Yanick Lahens (Haiti), La couleur de l’aube,

1/2 Yanick Lahens, La couleur de l’aube, chez Sabine Wespeiser.
 
Il serait tentant de comparer ce récit à une œuvre musicale en trois mouvements : l’inquiétude, la colère, la douleur et la haine. Mais il faudrait parler de voix : on entend celles des sœurs de Fignolé, étonnées au matin de ne  pas trouver leur frère au domicile familial. Chacune  garde pour soi ses craintes, ce qui les rassemble est ce silence plein d’appréhensions sur l’absence du frère, si proche affectivement qu’il occupe toutes leurs pensées
 
Les rôles dans cette famille de Port-au-Prince en Haïti sont bien définis :
 

Citation :

« Face à l’irrémédiable et l’infernal (1), nous allions réagir tous les trois de façon différente : Fignolé dans la bravade absolue, dans l’entêtement mettre en distance les séductions qui tendent de faire oublier la cruauté du monde. Joyeuse dans l’affrontement de biais. Et moi dans la soumission au monde tel que Dieu l’avait crée. »

 
(1) la vie à Haïti dont on sait que l’arbitraire est érigé en système politique.

2/2 Yanick Lahens, La couleur de l’aube, chez Sabine Wespeiser.

La construction soignée de ce récit autorise pourtant le flottement des personnages, et en particulier d’Angélique, la principale narratrice. Par sa voix, la vie d’Haïti nous parvient dans ses aspects domestiques, et surtout une existence imprévisible : d’un moment à l’autre tout peut basculer de l’espoir à la douleur, de l’attente au deuil. Par sa bouche, l’émotion nous est directement transmise :

Citation :

« Fignolé, tu me manques comme un membre amputé, comme un enfant mort-né. Rien ne pourra remplacer l’espace dans lequel tu bougeais, marchais, gémissais, parlais et criais ta douleur au monde. Rien ne pourra remplacer ta main dans mes cheveux, tes bras autour de mes épaules. Ta voix qui me disait : « Petite sœur, comme je t’aime. »

Bob Marley, redemption song.

J'ai terminé la lecture de la couleur de l'aube de Yanick Lahens. Cette écrivain qui vit en Haïti dépeint le destin d'une famille ordinaire. C'est un roman poignant et monstrueux à la fois.

"J'ai sur la langue, dans les oreilles et les yeux, au creux de mes mains, tant le goût de vivre."
"Puis j'ai quitté la chambre à pas feutrés, empruntant le couloir comme ces bêtes qui habitent le noir."

beau succès critique pour ce récit d'amour et de passion qui parle de la rencontre "intergenerationnelle" de deux amants (50/30 ans) sur une terre qui va connaître le tremblement de terre...

Yannick Lahens refuse les clichés del'amour tropical pour exalter "le corps noir".

Citation :

Dans cette île, la misère n'a pas de fond. Plus tu creuses, plus tu trouves une autre misère plus grande que la tienne.

La couleur de l'aube est toujours aussi fascinante, et l'attente de Fignolé - pas rentré au foyer familial et dont on découvre une vie insoupçonnée, donne une teinte dramatique à cette histoire de HAITI.

J’avais déjà lu la couleur de l’aube, mais ce titre mérite bien deux lectures ;
 
Il repose sur l’absence de Fignolé qui emplit d’inquiétude le cercle familial. Tour à tour deux femmes l’évoquent, au sein de leur vie quotidienne et de leur vie personnelle - et secrète. 
 
«　Femmes de trop de mots, grosses de tant de silence　».
  
Avec leur voix, on entend le chant violent de Haïti, chant de haine et de révolte mêlé à un amour intense du présent, que Yanick Lahens développe, tel un poème de chair et de sang, une fresque aux accents multiples, au plus près de la mort pressentie. 
 
«　Port-au-Prince, poste avancé du désespoir. Port-au-Prince, grande implantation de béton et de boue dans une savane. Port-au-Prince, mon tourment et ma punition. Il y a toutes les images, toutes les histoires anciennes. Il y a toute la malfaisance secrète inscrite dans ses murs depuis deux siècles.　» 
Assurément un grand livre