Louis René des Forêts

LRdF m'accompagne tous les hivers depuis une bonne dizaine d'années. aujourd'hui, la neige fondue sur Paris un dimanche matin m'y fait revenir et vous en parler. question d'ambiance propice.

on peut aussi remercier Rotko qui a demandé un fil sur des Forêts. je réponds pour faire participation.

formellement, on pourrait scinder les textes de des Forêts en 3 groupes : les récits, les fragments, les poèmes. mais comme toute classification, ce serait artificiel, puisque ça se contamine d'un livre à l'autre.

thématiquement, on pourrait dire que des Forêts, parle de mémoire, de silence, de dire et d'écrire. mais c'est rapide et lacunaire.

vous remarquerez peut-être que chacune de mes phrases précédentes fonctionne sur le démenti, sur le oui mais non ou oui et non. ce n'est pas anodin. la phrase de des Forêts (avec bien plus de style, évidemment, puisque vous écrivant je ne fais pas texte, mais je parle seulement du coin de mon lit d'un auteur aimé) fonctionne aussi sur ce mouvement du démenti. non pas du démenti qui annule un membre pour préférer l'autre, plutôt du démenti qui met en coprésence deux membres d'une tension, a priori des contraires, pour les faire jouer ensemble, les faire se frotter.


on pourrait faire connaissance avec des Forêts par Le Bavard (L'imaginaire, Gallimard). récit autour d'un personnage saisit sans contrôle de crises de la parole. récit très amusant, émaillé de références qu'il cajole en même temps qu'il rejette qui fut assez mal reçu par un certain lectorat parce qu'il a une certaine manière de faire ce que Mallarmé appelait un "démontage éhonté de la fiction", c'est à dire, une entreprise de mise à nu des figures se faisant.

ou, l'on pourrait commencer par Ostinato (L'imaginaire, Gallimard) récit d'enfance par fragments où l'on est bien loin des topiques du genre autobiographique. récit fonctionnant par bribes de souvenirs, de sensations, de réflexions qui tout au long du texte tournent comme si l'on regardait la mémoire du narrateur par ce kaléidoscope qu'évoque Proust dans La Recherche... ou, évidemment, comme un ostinato http://fr.wikipedia.org/wiki/Ostinato

pour ma part, l'hiver, je relis compulsivement Ostinato, Pas à pas jusqu'au dernier, Ainsi qu'il en va d'un cahier de brouillon... certains passages des Poèmes de Samuel Wood et chaque été Les Mendiants.

pour la biographie et une bibliographie, on pourra se renseigner chez Gallimard qui édite désormais la plupart de ses textes.
c'est ici http://www.gallimard.fr/catalog/Html/event/forets.htm (le reste est chez Fata Morgana et William Blake and co).

pour un extrait, j'ai pris le parti de prendre tout à fait au hasard. non pas me raccrocher à mes post-it, ni chercher un moment qui me touche, mais faire ce que je fais sur les tables des librairies pour me donner envie : ouvrir le livre et saisir un morceau.

Citation :

Tout ce qui ne peut se dire que dans un excès de mots fébrilement jetés sur la page comme autant de dés malchanceux, la mise chaque fois renouvelée en pure perte jusqu'à dilapider ses dernières ressources et se retirer d'un jeu auquel on feindrait de ne s'être prêté que par dérision, sans nul souci du gain, sans nul attrait pour ses vertiges... Mais parler en terme de jeu _ où l'être jouerait en se perdant _ c'est méconnaître la nécessité d'un mouvement qui de tout son poids s'oppose à la désinvolture qu'affiche le beau joueur faisant avec un froide élégance contre mauvaise fortune bon cœur pour dissimuler son dépit d'avoir risqué et manqué sa chance.

Le garçon hébété aux joues sans couleur salies par les larmes, les cheveux coupés ras en deuil de sa mère, c'est vainement que les deux chiens pendus à ses premiers habits d'homme lui font fête. Une tape sur la truffe refroidit ces fougueux élans qui ne sont plus de saison. L'humeur joueuse ne s'éteindra pas cependant avec l'enfance, ni avec l'âge le souvenir de cette nuit d'été où il a découvert sur le très cher visage le pouvoir exorbitant de la mort, la mort et la vanité des prières.

