influencé par celui de l'auteur que je lis au même moment... Embarassed

Merci pour les précisions !
Je suis dans le même cas pour le style : il faudra sans doute que j'attende d'avoir le temps de lire de bons auteurs pour pouvoir écrire sérieusement !

Sujet: Re: De couleur rouge sang Mar 09 Mar 2010, 07:59

Marianne a écrit:: Je suis dans le même cas pour le style : il faudra sans doute que j'attende d'avoir le temps de lire de bons auteurs pour pouvoir écrire sérieusement !

Je pense que c'est inévitable au début.
Après, notre propre perception des choses s'affirme et prend le dessus. On est alors moins influencé par les autres.

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