Si longtemps reclus au loin, il revoit plein de la lumière la plus gaie le peu de jours qu'ils furent ensemble. Il aura appris à ses pieds le bonheur de rire et parfois, la nuque sur ses genoux, le charme des vieilles rengaines qui semblaient aux yeux ensommeillés de l'enfant voler toutes légères dans l'espace, effleurer les hautes boiseries de la salle où il retournait le soir en coup de vent implorer une dernière chanson et une autre encore qu'elle lui accordait de bonne grâce, non sans un peu le gronder d'avoir quitté le lit après l'heure du dernier baiser.

Louis René des Forêts, Ostinato, (L'Imaginaire Gallimard)

Merci Dedel (puis-je permettre cette familiarité, puisque j'ai fait partie des ceusses qui t'ont portée sur les fronts baptismaux de GDS* ), de m'avoir fait permis de faire connaissance avec cet auteur ... hier, j'ai achevé de me ruiner par l'achat de quelques oeuvres poétiques dont tout le monde se fout , mais dès que M'dame Fortune me sourira (je ne compte pas trop sur cette bougresse idolâtrée des désespéres du grattage et du PMUtage, auxquels je n'appartiens pas ), le sieur Louis René des Forêts pénètrera dans mon univers ...

Bonne idée, Dedel (je ne veux pas rester sur le pas de la porte), et merci d'avoir indiqué les livres par où commencer.

L'extrait me plaît bien car j'y trouve un ton un peu distant, ce que n'ont jamais ceux qui écrivent comme dans un tract ou un "livre de gare".

Constance, j'aime bien la poésie dont tout le monde se tape (ce n'est pas vrai, pas tout le monde, à vrai dire, c'est comme avec les Romains, il reste un petit village d'irréductibles gnagnagna_ oui, on peut réagir pour le décalage de ma comparaison qui fait vilaine image), et pour le coup, je te conseille de commencer plutôt par les textes fragmentaires (Ostinato, Ansi qu'il en va d'un cahier de brouillon... ou Pas à pas, le plus sinistre, quoi que), parce qu'avec le poétique, ça fera écho.

et sinon, évidemment, Les Mégères de la mer ou les Poèmes de Samuel Wood (réédités en poésie gallimard, peut-être même dans un seul volume, même si c'est moins joli que Fata Morgana)

Rotko, la distance, ça va aussi avec une tension qui traverse Ostinato (et pas que), un rapport au narrateur, au sujet, comme en caméra subjective. moi, ça me tue, ça me tue !

on peut trouver des choses sur cette question de distance dans Voies et détours de la fiction, chez Fata Morgana (en revanche, je ne sais pas s'il est encore édité, mais peut-être en occase chez le Ministre du prix).

et sinon, j'accepte vos deux "Dedel".

Comment ai-je pu ignorer cet auteur ... ? ... je me suis promenée sur la toile, afin de mieux faire connaissance avec des Forêts, et l'homme m'a séduite ...

"Les mégères de la mer, suivi de Poèmes de Samuel Wood" :
N° 442, NRF Poésie/Gallimard, 96 pages, prix 4,50 euros ... un grain de sable au fond de l'océan de mes dettes !
Donc, une petite visite à la FNAC s'impose ...

ha non, pas la Fnac.
il y a tant de petits libraires à faire tourner, ils en ont bien besoin.
et avec la loi sur le prix du livre, ça ne coûte pas plus cher.

(pardon, j'aime mes libraires)

Depuis que ma libraire attitrée, à laquelle j'étais fidèle, est décédée, il n'existe plus de libraire, (digne de porter ce nom), dans ma ville qui est pourtant une très grosse commune ... ... à la place de sa librairie : une banque ! ... donc, par défaut, je me suis repliée sur la FNAC ... minçalors ! me voilà contrainte de me justifier, ce dont j'ai horreur ...

je suis désolée, Constance. je n'avais pas de mauvaise intention à ton égard faisant cette remarque. et je ne voulais pas te mettre mal à l'aise en te poussant à te justifier.

je comprends. c'est vrai qu'habitant Paris, j'ai plutôt le choix. ce qui n'est pas forcément le cas partout, j'ai pu le voir en me déplaçant beaucoup pour le travail (et pour la distribution de certains éditeurs, c'est dramatique).
même si à Paris aussi, des libraires doivent fermer. et malheureusement, le plus souvent, de vrais libraires, pas des revendeurs de best seller.

mais stop, je ferme le sujet, sans quoi, mes remarques vont demander un fil sur la distribution du livre !

Pas de souci, Dedel ... je suis totalement en accord avec ta volonté de faire vivre les libraires ... je ne me suis nullement sentie attaquée, je galèjais ...

J'ai lu que des Forêts avait signé le "Manifeste des 121" ... décidément cet homme me plait ...

alors, je suis rassurée, je sais que je peux être un peu brusque parfois !

la résistance, des moments de participation à des événements politiques ou intellectuels, et sa discrétion. oui, c'est séduisant.
puis traîner avec Blanchot, Celan, Bataille, et quelques autres, pfff, ça me fais ranger ma misanthropie et mon désintérêt pour l'homme derrière l'œuvre. (justement, parce qu'il restait en retrait).

je déteste dire ça (les notions d'humilité, de sincérité, dans l'écriture, ça m'énerve), mais le fait est que quelque chose comme ça, d'une distance à soi, d'une certaine manière de traiter le je (particulièrement dans les textes fragmentaires) me touche dans l'écriture de des Forêts. une certaine manière de rapport à l'écriture aussi, la mettant comme hors de soi et simultanément, habitant le scripteur.

bon, suffit, je retourne bosser !

Pour Delfine: Bonjour: merci pour toutes les données sur cet auteur, pas très connu en France, évidemment inconnu en Argentine. Ce petit fragment (poème) m'a touché par sa sensibilitité

Que jamais la voix de l'enfant en lui ne se taise, qu'elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l'éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie. »
(Ostinato)

Ostinato

j'ai eu tendance à parcourir au hasard les fragments qui le composent. Une erreur. Il faut le prendre dans l'ordre.

Je lis donc ces très courts paragraphes, comme des éclats d'enfance repliée sur elle-même. A lire petit à petit.

Citation :

"Toutes ces grandes personnes parlent sans répit et si fort qu'il se retire loin de leurs voix dans sa fable intérieure."

Souvenirs des maladies de l'enfance. Colette avait aussi de beaux passages sur la grippe.

Voici le texte d'Ostinato :

Citation :

Claustré au lit, front en nage, tempes battantes, il s’éveille par à-coups sous la lueur sulfureuse de la lampe pour étouffer sa frayeur entre les draps qui enflent, enflent à toute allure comme échappant à la prise de poings agrippés.
La cheminée de marbre déplace son ventre pansu et béant sur les lattes du plancher où des pas résonnent militairement, les chaises étirent des pattes velues, le plafond oscille et se déboîte, ramages et passementeries vénéneuses se contorsionnent sur les rideaux d’andrinople à demi tirés…

Je suis également en train de le lire. Je l'avais chez moi. Il est passé au-dessus de ma pile au détriment des autres.

CE qui m' a frappé chez Antonio Muno Molina, je le retrouve chez Louis-René des forêts :

Enfants gais comme l'air que le tourment du péché condamne à devenir sournois et secrets sous le regard d'un dieu sans gaieté qui les met au pas et leur interdit de rire. La lumière se fait plus grise, plus dur le devoir et l'oisiveté pesante : le jeu même perd entre ces grands murs son goût sauvage.

Au fond de la haute salle capitulaire, orgueilleux petit drôle troussé à plat ventre sur l'escabeau, la verte férule mordant sa chair figée de honte et d'effroi, le poignet en travers de la bouche pour étouffer ses plaintes.

Ostinato, pp 25-26 l'imaginaire, Gallimard.

épouvantable cet extrait de Louis René des Forêts: De ce genre d'écoles sortent des athées ou des militaires.